Sky House par Kiyonori Kikutake

J’avais en tête depuis très longtemps d’aller voir la maison Sky House de l’architecte japonais Kiyonori Kikutake, un des fondateurs du mouvement architectural Métaboliste dont je parle décidément souvent dans mes derniers billets. L’occasion ne s’était jamais présentée jusqu’à maintenant, ou peut-être est ce que je n’avais tout simplement pas créé cette occasion jusqu’à ma visite récente il y a quelques semaines. Cette petite maison de béton posée sur une pente se trouve dans le quartier d’Ōtsuka dans l’arrondissement de Bunkyō. J’y accède par la station de métro Gokokuji dont la sortie se trouve au niveau du bâtiment de la maison d’edition Kōdansha. On accède à Sky House par une petite rue étroite parallèle à la grande avenue sur laquelle se trouve la station. La rue étroite est un cul-de-sac et je sais que Sky House se trouve tout au bout de cette rue. Je devine, du bout de la rue où je me trouve, une personne debout devant la maison. J’avance doucement en attendant l’air de rien que cette personne quitte les lieux ou rentre à l’intérieur. En avançant un peu plus, je me rends compte que cette personne est en train de laver la voiture stationnée devant la maison, une Mercedes break grise. Kiyonori Kikutake a construit Sky House pour lui et sa famille, mais il n’est plus de ce monde depuis presque 10 ans. Il s’agit peut être du fils de l’architecte qui nettoie la voiture familiale, ou d’un autre membre de la famille Kikutake. Sur toutes les photographies de maisons individuelles que j’ai pu prendre jusqu’à maintenant, c’est bien la première fois que le locataire des lieux se trouve dehors sur le palier au moment de mon passage. Je passe une première fois devant la maison en pensant revenir devant l’entrée un peu plus tard, une fois que le propriétaire aura finit le nettoyage de cette voiture. Au fond de la rue, un petit escalier de pierre permet de descendre la pente le long de Sky House. Un muret et des arbustes empêchent de voir les bas étages de la maison. Une fois en bas de l’escalier, un parking adjacent me donne assez de recul pour prendre en photo Sky House dans son intégralité. La partie haute en béton date de la construction de la maison en 1958, tandis que la partie basse a été ajoutée bien après. Je pars ensuite marcher dans le quartier pour faire passer le temps. En empruntant un terrain au dénivelé très accentué à proximité de Sky House, j’espère trouver un point de vue photographique intéressant sur la maison mais la vue est malheureusement obstruée par d’autres bâtiments. Mon impatience me fait cependant rapidement revenir vers l’escalier au bord de la maison que je monte doucement. Le propriétaire est toujours là à laver sa voiture et je finis par lui demander aimablement (ça va de soit) si je peux prendre sa maison en photo. Il accepte sans aucune hésitation et se déplace même sur le côté pour me laisser prendre la façade principale en photo. Je me confonds en courbettes et en remerciements tout en m’éclipsant après avoir pris les photos tant convoitées. Il aurait été dommage d’être venu jusqu’ici sans pouvoir prendre ces photographies de la façade. Je pense que le propriétaire doit avoir une certaine habitude de voir des gens comme moi, amateurs d’architecture remarquable, venir tourner autour de Sky House pour l’observer et la prendre en photo. Après tout, cette maison a une valeur historique et emblématique de l’architecture moderne japonaise.

Sky House porte ce nom car elle est élevée dans les airs par quatre piliers de béton, comme on peut le voir sur les photos ci-dessus de l’époque de sa construction en 1958. Elle est emblématique du mouvement métabolisme car elle est susceptible de se modifier en fonction des besoins de la famille qui y habite. Elle apparaît notamment dans le livre manifeste du mouvement intitulé METABOLISM/1960, montrant une série de projets clés par ce jeune mouvement naissant et en phase de connaître une reconnaissance mondiale lors de la World Design Conference (WoDeCo) se déroulant à Tokyo en Mai 1960. Parmi les participants à cette conférence internationale, Louis Kahn viendra notamment visiter la maison Sky House avec d’autres architectes comme Fumihiko Maki.

Le terrain en pente favorise cette impression de maison élevée dans les airs. On y accède par la rue haute par laquelle je suis venu. La maison d’origine se compose d’un seul étage fait d’une structure de béton en damier, posé sur quatre pilotis anti-sismiques de 6.6 mètres de haut. Lorsque l’on voit des photographies d’époque, la maison se dégage nettement de l’environnement alentour de maisons basses. En plus de 60 ans, le paysage urbain autour de la maison a bien changé et Sky House est maintenant noyée dans les buildings. La maison en elle-même a également beaucoup changé en 60 ans. Tout l’espace sous l’étage surélevé, le patio, était initialement ouvert. Une première modification en 1962 vient ajouter une capsule, que Kikutake appelle plutôt move-net comme élément amovible, qui sera utilisé comme chambre pour enfant. Ce move-net était accroché sous l’étage comme on peut le voir sur la dernière photo d’époque ci-dessus. L’espace sous la maison et sous le move-net fut petit à petit utilisé comme bureau pour Kikutake. En 1977, le patio voit de nouvelles transformations avec l’ajout d’une cuisine, de chambres et d’une véranda. En 1985, cet espace évolue encore et est complètement occupé par un living et des extensions des chambres. Comme on peut le voir actuellement, tout l’espace vide en dessous de la partie initiale en béton a été rempli par des espaces habitables, ce qui enlève en quelque sorte la particularité de surélévation de la maison. La maison Sky House s’est en quelque sorte reconnectée avec la terre ferme, de laquelle elle essayait pourtant initialement de s’éloigner. Une des dernières évolutions a été d’installer le mur de verre que l’on voit devant l’entrée, derrière l’espace de parking.

Lorsque l’on passe devant la maison, on admire bien sûr la partie haute en béton tout en essayant de l’imaginer sans les additions installées en dessous qui viennent malheureusement dénaturer le projet initial. En même temps, cette maison a été dès le début conçue avec cette idée d’evolution selon les principes du mouvement métaboliste. On peut seulement regretter que les dernières évolutions sous l’étage initial n’ont pas suivi le style architectural d’origine en béton. En même temps, cet ajout est peut être considéré comme temporaire avec dans l’idée d’être enlevé plus tard? Ceci n’est que pure supposition de ma part. Derrière les volets de bois et les parois de béton de l’étage, l’espace habitable ne se compose que d’une grande pièce ouverte, séparée en deux par un mur amovible. On devine dans la pièce un bloc cuisine mais on ne voit pas la salle à manger qui devait se trouver derrière le mur. La chambre devait également se trouver derrière ce mur, mais la composition de cette pièce n’est de toute façon pas figée, elle est modulable et a changé de configuration au cours des années. L’espace initial sur un seul étage est minimaliste et on imagine bien qu’il devînt vite insuffisant avec l’agrandissement de la famille. Cet étage en béton est également intéressant car il me rappelle la structure d’une maison traditionnelle japonaise avec un couloir engawa faisant le tour de la maison, sauf que les portes coulissantes donnant sur l’intérieur habitable sont ici remplacées par des baies vitrées et les ouvertures extérieures par des grands volets faits de lamelles de bois. En passant devant la maison, j’imagine cet espace intérieur, la qualité de cette grande pièce ouverte que je n’ai vu qu’en images dans des magazines ou livres d’architecture. En écrivant ce billet de retour à la maison, je ressors de ma bibliothèque Project Japan Metabolism Talks, le livre de Rem Koolhaas et Hans Ulrich Obrist aux éditions Taschen consacré comme son nom l’indique à une revue en détail du mouvement Métaboliste. On y trouve de nombreuses interviews, dont une avec Kikutake en 2009 (quelques années avant sa mort) à l’intérieur même de Sky House. Quelques photos prises par la fille de l’architecte néerlandais, la photographe Charlie Koolhaas, immortalise cette rencontre. Ce livre est d’ailleurs extrêmement bien documenté et c’est un plaisir d’y revenir pour tous les amoureux d’architecture moderne japonaise.

5 commentaires

  1. Salut mahl, sur le moment ça ne m’a pas du tout traversé l’esprit, j’étais trop préoccupé à pouvoir faire au moins une photo de l’extérieur de la maison. J’y ai pensé très très brièvement sur le chemin du retour. Mais il aurait d’abord fallu que j’engage la conversation et je ne me voyais pas trop l’embêter, déjà que je l’interrompais dans son nettoyage de voiture. C’est de toute façon très délicat à demander. Si j’y avais été avec ma femme, j’aurais peut-être été plus à même de demander d’un air innocent si des visites guidées sont organisées pour Sky House, pour la partie « historique » de la maison qui est plutôt actuellement utilisée comme une pièce d’apparat. Sur YouTube, je trouve quand même une émission qui date nous montrant l’intérieur – Partie 1 et Partie 2. J’aime bien ces émissions d’époque.

  2. Oui, il est vrai que je ne vois pas trop non plus un parfait inconnu venir chez moi pour visiter ma maison ; )

    Merci pour les liens des vidéos, je vais les regarder au calme. C’est toujours amusant en regardant ce genre d’émissions de se rendre compte que l’on ressent de la nostalgie alors que l’on a vécu dans un tout autre pays et que l’on n’est même pas encore né. En tout cas l’endroit semble avoir beaucoup changé, on ne ressent malheureusement plus trop le côté ‘Sky’ du Sky House, même si l’endroit semble tres spacieux.

  3. Salut mahl, oui Sky House est désormais une des maisons les plus basses du quartier. Même si elle se trouve sur un terrain en pente, elle est beaucoup moins haute que les immeubles qui longent la rue principale.

    Cette nostalgie que l’on ressent me surprend à chaque fois comme si c’était universel, peut importe le pays d’où on vient. Il y a peut-être un lien avec la qualité de l’image et du son de ces vidéos anciennes, et une façon de parler différente de maintenant dans le rythme, même si la langue est différente. Il y a quelque chose de familier auquel notre esprit se raccroche. Ça mériterait d’approfondir le sujet.

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