suivre les voix

Ces voies surélevées au dessus de Tokyo qui traversent les rivières et survolent les routes peuvent nous amener très loin en dehors de la ville si on ne s’y perd pas. Naviguer sur cette autoroute intra-muros donne la sensation particulière d’être entré dans un labyrinthe. On ne peut pas s’arrêter en route pour réfléchir à la direction qu’on va prendre, il faut s’inscrire dans le flot routier et bifurquer au bon moment. Les voies surélevées sont parfois très étroites, parfois inclinées pour faciliter les virages, se regroupent par moment et se découpent ensuite en deux sans crier gare. Du haut de l’autoroute, on devine parfois le paysage en dessous de nous, lorsqu’on passe par exemple près de Ginza. L’autoroute qui nous amène vers le nord de Tokyo longe la rivière Sumida. Ce paysage est assez unique mais, ayant le vertige, me fait également un peu peur. On n’a de toute façon pas le temps à l’angoisse sur cette route là, il faut suivre le flot routier, ne pas louper les virages et les bifurcations inattendues. Suivre ces voies pour sortir de Tokyo m’emmène vers d’autres voix, celles de Tokyo Jihen.

Tokyo Jihen vient juste de sortir sur YouTube la vidéo de leur dernier morceau intitulé Ryokushu (緑酒), sous-titré Awakening, pourtant sorti il y a plus d’un mois le 30 Mars 2021. Je reçois comme d’habitude un petit email de notification de Ringohan à 4h du matin. Je ne sais pas pour quelle raison les emails du fan club sont aussi matinaux en ce moment. Il se trouve que j’ai renouvelé pour une nouvelle année mon adhésion à Ringohan le soir d’avant et cette vidéo inattendue arrivait d’une certaine façon comme une récompense. La vidéo est tout simplement superbe et embellit même le morceau qu’elle vient illustrer, au point où j’ai le sentiment de le redécouvrir sous un autre jour. Alors que j’avais eu un avis un peu mitigé à la première écoute de Ryokushu, j’adore maintenant ce morceau, même le passage ressemblant à une interprétation de Queen car je trouve qu’il vient s’inscrire dans une sorte d’apogée, dans la composition musicale du morceau. La vidéo est bien évidemment réalisée par Yuichi Kodama, le compagnon de Sheena Ringo, mais elle est assez différente des précédentes qui représentaient plutôt un univers proche du fantastique. La vidéo est tournée dans la ville de Yorii dans la préfecture de Saitama. Cette petite ville est située dans une courbure de la rivière Arakawa en aval de Nagatoro, dans un lieu pittoresque appelé Tamayodogawara (玉淀河原). La plupart des scènes sont tournées au bord de la rivière Arakawa et dans un ryokan appelé Chinryusō Kyōtei (枕流荘 京亭). Les lieux sont magnifiques, que ça soit le ryokan en lui-même, les jardins ou le bord de la rivière où se produit le groupe. On voit dans la vidéo chaque membre de Tokyo Jihen arriver les uns après les autres au ryokan pour ce qui ressemble à une réunion d’amis de longue date. Sheena est la maitresse de maison qui attend ses invités, fait même un tour dans les cuisines avant de se changer pour un superbe kimono. Hata Toshiki semble être le premier arrivé et donne à manger aux carpes de l’étang du jardin. Izawa Ichiyō passe ensuite la porte d’entrée décorée de symboles de paon de Tokyo Jihen. On voit d’ailleurs ces symboles un peu partout dans le ryokan. Kameda Seiji est le prochain à arriver au ryokan. Ils sont tous très bien habillés en costume d’une autre époque, pour ce qui ressemble à un jour de fête. Une scène montre d’ailleurs un calendrier dont une page est tournée pour changer la date. Le calendrier montre d’abord la date du 29, sans indiquer le mois, avec le symbole de Tokyo Jihen en fond, puis on passe au 1er du mois suivant. Le 29 doit forcément faire allusion au 29 Février de l’année 2020, qui était bissextile et qui a marqué le démarrage de la tournée News Flash malheureusement annulée en cours de route en raison de la crise sanitaire. C’était également la date de fin du dernier concert Bon Voyage en 2012 avant la dissolution du groupe. Les allusions à cette année bissextile ou Urūdoshi (閏年) ont été nombreuses chez Tokyo Jihen, notamment sur un titre de morceau du EP News (ニュース), UruUruUru (うるうるうるう). Le calendrier du jour de cette réunion de Tokyo Jihen, le premier jour du mois donc, est illustré par des petits drapeaux qui nous feraient penser à un jour férié. Le calendrier sous-titre cette journée des mots Hare no Hi (ハレの日) qui indique qu’il s’agit d’un jour spécial. Il n’y a, comme jour férié au Japon, que le 1er Janvier qui correspond au premier jour du mois, et il ne doit pas s’agir du 1er Janvier dans la vidéo car le jour précédent est le 29. On peut supposer qu’il s’agit du 1er mars, mais cette date montrée volontairement sur la vidéo reste assez mystérieuse car il n’y a pas à ma connaissance de fête ou célébration le 1er Mars (la fête la plus proche étant Hina Matsuri le 3 Mars). Le détail qui m’amuse, c’est de voir Kameda monter rapidement à l’étage pour boire une petite coupelle de sake en attendant les autres, assis sur le tatami avec vue sur le jardin. On aurait très envie de partager ce sake avec lui dans ce lieu magnifique. Il y a une certaine décontraction qui se dégage de cette vidéo, car on voit également Izawa prendre un bain au début de la vidéo dès son arrivée au ryokan. L’autre détail intéressant est la plaque d’immatriculation de la vieille voiture de Ukigumo qui arrive le dernier au ryokan. La plaque indique un numéro de Tokyo “じ 02-29” qui fait forcément référence encore une fois au 29 Février, le “Ji” (じ) pourrait faire référence à Jihen. La couleur de sa voiture est d’un jaune similaire à la Mercedes de Sheena sur Tsumi to Batsu, mais il ne s’agit pas du tout du même modèle de voiture. Ukigumo conduit ici une Subaru FF-1 G, un modèle produit en 1971-72. On sait depuis OSCA que Ukigumo aime les voitures vintage. Il y a beaucoup de symboles très japonais dans cette vidéo, notamment dans le décor du ryokan, des katana posés sur un présentoir, un bonsaï, des ukiyo-e, un repas japonais, les kimono et les fleurs de cerisiers. Cette représentation ne me parait pourtant pas clichée, parce que ces images traditionnelles sont parfois détournées. Par exemple, les katana que je mentionnais plus haut seront à un moment donné remplacés par les guitares Vox Phantom de Ukigumo. C’est aussi relativement inhabituel de voir un groupe en kimono jouer un morceau de rock avec guitares, batterie et mégaphone. Cette vidéo nous donne vraiment l’impression que le groupe voulait se faire plaisir en jouant tous ensemble en extérieur près de la rivière après un bon repas bien arrosé. Hata nous fait également le plaisir d’effectuer sur cette vidéo la danse théâtrale shintoïste Kagura (神楽) dans un kimono très coloré. Ce n’est pas la première qu’il nous montre cette danse en vidéo ou en concert. Ce qui marque avant tout dans cette vidéo, c’est l’ambiance festive d’une réunion d’amis qui rigolent ensemble après avoir bu quelques verres de sake (ce qui fait allusion au titre du morceau qui évoque un alcool vert). Ukigumo dira d’ailleurs à la fin de la vidéo qu’il aurait dû venir en train plutôt qu’en voiture, une allusion au fait qu’il ne pourra pas conduire après tout l’alcool qu’il a bu. Il pourra toujours passer une nuit dans ce ryokan. La nuit pour une personne avec deux repas démarre à la modique somme de 20,000 yens hors taxes.

Je me suis demandé la raison pour laquelle Tokyo Jihen avait choisi cet endroit. Il s’avère que des scènes du drama Watashitachi ha douka shiteiru (私たちはどうかしている) avec Minami Hamabe et Ryusei Yokohama ont été tournées à cet endroit et que Tokyo Jihen a justement créé le thème musical du drama, avec le morceau Aka no Doumei (赤の同盟 – Alianza de Sangre) qui se trouvera également dans le nouvel album de Tokyo Jihen qui sortira début Juin 2021. J’imagine qu’il y a eu un échange de bonnes adresses, ce qui a amené Tokyo Jihen à tourner dans le même ryokan que le drama. C’est amusant comme ce drama, que je n’ai pourtant pas suivi, me poursuit. Pendant la Golden Week, j’étais parti acheter des wagashi à la pâtisserie Aono d’Akasaka, sur les conseils de Mari, et je me rends compte en entrant à l’intérieur que cette pâtisserie était conseillère en wagashi pour ce drama, qui se passait dans le monde des pâtisseries japonaises. Un petit article de journal dans la pâtisserie Aono le mentionnait et quelques recherches sur internet m’ont permis de le confirmer. Mes recherches me font aussi découvrir que Steve Jobs était fin amateur des wagashi de cette pâtisserie qu’il appréciait quand il voyageait au Japon.

Pour revenir sur Tokyo Jihen, ils interprétaient ce Vendredi 14 Mai dans l’émission Music Station de la chaine Asahi TV, ce même morceau Ryokushu (緑酒). Comme on peut le voir sur les quelques captures d’écran ci-dessus, leurs tenues très colorées étaient très différentes de celles de la vidéo officielle du morceau au ryokan. Sheena était bien entendu habillée en tenue Gucci, avec les mêmes lunettes de soleil et coiffure courte blonde que lors de l’interprétation de Gunjō Biyori (群青日和) lors de l’émission FNS du 9 Décembre 2020. Ukigumo avait la tenue la plus exubérante, le faisant ressembler à un chef indien, ce qui m’a rappelé la coiffure que portait Sheena à la fin de la tournée Discovery. L’interprétation du morceau était impeccable comme on pouvait s’en douter, mais sans avoir cette fois-ci d’effet de surprise, comme lors de cette interprétation de Gunjō Biyori en Décembre dernier où Hata Toshiki tombait soudainement de sa batterie à la fin du morceau. Il se mettra en fait à jouer debout sur une partie du morceau Ryokushu et à s’allonger de toute sa taille sur le tabouret de sa batterie comme pour s’étirer à la toute fin du morceau. L’émission faisait intervenir la YouTubeuse très populaire et excentrique Fuwa chan, qui débordait de qualificatifs pour décrire Sheena Ringo. Elle avait l’air un peu gênée devant ces compliments. Fuwa chan s’était fabriquée des lunettes avec une grosse chaine dorée comme celles que portait Sheena lors d’une émission précédente de Music Station en 2020 pour une reprise d’un ancien morceau Nōdōteki Sanpunkan (能動的三分間). Fuwa chan est intervenue à plusieurs reprises pendant l’émission, notamment pour nous donner le top 3 des tenues de scènes de Sheena qu’elle préfère, dont celle avec ces très étranges lunettes avec chaine. L’intervention du groupe, surtout Sheena en fait, était beaucoup plus longue qu’à l’habitude. Elle est restée sur le plateau la plupart du temps en commentant par moment, comme lors de la séquence avec Hirai Ken avant qu’il interprète son nouveau morceau 1995. La vidéo de son nouveau morceau est des plus étranges. On pouvait sentir une certaine complicité entre Hirai Ken et Sheena Ringo car ils ont déjà interprété des morceaux ensemble sur scène. C’était lors d’un concert J-Wave Live de Hirai Ken le 18 Août 2007. Il avait invité Sheena sur scène à la surprise du public pour interpréter à deux voix une reprise du groupe Southern All Stars, puis Killer Tune de Tokyo Jihen avec également Ukigumo et Izawa.

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Une petite série en trois épisodes qui se passe de commentaires, sauf ceux que je suis en train d’écrire maintenant mais que j’aurais mieux fait d’éviter pour aller au bout du concept de série sans commentaires. Les nuages côtoient l’architecture comme deux éléments d’une recette visuelle que je n’ai cette fois-ci pas mélangé bien que la tentation fut grande et les essais non concluants. L’architecture sur cet épisode n’est plus à présenter mais sur les deux premiers épisodes, elle n’était pas présentable car les noms des créateurs me sont inconnus. Je tente une nouvelle fois avec cette petite série un format de billets plus court, car j’avais un peu tendance à m’allonger ces derniers temps et l’effort ne vaut pas toujours la chandelle.

Sengyō-ji par Mount Fuji Architects Studio

La dernière étape de ma marche depuis Sky House et à travers le temple de Gokokuji était de rejoindre Ikebukuro pour voir un autre temple d’apparence très différente. Cet immeuble fin est également un temple appelé Sengyō-ji (仙行寺). Il a été conçu par Mount Fuji Architects Studio. Ses portes sont ouvertes sur la rue et donnent accès à une salle sombre dans laquelle se trouve une statue de Bouddha. D’extérieur, les façades encerclées de tiges de métal ressemblent à un jardin, car des plantes sont placées sur les balcons de chaque étage. Il y aurait également des cerisiers. J’imagine que cette végétation est amenée à se développer et fera petit à petit ressembler ce temple à une petite montagne paisible en pleine ville.