Je marche sous le ciel gris et le temps pluvieux en direction de Waseda avec l’idée de visiter une ancienne maison dans laquelle a vécu le poète haïku Matsuo Bashō (松尾芭蕉) pendant trois années à partir de 1677, pendant la période Edo. Bashō y a séjourné alors qu’il participait aux travaux de rénovation de l’usine hydraulique de Kanda. Cette maison a ensuite été renommée Sekiguchi Bashoan (関口芭蕉庵). Elle est située au bord de la rivière Kanda dans le quartier de Sekiguchi de l’arrondissement de Bunkyo, au pied des jardins de Chinzanso (椿山荘) où se trouve l’hôtel du même nom. Je suis en fait venu une première fois en Septembre mais l’entrée était malheureusement fermée, ce qui ne m’a pas empêché de prendre quelques photographies des alentours, notamment de la cathédrale Sainte Marie de Tokyo, un des chef d’oeuvre de Kenzo Tange, que je montrerais dans un autre billet. Un mariage y avait lieu et les photographies étaient par conséquent interdites à l’intérieur. Je suis finalement revenu vers Sekiguchi Bashoan plus d’un mois plus tard pour retenter ma chance. La porte coulissante en bois n’est toujours pas ouverte mais il n’y a pas de petit écriteau indiquant une fermeture. Un groupe de dames sortent au moment même où je m’interrogeais si l’entrée est possible. Je reconfirme avec elles qu’il n’est à priori pas impossible de rentrer à l’intérieur, même si elles ne sont pas les gardiennes des lieux. Le fait qu’elles soient rentrées me permet à priori d’entrer à l’intérieur à mon tour. On ne peut malheureusement pas pénétrer à l’intérieur de la maison de Matsuo Bashō. On peut seulement parcourir le jardin composé d’un étang et on a vite fait le tour des lieux. Ça tombe bien car le gardien vient me prévenir que le jardin va fermer dans cinq minutes. Son insistance par sa présence près de la porte coulissante d’entrée fait que je ne traîne pas en route. Une des raisons pour lesquelles je suis venu jusqu’ici est que j’espérais apercevoir le domaine du manoir Shōuen (蕉雨園) qui est adjacent à Sekiguchi Bashoan. Ce manoir très spacieux n’est malheureusement pas visible depuis la maison de Bashō, mais seulement depuis une étroite rue piétonne en pente nommée Munatsuki (胸突坂). Il a été construit en 1897 et était la propriété du comte Mitsuaki Tanaka (田中光顕), ministre de la Maison Impériale à l’époque Meiji. L’entrée est fermée et un haut mur de pierre ne permet d’entrevoir qu’une partie des dépendances du domaine qu’on imagine vaste. On devine une grande demeure au milieu du terrain, derrière les arbres. Les lieux sont actuellement la propriété de la maison d’édition Kōdansha (株式会社講談社). En 1919, Mitsuaki Tanaka donna ce manoir à Jiemon Watanabe (渡辺治右衛門), président de la banque du même nom qui fit faillite pendant la dépression de Showa. Le fondateur de Kōdansha, Seiji Noma (野間清治), acheta ensuite ce manoir et le terrain de 6000 tsubo (environ 2 hectares) en 1932. Kōdansha n’ouvre malheureusement pas les portes du domaine Shōuen au public. Il est seulement utilisé pour des événements spécifiques ou des tournages de drama.
Je m’intéresse à ce manoir car il a été utilisé pour une fantastique série de photographies de Sheena Ringo pour le magazine Sony Gb d’Avril 2003, publié peu de temps après la sortie de son album Kalk Samen Kuri-no-Hana (加爾基 精液 栗ノ花) le 23 Février 2003. J’aurais adoré visiter cette demeure dont on peut voir dans le magazine certaines salles et le jardin pris en photo par Yasuhide Kuge (久家靖秀). Ce numéro de Gb contient une interview de Sheena Ringo qui revient principalement sur l’album KSK, mais ce sont surtout ces photographies qui sont marquantes. Ringo est habillé d’un kimono noir en adéquation avec le dernier morceau de l’album Sōretsu (葬列) pour cortège funèbre et le titre de ce magazine Sōrei (葬礼) pour funérailles. Ce magazine contient une des plus belles séries de photos de Sheena Ringo que je connaisses mais il faut bien se faire une raison, il n’y a que peu de chance que le manoir Shōuen soit ouvert un jour au public. Je me contenterais donc des quelques photographies du magazine.
Ce magazine Gb d’Avril 2003 était précédé d’un autre très beau numéro datant de Mars 2003. Celui-ci s’appelle Shūgen (祝言) pour félicitations. Les photographies sont également de Yasuhide Kuge (久家靖秀) mais je ne suis pas certain qu’elles aient été prises au même endroit que l’épisode du mois d’Avril. Les photographies se concentrent sur le kimono que porte Ringo et sur son visage. Sur certaines des photographies, elle est accompagnée par un homme en kimono, ce qui laisse penser à une mise en scène de mariage. Cet homme est Kazuhiro Momo (百々和宏), guitariste et chanteur du groupe MO’SOME TONEBENDER (モーサム・トーンベンダー), originaire de Fukuoka comme Ringo. Au sein du groupe Bakeneko Killer (化猫キラー) créé pour l’occasion, Kazuhiro Momo jouait de la guitare sur le premier morceau Shūkyō (宗教) et le onzième et dernier morceau Sōretsu (葬列) de l’album Kalk Samen Kuri-no-Hana (KSK). Tout en me promenant autour de la demeure, j’écoute bien entendu cet album pour me mettre dans l’ambiance de ces séries de photographies que je garde très clairement en mémoire. Je feuillette régulièrement ces deux magazines que je m’étais procuré il y a quelques années. Le numéro de Mars 2003 est consacré au single STEM (茎) et au film Hyaku Iro Megane (百色眼鏡) réalisé par Shuichi Bamba (番場秀一) qui précédaient l’album KSK. Je ne dirais pas que j’ai appris beaucoup de nouvelles choses en parcourant l’interview de ce magazine, mais il m’a en tout cas donné envie de revoir le film. Il y est noté que la pièce principale dans laquelle apparait Sheena Ringo est parfaitement symétrique, comme peuvent l’être l’agencement des titres sur l’album ou la durée totale de l’album (44:44). J’ai également été surpris de lire qu’une des scènes, celle dans un cinéma, a été tourné au Tokyo Kinema Club (東京キネマ倶楽部) près de la station d’Uguisudani. Je connais cet endroit très particulier et d’une autre époque, car le concert Unō Sanō (右脳左脳) de Tricot et de PEDRO auquel j’ai assisté le 10 Mai 2024 s’y déroulait. C’est une coïncidence intéressante. J’ai également cherché à savoir où se trouvait la maison de style occidental de l’actrice Kaede Katsuragi, interprétée par Koyuki. On ne trouve aucune information dans les crédits du film, mais quelques recherches sur Internet et sur Google Maps m’ont permis de découvrir cette demeure située dans le quartier d’Horiuchi (堀内) à Hayama dans la préfecture de Kanagawa. Il s’agissait à l’époque d’une résidence privée, mais cette vieille maison est maintenant utilisée comme restaurant pour des fêtes de mariage, sous le nom de R・CASA (リ・カーサ). Je connais Hayama pour y être allé de nombreuses fois, mais je ne pense pas avoir déjà vu cette maison. En tout cas, le concert Ringo Expo’24 un peu plus tard ce mois-ci me donne envie de ma replonger vers des éléments de l’univers de Sheena Ringo que je n’avais pas encore fouillé. C’est un petit plaisir d’OTK dont je ne me lasse définitivement pas.
Si les photos du magazine sont sublimes, je ne j’étais jamais posé la question à propos du lieu où elles avaient été prises, merci pour ce travail d’investigation ! Je me demande bien où est passé cet exemplaire du Sony Gb d’Avril 2003 que je m’étais procuré à l’époque, j’ai peine à croire que je m’en sois débarrassé et pourtant je ne me souviens pas l’avoir vu dans mes cartons lors de mes retours en Europe. Il faudra que je fasse un tour dans quelques Book Off pour voir si je ne peux pas (re)mettre la main dessus …
KSK … peut-être le plus bel album de toute la musique japonaise tout genre confondus ! Savais-tu qu’il est placé 19ieme dans la liste des meilleurs albums japonais sur besteveralbums.com (rires) ? Je suis tombé sur ce classement par hasard en faisant quelques recherches parce que je me faisais la remarque que par rapport aux deux albums précédents la popularité de KSK en tant qu’album est moindre alors que bon nombre de ses chansons ont été formidablement interprétées en concert par la suite. Je n’ai pas trop été vérifier la manière dont ce classement est établi, cela dit peut-être y a-t-il l’une ou l’autre découverte à en tirer.
Si KSK est musicalement et conceptuellement parfait, je crois bien que son seul défaut est son titre … c’est du moins toujours ce qui m’empêchera de l’acheter en vinyle et de le mettre en valeur sur ma table (soupirs). Il faut dire que j’ai été un peu traumatisé par le fait que quand à l’époque j’avais montré tout fier mon achat, l’album encore emballé, à une connaissance japonaise d’un certain âge, son commentaire avait été : ‘Cette femme (SR) est complètement folle !’ Je n’avais trop rien compris sur le moment mais le titre, les références funèbres, ç’avait du être un peu trop pour elle …
J’écoute KSK en rédigeant ce commentaire, et je viens de me rendre compte dans sa version sur Apple Music celui-ci fait 46 minutes ! En effet, le titre 意識 y est mentionné en tant que ‘意識 (album version)’ et les voix émanant de la radio et autres sons étranges que l’on peut entendre brièvement en début de morceau sur la version CD se prolongent inutilement pendant une bonne minute. Sacrilège !
Bref. Je m’emporte, 44:44 exquises sont passées. (j’ai pris mon temps pour écouter l’album en entier). Merci pour ce moment, et excellente continuation !
Salut! Merci pour ce long commentaire, que j’attendais inconsciemment comme je te le disais un peu plus tôt! Cet article fait en fait référence à une ancienne discussion sur le billet The Streets #3 datant d’il y a plus de cinq ans, où on parlait justement de ce magazine Gb d’Avril 2003. Je l’avais ensuite cherché dans les BOOK-OFF et Disk Union de Tokyo mais sans succès. Je l’ai finalement acheté sur Mercari il y a plusieurs années, et je suis sûr qu’on peut toujours y trouver un ou deux exemplaires vendus par des particuliers. J’avais dans l’idée d’écrire cet article depuis un bon moment mais il fallait d’abord trouver l’endroit où ont été prises ces superbes photos. Le fait que j’ai redémarré cette série the streets est en fait lié au fait que j’allais écrire le billet ci-dessus, car je me suis remémoré le billet the streets #3, qui fait parti des quelques billets ayant pour moi une importance certaine par rapport aux autres sur ce blog, notamment en raison de nos échanges qui ont suivis.
Je reconnais tout à fait les réactions de ton entourage au sujet de Sheena Ringo à l’époque car j’entendais les mêmes remarques. Ça n’encourageait pas forcément à crier sur tous les toits notre amour de sa musique même si sa popularité était importante à l’époque. Les gens la regardaient tout de même comme une personne bizarre et non conventionnelle, ce qu’elle est toujours à mon avis même si c’est moins immédiatement visible. En plus à l’époque, j’écoutais aussi beaucoup le Visual Kei du groupe Luna Sea et on me rembarrait en disant que c’étaient des esthètes narcissiques, donc rien ne m’encourageait vraiment à parler de mes goûts musicaux de l’époque à mon entourage.
C’est vrai que KSK a eu moins de succès commercialement que les premiers albums, mais ça se comprend car il est moins immédiatement accessible. La vue des fans est assez différente. Je me permets de montrer un graphique de l’enquête annuelle de Ringohan pour 2023 pour illustration, on y voit quand même que KSK était très bien placé dans le classement des albums préférés des fans 10 ans après sa sortie, en 2013. Il est maintenant au milieu du classement mais on peut comprendre que les albums plus récents soient naturellement mieux placés. Cet album a également pour moi une résonance toute particulière, mais j’aurais beaucoup de mal à faire un classement de mes albums préférés. Sinon, je suis bien d’accord, casser la symétrie est un sacrilège et je pense que c’est plutôt le fait de la maison de disque. Même chose pour Sanmon Gossip (SG) en rajoutant à la fin le morceau Marunouchi Sadistic (EXPO ver.) qui vient casser la symétrie autour de Shun (旬) en morceau normalement central à l’album. A ce propos, je viens de réaliser récemment que les initiales SG de Sanmon Gossip faisaient très probablement référence à la guitare Gibson SG avec laquelle elle pose sur les photos accompagnant l’album. Il y a encore et toujours des petites découvertes à faire. (ce commentaire a été copié/collé avant d’être envoyé, ahahah!)