Mois : octobre 2017
des formes enchevêtrées
Je revisite rapidement les formes enchevêtrées du Sunny Hills de Kengo Kuma. Rapidement car je suis en vélo et je ne perds pas de temps pour faire un détour vers Jingumae pour aller voir une fresque murale aperçue rapidement en voiture un peu plus tôt dans la journée. Il faisait un temps des plus agréables pendant le long week-end dernier pour se promener en vélo. La fresque murale est de Zio Ziegler, artiste peintre et sculpteur américain vivant actuellement à San Francisco. Elle se trouve sur un des murs du magasin BEAMS à Harajuku et vient apparemment accompagner une série de chaussures Vans reprenant ces motifs graphiques.
Je tente très peu les photographies de nuit à part cette fois à Kabukichō avec Eddie. Et quand je me lance dans les photographies urbaines de nuit, c’est plutôt en noir et blanc. Des photographes de rues comme Lukasz Palka et Masashi Wakui sont vraiment excellents pour leurs photographies prises dans le Tokyo nocturne, notamment dans les quartiers lumineux et animés de Shinjuku. Il y a très certainement un travail de post-production important sur le rendu des couleurs, pour cet effet bleuté notamment sur les photographies de Masashi Wakui. Ce type de filtres rend très bien quand on n’en abuse pas et qu’il y a un bon équilibre, ce qui est le cas à mon avis sur les photographies de Masashi Wakui. Sur son blog, Lukasz Palka publie un article intéressant sur un sujet que je mentionnais dans certains de mes billets précédents, à savoir « photographies et médias sociaux », ou comment éviter la course aux « likes » en restant authentique. Il y a une comparaison bien vue qui m’a bien amusé entre le nattō et le popcorn, où le popcorn serait bien entendu ce qui s’apprécie dans son immédiateté et rapidement comme les photographies que l’on trouve en masse sur les réseaux sociaux (attention à l’indigestion) et le nattō, plus difficile d’accès et complexe. Bien que l’auteur ne dise pas clairement dans quelle catégorie il souhaite appartenir, on devine fortement un attrait pour le nattō, bien qu’il semble difficile de s’échapper de l’eye candy. C’est d’ailleurs un peu la limite de ce genre de démonstrations. Une chose est sûre en ce qui me concerne, je ne sais pas faire de l’eye candy, tout simplement car je ne m’y connais qu’assez peu en techniques avancées photographiques et je ne me verrais pas attendre dans une rue, avec un trépied, le moment décisif. Je préfère le mouvement. Mais ceci étant dit, j’apprécie l’approche suivie par Lukasz Palka, notamment cette série sur les toits des buildings. À vrai dire, je me fais du mal en regardant ces photographies, car ça donne envie de rechercher la photographie « marquante », dont on se souviendra. Je n’ai malheureusement pas ce talent ni le sens de la dedication nécessaire à ce genre d’exercice. À vrai dire, un certain nombre des photographies de Lukasz Palka montrent un Tokyo actif et animé, tandis que mes photographies montrent un Tokyo ennuyeux et sans éclats. Ou plutôt, l’éclat est presqu’indicernable à moins qu’on y regarde bien. Je discute, je discute, mais c’est déjà l’heure de dîner et je reprendrais bien un peu de nattō ce soir.
têtes en l’air et fenêtres sur Shinjuku
Pendant que Mari et Sayoko font des courses à Isetan et à Takashiyama, Zoa et moi partons explorer la sortie Sud de la gare de Shinjuku, autour de la nouvelle tour Newoman construite assez récemment au dessus de la multitude de voix ferrées qui viennent se connecter à la gare. Les photographies sont malheureusement celles de l’iPhone. Bien que j’avais amené mon appareil réflex ce jour là, j’avais laissé la batterie sur le chargeur. C’est assez rageant quand on découvre l’oubli de la batterie au moment de prendre un photo, et ça m’arrive de temps en temps (difficile pour moi donc de reprocher à Zoa d’être tête en l’air et d’oublier ses affaires à l’école).
A côté du building principal de Newoman, une gare routière a été construite. Les bus grimpent sur une plateforme en hauteur, au troisième et quatrième étages, pour faire le plein de voyageurs à destination de l’Ouest de Tokyo. Je ne connaissais pas cet endroit et n’en soupçonnais pas l’existence (depuis l’extérieur du moins), si ce n’est pour en avoir entendu parler à la télévision. Au dessus des toits de la gare routière, au septième étage, il y a même un jardin avec pelouse et une mini-ferme potagère pour particuliers (comme au dessus du Atré de Ebisu). On ne pouvait malheureusement pas y accéder car ce sont des espaces privés. Je suis moins sûr que l’espace soit privé pour le jardin, mais l’accès était fermé. C’est bien dommage car, après une bonne marche dans Shinjuku, on se serait assez volontiers assis sur la pelouse pour regarder, la tête en l’air, le ciel et les façades vitrées des buildings qui nous entourent. On peut redescendre au rez-de-chaussée en empruntant des escaliers et des passages bordés de verdure. Cela donne une promenade à l’extérieur du building Newoman assez sympathique. Au fur et à mesure de notre descente du jardin vers les rues en contrebas, des ouvertures entre les buildings nous donnent l’impression de fenêtres sur Shinjuku. Depuis ces fenêtres imaginaires, on observe par intermittences l’agitation de Shinjuku autour de la gare: la foule des passants se dirigeant vers la gare, les rangées ininterrompues de voitures passant devant la gare, le flot continu des trains de toutes sortes rejoignant la gare. Lorsqu’on retrouve finalement le sol ferme, l’agitation des rues est bien là, surtout quand les rues de Shinjuku deviennent piétonnes le dimanche.
derrière le bruit urbain
Les cinq photographies prises à Shibuya sont volontairement perturbées par le bruit urbain. Nous sommes pourtant dans des rues assez calmes de Tokyo, mais le sur-plein de la ville m’inspire régulièrement ce type de compositions. Je fais un peu moins ces derniers temps de compositions graphiques. Cela a d’ailleurs toujours été un dilemme pour moi en terme de direction à suivre entre photographies « authentiques » qu’on pourrait catégoriser comme « straight photography« , et les compositions graphiques qui altèrent volontairement le décor urbain et donnent à Tokyo un aspect différent. J’appelle cela « shoegazing photography » car, comme pour la musique, on se perd dans des nuages de bruits. J’ai une attirance naturelle pour les altérations de l’image comme sur les photographies ci-dessus. C’est un besoin de casser l’image en quelque sorte, mais je n’ai pas poussé l’inspiration très souvent ces dernières années (depuis le photobook In Shadows).
Dans un tout autre style, mais toujours en compositions graphiques, je repense à mes séries que je considère comme « emblématiques » de Made in Tokyo, que sont les séries urbano-végétal et megastruktur. Je viens de regrouper toutes ces compositions construites au fur et à mesure des années sur deux pages que l’on trouvera en liens en en-tête du blog, en dessous du titre Made in Tokyo (pour le moment). Comme pour la série d’illustrations futurOrga également en lien en en-tête, ce sont deux séries que je pense avoir terminé, c’est à dire que je ne pense pas créer de nouvelles compositions ou illustrations de ce style dans un futur proche.
Côté musique, je suis attiré ces derniers jours par le rock de Bikini Kill, du rock punk de la mouvance Riot grrrl. J’écoute les deux premiers albums du groupe, le Bikini Kill EP (1992) et le suivant Yeah Yeah Yeah Yeah (1993), aux accents féministes forts. J’aime beaucoup cette musique sans concessions. Ceci dit, ces deux albums ont dû être enregistrés live car la qualité de la prise de son n’est pas excellente. En même temps, ça contribue à la grande spontanéité de cette musique. Dans une même continuité, je me suis décidé à écouter Sleater-Kinney. J’avais l’album Dig Me Out (1997) dans ma liste des disques à écouter depuis longtemps et j’ai enfin plongé les oreilles dans cette musique rock énergétique et pleine d’urgence, tant dans les voix de Corin Tucker et de Carrie Brownstein que par le rythme rapide des guitares. Alors que Bikini Kill est considéré comme précurseur du mouvement Riot grrrl, Sleater-Kinney en a été très influencé. Tous les albums de Sleater-Kinney sont très bien apprécié sur Pitchfork. Cela annonce de bonnes d’heures dans les oreilles, tant j’aime ce rock là.
Tiens, une anecdote amusante concernant Tobi Vail et Kathleen Hanna du Bikini Kill et Kurt Cobain de Nirvana, sur la page Wikipedia de Tobi Vail:
Vail met Kurt Cobain when he was hanging around with the Melvins in 1986. Cobain played guitar on one of the Go Team songs. Vail and Cobain briefly dated beginning in July 1990. The two discussed the possibility of starting a music project, and recorded a few songs together. Some of these songs ended up being Nirvana tracks. In October 1990 after Dave Grohl joined Nirvana, Hanna and Grohl started dating, making for two couples linking Nirvana to the new band Bikini Kill. Referring to the Teen Spirit deodorant brand that Vail once used, Hanna spray-painted « Kurt smells like Teen Spirit » on the wall of Cobain’s bedroom. Cobain, unaware of the deodorant brand, saw a deeper meaning in the spray-painted phrase, and he wrote the song « Smells Like Teen Spirit » which became a monumental hit song for Nirvana. Cobain and Vail soon split but they remained friends.
Et une autre anecdote sur un des morceaux intitulé « Thurston Hearts The Who » du EP de Bikini Kill. Le Thurston du titre du morceau est bien entendu Thurston Moore de Sonic Youth, comme nous le dit les paroles du début du morceau « If Sonic Youth thinks you’re cool, Does that mean everything to you? ». Dans un article du magazine Spin, Tobi Vail nous explique:
[“Thurston Hearts The Who”] was recorded live in between the time that our EP was recorded and came out. We were living in Washington D.C. and toured the East Coast quite a bit in 1991-92. Whenever anyone played New York, everyone would talk about Kim and Thurston coming to the show as this idea of that’s how your band becomes “cool” or whatever. One night Kathi and I just made up this song as we were falling asleep and we ended up playing it live soon after — maybe a few days later. We thought it was funny. Reading the show review into the mic was in homage to “HC Rebellion” by Pussy Galore. Later on, Sonic Youth were incredibly supportive of us. The song was not meant as a dis. It was our sense of humor, but it was also a way for us to question the “authority” of “the scene” or whatever.
Et pour mentionner un autre lien entre les deux groupes, Kathleen Hanna de Bikini Kill faisait une apparition au côté de Kim Gordon dans la vidéo de Bull In The Heather, de l’album Experimental Jet Set, Trash and No Star (1194).
no skate on my car
Les quelques photographies de cette série sont prises à Aoyama et à Shimo Kitazawa. Ça faisait plusieurs mois que je ne m’étais pas promené dans les rues de Shimo Kitazawa et cette fois-ci, c’était avec Mari. L’objectif de notre visite à Shimo Kitazawa était d’aller vendre les vieux disques vinyles de Mari au Disk Union. Elle avait reçu la plupart de ces disques d’un de ses cousins, beaucoup de bandes originales de films des années 1980. Nous allons au Disk Union de Shimo Kitazawa, que je commence à bien connaître, pour voir s’ils peuvent nous les acheter à un bon prix. Nous leur laissons une cinquantaine de LPs vinyles et une centaine environ de EPs vinyles. Ils leur faudra malheureusement quelques jours avant de pouvoir nous donner un prix d’achat. On s’attend au pire de toute façon, malgré le certain regain d’intérêt pour le vintage ces derniers temps, surtout les vinyles et surtout à Shimo Kitazawa, un labyrinthe de magasins d’occasions en tous genres.
À Tokyo, on voit de plus en plus de skateboards dans les rues. Ils ne font pas toujours attention sur leur passage. Je me souviens avoir vu à Yokohama un adolescent accroché un passant et ensuite se faire arrêter par un agent de police de passage après plainte du passant. Ils étaient deux et un des adolescents avait pris ses jambes à son cou et laissé tomber son pote en mauvaise posture. Les écritures DONUTS SKATES que j’ai aperçu dans une petite rue de Shimo Kitazawa sont apparemment une référence à un groupe de skateboarders du même nom. La vieille Mercedes blanche vue à Hiroo n’a certainement pas subi l’assaut d’un groupe de skaters, mais cette idée m’amuse pour le titre de ce billet. Il est rare de voir des voitures abîmées à Tokyo. À ce point là, j’ai même l’impression que c’est volontaire pour attirer l’attention. Comme une oeuvre d’art, l’Art de la rue.
Pour continuer sur l’Art de la rue justement, j’aime décidément beaucoup prendre en photo les stickers. Plus que le photographie en elle même, j’aime ensuite rechercher sur Internet à quoi ou à qui correspond l’autocollant en question. Cela permet parfois de faire des découvertes intéressantes, comme ce sticker avec une inscription « The Beautiful Noise » aperçu dans une rue de Tokyo il y a plus d’un an et qui faisait référence à un documentaire fort intéressant sur le style musical Shoegazing. Sur la première photographie du billet, il s’agit d’un artiste thaïlandais de Bangkok appelé Alex Face, qui crée sur les murs de sa ville ce drôle de personnage à trois yeux avec une capuche qui semble être en peau d’animal. Le dernier sticker du billet nous renvoie vers le site internet d’un certain Joshua Dearing, qui vivait à Tokyo et désormais à LA. Il fait beaucoup de photographies de modèles féminins improvisées, parfois en positions suggestives comme le suggère l’autocollant vu dans une rue de Aoyama. Bon, c’est un peu toujours la même chose et le même style sur les billets de son site et l’auteur gagnerait certainement à faire le tri. D’une manière générale, c’est certainement la chose la plus difficile en photographie que de faire le tri, de savoir laisser de côté certaines photographies volontairement. C’est souvent difficile de se contenir et je n’aime en général pas trop quand on nous inonde de photographies similaires, sans qu’il y ait une intention qui desserve le sujet. Cela montre un certain manque de discernement.
Pour revenir au sticker, ce qui m’intéresse dans le cas de DearingFilm, c’est l’idée de coller des stickers concernant un site personnel dans les rues de Tokyo. Je me suis assez souvent dit que j’aimerais mettre à certains endroits des stickers Made In Tokyo faits maison. Peut être qu’un passant curieux et intrigué comme je peux l’être poussera son intérêt jusqu’à aller faire des recherches sur Internet et tomber sur mon blog. J’aime beaucoup cette idée de jeu de piste entre monde réel et monde virtuel.
Le texte de fiction du billet précédent entre dans une nouvelle catégorie intitulé « Textes & Tokyo ». Quand l’imagination me vient, cette fois-ci en réécoutant le morceau « Rest » de Charlotte Gainsbourg, je compte creuser un peu plus en avant cette dimension de l’écriture avec association des photographies. À suivre mais je vais prendre mon temps pour laisser mûrir ce style assez délicat.