La saison des pluies se termine et laisse déjà place aux températures étouffantes de l’été. Quand elle battait son plein, je regardais vers le ciel , vers le mouvement des nuages pour essayer de les saisir. Ces nuages en mouvement ressemblent à une mer qui se déchaîne.
Mois : juin 2018
recording complexity
Je reviens avec une nouvelle série de photographies dans ce quartier légèrement à l’écart du centre de Shibuya mais tout de même proche de la station JR. L’endroit est photogénique par la multitude de graffitis et de stickers affichés dans les recoins de ces rues. La multitude des graffitis va de pair avec la multiplication des panneaux et plaquettes d’interdiction de dessiner sur ces murs. Les murs ou portes à l’arrière de certains buildings sont parfois déjà tellement encombrés de graphismes qu’on se demande à quoi peut bien servir un tel avertissement. Un nouveau graffiti sur ces murs ne viendrait que cacher les autres graffitis existants, dans le principe que rien ne dure éternellement. Parmi la masse des formes et couleurs, parfois très grossières, parfois inquiétantes, parfois en détournements amusants de personnages connus, il y a aussi des créations originales qui attirent le regard. J’aime beaucoup les petits monstres de rues très colorés et à l’air cruel de Bortusk Leer. Ils sont dessinés sur un papier de journal ou de magazine et ensuite collés sur les murs. On en voit assez peu à ma connaissance dans les rues de Tokyo, mais j’en avais déjà vu au moins un autre dans un autre quartier de Shibuya et trois dans ce quartier ici. Je me demande quelle est la proportion d’artistes de rue étrangers à investir les rues de Tokyo. J’ai l’impression que Tokyo est un passage obligé pour les artistes urbains et qu’ils aiment y laisser leur trace. Il y a très longtemps maintenant les petits personnages longilignes de l’artiste français André étaient apparus soudainement dans un des quartiers près de Ebisu. Un d’entre eux est encore sur un coin de mur et je n’y fais même plus attention. Il fait partie intégrante du décor urbain. Comme quoi, l’éphémère peut être parfois fait pour durer et brave les années et les intempéries jusqu’à ce que l’immeuble les portant finisse par disparaître. La désorganisation des graffitis sur ces murs de Shibuya a quelque chose de très tokyoïte, et reflète en quelque sorte la complexité urbaine de cette ville. Ayant peur du vide, cette complexité me rassure et j’ai envie de la conserver quelque part en photographies, avant qu’elle ne disparaisse pour de bon. Je vois maintenant un sens à mes dessins futuro-organiques, saisir et conserver sur papier cette complexité toute urbaine.
Je parle beaucoup de musique en ce moment sur Made in Tokyo, et cette musique que j’écoute influence et inspire plus ou moins fortement les séries de photographies que j’y montre. Cette association entre musique et photographies est présente depuis très longtemps sur ces pages et j’ai déjà essayé quelques fois d’expliquer cette interaction, notamment quand il s’agit de shoegazing. Lorsque je publie un nouveau billet sur WordPress, un tweet est automatiquement publié sur Twitter. Je ne m’étais jamais préoccupé du texte de ce tweet automatique, jusqu’à il y a quelques semaines. Je m’enforce ces derniers temps à adapter le texte du tweet pour résumer le billet que je publie en indiquant la musique associée. J’ajoute même volontairement l’adresse Twitter du groupe ou musicien / musicienne en question pour voir si j’obtiendrais une réaction à mon billet (bien que le message soit en français, et que je n’écoute pratiquement pas de musique francophone). Il n’est pas rare que le groupe / musicien / musicienne interagisse par un like ou un retweet de mon billet les mentionnant (par exemple Otoboke Beaver, Utae, Oyasumi Hologram ou Fujichao), ce qui fait toujours plaisir. Mais c’est encore mieux quand mon billet suscite une réaction écrite comme celle, en japonais ci-dessus, du groupe de shoegazing japonais For Tracy Hyde. Tous les groupes ne sont pas très présents ou actifs sur Twitter et leur interaction n’intervient en rien sur mon appréciation de leur musique, mais ce type de message personnalisé de remerciement fait quand même plaisir. J’ignorais auparavant complètement Twitter mais je regarde un peu plus régulièrement ces derniers mois, car j’y reçois de temps en temps des retours sur les billets du blog. Même s’ils restent assez peu nombreux, je reçois plus de retours sur mes tweets de billets du blog que de commentaires sur le blog. Ce qui m’amène à réfléchir à l’utilité d’activer les commentaires sur le blog. Tout se passe maintenant dans l’immédiateté et prendre du temps pour écrire un commentaire semble être d’une autre époque. J’aime à penser que ce blog n’est pas attaché à une époque, j’y aborde d’ailleurs volontairement jamais les événements d’actualité. D’autres le font d’ailleurs suffisamment, sur Twitter justement, mais il faut souvent faire abstraction des torrents d’aigreur qui inondent ce réseau social. J’aime l’idée d’un espace hors de ce temps là, mais il faut tout de même s’y accrocher pour trouver la force et la motivation de continuer.
lemon orange glow
Je joue encore une fois avec mes photographies en y ajoutant cette fois-ci des halos de lumière de couleur orangée. Ces lumières superposées proviennent des feux de la nuit à Shibuya. Elles donneraient presque une ambiance martienne aux décors de Tokyo ou peut être plutôt une impression de monde parallèle. Les photographies modifiées du billet ont été prises dans différents lieux de Tokyo et de sa proche périphérie. La première photographie est un bâtiment universitaire dans un des quartiers de Sagamihara, un peu à l’écart du centre de Tokyo. Le bloc de béton et le toit en pente me font penser à un visage de robot ou à un casque Kabuto. C’est une forme originale et élégante, qui observe depuis les hauteurs le campus universitaire.
La deuxième photographie montrant un escalier grimpant vers l’autoroute suspendue intra-muros est une de mes obsessions depuis que j’ai lu les trois tomes du roman 1Q84 de Haruki Murakami. Je recherche depuis quelque temps l’escalier qu’emprunte Aomame, au début du roman, pour descendre de l’autoroute suspendue et entrer malgré elle dans le monde parallèle de 1Q84 imaginé par Murakami. Je pense que cet escalier de secours et de maintenance sur la photographie du dessus est celui du roman. Dans 1Q84, Aomame prend un taxi qui monte sur la voie express numéro 3 en direction de Shibuya et qui reste bloqué dans les bouchons un peu après Sangenjaya. L’escalier ci-dessus se trouve bien sur la voie express numéro 3 après Sanganjaya, au niveau de Ikejiri-ōhashi. Dans le roman, le chauffeur du taxi indique également à Aomame que si elle descend par cet escalier, elle peut facilement marcher vers une station de train Tokyu qui l’amènerait rapidement à Shibuya. Il y a bien une station Tokyu à proximité de l’escalier et c’est celle de Ikejiri-ōhashi. Il n’y a pas de doutes, il s’agit bien de l’escalier décrit dans 1Q84. Et dire que cet escalier est en fait la porte vers un monde parallèle au nôtre. On a du mal à l’imaginer en regardant la photographie ci-dessus.
Les deux photographies suivantes nous ramènent vers la longue rue Komazawa, le long de laquelle j’avais marché depuis la station de Naka-Meguro, il y a quelques semaines. De cette longue marche, j’ai souvenir de la chaleur et de la peau moite. J’ai également souvenir de cette statue interrogatrice d’un renard de sanctuaire. C’est très commun de trouver ce type de statues dans les sanctuaires, mais ce renard là avait un air malicieux. Dans un monde parallèle, il ne se contenterait pas de regarder fixement le visiteur de passage, mais engagerait plutôt la conversation en faisant des remarques désobligeantes. Ces longues heures d’observation lui auraient permis de bien comprendre le genre humain, ainsi que ses nombreux défauts qu’il prendrait un malin plaisir à exposer en pleine figure aux quelques visiteurs égarés dans ce sanctuaire. Près de la même rue Komazawa un peu plus loin, j’avais aperçu un petit objet architectural de béton aux coins biseautés et ouverts avec des vitrages. Il s’agit d’un cabinet médical d’acuponcture. Dans les zones résidentielles de Tokyo, on voit régulièrement des blocs de béton se faire remarquer du reste des maisons individuelles toutes plus banales les unes que les autres. Sur la photographie ci-dessus, je la montre en situation parmi les autres maisons du quartier, au moment où elle émerge du reste du paysage urbain pour mon œil photographique. Cet angle est similaire à la troisième photographie de ma série récente sur Moriyama House. Ce type de photographie en situation est en général la première photographie que je prends d’une maison intéressante, lorsque je l’approche doucement sans faire de bruit, comme si j’approchais un animal craintif. La maison se dévoile petit à petit alors que je l’approche. Je regarde ses angles, sa matière, sa géométrie et je suis à l’affut de formes dissonantes.
Les deux dernières photographies du billet quittent le calme des rues de Komazawa pour la foule du dimanche après-midi à Shinjuku. Nous sommes ici au pied de la relativement nouvelle tour Newoman, au niveau de la sortie Sud de la gare de Shinjuku. Je passe souvent dans cette petite rue envahie de piétons, car nous stationnons en général la voiture dans le parking du Department Store Takashimaya juste à côté. Cette petite rue traverse par en dessous la longue avenue Kōshū Kaidō qui passe juste devant la sortie Sud de la gare de Shinjuku. Kōshū Kaidō est une ancienne route de la période Edo, menant jusqu’aux montagnes au delà de Hachiōji, et qui prend la numérotation de Route 20. A l’époque où je conduisais une moto, je ne connaissais cette rue que par son numéro et je l’empruntais assez souvent. Nous passons régulièrement mais en général que très rapidement à Shinjuku et je n’ai en général pas assez de temps pour prendre des photographies. Ce quartier m’attire toujours, peut être parce qu’il s’agissait d’un des quartiers de prédilection de Daido Moriyama, et que cette qualité photographique du quartier reste imprimée quelque part au fond de mon cerveau. Quand mon agenda du week-end le permettra et après la saison des pluies qui bat son plein en ce moment, il faudra que je revienne ici faire une exploration urbaine et photographique.
Photographies extraites des videos des morceaux Dark Spring et Black Car de Beach House sur l’album 7 disponible sur Youtube.
Le titre de ce billet m’est inspiré par un des morceaux du nouvel album de Beach House intitulé sobrement 7 (il s’agit de leur septième album). J’ai toujours écouté Beach House au compte-goutte, des morceaux par-ci par-là sur les albums précédents, morceaux que j’ai toujours beaucoup aimé d’ailleurs, mais je ne sais pour quelles raisons, je ne m’étais jamais plongé dans un album en entier. La musique de Beach House est de style Dream pop avec une grande force d’evocation, je dirais même cinématographique. Comme sur les deux vidéos ci-dessus des morceaux Dark Spring et Black Car, la musique sur cet album est sombre et profonde. Écouter cet album provoque une sensation étrange entre la voix souvent presque chuchotée de Victoria Legrand, comme une lumière diluée dans l’obscurité, et la musique dense qui l’accompagne. Pourtant cette voix a beaucoup de force et de présence même si elle ne se force pas. L’ensemble de l’album est envoûtant du début à la fin. Cette musique m’inspire, en l’écoutant le soir après minuit, la construction d’images au dessus où la lumière orangée surgit d’un rêve. A cet heure là, je n’ai même plus de souvenirs très clairs. Etais-je éveillé ou déjà parti dans mon sommeil vers un monde parallèle.
love u so much
Les quelques photos ci-dessus sont une continuation de la série précédente à Shibuya montrant les graphismes de rues, plus ou moins organisées ou sauvages. Nous sommes ici le long de la voie de train menant à la station Sud de Shibuya. Une partie du quartier à l’écart du centre nerveux de Shibuya à été détruit et remplacé par une nouvelle tour annexe à celle de la station.
Le titre du billet n’est pas une déclaration d’amour pour la musique punk rock du groupe des quatre filles de Otoboke Beaver, mais presque. J’avais déjà été emballé par le EP Love is short l’année dernière et notamment le morceau final coup de poing de 19 secondes intitulé いけず Mean, et je découvre un peu tard un autre morceau tout aussi ravageur appelé あなたわたし抱いたあとよめのめし Anata Watashi Daita ato Yome no Meshi. Les paroles et le titre du morceau se placent du point de vue d’une maîtresse délaissée par un homme, qui après lui avoir fait l’amour, rentre à la maison manger le repas préparé par sa femme. Cette situation n’est apparemment pas une expérience vécue par une des membres du groupe, mais le morceau condensé en 2 minutes joue comme un défouloir de cette colère. Le morceau est ultra-rapide et dense en guitares. Les voix de la chanteuse Accorinrin accompagnée du reste du groupe ne s’arrêtent pas un seul instant. La densité et l’énergie du morceau sont étonnantes et me feraient même sourire. En fait, il n’y a rien de pesant dans l’atmosphère de ce punk rock. Comme sur les autres morceaux du EP Love is short, j’éprouve même une certaine satisfaction quand les voix se transforment en cris (par exemple à la marque de 1min30 du morceau), qui n’ont d’ailleurs rien d’hystériques. L’énergie du morceau et le rythme sont si denses qu’on a l’impression que la chanteuse n’a plus le choix que de libérer ce trop plein d’énergie par les cris. En attendant le prochain morceau ou EP.
a beautiful place
On pourrait croire volontiers en l’absence de graffiti à Tokyo, mais il n’en est rien. On en trouve un peu partout à Shibuya et j’aime les prendre régulièrement en photographie. À vrai dire, à Tokyo, les graffeurs s’attaquent rarement aux murs et devantures de bâtiments récents ou bien entretenus, mais semblent plutôt s’attaquer aux surfaces des vieux immeubles, comme si c’était plus « acceptable ». De la même manière, un premier graffiti ou autocollant posé sur un mur ou un boîtier électrique rend l’ajout d’autres graffitis ou autocollants « possible » car d’autres l’ont déjà fait. Les autocollants se retrouvent donc agglutinés sur des petites surfaces bien délimitées. C’est ce que je montre sur les deux premières photographies de l’article, les autocollants se chevauchent et se superposent sur une une plaque blanchâtre de petite taille, tandis que le mur portant cette plaque reste inaltérée. Cette petite plaque blanchâtre devient même une petite œuvre d’art urbain. En regardant les quelques photographies de graffitis montrées régulièrement sur Made in Tokyo, on pourrait même avoir l’impression que Tokyo est remplie de ce genre de dessins et graphismes de rues, mais il n’en est rien non plus. Il est relativement facile par une phrase ou quelques photographies de donner une vue définitive sur Tokyo, alors que cette ville n’a rien de binaire. Cette réflexion me revient en tête en voyant les très nombreuses photos circulant ces derniers mois sur Internet nous montrant un soit disant Tokyo aux airs de Blade Runner, en ajoutant tout simplement un filtre bleuté sur les photographies. Ca semble un peu léger pour représenter l’univers de Blade Runner. D’ailleurs, en me promenant à Meguro la semaine dernière, j’ai eu beaucoup de mal à m’imaginer dans l’univers de Blade Runner. J’aurais certainement du me rendre dans certains quartiers de Shinjuku un jour de pluie. Ceci étant dit, je pense aussi contribuer à donner une vue altérée et biaisée de cette ville et c’est même souvent volontaire.
Image de couverture du premier LP de Aya Gloomy intitulé Riku no Kotō 陸の孤島. Quelques morceaux à écouter sur Soundcloud et Youtube, notamment Shizuka ni kieru 静かに消える et Tomedonaku afure とめどなくあふれ.
Encore une très belle découverte musicale, Aya Gloomy avec son premier album Riku no Kotō 陸の孤島. L’album est sorti il y’a un peu plus d’un mois en Avril 2018. Je l’écoute et réécoute très souvent ces derniers jours, tant j’adore cette musique électronique assez minimaliste, laissant beaucoup de place à la voix particulière de Aya Gloomy. J’aime beaucoup cette voix et cette façon de chanter en séparant clairement les mots, comme sur le morceau Shizuka ni Kieru 静かに消える (disparaître en silence), ou d’une manière très désinvolte et même distordante sur certains morceaux. La musique devient parfois répétitive et inquiétante comme sur le superbe 2020 / Tokyo destruction, peut être une référence au Neo Tokyo de Akira « about to explode » (comme disait l’affiche du film d’animation). Le morceau est entrecoupé de sons sourds de percussions et de sons de clochettes rappelant la musique de Geinoh Yamashirogumi, donc la référence à Akira semblerait plus que probable. Le morceau suivant Tomedonaku afueru とめどなくあふれ est tout aussi étrange et superbe. La voix se force tandis que la musique semble aller au ralenti en menaçant de stopper à tout moment. Les deux derniers morceaux Drive et I sink sont un peu différents car moins minimalistes dans le son et plus chargées et distordus. C’est encore une fois une musique décalée, alternative et très personnelle, qui me plait beaucoup et me laisse dire qu’il y a beaucoup de choses intéressantes à découvrir sur la scène musicale japonaise en dehors du mainstream.
Aya Gloomy, en fait Aya Yanase, est un personnage assez mystérieux aux cheveux d’un rouge éclatant (ou bleu dernièrement à en croire les photographies sur son Instagram). Quelques vidéos sur YouTube pour la chaîne musicale du câble Space Shower TV nous montre Aya Gloomy dans des scènettes pleines de second degré. Elle nous parle de soit disant voyages dans l’espace, joue les artistes blasées auprès d’une journaliste et d’une fan, prétend avoir gagné 10 milliards de yens avec les ventes de son premier album et utilise un synthétiseur qui distord l’espace. Il y a tout un univers autre de la musique de Aya Gloomy. S’il fallait faire un parallèle outre-pacifique, je rapprocherais cette musique à celle de Grimes, plutôt sur les premiers albums comme Halfaxa. Tiens, je vais réécouter Grimes, en attendant que Claire Boucher sorte son nouvel album tant attendu.