street clouds everywhere

Je n’avais pas pris de photographies de foule depuis longtemps et je m’y remets avec cette petite série de cinq photographies superposant les images. Je ne parviens cependant pas à égaler la série que j’avais créé au même endroit à Shibuya en août et septembre 2010, série que je considère comme la plus réussie selon mes propres critères créatifs dé-constructifs. Ce n’est pas forcément l’envie qui me manque de prendre en photo les foules, mais ce n’est clairement pas ma zone de confort, ni ma zone d’intérêt principal. L’envie de saisir la vie en mouvement me prend de temps en temps, mais pour ensuite mieux transformer ces images et les rendre moins évidentes. Je me suis placé ici au grand carrefour de Shibuya et j’ai saisi le mouvement comme il se présente sans forcément pointer sur des personnes ou des visages particuliers. Au développement des photographies sur l’iMac, des visages se détachent soudainement parmi le flou des mouvements. C’est intéressant parce qu’il est difficile de deviner le résultat final au moment de la prise de vue. On voit le résultat que plus tard et il est très possible que rien d’intéressant ne se profile au final sur les images.

Trois images extraites de la video du morceau intitulé 鶏と蛇と豚 (Niwatori to Hebi to Buta – Gate of Living) disponible sur Youtube, en ouverture de l’album Sandokushi de Sheena Ringo.

Depuis quelques jours, j’écoute les disques de Sheena Ringo 椎名林檎 les uns après les autres sans forcément suivre l’ordre chronologique. C’est en quelque sorte une manière de se préparer à la sortie du nouvel album Sandokushi (三毒史) lundi prochain. La sortie de ce nouvel album me donne un sentiment un peu bizarre entre l’excitation de pouvoir écouter un nouvel album original studio après cinq ans et la conviction qu’il ne s’agira certainement pas d’un grand cru comme les trois premiers albums. Ceci étant dit, pris séparément, beaucoup de morceaux des albums récents de Sheena Ringo sont très bons et très reconnaissables malgré les changements de styles musicaux. Il manque juste une cohérence d’ensemble dans les derniers albums et j’ai un peu peur que ça soit la même chose dans le dernier album, malgré le nombre de bons morceaux, pris indépendamment, que l’on connaît déjà et qui composeront le nouvel album.

Pour rassurer un peu, la vidéo du morceau d’introduction de l’album Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) est vraiment très belle esthétiquement. La vidéo est tout juste disponible sur YouTube. Elle est dirigée, comme souvent, par le mari de Sheena Ringo, Yuichi Kodama 児玉裕一, dans une ambiance nocturne et urbaine emprunte de fantastique, notamment par la présence du personnage de cheval ailé que s’est donné Sheena Ringo sur la pochette de Sandokushi. La ville est parcourue par un immense char illuminé de matsuri représentant des serpents, un immense cochon comme une montgolfière survole la ville, une parade colorée comme des oiseaux marche en dansant dans les rues… La danseuse Aya Sato ⁂▼Åγ∂ S∂†Ο▼⁂ interprète d’une manière imagée les trois animaux du titre du morceau, à savoir le poulet, le serpent et le cochon qui représentent les trois poisons du terme bouddhiste ‘Sandoku’ (utilisé dans le titre de l’album): l’ignorance, l’avidité et la colère. Après une vue sur la tour de Tokyo, les premières images se passent à Nishi-Shinjuku devant la structure murale de verre de l’Oeil de Shinjuku (新宿の目), qui semble jouer ici le rôle d’une porte empruntée par le personnage de Sheena Ringo. Un peu plus loin dans une rue déserte, un moine fait des incantations qui font apparaître les trois personnages imagées d’animaux interprétés par Aya Sato à différents endroits de Tokyo (on reconnaît Shinbashi), tandis que le cheval ailé de Sheena Ringo observe la scène du haut de la tour Wako dans le centre de Ginza. Comme je le disais auparavant, le morceau termine assez vite et donne vraiment l’impression d’être une introduction à ce qui va suivre dans le reste de l’album. D’ailleurs à la toute fin de la vidéo, alors que l’on revient vers l’Oeil de Shinjuku, on voit des images très rapides (il faut faire des arrêts sur images) correspondant à d’autres vidéos de morceaux déjà sortis sur le futur album, notamment une image du tunnel provenant de Kemono Yuku Hosomichi (獣ゆく細道), une image de danse dans un club du morceau Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭), un personnage en costume blanchâtre qui pourrait être Tortoise Matsumoto sur Menukidori (目抜き通り) et une image d’une femme en kimono blanc rayé de dos sur Kamisama, Hotokesama (神様、仏様). Certaines images, les lieux notamment comme la tour de Tokyo et la tour Wako à Ginza, des vidéos de Menukidori et Kamisama, Hotokesama apparaissent également de manière très similaire sur le nouveau morceau Niwatori to Hebi to Buta. Tout ceci laisse penser qu’il y a des liens très étroits entre les morceaux et peut être une histoire qui se construit à travers les différents morceaux pour former un tout. Le nouvel album semble être d’une construction très réfléchie et c’est passionnant.

Cinq images extraites du court métrage intitulé 百色眼鏡 (Hyaku Iro Megane): 1) la femme en kimono rouge se révélant la nuit, 2) l’actrice Kaede Katsuragi (Koyuki), 3) la clochette au pied de la femme au kimono rouge, 4) Amagi (Kentarō Kobayashi) en promenade avec Kaede Katsuragi pour tenter de percer son secret, 5) une personnalité double, celle de Sheena Ringo.

Mahl me faisait remarquer en commentaire dans un billet précédent l’existence d’un court métrage intitulé Hyaku Iro Megane (百色眼鏡), se basant sur certains morceaux du troisième album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花), écrit communément KSK, de Sheena Ringo. Je me souviens avoir aperçu ce disque dans les rayons du Disk Union de Shinjuku ou de Shimo-Kitazawa mais je n’avais pas remarqué qu’il s’agissait d’un film au format DVD. Je pensais plutôt qu’il s’agissait d’un EP du morceau Stem (茎). Je n’avais pas regardé attentivement. Je rattrape le coup un soir de la semaine dernière en allant acheter le DVD de Hyaku Iro Megane au Tower Records de Shibuya (avec au passage une fiche plastique « clear file » offerte avec photo et logo à l’occasion de ses 20 ans de carrière). Je suis un peu surpris de le trouver facilement car il date de 2003. Je suis aussi surpris de remarquer que le DVD est en fait sorti un mois avant KSK.

Hyaku Iro Megane est un court métrage de 40 minutes dont l’histoire est bien mystérieuse et ressemble à un rêve. Il s’agit de l’histoire de Amagi, un jeune homme interprété par Kentarō Kobayashi chargé par une autre personne de découvrir l’identité réelle de l’actrice Kaede Katsuragi, interprétée par Koyuki, vivant seule dans une splendide demeure. Dans son travail de détective à la recherche du vrai nom de l’actrice, il finit par s’en approcher au point de devenir amis. On ne sait si c’est un rêve ou une réalité, mais il revient le soir espionné la demeure à travers un petit trou de la palissade en bois. Il y découvrira une autre personnalité de l’actrice, habillée d’un kimono rouge et interprétée par Sheena Ringo, et semblant seulement se réveiller la nuit. L’histoire reste très mystérieuse car on ne comprend que difficilement le lien entre le personnage de Koyuki et de Sheena Ringo et la part de rêve et de réalité. Amagi se réveille d’ailleurs toujours brusquement après sa séance d’espionnage devant la palissade de Katsuragi. Un peu comme chez Haruki Murakami, une part de fantastique vient s’introduire dans le réel. Je suis d’ailleurs en train de lire le Meurtre du Commandeur en ce moment. Dans le livre, un objet d’invocation du surréel se présente sous la forme d’une petite clochette ‘suzu’. J’étais amusé de trouver également cette petite clochette au pied du personnage au kimono rouge, comme si cet objet était d’une même manière destiné à faire le lien entre le personnage réel de Kaede Katsuragi et l’imaginaire se révélant seulement la nuit. Le réel et l’imaginaire se mélangent dans ce petit film et les frontières sont très floues, comme les images pleines de couleurs à certains moments. Cela rend le film très beau et délicat. Les décors et kimonos des années 40/50 apportent aussi beaucoup à l’ambiance, la beauté classique et mystérieuse de Koyuki dans ce rôle également. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu dans un film ou à la télévision, mais je ne suis pas non plus précisément sa carrière. C’est presque inutile de le préciser, mais la musique basée sur KSK et notamment le morceau Stem ponctuant l’histoire est bien évidemment un des éléments majeurs du film. Le film ne ressemble heureusement pas à un clip vidéo pour KSK et n’est pas non plus une curiosité. C’est plutôt une extension visuelle du monde de KSK et en ce sens, cela aurait été dommage de manquer ce court métrage dans ma collection de l’oeuvre de Sheena Ringo.

Trois illustrations par Shohei Otomo visible sur son site web: Konnichiwa World! (2017), 夜露死苦 -Yoroshiku (2017) et The Spectre (2018).

Tous ces kimonos en images chez Sheena Ringo me rappellent soudainement un dessin à l’encre noire de l’artiste Shohei Otomo, fils de Katsuhiro, montrant une chanteuse un peu extravagante en kimono. Cette chanteuse ne ressemble pas spécialement à Sheena Ringo, mais je vois quand même un rapprochement dans le fait que Sheena Ringo se met souvent en scène habillée d’un kimono dans des scènes traditionnelles mises au goût du jour. L’image dessinée par Otomo joue sur l’excès. On y voit toute sorte d’accessoires accrochés à la tenue et dans les cheveux du personnage. Le kimono en lui même est également très particulier pour ses motifs iconoclastes. J’adore ce sens du détail et le noir et blanc au stylo bille joue pour beaucoup sur l’impact visuel que provoque l’image. Shohei Otomo dessine beaucoup de personnages décalés ou à contre emploi. L’image au dessus à gauche représente le chanteur du groupe Kishidan, Show Ayanocozey, en tenue de scène coiffé d’une banane surdimensionnée et d’une autre époque, mais montré comme un écolier. Shohei Otomo dessine également des représentants des forces de l’ordre dans des postures que l’on n’a pas l’habitude de voir et qui sont même parfois répréhensibles. C’est certain qu’il donne une image décalée bien différente de l’image que l’on a du pays. Des trois images ci-dessus, le spectre en costume est la plus récente. L’auteur nous montre cette image en détail sur son compte Instagram. C’est une illustration mystérieuse qui glace le sang.

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