le temple Zuishōji près des cerisiers

Les quelques photographies ci-dessus datent du mois de Mars de cette année, alors que les cerisiers commençaient à être en fleur, dans l’enceinte du temple Zuishōji à Shirogane. Les allés du temple sont extrêmement bien entretenues, sans une herbe qui dépasse des petits espaces verts bordés ou des parterres de graviers. La partie ancienne du temple, placée au milieu de ce parc de graviers et de dalles de pierre, semble se détacher de l’ensemble. La partie du temple que je voulais voir est celle construite juste à côté. En regardant les photographies, on devine tout de suite que Kengo Kuma en est l’architecte. L’utilisation de fines plaquettes de bois à la verticale pour les façades du bâtiment est une des caractéristiques de son architecture. Cela donne une construction très délicate qui ne vient pas contrebalancer la force intrinsèque qui se dégage de l’ancien temple principal. Ces nouvelles dépendances forment un cloître en forme de U autour d’un petit plan d’eau artificiel sur lequel est posé une scène pouvant être utilisée pour des représentations. Les fleurs de cerisiers à l’entrée du temple apportent une petite note de couleur bienvenue à l’ensemble, sous le ciel tourmenté du mois de Mars. L’idée m’est venu de visiter ce temple après l’avoir vu sur le compte Instagram de la guide tokyoïte Haruka Soga, qui est spécialisée dans les photos d’architecture. C’est un compte à suivre pour les amoureux de l’architecture de Tokyo, car elle y ajoute quelques notes pour indiquer les architectes ou pour donner une impression personnelle sur les lieux. Je connais ou reconnais déjà beaucoup des bâtiments qu’elle montre sur Instagram mais il y a en régulièrement que je ne connais pas ou que j’ai oublié, notamment les bâtiments plus anciens. Il y a assez peu de comptes Instagram qui donnent autant d’informations car la plupart se contentent d’une photo sans aucune légende.

where did you last see the daylight

Je savais que je serais amené à écouter l’album solo de Kim Gordon, No Home Record, un jour ou l’autre, mais il me fallait attendre le bon moment. J’ai mis un peu de temps à me décider car il est sorti l’année dernière. Je l’écoute désormais depuis quelques semaines. Je ne savais initialement pas trop à quoi m’attendre, mais je ne me doutais pas qu’il serait aussi intéressant. J’aurais dû pourtant m’en douter car j’aime en général beaucoup les morceaux qu’elle interprète dans Sonic Youth car ils ont tendance à bousculer les formats classiques des morceaux de rock. Les expérimentations sonores sont quasi omniprésentes dans les morceaux de cet album. Sur plusieurs d’entre eux, on retrouve un son rock qui rappelle celui de Sonic Youth, mais l’album part vers d’autres styles avec des morceaux introduisant une dose de rythmes et de sons électroniques, comme Paprika Pony jouant avec des sonorités d’Asie du Sud ou Don’t play it avec ses répétitions obsessionnels et ce son de percussion qui crachote. L’alternance entre les styles fonctionnent étonnamment bien. Un morceau comme Cookie Butter n’est pas sans me rappeler les premières heures de Sonic Youth, notamment à la fin du morceau faisant intervenir des bruits proches de ceux d’un atelier de bricolage. La toute fin de ce morceau ressemble à un ponçage de parquet, qui aurait tout de même la bonne idée de rester mélodique. D’une certaine manière, la voix de Kim Gordon est également expérimentale, car elle est très atypique. Les morceaux sont y souvent parlés, composés de phrases courtes comme des énumérations, mais savent aussi partir tout en puissance comme sur le morceau très sombre Murdered Out. La voix de Kim Gordon semble nous interpeler à tout moment et l’écoute force donc à l’attention. Ce n’est pas un disque qu’on écoute pour s’apaiser avant de se coucher le soir.

la pluie sur le béton de l’autoroute

La saison des pluies me donne à chaque fois des sentiments contradictoires. J’aime la regarder tomber et entendre ses sons tôt le matin depuis l’intérieur de l’appartement en ouvrant une fenêtre. Mais je déteste le fait qu’elle nous bloque à la maison sans une possibilité d’aller marcher dehors et prendre des photos. Je pourrais certainement aller prendre des photos de parapluies dans le centre de Shibuya ou de Shinjuku, comme certains le font très/trop bien, mais je ne maîtrise pas encore très bien la prise de photo tout en portant le parapluie d’une main. Le parapluie finit toujours par s’inviter dans le cadre à un moment ou à un autre. Les moments après la pluie sont par contre très photogéniques, et la végétation dans Tokyo donne des couleurs beaucoup plus denses qu’à l’habitude. La végétation dans Tokyo est un des sujets les plus intéressants à prendre en photo, avec l’infrastructure bétonnée des autoroutes, bien sûr. Celle que je montre ci-dessus est l’infrastructure autoroutière de Nishi Shinjuku au niveau de la jonction de Shinjuku, aux pieds des trois tours du fameux Shinjuku Park Tower de Kenzo Tange, où se trouve l’hôtel Park Hyatt dans lequel se déroule l’action du film Lost in Translation (2003) de Sofia Coppola. De retour à la maison, j’ai regardé le film pour une énième fois dans la nuit et au matin. Je pense que c’est l’ambiance musicale qui m’incite à le regarder encore, car elle entre bien en adéquation avec les sentiments qui se dégagent du film, au delà même de l’histoire, je veux dire la mélancolie continuelle des deux personnages principaux du film, Bob Harris et Charlotte. Cette ville peut exacerber le sentiment de solitude et le film le montre bien, mais aussi, au fur du temps, créer un lien dont on ne peut se défaire facilement. Le film prend le parti de ne placer aucune musique japonaise (à part « Kaze so Atsumete » de Happy End), je me demande si une musique ‘étrangère’ aurait modifié l’atmosphère du film. L’infrastructure placée au pied de l’hôtel de Lost in Translation est à la fois massive et élégante par ses courbes qui prennent tout l’espace. Je m’arrête même pour admirer la forme des piliers soutenant deux voies sur la deuxième photographie. Le ciel n’est pas dégagé pour donner assez de lumière mais apporte tout de même le contraste. La pluie pointe son nez et il est temps d’écouter deux morceaux du groupe Yonige qui s’accordent si bien avec cette mélancolie pluvieuse. J’écoute les deux premiers morceaux de leur dernier album Kenzen na Shakai (健全な社会) sorti cette année, à savoir le premier morceau 11月24日 (November 24th) et le deuxième 健全な朝 (Kenzen na Asa). Dès les premières notes du premier morceau, l’ambiance me rappelle celle du rock indé de Kinoko Teikoku sur leurs premiers albums. Yonige est un jeune duo féminin de 25 ans, originaire d’Osaka et composé d’Arisa Ushimaru et Gokkin. La musique sur ces deux morceaux s’accorde bien avec cette saison des pluies qui n’en finit pas.

what was the last thing you said

Certaines revues du film « Simon Werner a disparu », le film de Fabrice Gobert dont je parlais dans un précédent billet, mentionnent les influences possibles du film américain Elephant de Gus Van Sant sorti quelques années auparavant en 2003. J’y vois assez peu de ressemblances si ce n’est le fait que l’histoire se passe en grande partie dans un lycée et qu’elle est narrée sous plusieurs points de vues. Je regarde du coup une nouvelle fois Elephant, que je n’avais pas revu depuis longtemps. Le titre fait référence à l’expression « un éléphant dans la pièce », « elephant in the room » en anglais, qui veut signifier qu’un événement est tellement gros et latent qu’on ne l’aperçoit même pas. Il s’agit dans le film de la tragédie du lycée de Colombine en Avril 1999 dans une ville du Colorado. Le film ne donne pas d’explications sur ce terrible événement. Les personnages à l’écran sont souvent filmer de dos et on passe notre temps à les suivre, en silence car le film contient peu de musique, d’une manière un peu détachée comme des fantômes. Le manque de musique accompagnant les scènes contribue d’ailleurs à rendre ces scènes pesantes. Il n’y a que cette scène au piano où un des lycéens joue La lettre à Élise de Beethoven et où on voit l’éléphant dessiné dans la pièce, juste avant que la tragédie ne démarre. J’avais oublié que ce film avait été récompensé à Cannes. Je devrais peut être revoir Last Days du même réalisateur qui s’inspirait de l’histoire de Kurt Cobain et que je n’avais malheureusement pas vraiment apprécié à l’époque.

un parapluie qui tue le soleil

Un point positif de cette crise, si je puis dire, est d’augmenter pour moi les occasions de marcher le week-end pour compenser le manque d’exercice dans la semaine en raison du travail à distance depuis la maison. La période de la fin du mois de Mai et du début Juin était même des plus agréables pour marcher masqué à pas rapides tout en évitant habilement les autres passants afin de garder une bonne distance pour raisons de sécurité. Il m’arrivait donc de changer subitement de trottoir ou de faire semblant de rester naturel en me forçant à marcher lentement derrière un groupe de personnes bouchant un trottoir étroit sans accès immédiat sur la route. Il faut savoir parfois prendre son mal en patience jusqu’à la prochaine bifurcation de route qui permettra de reprendre son rythme de croisière. Je marche à pas rapides pour justifier que cette marche en ville avec appareil photo soit en fait une activité sportive contraignante. Je ne suis pas contraint de faire un rapport sur le nombre de kilomètres parcourus et il ne s’agit en fait pas d’une contrainte car j’aime de toute façon marcher au hasard des rues, même sans appareil photo, même sans musique même si c’est mieux avec, même en connaissant ces quartiers par cœur. La saison des pluies qui vient de commencer depuis quelques jours contraint grandement mes parcours dans les campagnes urbaines. La série ci-dessus se passe quelque part à Ebisu et vers Azabu-Jūban. Elle date déjà de quelques semaines, mais on ne constate heureusement pas l’anachronisme entre mes billets. D’ailleurs, il y a plus de dix années d’écart entre certaines photographies publiées dans le billet précédent. Pour aller en direction d’Azabu-Jūban, je passe cette fois-ci un peu par hasard devant le grand portail vert foncé de la résidence de France à côté de l’ambassade. L’année dernière, Mari et moi étions allés, une fois n’est pas coutume, aux festivités du 14 Juillet à l’intérieur de cette résidence. Il est fort à parier qu’il n’y aura pas de réception cette année. Un peu plus loin, je me perds volontairement dans les rues de Minami Azabu entre la rue Sendaizaka et la rue Meiji jusqu’à Furukawabashi, pour tomber par hasard sur un petit temple appelé Shōnenji (称念寺). Il se trouve au bout d’une petit rue en pente. Lorsque l’on passe l’entrée, on peut apercevoir des rangées de tombes à l’ombre de plusieurs grands pins. Le temple se cache derrière une dépendance plus récente couverte de plaquettes de bois. L’enceinte du temple est coincée au milieu d’une zone résidentielle, mais lorsque l’on entre à l’intérieur, on oublie assez vite les maisons tout autour. On ne les aperçoit d’ailleurs pas depuis l’intérieur du temple, ce qui donne le sentiment éphémère d’être entré dans un autre univers à l’écart de la ville. Même si je connais assez bien ces quartiers pour y avoir vécu il y a très longtemps, il reste pour moi de nombreux lieux cachés dans cette campagne urbaine. Je n’ai d’ailleurs pas encore trouvé le petit étang où l’on peut pêcher. Ce n’est pas un endroit que je recherche activement, il ne doit pas être très difficile à trouver, mais j’y pense à chaque fois que je passe dans ces rues. En levant les yeux vers le ciel, on aperçoit les longues traînées blanches de l’escadrille Blue Impulse. Ils faisaient deux tours dans le ciel de Tokyo pour remercier le travail sans relâche du personnel hospitalier. Cela faisait apparemment 6 ans qu’ils n’avaient pas fait une telle démonstration. C’était à l’occasion du dernier jour de l’ancien stade olympique avant sa destruction, pour être remplacé par le nouveau stade conçu par Kengo Kuma.

Images extraites des vidéos sur YouTube des morceaux Goodbye Train (グッバイトレイ) par Ryukku To Soine Gohan (リュックと添い寝ごはん) sur leur album Seishun Nikki (青春日記) et Aoi Zanzou (アオイ残像) par Namida Ai (なみだ藍) sur l’album Taiyou Korosu Umbrella (太陽殺すアンブレラ).

Les méandres de l’internet me font découvrir un blog intéressant intitulé This side of Japan dédié à la musique japonaise dans une variété de genres allant du rap au rock indépendant, en faisant quelques écarts vers des horizons plutôt pop. Ce blog écrit par Ryo Miyauchi en anglais est tout jeune car il a démarré le 31 décembre 2019. Il ne comprend que quelques billets pour l’instant mais son dernier billet évoquant un certain nombre de jeunes groupes japonais de rock indé m’a tout de suite intrigué. La sélection est très intéressante dans son ensemble et la plupart des groupes me sont inconnus. Je noterais particulièrement deux morceaux que j’aime beaucoup pour leur énergie. Sur le morceau Goodbye Train グッバイトレイン du groupe Ryukku to soine gohan リュックと添い寝ごはん, on est tout de suite happé par l’énergie adolescente qui s’en dégage. J’aime de temps en temps ces petits instants musicaux plein d’insouciance, comme semblent l’être les trois membres du groupe en voyage sur les plages du Shōnan devant la presqu’île d’Enoshima et à quelques pas de la ligne de train Enoden. L’ambiance de cette vidéo a certainement dû jouer sur mon appréciation générale du morceau et m’a poussé à l’écouter plusieurs fois. Il s’agit de rock indé avec des accents pop que je trouve assez typiques des groupes rock Japonais, mais l’impulsion que donne le groupe sur ce morceau est communicative en plus d’être bien exécutée musicalement. Il s’agit d’un tout jeune trio dont les membres ont entre 18 et 19 ans, et qui a donc l’avenir devant lui. L’autre morceau de rock indé que je découvre s’intitule Aoi Zanzou アオイ残像 par la compositrice et interprète originaire de Kagoshima, Namida Ai なみだ藍. Ce morceau démarre également au quart de tour sur un riff de guitare que je trouve là encore assez typique de ce que le rock indé japonais peut créer. Le morceau nous emmène sans faiblir et on se laisse facilement accroché par le rythme qu’il nous impose et par cette voix voilée un peu particulière et légèrement imparfaite par instants. Il s’agit du premier morceau de son premier album Taiyou Korosu Umbrella (太陽殺すアンブレラ), le parapluie qui tue le soleil, sorti en Avril 2020. J’écoute beaucoup ces deux morceaux qui m’apportent un peu de soleil en cette saison des pluies.