On tourne en rond en voiture dans Ginza, concentré sur les voies, les lignes et les signes. Il fait déjà nuit. Je finis par trouver un espace libre où s’arrêter. Je me sacrifie pour rester dans la voiture à attendre. Depuis quelques semaines, je laisse une petite enceinte wifi portable dans la porte de la voiture. Je m’en sers pour connecter l’Ipod en bluetooth. Je profite dans ces moments, seul dans la voiture, pour écouter ma musique (celle que je ne partage pas sauf sur ces quelques lignes), tout en regardant ce qui se passe dans la rue. Depuis cette émission Kōhaku du réveillon du premier de l’an et l’apparition en images et musique de Sheena Ringo 椎名林檎 devant la mairie de Tokyo à Shinjuku, je me remets à écouter les anciens albums notamment le premier Muzai Moratorium 無罪モラトリアム, qui a accompagné avec Shōso Strip 勝訴ストリップ (deuxième album) les premières années de ma vie à Tokyo. Muzai Moratorium est d’ailleurs sorti le mois de mon arrivée à Tokyo, en février 1999. La musique de Sheena Ringo est peut être plus adaptée à l’ambiance de Shinjuku, mais j’essaie quand même d’observer la rue avec cette bande sonore. Les passants sont couverts et ne trainent pas dans les rues. Il faut dire qu’il a neigé très brièvement sur Tokyo en ce début d’après midi, un flot de neige dans le vent pendant quelques minutes seulement. En levant les yeux vers l’immeuble de deux étages coincé sous l’autoroute intra-Tokyo, on aperçoit des restaurants à la suite à l’étage, un restaurant japonais aux lumières tamisées et où la chaleur s’échappe des plats vers le plafond. Ginza est le royaume des restaurants et bars. Dans un autre immeuble devant moi, les neuf étages accumulent les enseignes lumineuses de trente-trois établissements représentés les uns au dessus des autres. Ils font peut être le plein ce soir, en tout cas les rues se vident déjà, pour le dernier train de la ligne Ginza. 銀座線 終電何時?
Je parlais de l’album Reimport: Ports and Harbours Bureau 逆輸入 ~港湾局~ dans un des derniers billets, pour la découverte du morceau Seishun no Mabataki 青春の瞬き (Le Moment). L’étrangeté de la photo de couverture de cet album, en photo ci-dessus, m’intrigue. C’est une étrange association que de voir Sheena Ringo en kimono épais au milieu de containers qu’on imaginerait empilés quelques part dans les docks à proximité de Tokyo. Je me lance donc dans l’écoute plus approfondie de cet album, qui n’en est pas vraiment un, dans le sens où il s’agit plutôt d’une collection de morceaux plus ou moins anciens écris initialement par Sheena Ringo pour d’autres chanteurs, chanteuses (actrices parfois) et groupes. Il sont « re-couverts » par Sheena Ringo (c’est le sens du titre « Reimport » de l’album). Elle se ré-approprie donc des morceaux qu’elle a écrit pour Chiaki Kuriyama, Ryoko Hirosue, Rie Tomosaka ou pour des groupes comme Tokio et Puffy. Cette collection de 11 morceaux sortie en 2014 à l’occasion du 15ème anniversaire du début de sa carrière est un ensemble hétéroclite. Il y’a du rock assez sombre ponctué d’électronique et des morceaux beaucoup plus légers et pétillants dans les sonorités et le ton de sa voix. En repensant à la photographie de couverture de l’album, elle représente en fait assez bien le contraste interne de l’album, vu que les morceaux étaient initialement écris pour des profils et styles musicaux différents. Je n’en suis pas étonné, mais j’aime particulièrement la manière dont Sheena Ringo peut s’approprier différents styles avec aisance, en passant par le jazz dernièrement, tout en conservant cette originalité, cette structuration particulière des morceaux et cette tonalité dans la voix si reconnaissable. J’étais jusqu’à maintenant assez hermétique à cette partie de son répertoire qui s’éloignait du rock alternatif, en pensant qu’elle avait cédé aux sirènes marketing, mais je change d’avis sur le sujet et mes oreilles s’ouvrent un peu plus après l’écoute de cet album, et me donne envie de creuser un plus plus les disques que j’ai manqué, ainsi que ceux de son groupe Tokyo Incidents 東京事変. J’en parlerais peut être un peu plus dans un prochain épisode.