opened sky (2)

Tout en haut de la tour Shibuya Scramble Square, à 229 mètres de hauteur, il y a un espace où le mur de verre est un peu plus bas pour permettre de prendre des photos de la vue sans être gêné par la réverbération des vitrages. Cette zone assez réduite ne donne bien sûr pas directement sur le vide, sans quoi j’aurais été incapable de m’approcher du bord, vu le vertige incurable qui me gagne à chaque fois. Lorsque les vitrages sont hauts, je ne suis pas gagné par le vertige mais l’effet reste quand même assez saisissant. Je préférerais ne pas être en haut au moment d’un tremblement de terre (que je ne souhaite pour rien au monde d’ailleurs). Le vent soufflait légèrement en haut de la tour, juste ce qui faut pour se rafraichir un peu en cette avant dernière journée du mois de Juin. Je m’assoie quelques minutes comme tout le monde sur la piste d’atterrissage d’hélicoptère. Le ciel un peu nuageux, plutôt que bleu uni, était idéal pour la photographie. C’était également une des raisons du choix de cette journée pour me rendre là-haut. Le Sky deck de Shibuya Scramble Square est un peu moins haut que celui de Roppongi Hills à 270 mètres, mais je préfère la vue depuis Shibuya. Je me rends compte d’ailleurs en faisant des recherches sur mon propre blog que je n’ai publié aucune photo du Sky Deck de Roppongi Hills à part une composition graphique montrant une structure volante non identifiée. La vue depuis le haut de Sky Tree reste la plus impressionnante vue sur Tokyo à plus de 400 mètres de hauteur, mais on est tellement haut que l’impression est complètement différente. La dernière photographie ci-dessus montre l’accès depuis le 46ème étage où arrive l’ascenseur. J’aime beaucoup l’idée d’avoir collé aux murs vitrés les escalators menant au toit. On peut voir le carrefour de Shibuya tout en bas tout en descendant doucement sur l’escalator. C’est une vue assez unique.

Dans les commentaires d’un précédent billet, on parle d’une liste de quelques albums rock japonais à suivre sur Bandcamp, ce qui me rappelle que l’auteur de cette liste, Patrick St. Michel, a également récemment publié dans un article du Japan Times une petite liste de morceaux à écouter. Il y sélectionne quelques morceaux sortis cette année qui symbolisent cette période pleine de changement pour l’industrie musicale. Dans cette liste, on peut trouver un morceau du dernier album Your Dreamland de 4s4ki (prononcé Asaki) dont j’avais déjà parlé il y a quelques temps sur ce blog. En fait, je réécoute très souvent cet album et notamment le morceau Nexus dont on parle en particulier dans cet article du Japan Times. 4s4ki interprète Nexus avec Rinahamu, idole du groupe Cy8er qu’on croirait sortie d’un anime. J’aime en fait beaucoup le contraste des voix, assez complémentaires d’ailleurs, entre 4s4ki qui donne le rythme au morceau et Rinahamu qui apporte une sensibilité plus rêveuse. Je n’ai pas beaucoup l’habitude d’écouter du hip-hop, mais ce morceau et cet album me plaisent beaucoup, peut être parce que ce hip hop se marie bien avec le son électro qui l’accompagne et que le flot verbal des morceaux s’écoulent avec une grande limpidité et efficacité. je serais bien en mal de faire une liste des albums que j’ai préféré dans l’année, mais celui-ci en ferait très certainement partie. Le sujet de cet article de Japan Times est de témoigner des changements qui affectent l’industrie musicale japonaise en cette période de corona virus. Les paroles du morceau Nexus, dont l’album est sorti le 22 Avril en plein état d’urgence, font écho à cette situation, notamment le besoin de voir ses amis qui se voit fort compromis pendant une période de quasi-confinement. J’ai écouté l’album pour la première pendant l’état d’urgence et je me souviens m’être demandé si le morceau avait été écrit en considération des évènements en cours. Les mots « Remote Party » (fête à distance) utilisés dans le morceau Sakio is Dreamland me font penser que ça doit bien être le cas.

On retrouve cette idée de “Remote Party” dans un autre morceau présenté dans l’article, réunissant 6 artistes japonaises de la mouvance hip-hop que je ne connaissais pas. Le morceau s’appelle Zoom en référence à la technologie de vidéo conférence qu’on a pris habitude d’utiliser ces derniers mois. Le morceau est intéressant car il réunit des styles différents, mais je me laisse plus attirer par la manière de chanter de Valknee, que par le morceau dans son ensemble. Je décide donc d’aller à la recherche d’autres morceaux de cette artiste sur YouTube et je tombe sous le choc (ヤバくない?), au bon sens du terme, à l’écoute de quelques morceaux: Setchuan-Jan (折衷案じゃん) et SSS tirés des albums Smolder et Fire Bae tous deux de 2019 et surtout son dernier single Asiangal sorti le 1er Janvier 2020. Ce morceau commence doucement par une mélodie ‘orientalisante’ qui finit par dérailler pour laisser la place au chant rappé de Valknee mélangeant japonais, coréen et anglais. Valknee est japonaise, mais avant de faire ses études à l’université d’art de Musashino, elle a passé quelques années en Corée du Sud, d’où l’utilisation du coréen dans le morceau et cette vidéo tournée à Séoul. Sa voix est extrêmement typée, volontairement certainement, et ce mélange des langages prononcés rapidement vient créer comme une nouvelle langue hybride. J’aime beaucoup ce type de voix atypiques, même si ça peut surprendre au début. Les deux autres morceaux Setchuan-Jan et SSS démarrent sur des sons électroniques beaucoup plus agressifs, comme le brouhaha des rues de Shibuya. Setchuan-Jan me rappelle un peu des morceaux de Aya Gloomy, pour le ton de la voix de Valknee par moment. Ce style musical est assez éloigné de ce que j’écoute en temps normal, mais je suis sensible à l’énergie spontanée et non-stop qui se dégage de ces morceaux. Du coup, je les écoute en boucle après les avoir acheter à l’unité sur iTunes. A mon avis, elle n’a pas grand chose à envier aux groupes sur-médiatisés comme Blackpink dont la musique, bien qu’intéressante au début tombe assez vite à plat. J’ai quand même fait l’effort d’écouter Blackpink notamment leur nouveau morceau, et j’y pense maintenant car Valknee chante un peu en coréen, bien que les styles soient assez différents (et en fait la phrase inscrite sur l’extrait vidéo ci-dessus me fait penser à la catch-phrase au début des morceaux de Blackpink).

En parlant de musique influencée par le contexte actuel, l’article de Japan Times aurait pu également parler du morceau Smirnoff de SAI. Ceux aux premiers rangs qui suivent assidûment ce blog, sauront déjà que SAI chante et écrit les morceaux du groupe post-punk Ms.Machine, dont j’ai déjà parlé à deux reprises sur ce blog. Elle s’est lancée dernièrement dans une carrière solo dans le style hip-hop, tout en continuant son activité dans le groupe Ms.Machine. Smirnoff évoque les difficultés des jeunes artistes en cette période où les concerts en salles sont rendus impossible. L’ambiance du morceau garde la noirceur de la musique de Ms.Machine, en remplaçant les guitares par des sons électroniques, et le style hip-hop est forcément très différent du post punk de Ms.Machine. J’aime beaucoup sa manière de chanter, le côté sombre de l’ensemble avec des sons comme des alarmes d’incendie se déclenchant au fond de la nuit et ces quelques paroles à la sonorité triturée citant des noms de Live House à Tokyo. SAI a également sorti un EP incluant ce morceau mais je ne l’ai pas encore écouté. Et pour faire des liens (car j’aime bien trouver des liens entre les choses et les personnes), SAI et Valknee ont toutes deux participé à la compilation 2021Survive sorti aussi pendant l’état d’urgence pour supporter la salle de concert Forestlimit.

Shakujii Apartment par SANAA

J’ai déjà découvert, par hasard ou volontairement, un grand nombre de buildings et de maisons individuelles conçus par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, soit individuellement ou ensemble au sein du groupe SANAA, sans pour autant avoir créer une liste facilement consultable de ce que j’ai pu voir jusqu’à maintenant. Comme je le mentionnais dans les commentaires d’un billet précédent, ce blog est une forêt inextricable ramifiée sur 17 années de contenus organisés seulement de manière chronologique. Un novice arrivant à la lisière de cette forêt y réfléchira sans doute à deux fois avant de s’y enfoncer. Pourtant, cette approche plutôt déroutante et opaque me convient assez bien pour ce blog, car j’aime l’idée que l’on puisse découvrir les choses de fil en aiguille à mesure de son intérêt, plutôt que tout d’un bloc de façon organisée. Si on comparait cette démarche à de l’architecture, elle serait à l’exact opposé de l’extrême transparence de SANAA. Cette approche sans concession de l’architecture m’intéresse beaucoup et me pousse à la découverte progressive des créations architecturales de SANAA.

Cette fois-ci, je pars sur les traces d’un ensemble d’appartements dénommé Shakujii Apartment. L’adresse est facilement trouvable sur Internet. Ce petit ensemble se trouve à côté d’une rivière, la rivière Shakujii, et assez proche d’un grand parc, le parc de Shakujii, qui sous certains aspects me rappelle un peu le parc de Inokashira. Le parc Shakujii est desservi par une station du même nom sur la ligne Seibu-Ikebukuro, que j’emprunterais seulement au retour. A l’aller, j’emprunte une ligne parallèle à celle-ci, la ligne Seibu-Shinjuku, qui m’amène à la station Kami Igusa. Depuis cette station, il faut marcher une bonne dizaine de minutes dans une zone résidentielle, en se perdant un peu en court de route, pour finalement découvrir Shakujii Apartment au détour d’une rue. La zone résidentielle dans laquelle se trouve Shakujii Apartment est des plus classiques comme dans toutes les banlieues lambda autour de Tokyo, sans personne dans les rues.

Le style de Shakujii Apartment contraste fortement avec le reste des maisons individuelles de deux ou trois étages du quartier. Il s’agit d’un immeuble de taille basse tout en longueur, composé de huit unités d’habitation de tailles variables. Les unités sont construites en structures d’acier et sont couvertes dans leur quasi-totalité de vitrages. Elles sont composées de trois étages avec un rez-de-chaussée à moitié en sous-sol, et ne sont pas positionnées en alignement sur le terrain. Leurs dispositions sur le terrain laisse d’ailleurs place à des espaces verts qui sont parfois utilisés comme allées pour circuler ou comme petits jardins. Cette disposition semblant aléatoire me fait tout de suite penser à la disposition des blocs habitables de Moriyama House de Ryue Nishizawa à Kamata. Certains blocs de Shakujii Apartment sont surmontés d’une terrasse, d’autres sont utilisés au rez-de-chaussée comme place de parking couverte. Les configurations de chacune des unités sont toutes différentes en taille et en organisation. Les unités sont accessibles depuis un petit escalier menant à l’étage. Comme on peut le comprendre sur les diagrammes des étages, trois unités sont composées de deux blocs tandis que les cinq autres sont faites d’un seul bloc. L’apparence générale de l’ensemble est très agréable car ce petit labyrinthe de ruelles vertes est bien entretenu et la blancheur des surfaces et des piliers ne semble pas avoir été trop affectée par les 9 années d’existence du bâtiment (il date de 2011).

Mais, l’architecture de Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa a comme toujours le défaut de ses qualités. La transparence, la légèreté et la très grande délicatesse du bâti sont les points communs de l’architecture du groupe, mais l’espace qui est créé est-il réellement habitable à la manière dont les architectes l’ont conçu? Les façades de verre sur les trois étages me rappellent le bloc d’Apartment I conçu par Kumiko Inui à Hiroo, et comme c’est le cas pour Apartment I, les rideaux étaient tous refermés quand j’y suis passé. Les japonais n’ont à priori pas une nature exhibitionniste et j’imagine que ces rideaux sont fermés en permanence à longueur de journée. Il y a un fort vis-à-vis avec les autres maisons individuelles autour car les rues sont assez étroites dans ce quartier résidentiel tout à fait ordinaire. La situation aurait peut être été différente si la résidence avait été placée en bord d’un grand espace vert ou au bord de la rivière Shakujii à quelques mètres de là. Ce type de transparence me semble plus adapté pour un espace commercial plutôt que pour un espace habitable. Le problème se remarque aussi au niveau des terrasses et du vis-à-vis entre les unités elles-mêmes. Les habitants se protègent en ajoutant des toiles assez disgracieuses (ou du moins qui ne correspondent pas à l’esprit initial du bâtiment). Cette résidence de SANAA est dans son concept très intéressante mais, à mon avis, ne remplit pas complètement sa fonction primaire. Il manque une distance pour permettre à cet espace ouvert sur l’extérieur de bien fonctionner. Je ne suis d’ailleurs pas certain que l’ensemble de la résidence soit occupée. Seulement deux unités montraient des signes clairs d’occupation (des plantes sur la terrasse, une voiture stationnée, un vélo posé au bord d’un mur, et ces toiles accrochées en hauteur). C’était difficile de juger de l’occupation de l’ensemble car j’y suis passé en semaine plutôt que le week-end. L’environnement autour de Shakujii Apartment est très agréable par la présence du grand parc tout en longueur occupé en grand partie par un étang.

opened sky (1)

Je n’avais à priori pas l’intention d’aller tout en haut de la nouvelle tour Shibuya Scramble Square, car le prix de la visite est assez élevé pour une simple vue sur Tokyo depuis les hauteurs d’un building, mais je ne regrette pas d’y être allé. Ma curiosité aura été trop forte, d’autant plus que de bonnes conditions se présentaient pour y aller sereinement. J’y suis allé en semaine, plutôt que le week-end, pendant ma semaine de congé, ce qui m’a permis d’éviter la foule. La période actuelle où il n’y a aucun touriste à Tokyo est très particulière et ne se représentera peut être jamais. La météo n’étant pas clémente pendant la saison des pluies, les journées où la pluie n’est pas au programme sont assez rares et je profite de la seule journée de beau temps qui s’annonce dans la semaine pour me décider à y aller. Il n’y a pas grand monde en haut de la tour (une vingtaine de personnes tout au plus) et encore moins dans l’ascenseur qui nous amène au toit à partir du 14ème étage de la tour. Il y a en fait plus de gardes en haut de la tour que de visiteurs. J’imagine qu’en temps normal, ça doit être la bousculade. L’effet est saisissant quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le toit, car toutes les parois sont vitrées et placées directement dans la prolongation des quatre façades du building. Depuis le toit de Shibuya, on doit avoir une des plus belles vues qui existent de Tokyo, celle de la première photographie du billet où l’on peut apercevoir le gymnase olympique de Kenzo Tange, datant de 1964 mais fraichement rénové pour les Jeux Olympiques de 2021 qui j’espère auront lieux. Derrière le gymnase, s’étend le parc Yoyogi et la forêt entourant Meiji Jingu et plus loin au fond, la barrière d’immeubles de Nishi-Shinjuku. On aperçoit également au premier plan, le nouveau parc en hauteur de Miyashita avec espace vert, terrain sportif, piste de skate board et un nouvel hôtel tout au bout.

Le morceau I Think I’m Falling de l’artiste hip hop Kohh est tellement addictif que je peux l’écouter en boucle plusieurs fois sans m’en lasser. Je n’ai pourtant pas encore passé le pas d’écouter l’album en entier car j’ai l’impression de ne pas encore avoir épuisé ce morceau là. Il s’agit du sixième morceau de son dernier album intitulé Worst et sorti un peu plus tôt cette année. C’est un des mes morceaux préférés de cette année, bien qu’il soit sorti l’année dernière, bien en avance de l’album. Je connais Kohh depuis sa collaboration avec Utada Hikaru sur un des morceaux les plus sombres de son album Fantôme, Bōkyaku (忘却 – Oubli).

amor fati

Passage très rapide devant la gare de Harajuku. Cette partie du quartier change de visage petit à petit. Après la construction de la nouvelle gare, qui n’est pas très intéressante visuellement, un nouveau building appelé With Harajuku vient d’ouvrir ses portes en face. On y trouve principalement les magasins Ikea et Uniqlo, entre autres. Le bâtiment est assez élégant avec ses ouvertures serties de bois, mais on peut se poser la question de la pertinence d’un magasin Ikea à cet endroit et d’un nième nouveau magasin Uniqlo à Tokyo. D’autant plus qu’Uniqlo vient d’ouvrir un nouveau ‘flagship store’ à Ginza sur plusieurs étages de l’ancien building du Printemps, Marronnier Gate Ginza 2. Le design intérieur de ce magasin de Ginza est le travail des architectes suisses Herzog et De Meuron. Les architectes ont creusé dans les étages et laisser les poutres de béton apparentes. Ça semble très intéressant à voir, d’après les nombreuses photos que j’ai pu déjà voir sur Instagram. C’est d’ailleurs la course aux photos sur Instagram lorsqu’il s’agit d’architectes stars déjà très connus à Tokyo pour leur bâtiment de verre Prada à Omotesando. J’avoue que je suis aussi très curieux d’aller voir cela, mais je vais certainement laisser passer la vague pour éviter une possible foule. C’est très reposant de ne pas se sentir obligé d’y aller tout de suite, et d’attendre que cet intérieur de bâtiment soit déjà tellement vu sur le web qu’il finisse par ne plus intéresser grand monde.

Passage très rapide devant la forêt. Je ne veux pas parler de la forêt de Yoyogi assez proche, mais du Department Store Laforet dont je montre une photographie de la façade courbe tout en haut de ce billet. Les affiches publicitaires montrent d’étranges vêtements rouges. Ces tenues avant-gardistes me rappellent les photos de jeunes créateurs ou créatrices à Harajuku, qui rivalisent d’originalité dans leurs tenues et que l’on peut voir sur le compte Twitter Tokyo Fashion. Je n’ai aucune connaissance dans le domaine de la mode, mais j’apprécie regarder les photos qui y sont publiées. Certains créateurs nous montrent des vêtements à tendance cyberpunk que je trouve très en avance sur leur temps. Je ne marche pas souvent sur la grande avenue d’Omotesando ou dans les rues de Harajuku et je n’aperçois que rarement ce genre d’excentricités vestimentaires. J’associe la photo de ce personnage rouge un peu bancae avec la vue oblique de rue sur la deuxième photographie du billet.

Passage très rapide devant la galerie GA. J’aime beaucoup le bâtiment de béton de GA Gallery situé près de la station de Kitasando et que je montre ici sur la troisième photographie du billet. GA Gallery date de 1974 et fut conçu par Makoto Suzuki et Yukio Futagawa. Rien qu’en regardant le bâtiment de l’extérieur, on se rend compte de suite qu’il a vécu. La marque du temps est venue s’imprimer sur la surface du béton, ce qui lui donne une beauté certaine. La rudesse et la brutalité du béton se trouve amenuisée par la verdure dense de cet arbre posé au milieu d’une petite cour intérieure. Je suis déjà venu voir des expositions dans cette petite galerie qui est exclusivement consacrée à l’architecture, mais cette fois-ci, je passe rapidement faire un tour d’horizon de la librairie au premier étage. J’y cherche distraitement le livre Encounters and positions: Architecture in Japan, dont je parlais précédemment dans mon billet sur Azabu Edge de Ryoji Suzuki. Distraitement, car j’étais pratiquement certain de ne pas le trouver en vente ici, mais le chercher était un prétexte pour venir revoir cette galerie que j’ai déjà pris plusieurs fois en photo. Cette galerie est affiliée au magazine sur l’architecture contemporaine GA (Global Architecture). Du photographe Yukio Futagawa, je possède un livre de photographies de sa série Residential Masterpieces (le 12ème) sur deux résidences dessinées par Tadao Ando: House in Sri Lanka et House in Monterrey. Il s’agit d’un photo book de grande taille permettant d’apprécier à la fois la qualité architecturale des oeuvres de béton de Tadao Ando et la qualité photographique du rendu que Yukio Futagawa en fait. Tout près de GA Gallery, un peu plus bas sur la pente, on trouve une petite maison biseautée en béton près d’un minuscule jardin public. Plutôt que d’essayer de prendre l’ensemble en photographie, je me concentre plutôt, une nouvelle fois, sur le contraste entre le vert des quelques plantes posées au pied des marches, et l’uniformité grise du béton. Un peu plus loin encore, en direction de Harajuku, je tombe par hasard sur les bureaux de Wonderwall du designer Masamichi Katayama. La porte d’entrée noire est surdimensionnée et on ne voit rien de l’intérieur. Il s’y cache pourtant un immense ours blanc, qu’on pouvait voir dans une exposition dédié au designer à Opera City à Shinjuku en Avril et Juin 2007. Je n’avais pas pu voir l’exposition, mais je me souviens bien de cet ours et de quelques autres objets que Katayama collectionne, comme par exemple une guitare d’Ichiro Yamaguchi.

Eloignement passager de la musique japonaise. Pendant ma petite semaine de congés sans aller nullepart ailleurs que Tokyo, nous avons quand même fait un passage rapide au magasin géant Ikea de Kohoku. Rien de tel comme exercice de ‘zenitude’ que de marcher pendant deux heures en zigzag sur les deux étages du magasin en voyant toujours les mêmes objets se répéter sans cesse. Au bout d’une heure de marche, on arrive à se déplacer dans un état d’abstraction qui nous extrait de l’environment qui nous entoure. En fait, je me mets à rêver à divers choses tout en poussant machinalement le caddie, mais en faisant parfois quelques pauses en touchant aux choses (et en se désaffectant les mains immédiatement après avec une solution hydro-alcoolisée portable). Comme le magasin reconstitue souvent des modèles de pièces toutes équipées suivant un style particulier, je m’imagine souvent y vivre pendant quelques minutes. Dans plusieurs des ces pièces, on pouvait trouver une petite enceinte digitale proposant 4 ou 5 morceaux se jouant en continu en démonstration. Par curiosité, je sélectionne le morceau Freelance de Toro y Moi qui se joue très fort dans la pièce. On pouvait régler le son mais je le laissais fort car il n’y avait pas foule dans le magasin. A chaque fois que je tombais sur cet appareil dans un autre coin du magasin, je rejouais ce morceau qui a fini par se graver dans ma mémoire. C’est un morceau de synth-pop très ludique et accrocheur. En revenant à la maison, je me décide à écouter l’album entier Outer Peace de Toro y Moi, alias Chaz Bear, sorti en Janvier 2019. Dès le premier morceau, j’y trouve une ambiance estivale qui me console un peu des vacances qu’on ne passera pas en France cette année faute de ne pas pouvoir sortir du territoire japonais. Je suis surpris par la qualité générale de cet album que j’avais complètement loupé à sa sortie. La plupart des morceaux sont interprétés par Chaz Bear, dont j’aime beaucoup le chant plutôt nonchalant (matérialisé par la dernière phrase des paroles du troisième morceau Laws of the Universe), mais on y trouve également plusieurs invités que je ne connaissais pas, notamment une certaine ABRA sur le superbe quatrième morceau Miss Me. J’avais déjà un morceau de Toro y Moi de son premier album de 2010 dans ma librairie musicale iTunes, mais je n’avais pas suivi sa musique jusqu’à ce dernier album de l’année dernière. En parcourant sa fiche sur Wikipedia, j’apprends que ce musicien californien est proche d’un autre musicien américain, Washed Out alias Ernest Greene, dont je connais quelques morceaux qui m’avaient marqué à l’époque: Eyes Be Closed et Amor Fati de son album Within and Without de 2011. Le premier morceau a beaucoup de volume, on a l’impression de survoler une plage sud asiatique comme dans le film The Beach (mais sans Moby). Le style chillwave de l’album dans son intégralité me plait beaucoup, tout autant que la couverture de l’album. J’y trouve également un petit quelque chose d’estival qui me fait un peu oublier la pluie incessante qui commence à nous taper sur les nerfs. J’utilise le titre du troisième morceau de l’album, Amor fati, comme titre de mon billet. Ce sont des mots latins introduits par le philosophe allemand Nietzsche qui signifient l’amour du destin ou plutôt l’acceptation de son propre destin. Ces termes font d’ailleurs échos à la série allemande Dark dont je dévore actuellement les trois saisons sur Netflix. L’acceptation du destin est certainement le thème principal de cette série complexe qui nous trimballent entre les époques. On essaie de ne pas se perdre en route. C’est une tache ardue mais passionnante. J’en suis à la moitié de la troisième et dernière saison.

White Base

J’ai recherché ce bâtiment futuriste appelé White Base pendant de nombreuses années et j’en parlais déjà dans un billet de Juillet 2007 où j’énumérais les quelques bâtiments à l’architecture remarquable que j’aimerais voir un jour en vrai plutôt qu’en photo sur un magazine. Après plus de dix ans, je finis par le trouver à Kodaira, dans la banlieue Ouest de Tokyo. Je l’ai tellement recherché virtuellement sur Google Maps et Street View que je connais désormais par cœur le quartier où elle se trouve, avant même d’y être allé physiquement. Je profite de ma petite semaine de congé pour m’y rendre et voir cet objet architectural si particulier de mes propres yeux. White Base se trouve dans une rue commerçante assez étroite d’un autre temps et contraste complètement avec le reste des maisons basses et les quelques résidences d’appartements aux alentours. Il est assez difficile d’imaginer qu’un tel bâtiment puisse se trouver à cet endroit. Ma crainte lorsque j’approche ce type d’architecture maintes fois vue dans les magazines est qu’elle ait mal vieillie et donc perdue de son panache. Pour ce qui est de White Base, le bâtiment est assez bien conservé bien qu’il date de 2006, à part des traces d’écoulements d’eau à plusieurs endroits de la façade supérieure.


L’architecte de White Base est Akira Yoneda (Architecton) accompagné par l’ingénieur en structure Masahiro Ikeda. Ce duo a également conçu la petite maison Delta (∆) se trouvant à Meguro. Masahiro Ikeda est également à l’origine de la structure du petit bâtiment blanc ressemblant à un grain de riz, Natural Ellipse par l’architecte Masaki Endoh. Ce sont à chaque fois des projets futuristes et, dans le cas de White Base, dépassant même les limites du possible. Il s’agit ici à la fois du studio de travail et de la résidence d’un Mangaka, créateur d’une série à succès (que je ne connais pas). Il a travaillé en étroite collaboration avec l’architecte pour parvenir à cette œuvre architecturale singulière. Ce qui surprend immédiatement sur White Base est bien entendu le dernier étage cantilevé. J’avais déjà vu des volumes en porte-à-faux, comme sur le petit building Undercover Lab de Klein Dytham, mais dans le cas ici, on se demande vraiment comment cet étage peut bien tenir en place dans les airs. Le volume cantilevé composé d’une structure d’acier prend une forme de L dont une partie est télescopée, courbée d’un angle de 20 degrés pour venir chercher la lumière au dessus des habitations alentours. Cette structure et son revêtement se composent de panneaux d’acier corten recouvert d’une résine fluorocarbonnée qui me font penser à un objet spatial. La chambre principale est située à ce niveau là, au dernier étage dans le coin de la forme en L, et donne sur la partie en tube oblique et ouverte formant une terrasse. Cet étage est dédié aux chambres et possède peu d’ouvertures sur l’extérieur à part quelques zones couvertes d’un treillis blanc. L’étage au dessous est une partie ouverte sur l’extérieur. Un escalier enfermé dans des vitrages transparents permet de faire le lien entre le dernier étage placé dans les airs et l’étage en dessous correspondant au deuxième étage japonais utilisé comme espace de séjour pour la famille du Mangaka. Pour compliquer un peu plus la configuration, ce deuxième étage en forme de S à l’intérieur n’est pas aligné avec l’étage supérieur en porte-à-faux et n’est pas non plus aligné avec les contours du terrain. Le rez-de-chaussée, juste en dessous, contient principalement le parking intérieur dont on peut voir le portail donnant sur la rue. Ce parking peut contenir 7 voitures et quelques photos aperçues sur le web me laisse penser qu’il contient une Delorean. Le studio de travail du Mangaka et de son équipe se trouve aux étages inférieurs, dans une base faite d’un bloc de béton renforcé, creusé sur la quasi-totalité du terrain, ouvert d’un côté pour laisser passer la lumière à travers une grande baie vitrée de deux étages de hauteur. Une mezzanine surplombe cette zone de travail haute de plafond. Après le design sur papier, il aura fallu plus de trois ans et des complications dans la conception du dernier étage, pour mener à bien ce projet qui se conclura en Août 2006.

White Base est bordé par un parking ressemblant à un terrain vague. J’imagine qu’une construction verra le jour dans quelques temps. En attendant, cette vue dégagée depuis ce parking permet d’apprécier une bonne partie du building. Il reste cependant difficile à comprendre depuis l’extérieur tant l’agencement des espaces intérieurs est atypique. Le numéro 64 du magazine Japan Architect consacré à une rétrospective architecturale de l’année 2006 montrent quelques photos de l’intérieur et des plans des étages, qui je montre ici pour faciliter la compréhension de cette structure complexe (à noter, le cinquième étage sur le plan correspond au dernier étage en porte-à-faux). White Base apparaissait également en couverture du numéro 246 de Shinkenchiku et dans le numéro 7 du magazine MARK d’Avril et Mai 2007 consacré entre autres à la présentation de 5 maisons japonaises. White Base faisait également la couverture du magazine MARK, mais dans une version stylisée. Ce numéro présentait également la maison blanche Sky Trace de Kiyoshi Sei Takeyama (Amorphe) dont je parlais récemment, mais aussi un autre petit chef-d’œuvre architectural, Reflection of Mineral par Yasuhiro Yamashita (Atelier Tekuto). L’article du magazine MARK montre des photographies différentes de celles de Japan Architect, et donne des détails intéressants sur la conception du building, basé sur les idées de design assez précises et agressives du Mangaka. Son nom était d’ailleurs précisé dans le magazine, ce qui m’a un peu étonné. Ceci étant dit, en plus d’être une maison sur les étages du haut, White Base est également pour une grande partie l’espace professionnel de ce Mangaka. Je ne mentionne pas l’adresse de White Base, comme il est d’habitude pour ce genre de maisons. C’est un peu triste à dire mais j’ai l’impression d’avoir conclu un cycle dans mes découvertes architecturales après avoir vu ce building. Il me reste pourtant beaucoup d’autres architectures à découvrir dans Tokyo et à approfondir.