le ciel au dessus de moi s’ensoleillera maintes fois

私の上にある空は、何度でも晴れる。Le ciel au dessus de moi s’ensoleillera maintes fois.


Je viens de revoir Millenium Mambo du taïwanais Hou Hsiao Hsien, l’histoire de Vicky perdue dans sa vie et son histoire d’amour faite de répulsions, d’alcool et de cigarettes. Le film démarre dans un tunnel piéton sous la musique envoûtante de Lim Giong. Dans un style complètement différent, je trouve une similitude entre cette scène et la séquence d’ouverture de Lost Highway de David Lynch avec la musique de Bowie. Dès que commence le morceau « I’m deranged » de David Bowie, on est comme hypnotisé par ses images associées à cette musique. On est mis sur un rail émotionnel qui ne nous lâchera pas jusqu’à la fin du film. Le même effet se produit pour moi en regardant cette première scène de Millenium Mambo. Vicky, interprétée par l’actrice Shu Qi, marche de dos sous cette musique de Lim Giong. Elle se retourne parfois avec un sourire vers la caméra. Une voix off nous explique son histoire. On comprend vite que Vicky n’est pas aussi heureuse que son sourire pourrait le faire croire. Son histoire n’est pas tragique non plus, elle est simplement faite d’un lâcher prise sur sa vie, sans boulot sérieux et liée à un entourage douteux. Elle reprendra pourtant prise par moments avec ses amis mi-taïwanais mi-japonais, les frères Takeuchi, qui l’amènent à Yubari à Hokkaido, dans un paysage complètement enneigé, un paysage éphémère de « joie triste », un paysage apaisant par rapport aux nuits dans les clubs de Taipei.

J’ai également ressenti cette « joie triste » quelques fois mais il y a longtemps, un certain sentiment de solitude quand on marche dans les rues de Tokyo, mélangé à une joie certaine d’y être. Je ne pense pas qu’on puisse avoir ce sentiment lorsque l’on vient en touriste, pressé par les visites à faire et les lieux à voir, mais quand on y vient comme habitant au début. Je retrouve également ce sentiment dans Lost in translation quand Charlotte se trouve seule à marcher dans les rues de Tokyo et Kyoto. D’une manière un peu différente, je retrouve une émotion similaire en regardant sur l’écran le paysage sous la neige de Yubari la nuit, sans personne sauf les corbeaux. A cette tristesse des lieux, se superposent les rires de Vicky et des frères Takeuchi. Il doit y avoir quelque chose du mono no aware dans cette scène. Je revois régulièrement Millenium Mambo ou Lost in translation pour retrouver cette émotion, que je ressentais parfois il y a longtemps, mais qui a disparu de ma vie actuelle.

Le film de Hou Hsiao Hsien évolue lentement. On observe beaucoup Shu Qi dans ses mouvements répétitifs et dans ses attitudes, superbe de justesse. Après avoir revu le film, samedi tôt le matin alors que Mari dort encore et que Zoa joue sur sa console Switch en silence sur un coin du sofa, je ressens le silence des lieux. Je me sens même saisi, pendant quelques minutes seulement, par le bruit des choses du quotidien qui émerge de ce silence: la bouilloire qui siffle, la tasse que l’on pose sur la table de bois, l’eau chaude que l’on verse doucement. C’était un étrange sentiment.

une balle à la dérive

Tous les soirs sans exceptions, Zoa écrit sur son journal les histoires de la journée. Parfois, l’inspiration ne vient pas et ça devient une véritable épreuve qu’il trouve insurmontable. Ce soir là , il savait exactement ce qu’il allait écrire: l’histoire d’une balle à la dérive.

Alors que Mari fait quelques courses au supermarché d’à côté, Zoa et moi décidons d’aller jouer au ballon de foot dans le parc Arisugawa, histoire de faire quelques passes sur le vaste terrain de graviers en haut du parc. Depuis l’entrée principale, il faut suivre un chemin de terre avec quelques marches. Zoa, la balle au pied, ne peut s’empêcher de la faire rouler devant lui en faisant des passes en avant. Le ballon, qui fait des siennes suite à une passe un peu trop forte, viendra percuter une des marches du chemin de terre et se jeter dans l’étang du parc. A notre grand malheur, le ballon de foot dérive très vite hors de portée, loin du bord. Impossible de le récupérer à la main sans se mouiller les pieds dans cet étang dont on ignore la profondeur. Les légers courants de vent ne font qu’écarter le ballon du bord. Les tortues qui nagent à proximité ne nous aident pas beaucoup non plus. Pire, la balle vient maintenant s’accrocher à des racines d’arbre sur un îlot de l’étang.

L’affaire est perdue. Nous ne récupérerons jamais notre ballon et ne feront pas de passes aujourd’hui sur le terrain en haut du parc. Zoa est dépité et je ne peux m’empêcher de lui rappeler que je lui avais bien dit plusieurs fois de tenir ce ballon en mains lorsque l’on monte les marches du chemin de terre. Que peut on faire? Je n’ai pas le souvenir d’avoir aperçu des gardiens dans ce parc. Nous faisons un tour de l’étang pour vérifier s’il n’y a pas un moyen de gagner l’îlot pour s’approcher du ballon, mais c’est cause perdue. Il n’y a pas non plus de gardiens en vue dans ce parc. On se résigne sur notre sort. Zoa fera attention la prochaine et il nous reste qu’à revenir la tête basse au supermarché où se trouve Mari. On repasse quand même une dernière fois vers les lieux du drame. Un groupe d’enfants munis d’un long bâton en bois essaient de récupérer notre ballon, mais sans succès. « On viendra voir demain s’il s’est rapproché du bord » crie un des petits garçons. J’ai bien peur que notre balle fasse le bonheur d’un autre enfant plus chanceux que nous.

Alors qu’on se lamente devant l’étang en espérant par miracle qu’un gros coup de vent vienne libérer notre ballon, un homme d’un certain âge, retraité sans doute, s’approche de nous. Il a compris la situation et, sans qu’on lui demande, il semble décidé à nous aider. Alors qu’il commence à ouvrir sa sacoche devant nous, je pense au miracle. Le vieil homme doit être un pêcheur du dimanche possédant une canne à pêche télescopique géante qui nous permettra d’aller tapoter le ballon pour le ramener gentiment vers nous. Mais, il n’en ai rien. L’homme sort de son sac une bouteille d’eau en plastique découpée en deux et attachée de manière très artisanale à un épais fil jaune. L’idée de l’homme est d’essayer de lancer la demi-bouteille en plastique au plus près du ballon et de la ramener d’un coup sec pour créer un courant qui déplacera la balle sur l’étang. Malheureusement, nos tentatives sont infructueuses. Zoa tentera également de lancer la bouteille en plastique plusieurs fois sous la supervision du vieil homme, mais nous ne réussirons pas à récupérer la balle. Nous nous rendons à l’evidence, cette technique ne fonctionne pas du tout, et cela malgré l’enthousiasme de Zoa. Je m’en doutais un peu depuis le début. Au moins, nous aurons essayé au mieux et sans regrets. On se confond en remerciements envers cet homme qui était bien gentil de donner de son temps pour aider un petit garçon et son papa dans leur mésaventure. Au moment des aurevoirs, je demande quand même au vieil homme s’il sait où se trouve le poste du gardien du parc. Il doit être sur le terrain en haut du parc, nous indique t’il. Dépêchons nous d’aller voir si ce gardien peut nous aider. Nous remercions encore mille fois le vieil homme en lui disant au revoir, et courant vers le haut du parc.

Nous trouvons rapidement le poste du gardien. Malheureusement, il semble fermé car il est déjà 17h passé. Zoa aperçoit quand même le gardien assis à l’intérieur et tapote à la vitre pour attirer son attention. Zoa expose notre situation. Bien plus que moi, il reste persuadé que l’on peut encore récupérer cette balle. Le gardien accepte de notre prêter une longue épuisette, mais le manche est bien trop court. Il faudra aussi la ramener avant 17h30 car le gardien termine son service. Nous n’avons que 10 minutes pour essayer de récupérer la balle avec l’épuisette. Je ne suis pas convaincu mais nous dévalons quand même les escaliers du chemin de terre du parc jusqu’à l’étang. A notre grande surprise, le vieil homme de toute à l’heure était toujours là, fidèle au poste. Nous ne pensions pas le retrouver ici. Encore mieux, le ballon s’est libéré des racines de l’îlot. Il est maintenant beaucoup plus proche du bord, mais pas assez pour l’attraper avec l’épuisette. Là commence un travail d’équipe hors pair. Je m’occupe de jeter la bouteille en plastique pour faire approcher la balle, le vieil homme donne des conseils sur la manière de lancer la bouteille et Zoa se tient prêt à intervenir, l’épuisette à la main. Nous arrivons à faire se rapprocher la balle après plusieurs essais. Zoa saute sur les rochers au bord de l’eau. Une excitation monte lorsque la balle passe à portée d’épuisette. Zoa réussit la prise et nous récupérons finalement notre précieux trésor. Cela paraissait tout d’abord impossible, mais nous avons finalement réussi. Le vieil homme était vraiment d’une grande gentillesse et nous lui en sommes très reconnaissants. Nos chemins se séparent à ce moment-là. Le sourire sur le visage, nous partons vers le terrain du haut du parc, la balle à la main, pour faire quelques passes bien méritées. Le gardien du parc attendait debout qu’on lui ramène son épuisette.

Après notre partie de foot, Zoa raconte cette histoire à Mari avec beaucoup de passion. Il écrira cette histoire dans son journal, l’histoire d’une précieuse balle à la dérive, en apparence perdue pour toujours, l’histoire de ce vieil homme si gentil et de notre persévérance. Ce petit épisode était finalement une bonne leçon pour nous tous.

du songe à la lumière (3)

Le bruit strident du téléphone déchire la pénombre. Kei déteste ce téléphone qui ne lui annonce que des mauvaises nouvelles. Se cachant la tête sous le futon, elle décide d’ignorer cette intrusion matinale. Elle sort péniblement une main du futon pour rechercher son petit réveil posé à même le tatami. Il est presque 6h. Qui peut bien appeler à une heure si matinale. Ça ne peut être qu’Hikari. Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’elle appelle à des heures impossibles, parfois pour de simples futilités.

Hikari lui annonce d’un air pressé et enjoué qu’elle part pour trois jours et deux nuits en voyage à Hakone, avec son ami Masa. Deux chambres dans un grand hôtel d’Hakone se sont libérés car les parents et l’oncle d’Hikari ne peuvent plus s’y rendre soudainement. Un décès lointain dans la famille survenu pendant la nuit, semble t’il. Les yeux mi-ouverts, Kei a du mal à suivre le débit accéléré des paroles d’Hikari. Elle lui propose de les accompagner pour ce voyage. Elle occuperait une des deux chambres. « Ça te ferait beaucoup de bien de changer d’air » insiste Hikari. Kei hésite quelques instants à accepter cette invitation inattendue. Elle n’aime en général pas beaucoup l’inattendu, mais l’offre est tentante. Nous sommes Vendredi, il faudra qu’elle trouve une excuse pour ne pas se rendre à son travail dans les tours de Shinjuku. C’est décidé, elle sera malade aujourd’hui, un rhume qui l’empêchera de se lever, clouée au lit, presqu’à l’article de la mort. N’exagérons rien, une petite voix tremblante suffira à faire illusion. Elle appèlera avant 8h30 sa collègue la plus matinale pour lui annoncer cette désertion non volontaire.

Kei retrouve Hikari et Masa un peu avant 9h devant la sortie Sud de la grande gare de Shinjuku. Elle avait insisté pour qu’ils se retrouvent devant la gare, car elle se perd seule à l’intérieur, dans les labyrinthes de couloirs et d’escalators. La gare de Shinjuku est un monde à part et elle a décidé depuis longtemps de ne pas chercher à le connaître. Devant la gare, la foule d’anonymes en costumes noirs se précipitent en lignes à travers les portiques automatiques. Ils marchent vite et sans se bousculer, le regard à la fois vide et déterminé. En attendant Hikari, Kei noie son regard dans ce flot continu et organisé. Elle en fait partie en temps normal. Comme eux, elle marche à pas rapide dans les couloirs du métro, ajuste sa cadence jusqu’à la course pour traverser les passages pour piétons à temps. Mais, en cette matinée froide du mois de février, Hikari lui offre une échappée.

Ils prennent le train Romance Car jusqu’à la station thermale Hakone Yumoto. Un bus les emmène ensuite jusqu’à l’hôtel au bord du lac Ashi. En chemin, elle redécouvre le paysage montagneux de Hakone, qu’elle avait vu pour la première fois lorsqu’elle avait dix ans. C’était un voyage avec ses parents lors des vacances de printemps, juste avant de rentrer en cinquième année d’école primaire. Ses souvenirs sont éparses, c’était il y a 13 ans, mais se reconstruisent immédiatement dès qu’elle aperçoit une des façades de l’ancien hôtel Fujiya. L’intérieur boisé et chaleureux, la multitude de décorations et les sculptures à tête de dragon qui lui faisaient un peu peur lui reviennent en tête. Elle se souvient d’un déjeuner dans une des salles de l’hôtel et du service interminable qui la faisait souffrir en silence. Elle ne peut esquiver une petite grimace qui ressemble à un sourire. Hikari remarque du coin de l’œil cette esquisse de sourire mais n’interrompt pas Kei dans ses pensées. Elle reprend plutôt sa discussion enjouée avec Masa. Le bus traverse la bourgade de Miyanoshita pour rentrer à nouveau dans la forêt de montagne sur une route des plus sinueuses.

Hikari a fait la connaissance de Masa dès son arrivée à Tokyo. Ils travaillaient dans le même service de comptabilité d’une grande compagnie d’import/export. Masa quitta cette compagnie trois mois après l’arrivée d’Hikari, mais c’était lui qui était en charge de guider Hikari dans l’entreprise dès son arrivée comme nouvelle diplômée. Ils avaient lié connaissance et une grande complicité s’était vite installée. Les fou-rire occasionnels suscitaient l’agacement des voisins de bureau, qui n’admettaient pas qu’on puisse s’amuser en travaillant. Après le départ de Masa, ils avaient gardé contact et continuaient à se voir certains soirs après les heures de bureau, souvent le Vendredi soir. Ils se retrouvaient dans un des nombreux izakaya de Shinjuku, aux bords de Kabukicho, pour évoquer ensemble les anciens collègues, rigoler des nouvelles manies de certains et des attitudes autoritaires des petits chefs du service. Le brouhaha des salary men enivrés ne les dérangeaient pas. D’ailleurs, s’il existait un concours des discussions les plus bruyantes, ils l’auraient tous les deux remporté haut la main. Kei ne savait pas très bien quelle relation exacte il y avait entre Hikari et Masa. « C’est un bon ami, rien de plus » rappelait Hikari, lorsque les questions de Kei à ce sujet devenaient trop insistantes. Kei appréciait leur compagnie car elle n’avait pas besoin d’entretenir la discussion. Elle appréciait tout simplement les entendre discuter et débattre, et n’intervenait que de temps en temps lorsqu’elle était prise à partie par Hikari.

Le bus descend des montagnes vers le creux du lac Ashi. Le ciel s’est couvert soudainement et on annonce même de la neige en fin de journée. L’hôtel est proche. Il est planté au bord du lac à l’écart du reste des habitations. On l’approche par une route étroite bordée de mousse et d’arbres centenaires. C’est une atmosphère sereine qui les accueille et qui a pour effet immédiat de calmer le rythme effréné des discussions d’Hikari et de Masa. Une aura se dégage de ces lieux, Kei le ressent. Elle peut sentir ces choses là. Dès leur entrée dans le hall, Ils sont saisis par la richesse de l’hôtel. Masa n’a pas l’habitude de ce genre d’endroits et fait commentaire sur commentaire, sur les détails de la décoration, sur la couleur dorée du plafond d’où se diffuse une lumière jaune, sur la disposition méthodique d’objets d’art dans la grande allée du hall. Toutes ces choses, assez communes dans un hôtel de renom comme celui-ci, l’émerveillent instantanément. Hikari est beaucoup plus habituée de ce genre d’établissements pour les avoir fréquenté avec ses parents dès la petite enfance. Elle reste même un peu blasée par cet excès démonstratif. Kei, quant à elle, regarde ailleurs. L’aura de cet hôtel l’intrigue. Le hall tout en longueur lui semble familier, comme si elle l’avait déjà vu dans un rêve, mais elle n’arrive pas à s’en souvenir précisément.

On les conduit lentement dans les allées et les escaliers de l’hôtel vers le deuxième étage d’un bâtiment tout en rondeur, d’une architecture en cylindre encerclant une petite forêt de bambous. L’intérieur des chambres est d’un classicisme convenu. A travers les baies vitrées aux formes également arrondies, on aperçoit le lac. Il est tout proche derrière quelques arbres parsemés. Rien ne bouge à l’extérieur. Le paysage est figé comme sur une photographie panoramique. Kei s’imprègne de ces lieux. Elle regarde longuement la forêt et ses nuances de couleurs brunes. Ces yeux reviennent vers le bord du lac près de l’hôtel. Elle suit du regard un petit chemin de terre reliant une des portes de l’hôtel vers un pont d’accrochage pour petits bateaux. Il se dégage une mélancolie dans ce paysage qu’elle observe attentivement, mais cette mélancolie s’efface soudainement sous les rires d’Hikari, installée avec Masa dans la pièce d’à côté. Les deux chambres sont communicantes par une double porte qu’ils fermeront la nuit venue. Kei aimerait retrouver ce silence paisible, reprendre cet instant de mélancolie qui l’avait gagné, mais Hikari l’en empêche. « Profitons des dernières heures avant le couché du soleil pour visiter les environs. Pourquoi pas le Mont Komagatake juste à côté. »

Le Mont Komagatake est une montagne coiffée d’un sanctuaire, relié par un téléphérique faisant deux trajets par heure. Le paysage depuis les hauteurs de la montagne est presqu’irréel. On distingue à peine l’océan au loin, caché derrière des nappes de nuages épais. Une neige fine commence à tomber et le froid devient saisissant. Depuis le belvédère, Kei, Hikari et Masa allongent les bras pour attraper la neige dont les flocons grossissent de minutes en minutes. Le blanc immaculé envahit maintenant le paysage. Le soleil au loin perce d’une pointe de lumière, seule chaleur perceptible. Kei se sent attirer par cette chaleur, elle aimerait pouvoir sauter dans le vide et voler pour s’en approcher et ressentir cette lumière lui réchauffer les doigts. Elle imagine cette sensation de toutes ses forces. Cette lumière lui réchauffe le cœur et elle entend bien se saisir de chacun des rayons de ce soleil, jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière les montagnes à l’horizon.

Lorsqu’ils regagnent l’hôtel, il fait déjà nuit, mais la pleine lune agit comme un soleil. Ils prennent leur dîner dans un des restaurants de l’hôtel, un italien qui semblait bon marché et à la porté de jeunes gens. Kei se montrait tout particulièrement bavarde ce soir là, à la grande surprise d’Hikari. L’énergie solaire agit sur elle comme un déclencheur, au point qu’elle se dévoile beaucoup plus qu’à l’habitude pendant cette soirée. Elle évoque un secret qu’elle gardait enfoui depuis de nombreux mois. Son secret, c’est un amour caché mais qui reste platonique. Kei ne fera pas les premiers pas malgré les encouragements et les conseils innombrables qui feront le sujet principal des discussions de ce dîner. Kei termine cette journée le cœur léger. Ils rentrent dans leurs chambres en se souhaitant une bonne nuit. Kei n’a pourtant pas sommeil. Elle s’assoie au bord du lit et observe encore une fois le lac, cette fois-ci éclairé par la lumière de la lune. Il est presque minuit et la neige s’est maintenant calmée laissant place à un filet blanc sur la pelouse du parc et sur les feuilles des arbres. Il n’y a aucun bruit dans la chambre ni à l’extérieur. On aurait dit que le temps fut figé. Une barque approche pourtant lentement jusqu’au ponton près de l’hôtel. Kei ne distingue pas très bien la scène, mais les mouvements de cette barque l’intriguent. Elle semblait d’abord continuer son chemin sur le lac mais opère un virage pour accoster. Une personne se lève, une silhouette de grande taille. Elle descend de la barque et emprunte maintenant l’allée de terre entre les arbres. Elle se dirige vers l’hôtel mais s’arrête pourtant brutalement à mi chemin dans la pénombre. Seul son visage est éclairé d’un faisceau de lumière. Kei regarde attentivement cette silhouette désormais immobile et ce visage. Elle est comme aimantée, hypnotisée. Les traits du visage se font désormais plus clairs. Une mèche de cheveux blonds vient briller à la lumière de la lune. Elle reconnaît dans un instant d’effroi l’homme du parc, le crieur de Shinjuku. Elle étouffe un cri. Elle ne peut s’empêcher de regarder cet homme, ce visage familier qui devient de plus en plus distinct. L’homme du parc tourne son regard vers Kei. Il ne peut pourtant pas la voir car elle se trouve à l’intérieur de sa chambre sans lumières. Mais il semble pourtant la fixer du regard avec insistance. De toutes ses forces, jusqu’à déformer son visage, il crie des mots d’un son inaudible: « Echappes-toi ». Kei n’entend pas cette voix qui crie, mais comprend ce message.

Dans la pénombre de la chambre, Kei lui répond par un murmure: « Non. Pas ce soir. Pas cette nuit. ». D’un geste brusque, elle ferme le rideau de la chambre et reste assise immobile le regard fixe pendant quelques minutes. Ce soir, Hikari est à côté et la protège. Ce soir, la lumière l’emporte sur les songes. Elle n’a rien à craindre. Elle laisse échapper un soupir et un petit sourire à peine visible. Elle se jette à la renverse sur le lit et s’endort immédiatement, en toute sérénité.

Ce texte est la suite du précédent billet publié ici.

Éden Not

Dans le quartier de Udagawa-cho à Shibuya, un vieil immeuble est pris d’assaut par les dessins de rue. Ce n’est pas récent. Je reviens d’ailleurs assez souvent voir ce qui a changé, car ces dessins sont éphémères. D’ailleurs, l’intérieur de ce bâtiment est également très chargé en dessins en tous genres, comme ces singes menaçant en photo ci-dessus. J’hésite d’abord à entrer à l’intérieur, mais je monte finalement les escaliers pour voir jusqu’où ces graffitis me mènent. Il n’y a de toute façon pas grand chose à craindre car nous sommes dans le centre de Tokyo. Ce quartier composé de quelques rues seulement dont une longue fresque à l’arrière semble pourtant être à l’écart du reste. Autour, à des dizaines de mètres seulement, des destructions et reconstructions ont déjà pris forme. Le bulldozer urbain viendra bientôt taper à la porte de l’immenble aux graffitis qui disparaîtra sans laisser de traces. On trouve des graffitis un peu partout dans Tokyo, mais je ne connais pas d’autres endroits comme celui-là.

Nagoya et Ise Jingu ’13

Château d’Okazaki
Ise Jingu
Ise Jingu: ancien et nouveau sanctuaire
Ise Jingu
Rues près de Ise Jingu
Rues près de Ise Jingu
Nagoya Mode Gakuen
SCMaglev and Railway Park
Château de Nagoya

Alors que j’écris mon billet sur Kashihara Jingu, il y a quelques semaines de cela, me revient en tête notre visite à Ise Jingu en Novembre 2013 et je me rends compte que je n’avais publié aucune photo de ce court voyage il y a 5 ans. La raison de cette absence de billet sur le sujet m’échappe complètement. Devant le nombre de photographies à sélectionner pendant ce genre de voyages, le courage ou le temps nécessaire pour sélectionner et écrire un billet m’a peut être manqué à cette époque. Je rattrape donc le coup des années plus tard avec ce billet.

En fait, je repense également à ce voyage à Nagoya car la configuration de nos visites étaient assez similaires à celle de notre récent voyage à Osaka. Nous logions dans la ville qui servait de point d’accroche vers d’autres lieux autour. Depuis Nagoya, nous nous sommes déplacés vers Okazaki et le sanctuaire de Ise Jingu. Depuis Osaka, c’était vers Nara et le sanctuaire Kashihara Jingu. Sur les deux voyages, nous avons également visité le château, celui de Nagoya et celui de Osaka. J’ai par contre assez peu de souvenir du centre de Nagoya, car nous étions restés principalement aux alentours de la gare.

Une des raisons de ce passage à Nagoya était la visite organisée de l’usine de fabrication automobile Mitsubishi à Okazaki. Nous sommes partis en bus avec un groupe depuis la station de train de Nagoya. Sur le chemin, nous passons voir une fabrique de miso appelée Hatcho Miso no Sato, puis le petit château de Okazaki. Sur la chaine de montage automobile Mitsubishi, les photographies n’étaient bien sûr pas autorisées, donc je me suis contenté de quelques anciens modèles automobiles exposées dans une salle annexe.

La deuxième raison, la principale, était la visite du sanctuaire Ise Jingu. Comme on peut le voir sur les photographies, il semble neuf, ce qui est le cas car le rite veut qu’il soit reconstruit tous les 20 ans. Il venait juste d’être reconstruit un peu plus tôt dans l’année, juste à côté de l’ancien sanctuaire construit 20 ans auparavant. Nous avions volontairement choisi notre visite pendant cette période car l’ancien sanctuaire n’avait pas encore été détruit. Il y a une courte période de temps pendant laquelle les deux sanctuaires cohabitent. L’ancien sanctuaire a été ensuite détruit pour laisser place à un espace vide qui sera utilisé dans 20 ans pour construire un nouveau sanctuaire, et ainsi de suite, dans un renouvellement éternel et ininterrompu. De cette manière, les techniques ancestrales de construction de ces sanctuaires en bois se perpétuent de génération en génération et se trouvent donc préservées. Parmi les photographies ci-dessus, je montre les nouvelles et anciennes structures avec leurs toitures caractéristiques, ainsi que les palissades de bois de l’ancien et du nouveau sanctuaire cohabitant à moins d’un mètre l’un de l’autre. Cette dernière photographie ne peut donc être prise que tous les 20 ans.

Ise Jingu est le sanctuaire Shinto le plus sacré du Japon, composé de deux sanctuaires principaux: le Naiku ou sanctuaire intérieur et le Geku ou sanctuaire extérieur. Il y aussi une multitude de petits sanctuaires à différents endroits du site. Le sanctuaire intérieur Naiku est dédié à la Déesse du Soleil Amaterasu, descendante du couple originel mythologique Izanagi et Izanami et ancêtre de la famille impériale japonaise. Ise Jingu est un lieu de pèlerinage et le site avec son immense forêt est sacré. L’architecture des sanctuaires est très intéressante mais, on n’en voit qu’assez peu car on ne peut pas entrer à l’intérieur. En fait, ce qu’il y a de plus beau à Ise Jingu, c’est l’ambiance de cette forêt aux arbres immenses parcourue par la rivière Isuzugawa délimitant l’espace sacré et dont l’entrée est un pont en bois appelé Ujibashi.

Nous passerons le jour suivant à Nagoya, voir les trains dont le fameux Rinia Motorcar au SCMaglev and Railway Park. Je ne manque pas d’aller faire un tour rapide vers la tour en spirale Nagoya Mode Gakuen. Je me souviens de la visite du château en fin de journée alors que les lumières du jour commencent à faiblir. A mon souvenir, il n’y avait que très peu de personnes autour du château. Lorsque je le prends en photo, il ressemble étrangement à une miniature.