Revenons une fois de plus, si vous le voulez bien, sur les cerisiers bordant la rivière de Meguro. Ceux qui en ont déjà marre de voir des cerisiers en fleurs devront prendre leur mal en patience car il me reste encore quelques séries de photographies à montrer. Mais si peu, car la période de floraison a été une des plus courtes que j’ai pu voir à Tokyo. Il y a de nombreux endroits que nous aurions voulu voir cette année, faute d’y avoir été l’année dernière, mais le temps nous a manqué. Sur les bords de la rivière de Meguro, j’aime beaucoup la manière par laquelle la continuité des cerisiers vient apporter une unité d’ensemble à la désorganisation intrinsèque du paysage urbain tokyoïte. On peut se poser par exemple la question de la présence d’un bâtiment en forme de château médiéval au milieu d’autres buildings plus classiques. Les cerisiers qui forment sa base éphémère viennent en quelque sorte relier ce bâtiment atypique avec le reste des immeubles posés le long de la rivière. Ce n’est pas le seul immeuble en forme de château kitsch à Tokyo. A mes débuts à Tokyo, j’habitais à proximité d’une autre forteresse similaire à Akasaka. Ces faux châteaux datent tous les deux de 1973 et sont des hôtels à l’heure. Le compte Instagram de JapanPropertyCentral nous donne un petit historique en photo de ces deux hôtels: le Meguro Emperor et le Chantilly Akasaka. On aperçoit le Meguro Emperor sur les deuxième, quatrième et sixième photographies de ce billet. Sur la première photographie, la tour d’appartements Nakameguro Atlas Tower, située à proximité de la station, se démarque franchement avec ses 45 étages. Sur la même photo, on aperçoit également les filets verts d’un centre d’entrainement au golf. Il a la particularité d’être situé au dessus d’un parking pour taxi, dans une utilisation optimale de l’espace disponible. J’en avais déjà parlé dans un billet précédent car il est référencé dans le petit livre jaune Made in Tokyo de Junzo Kuroda, Yoshiharu Tsukamoto et Momoyo Kaijima. Sur la deuxième photographie, le Meguro Emperor fait pratiquement face à un autre hôtel, beaucoup plus prestigieux, le Meguro Gajoen. L’intérieur de l’hôtel mélangeant les styles et l’hotel historique juste à côté valent vraiment le détour.
Le premier album New Long Leg du groupe londonien Dry Cleaning signé sur 4AD est une superbe découverte. J’ai entendu le morceau Strong feelings pour la première fois à la radio, sur J-Wave ou InterFm et j’ai tout de suite été attiré par cette musique rock qui m’a un peu rappelé Sonic Youth, notamment les morceaux chantés par Kim Gordon. Une des particularités de Dry Cleaning est que la chanteuse Florence Shaw ne chante pas mais parle. Elle parle d’un ton British détaché de choses diverses parfois humoristiques, parfois ancrées dans le quotidien, parfois incohérentes car sorties de leur contexte, parfois assez sarcastiques. Ces paroles sont en général synchronisées avec la musique mais elle s’autorise parfois des écarts comme par exemple sur le premier morceau Scratchcard Lanyard. Les morceaux sont extrêmement intéressants musicalement, avec des airs assez sombres mais accrocheurs, et écouter ces morceaux en lisant les paroles est, je dirais, extrêmement satisfaisant. C’est même souvent un régal, notamment lorsque les paroles sont interrogatives, par exemple: “Would you choose a dentist with a messy back garden like that?” sur le sixième morceau New Long Leg, ou quand les paroles ressemblent à des choses vécues, par exemple “Never talk about your ex, never, never, never, never, never slag them off because then they know, then they know” sur le quatième morceau Leafy. Je disais que le son des guitares me rappelle un peu Sonic Youth. La voix de Florence Shaw ne ressemble pas à celle de Kim Gordon, mais on sent une influence. Je me demande d’ailleurs si le nom du groupe Dry Cleaning ne serait pas inspiré du nom de l’album Washing Machine de Sonic Youth (un même concept proche du quotidien). Le morceau titre de cet album, chanté et parlé par Kim Gordon, est d’ailleurs un de mes préférés de l’album. Tous les morceaux de New Long Leg sont excellents, sans qu’il y en ait vraiment un qui se détache car ils suivent tous le même concept, sauf peut être le dernier morceau plus expérimental. Un morceau comme Her Hippo, au milieu de l’album, est quand même un marqueur qui nous convainc définitivement de la beauté rock de cet album. Difficile de trouver d’autres superlatifs donc je vais m’arrêter là. Je suis moins assidûment les avis de Pitchfork ces derniers mois (ou années) mais ils sont également emballés par l’album. On peut également y trouver une interview du groupe pour comprendre un peu mieux leur origine.