silence photographique

J’ai parfois envie de laisser parler les images sans écrire de textes, ou plutôt d’effacer les mots pour laisser s’exprimer les photographies. Ce n’est pas le fait que je n’ai rien à décrire sur les photographies de Shibuya montrées ci-dessus, mais il y a une certaine beauté à laisser les photographies s’exprimer par elles-mêmes, en silence, sans les interventions interminables de son auteur. C’est un parti pris suivi par un grand nombre de photographes qui laissent le silence photographique parler à leur place. Je n’ai peut être pas assez confiance en mes photographies pour faire de même. Pourtant, au delà des textes, ce sont principalement les photographies que les visiteurs viennent voir sur Made in Tokyo.

cold wind blowing

Les images de Nishi Shinjuku que je vois dans la vidéo du morceau Golden Blue de MINAKEKKE me rappelle qu’il faut que je retourne dans ce quartier presque vide le week-end pour aller prendre quelques uns de ses immeubles emblématiques en photographies. Ces photographies datent du week-end dernier juste après le typhon numéro 19. Les vents du typhon ont nettoyé le ciel de tous ses nuages, ne laissant derrière eux que les tours inébranlables. Mon parcours passe bien sûr devant les formes rondes de Mode Gakuen Cocoon Tower par Tange Associates (fondé par Kenzo Tange) puis ensuite vers les pentes douces de l’immeuble Sompo Japan par l’architecte Yoshikazu Uchida. Je continue ensuite ma route vers la mairie de Tokyo mais je n’en montrerais pas de photos cette fois-ci. En fait, plus que des photographies, ce sont des images modifiées que je montre ici, des espaces urbains effacés par les lumières de néons du centre de Shinjuku. La musique que j’écoute ces derniers jours me fait revenir vers ces compositions d’images. Quand je pense à Nishi Shinjuku, il me revient d’abord en tête une photographie des tours la nuit, que j’avais pris en avril 2006. J’aime l’ambiance bleutée de cette photographie et sa composition. Je la garde en tête comme une référence. Nishi Shinjuku me rappelle aussi l’histoire de Kei que j’avais commencé à écrire en trois épisodes mais que j’ai un peu de mal à continuer à écrire. J’attends le moment propice et l’inspiration pour reprendre le crayon (pour ce texte en particulier, j’écris d’abord sur mon carnet et retranscris ensuite sur le blog).

Il y a beaucoup de délicatesse et de subtilité dans la musique de Noah, compositrice et interprète venant d’Hokkaido mais installée à Tokyo depuis trois ans. Elle nous dit que son dernier album intitulé Thirty (c’est l’âge auquel elle a écrit ces morceaux) lui a été inspiré par cette ville de Tokyo, mais je ne peux m’empêcher d’y ressentir des images d’Hokkaido. C’est certainement un peu cliché de le dire, mais cette musique électronique me fait penser à des flacons de neige d’Hokkaido venant se poser doucement et délicatement sur les néons tokyoïtes. Cette idée de contraste me plait assez donc je ne réfute pas cette interprétation. La voix vaporeuse et à peine déchiffrable de Noah ajoute à cette ambiance mystique, comme un nuage de brume. Mais on ressent aussi assez clairement l’ambiance de cette ville, plutôt tard dans la nuit quand la foule a disparu et que les contours de la ville se font plus flous. Les morceaux s’enchaînent naturellement dans une grande unité de style ponctuée par deux morceaux phares, le deuxième intitulé 像自己 (Xiàng zìjǐ) et le cinquième intitulé メルティン・ブルー. Le sixième morceau 愛天使占 plus sombre et à la dynamique plus marquée est également remarquable. Le dernier morceau est une version alternative du deuxième morceau reprenant cette dynamique et je trouve qu’il fonctionne très bien. L’album demande plusieurs écoutes pour rentrer pleinement dans cet univers, mais c’est très agréable d’y faire un tour pour ce perdre dans ces sons.

Shiota Chiharu: The Soul Trembles

J’avais aperçu à plusieurs reprises en photo sur Internet le travail artistique de Chiharu Shiota 塩田千春, mais c’est la premiere fois que je vois ses œuvres dans un musée. L’exposition intitulée The Soul Trembles se déroule jusqu’à la fin du mois d’Octobre au Mori Art Museum de Roppongi Hills. Il s’agit d’une rétrospective complète des 25 années de carrière artistique de l’artiste japonaise, installée à Berlin. Les grandes installations faites de cordons rouges ou noirs sont les plus impressionnantes par leur taille et par leur force d’évocation. La multitude de fils rouges qui s’entremêlent nous rappellent des vaisseaux sanguins et par extension la complexité des interconnexions humaines. On peut marcher à l’intérieur de l’installation appelée Uncertain Journey en faisant attention de ne pas effleurer ces cordons rouges. Les cadres métalliques en forme de barque laissent penser à un voyage, au cours duquel les rencontres humaines seront certainement nombreuses. Ces rencontres créeront de nouveaux liens fragiles entre les personnes. On a vraiment ce sentiment de fragilité en parcourant l’exposition, un peu comme une toile d’araignée aux apparences fragiles, mais pouvant tout de même affronter les intempéries de la vie. Le thème du voyage revient dans une autre œuvre de l’exposition intitulée Accumulation – Searching for the Destination montrant des valises accrochées par un simple cordon rouge au plafond. Elles sont comme en apesanteur et certaines bougent même légèrement comme si elles trépignaient d’impatience de partir en voyage. Par ces 430 valises accrochées, Chiharu Shiota nous parlent du déracinement et des mémoires qui l’accompagnent. C’est son cas personnel car elle vit à Berlin depuis 1996. Ces réflexions, qu’elle donne sur un petit texte affiché sur un mur de l’exposition, me parlent aussi personnellement car l’année prochaine, j’aurais passé exactement la moitié de ma vie au Japon. Une œuvre marquante de l’exposition s’appelle In Silence. Elle montre un piano et des chaises brûlés, reliés cette fois par des fils noirs, symbolisant la mort par rapport aux fils rouges de la vie. On nous explique que cette installation très sombre lui a été inspirée par un incendie près de chez elle quand elle était petite. Le contraste des robes de mariées blanches avec les grilles complexes de fils noirs est saisissant. Cela nous laisse penser qu’un événement heureux a été interrompu soudainement par un autre événement dramatique. Ce sont ces émotions qui sont évoquées dans le titre de l’exposition, l’âme tremble. Elle est bousculée. L’exposition montre d’autres installations et quelques vidéos qui sont pour moi moins évocatrices, mais elle vaut vraiment le détour, notamment par sa grandeur comme souvent au Mori Art Museum. Il fallait compter une heure d’attente avant d’entrer à l’intérieur. Il s’avère qu’il s’agissait en fait d’un moyen de réguler les entrées pour éviter la foule à l’intérieur, en raison de la fragilité des installations. Je préfère attendre un peu, avec de la musique dans les oreilles en observant les gens dans les files d’attente, plutôt que se bousculer dans les salles du musée.

戦え

Tous ces événements ne me donnent pas trop envie d’écrire, et j’ai assez peu de nouvelles photographies car nous avons passé une bonne partie du week-end dernier, le temps du passage du typhon, à l’abris à la maison. Pas de dégâts autour de nous à part un ou deux panneaux retournés par le vent. La situation est bien différente dans le Nord du Japon avec de nombreuses inondations, qu’on montre beaucoup à la télévision. La victoire exceptionnelle de l’équipe japonaise au Rugby contre l’Ecosse a du mal à faire oublier ces événements. Les joueurs en parlent tous en interview à la fin du match. Je montre plutôt des photographies prises il y a déjà un mois au parc olympique de Komazawa. C’est un endroit que j’aime beaucoup même quand il pleut, notamment pour l’architecture du stade, du gymnase et de la tour en paliers sur un côté de la vaste place centrale. Je m’aventure un peu autour du parc pour y découvrir quelques maisons intéressantes et un jardin public avec des jeux pour enfants très colorés, contrastant avec la grisaille de cette journée là.

Extraits des vidéos sur YouTube des morceaux My Landscape et GiANT KiLLERS du groupe BiSH sur leur album THE GUERiLLA BiSH sorti en 2017.

Une nouvelle opération marketing de Wack propose chaque album du groupe d’idoles alternatives BiSH au prix de 300¥ sur iTunes pendant une journée seulement le 11 Octobre, alors je me laisse tenter par l’avant dernier album du groupe intitulé THE GUERiLLA BiSH. Je n’écoute pour l’instant que deux morceaux de l’album, car je ne sais pour quelle raison, j’ai envie d’y revenir sans cesse. Le premier morceau My Landscape est un morceau pop alternant moments de calme à la fois symphonique et panoramique avec des moments de tensions vocales, comme BiSH sait si bien le faire. On se laisse facilement prendre par le rythme et les accélérations de ce morceau. Le deuxième morceau que j’écoute en boucle est GiANT KiLLERS. Ce morceau ressemble à un hymne, ce qui me paraissait tout d’abord un peu rebutant, la première fois que j’ai entendu ce morceau il y a plusieurs mois. Je ne sais pourquoi il prend une autre dimension pour moi maintenant. J’aime le rythme effréné et l’alternance des voix, qui font de ce morceau une sorte de bulldozer sonore inarrêtable. Cette tension devient vite contagieuse, surtout quand on regarde le groupe en Live dans la grande salle de Makuhari Messe alors que les mouvements de foule tournent comme un tourbillon de typhon. Écouter ce morceau me libère d’un certain stress que j’ai du mal à expliquer mais qui doit être très lié aux événements de ce week-end en dehors de Tokyo, et à des réminiscences de mars 2011, même si les deux événements n’ont pas vraiment la même ampleur.

Et à propos, les plus attentifs et curieux visiteurs auront peut être remarqué un lien additionnel vers un site Tumblr dans la barre du menu. Je maintenais auparavant un site Tumblr contenant des liens vers une multitude de choses hétéroclites, parfois des images ou des vidéos, des choses que j’avais vu ou lu et que je gardais comme sur un bloc-notes car elles pouvaient m’inspirer un jour ou l’autre sur Made in Tokyo. J’ai effacé ce site Tumblr sur un coup de tête sans vraiment le regretter car il n’y avait pas de contenu qui m’était propre, seulement des re-publications d’autres articles sur Tumblr. C’est d’ailleurs le mode principal de fonctionnement de Tumblr. J’ouvre maintenant une autre page Tumblr intitulée, de manière énigmatique, Daydream Number 5. J’y re-publie des vidéos vues sur YouTube que je veux garder en mémoire, principalement de la musique japonaise. Je ne suis pas sûr de maintenir cette page pendant longtemps mais j’aime l’idée d’y réunir les morceaux que j’aime et dont je parle déjà, pour la plupart, dans des articles de Made in Tokyo.

just waiting for the storm to die out

Le titre du billet, tiré des paroles d’un morceau sur le dernier album de DIIV dont je vais parler un peu plus tard, est fort à propos en ce moment alors que Tokyo se prépare à l’arrivée d’un super typhon dont on ignore encore la gravité. Tout comme le typhon numéro 15 il y a trois semaines, celui-ci, le numéro 19, fonce tout droit sur Tokyo sans détour. J’ai hâte que toutes ces précipitations se terminent pour qu’on puisse revenir à notre occupation du moment, à savoir supporter les équipes de rugby française et japonaise, sans ordre de préférence. Les photographies de ce billet sont prises le week-end dernier à différents endroits de Tokyo. L’autocollant avec un poisson aux yeux globuleux m’a fait faire demi-tour après l’avoir aperçu dans une rue de Nishi-Azabu. Il a une forme un peu préhistorique assez amusante. Les deux photographies suivantes sont prises à Ebisu, dans les petites rues près de la gare, avec des bars et restaurants ouvrant seulement la nuit venue. Les petits pompons roses accrochés dans les airs à un poteau électrique apportent un point de poésie à cette rue un peu sombre. Les deux photographies suivantes reviennent vers Nishi-Azabu, au détour d’une rue où une fête de quartier avec mikoshi semblait se terminer. Un peu plus haut, sur la large rue de Roppongi, des affiches d’énormes insectes posées en plusieurs exemplaires sur les portes vitrées d’un atelier d’art attirent mon regard. Il s’agit d’une exposition intitulée « Insects: Models for Design » se déroulant à la galerie de Tokyo Mid-Town, 21_21 DESIGN SIGHT. On y montre apparemment des créations d’artistes, designers, architectes inspirés par le monde des insectes. Le thème est intéressant et vaut certainement le détour. Mais, en cette journée, je me dirigeais plutôt vers Roppongi Hills pour aller voir l’exposition de Chiharu Shiota, qui se termine dans quelques semaines et dont je parlerais dans un prochain billet. En haut de la tour, on pouvait également voir une rétrospective sur Haruomi Hosono, personnage légendaire du groupe Yellow Magic Orchestra. Je connais assez peu son œuvre, seulement quelques collaborations musicales avec des artistes que j’écoute, des morceaux par-ci par-là et l’album emblématique Solid State Survivor du YMO sorti en 1979. L’exposition montre beaucoup des instruments de Hosono et de nombreuses photos depuis sa jeunesse. Parmi les photographies, j’aime beaucoup celle, affichée en grand, montrant une partie de son studio, rempli à ras bord. Après cette visite solitaire à Roppongi Hills, je pars rejoindre Mari à la fanzone de Yurakucho pour soutenir l’équipe de France de Rugby contre le Tonga. Il semblait qu’il y avait beaucoup de supporters du Tonga autour de nous dans la salle. Ça ne nous a pas empêché d’apprécier cette victoire, qui s’est jouée de peu.

La musique rock indépendant de DIIV se trouve clairement dans ma zone de confort musical, car il ne me faut pas faire beaucoup d’effort pour l’apprécier. Bien que leur nouvel album Deceiver est tout récent (il vient de sortir il y a quelques jours), je me trouve plongé, en l’écoutant, dans l’ambiance rock des années 90, celle à laquelle je suis le plus familier. Certains diront qu’il y a un certain rapprochement avec la musique de Smashing Pumpkins de cette époque (le huitième morceau Lorelei par exemple), mais la voix de Zachary Cole Smith est beaucoup plus douce et effacée que celle de Billy Corgan. Par contre, on ressent la même puissance des guitares, mais dans une ambiance plutôt tournée vers le shoegazing, ce qui n’est pas pour me déplaire. Quelques morceaux de cet album emprunte d’ailleurs certaines sonorités de guitares en distorsion qui ont fait les distinctions du genre. Les morceaux sont très mélodiques, le troisième Skin Game en est un très bon exemple. Mais le crachotement des guitares guettent toujours en fin de morceau, jusqu’au noise parfois. Certaines sonorités me rappellent parfois le son assez distinctif des guitares de Sonic Youth (que de références aux rock indé des années 90). Ce nouvel album est, en qualité, équivalent aux deux albums précédents du groupe, Is the Is are ou Oshin. Le titre de ce billet est tiré des paroles du quatrième morceau Between Tides, un des très beaux morceaux de l’album toujours avec des décrochages bruitistes et des mouvements de guitares très construits. La fin de l’album laisse découvrir un de ses plus beaux morceaux, Blankenship, et finit de convaincre qu’il s’agit ici d’un très bel album, même s’il ne réinvente pas les règles du genre. La pureté des guitares crystallines que l’on attend sur certains morceaux me fait toujours revenir vers cette musique.