du songe à la lumière (5)

Il est déjà minuit, Kei court dans les couloirs de la gare. Elle ne retrouve plus son chemin car les travaux ont modifiés certains des couloirs qu’elle avait l’habitude d’emprunter. La précipitation lui fait perdre son sens de l’orientation. Il ne reste que peu de temps avant le dernier train. Elle a quitté Tani un peu vite alors qu’ils passaient pourtant un bon moment ensemble. Un vent de panique soudain la prit alors qu’ils marchaient tous les deux en direction de la gare, dans les rues encombrées du centre de Shibuya. La foule bloquait le passage et elle eut pendant un instant l’impression que c’était volontaire pour lui faire manquer son train. Elle préfère dire adieu un peu vite à Tani et se frayer seule un chemin dans la foule. Tani en fut étonné et il eut à peine le temps de lui crier aurevoir que Kei s’était déjà engouffrée dans le flot dense des passants marchant devant eux. Kei ne connait pas elle-même la raison de cette panique soudaine. Elle s’est sentie oppressée au point d’avoir du mal à respirer. La ligne de tain Inokashira n’est pourtant pas difficile à trouver, mais elle s’égare tout de même dans les couloirs modifiés de la gare. Elle arrive dans le grand hall où la créature en flamme de la fresque de Taro Okamoto semble la regarder. Il y a quelques minutes de cela, elle se sentait au bord de l’explosion comme cette créature dessinée sur le mur. La tension a maintenant baissé. Elle aperçoit les portes automatiques de la ligne de train qui la ramènera à la maison. Tani, qui marchait derrière d’un pas rapide, arrive finalement à la rejoindre et lui fait un signe de la main qu’elle n’aperçoit pas. Il se met à courir et parvient à lui attraper la main avant qu’elle ne traverse les portes automatiques. Kei n’est pas surprise. Elle se doutait bien que Tani essaierait de la rejoindre, qu’il s’inquiéterait sans doute.
“ Excuses-moi ” lui dit simplement Kei. “ J’ai eu peur de manquer le dernier train, mais il reste encore 30 minutes. Je connais pourtant les horaires. Je ne sais pas pourquoi je me suis précipitée. Je suis désolée.”
Tani tente de la rassurer mais ne sait comment faire car la situation lui échappe. Il voudrait aussi savoir pourquoi, mais ça ne sera pas pour aujourd’hui.
“ Il est tard, tu devrais prendre le prochain train et te reposer. On a passé un bon moment ensemble. On a peut être un peu trop rigolé. ” Tani fait ses adieux sur cette note positive. Kei esquisse un sourire sans rien dire et traverse les portes automatiques donnant sur les deux quais. Elle n’est pas seule sur les quais. Elle avance un peu plus loin au bout de la gare, là où la foule se fait moins dense. Elle s’arrête finalement pour attendre que le prochain train entre en gare. Il faut qu’elle envoie un petit message à Tani. “Il doit me trouver très bizarre.” se dit elle en regardant dans le vide devant elle, vers les parties sombres de la gare. “ Mais tu es bizarre, tu n’es pas comme tout le monde.” Elle entend cette voix comme si on lui chuchotait à l’oreille. Elle ne frémit pas, elle ne prend pas peur. Cette voix la suit depuis son enfance. Même si elle a du mal à l’accepter, elle a fini par s’y faire. “Qu’est ce qu’il y a de si bizarre chez moi, je suis une personne ordinaire, je veux être une personne ordinaire. Je veux avoir un petit copain comme tout le monde, pouvoir exprimer mes sentiments sans détours, ne pas me laisser emprisonner dans mes propres murs.” Les larmes la gagnent soudainement suite à ces pensées, mais elle les retient. Elle reste debout sur le quai, dans la file d’attente à côté des autres. Personne autour d’elle ne soupçonne la tourmente qui la gagne. Un jeune couple devant elle parle fort d’un film qu’ils viennent de voir au cinéma. Elle se concentre sur cette conversation pour ne plus penser à elle. Ils se moquent du jeu des acteurs. Kei a aussi parlé cinéma ce soir, dans un restaurant italien au sous-sol que Tani avait choisi. Le restaurant était sans prétention ce qui avait tout de suite mis Kei à l’aise. Ils ont parlé du film qu’ils venaient de voir, de Tarantino qu’ils aiment tous les deux beaucoup, des films de genre hongkongais, de ceux de Wong Kar-Wai, d’un cinéma qui a l’air très différent de celui dont parle le couple devant elle sur le quai de la gare.

Le train Keio arrive enfin en gare sur la ligne 2 à minuit trente et partira dans quelques minutes. Kei quitte du regard le jeune couple qui s’assoit un peu plus loin dans le wagon. Elle s’assoit également car elle n’a pas envie de rester debout pour écrire sur son iPhone ce soir. Elle préfère observer autour d’elle. Deux jeunes filles assises en face comparent leurs pages Instagram en rigolant, juste à côté d’un homme endormi, un salary man qui a dû abuser un peu trop de l’alcool avec ses collègues de bureau. Rien d’inhabituel ni d’intéressant à observer ce soir. Le train est étrangement bondé pour une heure aussi tardive. Il faut dire que Kei n’a pas l’habitude de rentrer aussi tard le soir, surtout en semaine. Elle se sent un peu fautive. Après avoir menti ce matin à sa collègue Aki sur son état de santé, voilà qu’elle est toujours de sortie tard le soir. L’impression d’enfreindre un règlement, qu’elle se serait imposée à elle-même, lui donne une certaine satisfaction. Le train arrive à la station de Inokashira plus vite qu’elle ne le pensait. Quelques personnes seulement descendent en silence. Le train était devenu de plus en plus calme alors qu’il se délestait de ses passagers à chaque station. Kei aime beaucoup cette gare. Elle se souvient de la première fois où elle est venue ici, pour voir Hikari qui venait juste d’aménager à côté. C’est une station très simple, sans commerces pour l’encombrer. Sa situation près du parc lui donne un côté champêtre qui lui plait beaucoup. Elle se souvient du moment où elles étaient assises sur un des bancs du quai ouvert sur l’extérieur. Un groupe, certainement amateur, jouait de la guitare et chantait dans la nuit. Le chant des grillons venait ajouter une profondeur à cette symphonie improvisée. Ce moment particulier avec Hikari, assise sur le quai à écouter cette musique, reste gravé dans sa mémoire comme un court moment de bonheur. Elle repense parfois à ce moment lorsqu’elle arrive à la gare de Inokashira, surtout quand des évènements perturbants ont dérangé sa journée.

Elle marche à pas lents sur le quai jusqu’aux portes automatiques, perdue dans ses pensées. Il est presque 1h du matin. seuls le konbini, la gare et quelques lampadaires amènent un peu de lumière sur la place devant la station. Hikari se tient là, assise au bord d’un muret en fumant une cigarette. Kei s’étonne de sa présence.
“ Mais que fais tu ici aussi tard, tu attends quelqu’un? ”
“ C’est toi que j’attends.” rétorque immédiatement Hikari. “ Tu m’as demandé de venir te rejoindre ici vers 1h, donc je suis venue un peu inquiète, je dois bien le dire. Tu as de la chance, je n’étais pas encore endormie. ”
Kei ne comprend pas cette situation car elle est certaine de ne pas avoir appelé Hikari, même si elle avait très envie de la voir ce soir.
“ J’ai reçu ton message il y a un peu plus d’une demi-heure. J’ai failli ne pas venir, tu sais! ”
“ Merci Hikari. ” Il s’opère parfois ce genre de télépathie. Hikari répond à ce besoin de lumière qu’éprouve Kei sans qu’il soit nécessaire de le provoquer. Lorsqu’un déséquilibre s’opère chez Kei, Hikari lui vient en aide et sa seule présence rétablit les choses autour d’elle.
“ Tu as encore éclairci tes cheveux? “ demande Hikari. “ Ils semblent plus blonds que le week-end dernier. On a même l’impression que tu éclaires la place. “
“ Non, je n’ai rien changé. Tu te fais des idées. “ lui répond Kei. Cette lumière interne, elle la ressent jusqu’à la pointe de ses cheveux.

Elle marchent toutes les deux dans les rues vides et à peine éclairées jusqu’à l’appartement de Kei. Hikari dormira à côté d’elle ce soir sur le futon. Kei lui parlera de Tani et de cette soirée parfaite qu’ils ont passé. Elle ne mentionnera pas la crise soudaine de panique dont elle a souffert près de la gare. Hikari sait déjà que tout n’est pas aussi simple.
“ Hikari, tu te souviens de la première fois où nous sommes venues ensemble à Inokashira? “
“ Oui, ce souvenir a beaucoup de valeur, il ne faut pas l’oublier. Endors toi maintenant, il est tard et tu travailles demain comme moi. “
L’explosion interne semble déjà loin. Il n’y a plus de raison de s’inquiéter. Maman n’est plus très loin, je le sais Il suffit juste d’attendre encore un peu. Kei lève le regard sur le cadre posé sur la commode pour voir son visage qui lui retourne un sourire figé. Hikari remonte la couverture, puis Kei ferme les yeux paisiblement.

Ce texte est la suite du précédent billet publié ici.

1991 not fading away

Marcher presque deux heures sans s’arrêter nous amène au pied du stade olympique. On voulait vérifier si les barricades blanches tout autour avaient été enlevées mais ce n’était pas encore le cas. Notre parcours de la journée nous fait traverser une petite partie du cimetière d’Aoyama que nous utilisons comme raccourci. Dans le décor urbain multiple de Tokyo, on trouve assez souvent des maisons effacées derrière une végétation qui prend tout l’espace. Cela peut être des branches et des feuillages qui recouvrent tous les murs d’un bâtiment pour le consommer à petit feu. Cela peut être, comme sur la troisième photographie du billet, un arbre planté devant une façade, dont la densité prend le dessus sur la construction humaine. Comme Mark Dytham documentant depuis peu sur son compte Instagram les maisons ordinaires qui ne le sont pas dans sa série Tokyo Vernacular, il y aurait matière à documenter ce type de maisons mangées par la nature. La dernière photographie nous fait revenir vers Harajuku avec une fresque montrant un être imaginaire que j’avais déjà montré dans un billet précédent. Elle est dessinée par l’artiste américain Zio Ziegler pour la magasin Beams se trouvant dans ce bâtiment. Cette illustration est là depuis environ trois ans et elle est restée intacte. Les graffiteurs médiocres n’ont heureusement pas encore décidé de dessiner par dessus. Comme les deux visages de Daikanyama cachés sous un pont, espérons que cette fresque reste à l’identique car j’apprécie énormément l’art de rue quand il devient permanent.

L’album Spool スプール du groupe du même nom était un de ces albums que je gardais dans ma wishlist Bandcamp depuis un petit moment après avoir découvert et beaucoup aimé un des morceaux, Be my Valentine. J’avais l’intention d’y revenir au bon moment, quand l’envie d’écouter du rock indépendant japonais se présenterait. A vrai dire, en écoutant l’album depuis quelques semaines, je ne comprends pas vraiment pourquoi je ne l’ai pas écouté plus tôt. Ce premier album sorti en Février 2019 des quatre filles du groupe Spool se dit inspiré par le son du rock alternatif US notamment Sonic Youth et Smashing Pumpkins, tout en mélangeant ses influences avec l’univers flottant et vaporeux du Shoegaze de My Bloody Valentine. Il y a en effet quelques touches et une ambiance générale qui rappellent le rock américain des années 90s, mais les compositions de Spool sur cet album sont je trouve plus mélodiques et beaucoup moins distordantes que le son de Sonic Youth. A part le deuxième morceau Be My Valentine qui est vraiment un point remarquable de l’album, j’aime d’ailleurs beaucoup quand le groupe va vers des terrains plus mélodiques et dream pop comme sur le septième morceau Sway, fadeaway ou le huitième Blooming in the Morning. L’album varie les ambiances tout en gardant les mêmes bases sonores, avec des morceaux plutôt shoegaze comme le cinquième Winter, d’autres plus contemplatifs comme le onzième Morphine pour terminer sur un son de guitare et de batterie plus menaçant sur le dernier morceau No, Thank You. L’ensemble de l’album se tient très bien sans morceaux faibles. Spool est encore un groupe qu’il va falloir suivre. Je me pose régulièrement la question du pourquoi il y a quelques années je me plaignais de ne pas trouver suffisamment de musique rock japonaise intéressante. Il suffisait de chercher un peu. Le rock n’est apparemment pas encore mort au Japon.

Dans l’adresse du site web ou du compte Twitter du groupe Spool, je remarque que la nombre 1991, que je suppose faire référence à l’année, y est noté. Cette année reste marquée dans mon esprit car c’était l’année de mes quinze ans. C’est également l’année où j’ai acheté mon premier CD, Nevermind de Nirvana, et par la même occasion commencé mon auto-apprentissage de la musique rock alternative que j’aime encore passionnément aujourd’hui, à travers les magazines Rock&Folk ou Les Inrocks et par quelques amis ayant les mêmes goûts musicaux que moi. De fil en aiguille, je découvre très vite Pixies et Sonic Youth qui m’accompagneront pendant longtemps. 1991 est l’année de sortie du dernier album de Pixies, Trompe Le Monde, mais je découvre d’abord le groupe par l’album d’avant, Bossanova. 1991 est également l’année de sortie de l’album unanimement reconnu du mouvement shoegaze, Loveless de My Bloody Valentine. J’associe également à cette année le documentaire intitulé 1991 The Year Punk broke suivant la tournée européenne de Sonic Youth accompagné par le jeune groupe Nirvana en Août 1991. Nirvana n’a pas encore sorti Nevermind à cette époque mais commençait à jouer des morceaux en concerts lors de cette tournée. Ils jouent en première partie de Sonic Youth qui les parraine. J’ai vu ce documentaire de David Markey bien après sa sortie alors que j’étais déjà au Japon, avec un brin de nostalgie. Le documentaire montre principalement des morceaux choisis de concerts de Sonic Youth, Nirvana mais également d’autres groupes alternatifs US, comme Dinosaur Jr, venus jouer dans les mêmes festivals d’été européens. Les morceaux de concerts sont parsemés de nombreuses scènes filmées en backstage ou pendant les temps libres du groupe. On y découvre un Thurston Moore sarcastique, mélangeant la poésie urbaine à l’humour adolescent. Comme on le voit sur quelques scènes, il partage ce trait de caractère adolescent avec Dave Grohl et Krist Novoselic de Nirvana, alors que Kurt Cobain parait, lui, beaucoup plus secret et sensible. Courtney Love du groupe Hole apparaît également sur une brève scène. On reconnaît déjà sa quête de célébrité mais on ne voit pas dans ce documentaire de rapprochement entre Courtney et Kurt Cobain. Thurston et Kim plaisantent plutôt avec un ton moqueur sur une prétendue liaison entre Courtney Love et Billy Corgan. On sait que Sonic Youth n’apprécie pas beaucoup le chanteur et guitariste des Smashing Pumpkins, pour je ne sais plus quelle raison. A cette époque là, Smashing Pumpkins vient juste de sortir depuis quelques mois leur premier album Gish. On ne voit malheureusement pas Billy Corgan à l’écran. En revoyant ce documentaire maintenant, je me rends compte que certaines choses sont devenus à la limite du correct, comme par exemple, les membres de Sonic Youth se moquant ouvertement des journalistes européens se prenant trop au sérieux. Casser des guitares ou les balancer sur la batterie à la fin du set étaient assez communs pour ce type de musique dans les années 90, mais je pense que les groupes de rock alternatifs sont beaucoup plus sages maintenant. Kurt Cobain était connu pour faire des dégâts sur scène, mais Sonic Youth beaucoup moins. Dans une scène du documentaire qui m’a amusé, on voit Thurston porter une de ses guitares en hauteur comme si il allait la fracasser sur une enceinte, mais se retient au dernier moment en adoucissant son geste. Sachant qu’il se déplace en concert avec une série de guitares accordées différemment pour chaque morceau, il a dû se raisonner avant de commettre l’irréparable. Le documentaire montre plusieurs fois cette série de guitares bien alignées les unes à côté des autres. Je n’ai jamais vraiment réussi à saisir si Sonic Youth étaient plutôt cérébraux ou instinctifs. Dans ce documentaire en deux parties, on entrevoit un groupe difficile à saisir, parlant très souvent au second degré, comme une protection sans doute. Cela explique peut être la longévité du groupe.

Pour accompagner le documentaire, David Markey a écrit un journal qu’il a publié en ligne. C’est très intéressant de lire ce journal avec quelques photographies et de revoir le documentaire. Il y a également un petit film supplémentaire avec des morceaux de films non utilisés intitulé (This is known as) The Blues Scale. Il y a notamment une très bonne version du morceau Eric’s trip interprété par Lee Ranaldo. On a tendance à oublier la qualité des morceaux de Lee. Les trois petites images ci-dessus montrent, de gauche à droite, l’affiche dessinée de cette série de concerts européens, un extrait du premier numéro du fanzine Sonic Death évoquant cette tournée, et la pochette du documentaire. Les deux parties du documentaire sont visibles en intégralité sur YouTube aux liens suivants: 1991 The Year Punk broke et (This is known as) The Blues Scale. Après les avoir regardé, je ne peux m’empêcher de revenir vers Goo, l’album sorti juste avant en 1990.

stuck inside the circumstances

J’ai découvert cette étrange maison couverte de plaquettes de bois dans un recoin de Shirogane. Je suis presque certain de l’avoir déjà vu quelque part sur un site web ou un magazine d’architecture mais je ne retrouve pas qui en est l’architecte. Vue de l’extérieur, elle se compose de trois blocs simples posés les uns au dessus des autres mais cet escalier courbe ressemblant à un toboggan est assez intriguant et me laisse penser qu’une originalité doit aussi se cacher à l’intérieur. L’étrange forme arrondie verte en cuivre oxydé sur la troisième photographie est celle du petit bâtiment NANI NANI de Philippe Starck. C’est un de ces bâtiments que je ne peux m’empêcher de photographier lorsque je passe devant, un peu comme le petit bâtiment blanc de la dernière photographie. Je lui trouve des formes futuristes le faisant ressembler à un robot. J’aurais pu inscrire ce billet dans la série des Petits Moments d’architecture que j’avais commencé il y a très longtemps, mais l’architecture fait de toute façon partie intégrante de pratiquement tous mes billets. Pour titre, j’ai préféré emprunté un morceau de paroles du morceau 36 degrees de Placebo sur leur premier album éponyme de 1996. Les titres de mes billets sont souvent emprunter à des paroles.

En relisant certains de mes anciens billets comme j’aime parfois le faire, notamment le long billet que j’avais écrit sur l’album Sandokushi de Sheena Ringo, je me rends compte que je n’ai pas encore évoqué le dernier EP News (ニュース) de Tokyo Jihen, bien qu’il soit déjà sorti depuis plus d’un mois, le 8 Avril 2020. À vrai dire, j’ai un peu de mal à cacher ma déception. J’ai déjà parlé dans des billets précédents de deux des morceaux sortis avant l’album 選ばれざる国民 (Erabarezaru kokumin – The Lower Classes) et 永遠の不在証明 (Eien no fuzai shōmei – The Scarlet Alibi). Le premier était sorti le 1er Janvier 2020 et avait été une très agréable surprise. Il annonçait la reprise des activités de Tokyo Jihen sous les meilleurs auspices car la composition du morceau était très intéressante. Le deuxième morceau 永遠の不在証明 (Eien no fuzai shōmei) m’avait laissé un avis un peu mitigé lorsque je l’ai écouté pour la première fois. Mais après quelques écoutes et après avoir vu la vidéo dont j’extrais quelques images ci-dessus, c’est désormais le morceau que je préfère du EP. Je ne peux, par contre, pas m’empêcher de penser au fait que le morceau soit utilisé pour un des films d’animation de la série Conan et ça gâche un peu mon écoute. Je n’ai pas d’avis particulier sur cette série car je n’ai jamais regardé un seul épisode, mais j’ai tendance à éviter l’écoute de morceaux liés à un anime (je fais parfois des exceptions). Mais la vidéo du morceau que l’on peut voir sur Youtube est superbe. Le groupe y met en scène son retour depuis une planète lunaire jusqu’au centre de Tokyo, en passant j’imagine par la porte dérobée de l’oeil de Shinjuku, ou en se transmettant peut être à travers les antennes de la tour de Tokyo. Ce qui est intéressant sur cette vidéo, c’est qu’on y voit des scènes liées à la vidéo du morceau Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) de Sandokushi. On y trouve des images qui se répètent sur les deux morceaux comme l’allée devant la tour de Tokyo, le ballon géant en forme de cochon flottant au dessus de Shinjuku, une forme d’oeil se trouvant sur la batterie de Toshiki Hata, une image du pont de Nihonbashi, ou encore des vues similaires sur le Rainbow Bridge depuis des toits d’immeubles. L’esthétique visuelle entre les deux morceaux est très similaire et j’aime beaucoup ces points de liaison, très intrigants, d’autant plus qu’ils font ici le lien entre la carrière solo de Sheena Ringo et celle renaissante de Tokyo Jihen. J’ai aussi malheureusement tendance à penser que la qualité visuelle de la vidéo dépasse la qualité intrinsèque du morceau. Comme sur le reste du EP, le groupe reste clairement dans sa zone de confort, ce qui n’est pas désagréable à priori mais qui donne l’étrange impression de revenir huit ans en arrière pour écouter des morceaux un peu moins intéressants ou novateurs. L’ensemble se tient tout de même bien. J’aime beaucoup le deuxième morceau うるうるうるう (Uru Uru Urū – Leap & Peal), un peu moins les deux suivants 現役プレイヤー (Geneki Player – Active Players) et 猫の手は借りて (Neko no te ha karite – The Cat From Outer Space). Mais malgré ces quelques critiques, la musique de Tokyo Jihen reste tout de même pour moi au dessus de la mêlée. Espérons tout de même qu’ils prennent un peu plus de risques à l’avenir en expérimentant un peu plus. J’ai peut être moi-même une pointe d’aigreur du fait de ne pas avoir pu aller au concert de fin Mars à cause des circonstances actuelles. Comme maigre consolation, je me contente du t-shirt édition 2020 du groupe que je viens de recevoir au début du mois.

Ah oui, j’allais presque oublier que Made in Tokyo vient tout juste d’avoir 17 ans. Comme je le mentionne à chaque fois tous les ans, je me surprends moi-même de sa longévité, qui ne tient pas à grand chose finalement si ce n’est à mon envie d’écrire, de photographier et de partager, et aux commentaires que je reçois des quelques visiteurs réguliers qui se reconnaîtront. Le nombre de visites se tient toujours à une moyenne de 50 par jour avec des hauts et des bas. Ces visites couvrent en grande partie les nouveaux billets publiés mais également, pour moitié environ, mes articles sur l’architecture tokyoïte, notamment celle de Ryue Nishizawa, Kazuyo Sejima ou Sou Fujimoto. Je pense avoir pris une vitesse de croisière depuis quelques années dans la publication de mes billets. Et un petit rappel sur l’enquête pour ceux qui veulent bien y répondre.

暗い光の中トンボがブーンと飛ぶ

Au pied de la forêt cachant presque la pagode à cinq étages du gigantesque temple Ikegami Honmonji, un groupe de skaters investissent la rue presque vide. Je les regarde de haut et en CinémaScope depuis le jardin circulaire posée sur le toit du Hall d’Ikegami. Je vois beaucoup plus de skateboards dans les rues en ce moment, certainement parce qu’il a beaucoup moins de passants pour leur dire que c’est interdit ou dangereux. J’aurais aimé savoir faire du skate pour pouvoir glisser dans les rues, mais les quelques tentatives, quand on avait une planche à la maison, ne m’ont pas amené bien loin. À la réflexion faite, plutôt que de glisser, je préférais voler comme une libellule en zigzaguant à toute vitesse entre les maisons et les rangées d’immeubles. Lorsque la lumière s’assombrit et que les nuages sont denses, la ville prend une ambiance tourmentée et les couleurs de la végétation s’intensifient. Un peu plus loin dans les rues d’Ikegami lorsque l’on s’approche de la gare, j’aperçois une vieille résidence de couleur turquoise. Cette couleur inhabituelle et les formes angulaires des balcons me tapent à l’œil. C’était peut être dû à la lumière sombre du soir, mais j’ai trouvé une beauté certaine dans cette vieille résidence.

Depuis que j’ai écouté l’album Swimming Classroom du groupe electro-pop Macaroom, je suis leurs nouvelles sorties très attentivement car j’y ressens une inventivité qui me plait beaucoup, que ça soit dans les compositions musicales toujours impeccables de Asahi ou pour la voix de Emaru. Le groupe sort pratiquement à la suite deux nouveaux très beaux morceaux en single, qui sont en fait des collaborations. Kodomo no Odoriko invite Toshiaki Chiku, du groupe Tama (originaire de Saitama) comme interprète principal du morceau, avec Emaru en accompagnement vocal. J’aime en général beaucoup les morceaux chantés à deux voix, surtout quand elles sont très différentes. La voix de Toshiaki Chiku 知久寿焼 est très particulière et de ce fait accroche tout de suite l’attention. Sur la vidéo de Kodomo no Odoriko, les danses étranges de Emaru donnent quelque chose de magique au parcours de la petite fille dans la ville. Comme sur le morceau Tombi sur l’album Swimming Classroom, j’adore les danses libres et spontanées de Emaru. Le deuxième morceau récemment sorti le 15 mai s’intitule Body of water et est une collaboration avec le groupe électronique écossais Post Coal Prom Queen. Lily Higham chante d’abord en anglais dans une ambiance musicale brumeuse et elle est suivie par la voix rappée chuchotée de Emaru en japonais. C’est une jolie association. Ces deux morceaux me poussent à explorer un peu plus la discographie de Macaroom et je continue avec le morceau Mother sur la partie (a) d’un album en trois parties intitulé official bootleg. Comme sur les autres morceaux, la composition musicale de Asahi mélange élégance et sophistication. Les mouvements de voix en duo sur ce morceau et l’utilisation de mots qui semblent parfois inventés tout en étant proches du japonais sont très intriguants. Ce morceau prend tranquillement sa place dans notre cerveau lorsqu’on l’écoute. Maintenant, j’écoute les morceaux du mini album Cage Out qui transforme des morceaux de John Cage en des nouvelles versions pop, mais qui restent tout de même très expérimentales. Encore une fois, ces morceaux à deux voix sont très atypiques et ont quelque chose de très attachants.

Pour terminer, certains l’auront peut être déjà remarqué, j’ai créé une page enquête en lien ci-dessus dans la barre de menu. Il faut quelques minutes seulement pour y répondre. Cette enquête est un essai qui me permettra, je l’espère, de mieux connaître les visiteurs de Made in Tokyo. Elle reste anonyme et chaque champ ne demande pas une réponse obligatoire. On peut par contre laisser un surnom ou un nom de code si on le souhaite, mais ce n’est pas obligatoire. Si j’ai assez de réponse, je ferais certainement un compte-rendu dans quelques temps.

ダーク・WAVE・三

Je retourne de manière assez régulière vers le rock sombre et torturé d’Alice in Chains sur leur album chef d’oeuvre de 1992, Dirt. La voix hantée de Layne Staley, accompagnée par Jerry Cantrell, est fascinante et l’atmosphère de l’album a quelque chose d’effrayant, car c’est un monde loin d’être apaisé qui y est décrit. Une des paroles sur le morceau Sickman décrit bien l’état de perte de contrôle dont soufrait le chanteur avant sa fin tragique. 「 I can feel the wheel but I can’t steer」 Quand j’écoute cette musique, j’ai toujours le sentiment d’y entrer discrètement sans me faire remarquer, comme si c’était interdit. L’album finit abruptement sur le morceau Would? et c’est le moment où je referme la porte sans bruits derrière moi. Je reviendrais certainement un peu plus tard, dans quelques mois peut être.