Ce building de béton est apparu soudainement entre Naka-Meguro et Daikanyama, en face de l’école Tokyo College of Music, qui est également assez récente. J’ai déjà montré cet immeuble aux formes courbes appelé Oak Bldg II sur mon compte Instagram, il y a presque trois mois. Un architecte m’avait fait très justement remarquer dans les commentaires qu’il s’agissait d’un béton moins “parfait” que l’habituel béton brut japonais toujours très homogène, mais que le béton de cet immeuble atteignait tout de même une certaine perfection. Je suis bien d’accord avec cette affirmation et j’imagine bien cette tentative d’atteindre une perfection dans le traitement volontairement non-homogène de ce béton. Rien ne doit être laissé au hasard. On imagine très bien l’intention dans le fait d’avoir utilisé des bétons de couleurs et d’apparence générale très différentes. On a l’impression que le bâtiment est couvert de rayures. Ses formes rondes et ovales sont également très intrigantes et m’évoquent même une sorte d’animal. Malgré quelques recherches, je n’ai malheureusement pas trouvé qui en était l’architecte. Toujours est-il que ses imperfections absolument parfaites en font un des plus beaux bétons que j’ai vu depuis un petit moment. Pour ce qui est du béton parfaitement parfait, je pense toujours au TOD’s de Tokyo Ito sur la grande avenue de Omotesando.
Mois : août 2020
night lights ghost silence
Il n’y a personne dans la rue près de chez moi à part les silhouettes qu’on aperçoit à travers les fenêtres des maisons, quand la lumière est allumée. On entend par contre les grillons qui se sont réveillés tard cette année, mais qui essaient de rattraper leur retard. Il fait relativement doux pour une soirée d’été. Certaines personnes laissent les fenêtres ouvertes et on peut entendre le bruit de la télévision se faufiler jusqu’à la rue. Dans le cimetière du quartier non plus, il n’y a pas âme qui vive. Tout en marchant dans la rue qui le longe, je regarde lentement dans la pénombre pour essayer d’y trouver des esprits fantomatiques qui se seraient éveillés, mais on a beau regarder longuement, on n’aperçoit heureusement rien qui bouge. Elles sont belles les soirées d’été lorsqu’elles sont silencieuses, lorsqu’elles ne laissent s’échapper que quelques sons et bruits de ville: une sonnette de vélo qui nous évite, une conversation étouffée d’un petit groupe de personnes au loin qui se dissipera à mon passage, le bruit sourd et intermittent des véhicules lorsqu’on s’approche des routes, un chat qui miaule sans faire un bruit au pied d’une petite maison quelconque, un brin d’eau qui coule sur un des bords de la rivière bétonnée de Shibuya, un livreur pressé faisant tomber ses paquets et s’excusant lui-même sous la pression imaginaire des passants qui ne remarquent rien, des voix d’enfants profitant des dernières minutes du parc alors que la nuit est déjà tombée et qu’ils devraient être déjà rentrés depuis longtemps. Et lorsqu’on s’approche de la gare, les bruits se font plus intenses: celui saccadé du train sur la voie entrant en réverbération dans le hall de la gare, des éclats de rire dans toutes les langues que l’on perçoit momentanément quand les portes des restaurants s’ouvrent. A côté du restaurant avec une terrasse ouverte donnant sur le parc, quelques personnes seules et silencieuses sont assises près de la grande pieuvre et écrivent sur leur téléphone portable, le visage éclairé par une lumière diffuse. Cette lumière infime s’intensifie lorsque les néons se font de plus en plus denses à l’approche du centre. Une petite foule se regroupe alors qu’on arrive dans les rues de la gare. Un vendeur sort dans la rue aux portes de son magasin de vêtements pour essayer de les attirer à l’intérieur, mais personne n’y prend attention. Un jeune couple immobile se regarde longuement, yeux dans les yeux, avec un air sérieux témoignant d’un problème qui a l’air très grave. Je repars vers les rues plus sombres où la foule s’est vite dissipée. Pendant quelques instants, un silence complet prend place comme si les grillons s’étaient tous mis d’accord pour taire leur chant au même moment. Les paroles dans la rue s’éteignent, les voitures sont arrêtés, les trains sont en gare. On se concentre pour rechercher de l’oreille le plus profond et le plus lointain des bruits. Cette concentration soudaine et intense nous fait oublier notre propre existence.
(C’est le premier texte que j’écris tout en marchant dans la rue en utilisant la fonction de reconnaissance vocale de l’application Notes de l’iPhone et en le corrigeant une fois rentré à la maison).
passage à Kugahara
Le quartier résidentiel de Kugahara est immense quand on le parcourt à pieds. La plupart des maisons se ressemblent mais on aperçoit à certains endroits des bâtiments qui se font remarquer, comme la maison de béton de la première photographie. Le placement de l’étage en léger porte-à-faux est intéressant. Mais la maison qui m’intéresse le plus dans cette partie du quartier est celle en béton que l’on peut voir sur les deuxième et troisième photographies. Il s’agit de House in Kugahara II de l’architecte Kiyoshi Seike. Le bâtiment, datant de 1974, fut construit juste à côté d’une autre maison de Kiyoshi Seike, House in Kugahara, construite, elle, dix ans plus tôt. Ce bâtiment avec peu de fenêtres a des airs brutalistes par la force du béton, tout de même un peu adoucie par des murets de briques rouges et quelques incrustations de bois et surtout par un jardin très fleuri. Ces photographies datent du mois de Mars et les cerisiers étaient en fleurs dans ce quartier. A certains endroits, les pétales de cerisiers commençaient même à recouvrir le sol.