Il n’y a personne dans la rue près de chez moi à part les silhouettes qu’on aperçoit à travers les fenêtres des maisons, quand la lumière est allumée. On entend par contre les grillons qui se sont réveillés tard cette année, mais qui essaient de rattraper leur retard. Il fait relativement doux pour une soirée d’été. Certaines personnes laissent les fenêtres ouvertes et on peut entendre le bruit de la télévision se faufiler jusqu’à la rue. Dans le cimetière du quartier non plus, il n’y a pas âme qui vive. Tout en marchant dans la rue qui le longe, je regarde lentement dans la pénombre pour essayer d’y trouver des esprits fantomatiques qui se seraient éveillés, mais on a beau regarder longuement, on n’aperçoit heureusement rien qui bouge. Elles sont belles les soirées d’été lorsqu’elles sont silencieuses, lorsqu’elles ne laissent s’échapper que quelques sons et bruits de ville: une sonnette de vélo qui nous évite, une conversation étouffée d’un petit groupe de personnes au loin qui se dissipera à mon passage, le bruit sourd et intermittent des véhicules lorsqu’on s’approche des routes, un chat qui miaule sans faire un bruit au pied d’une petite maison quelconque, un brin d’eau qui coule sur un des bords de la rivière bétonnée de Shibuya, un livreur pressé faisant tomber ses paquets et s’excusant lui-même sous la pression imaginaire des passants qui ne remarquent rien, des voix d’enfants profitant des dernières minutes du parc alors que la nuit est déjà tombée et qu’ils devraient être déjà rentrés depuis longtemps. Et lorsqu’on s’approche de la gare, les bruits se font plus intenses: celui saccadé du train sur la voie entrant en réverbération dans le hall de la gare, des éclats de rire dans toutes les langues que l’on perçoit momentanément quand les portes des restaurants s’ouvrent. A côté du restaurant avec une terrasse ouverte donnant sur le parc, quelques personnes seules et silencieuses sont assises près de la grande pieuvre et écrivent sur leur téléphone portable, le visage éclairé par une lumière diffuse. Cette lumière infime s’intensifie lorsque les néons se font de plus en plus denses à l’approche du centre. Une petite foule se regroupe alors qu’on arrive dans les rues de la gare. Un vendeur sort dans la rue aux portes de son magasin de vêtements pour essayer de les attirer à l’intérieur, mais personne n’y prend attention. Un jeune couple immobile se regarde longuement, yeux dans les yeux, avec un air sérieux témoignant d’un problème qui a l’air très grave. Je repars vers les rues plus sombres où la foule s’est vite dissipée. Pendant quelques instants, un silence complet prend place comme si les grillons s’étaient tous mis d’accord pour taire leur chant au même moment. Les paroles dans la rue s’éteignent, les voitures sont arrêtés, les trains sont en gare. On se concentre pour rechercher de l’oreille le plus profond et le plus lointain des bruits. Cette concentration soudaine et intense nous fait oublier notre propre existence.
(C’est le premier texte que j’écris tout en marchant dans la rue en utilisant la fonction de reconnaissance vocale de l’application Notes de l’iPhone et en le corrigeant une fois rentré à la maison).