Sumida Lifetime Learning Center par Itsuko Hasegawa

Mon passage près de la tour Tokyo Sky Tree il y a quelques semaines avait pour objectif d’aller voir le Sumida Lifetime Learning Center conçu par l’architecte Itsuko Hasegawa (長谷川逸子). Ce centre également appelé Yūtoriya a été construit en 1994, mais sa conception aurait démarré dès 1990. On remarque bien, dans ce building ressemblant à une station orbitale ayant atterri sur terre, toute l’exubérance architecturale caractéristique de la bulle économique prête à éclater. Ce genre de constructions atypiques est extrêmement intéressant car cette architecture ressemble plus à une œuvre d’art qu’à un bâtiment fonctionnel. J’avais déjà quelques autres photos de ce bâtiment sur mon compte Instagram.

blackout nights

Je ne prends que très rarement des photographies de nuit, trop rarement peut-être. Je ne possède pas de pied tri-pod pour me poser à un endroit et prendre des photos en longue exposition et je préfère de toute façon me déplacer sans arrêts. J’avais tout d’abord dans l’idée de prendre en photo des traînées de lumière pour obtenir des images que je pourrais ensuite réutiliser en superposition avec d’autres. Mais j’ai finalement ramené de mes marches nocturnes des photographies ’posées’ dont je montre certaines sur ce billet. Les couleurs bleutées inattendues sur le béton de l’autoroute intra-muros au niveau de Shibuya sur la première photographie m’ont finalement donné envie de me poser quelques instants. Ces photographies ont été prises à Shibuya et autour lors de deux soirées différentes, mais l’obscurité ambiante ne permet pas de les différencier. L’envie me vient maintenant de retourner à Shinjuku le soir pour en saisir les lumières.

Pendant les deux mois d’été, l’émission Very Good Trip sur France Inter diffusait une série spéciale de neuf épisodes consacrée à David Bowie. Cette série était nommée pour l’occasion Very Good Bowie Trip et était présentée comme d’habitude par Michka Assayas. J’ai écouté cette série avec beaucoup de plaisir et une certaine gourmandise. Je sais pertinemment que je finirais un jour ou l’autre par écouter tous les albums de David Bowie mais j’y vais doucement. Je n’avais jusque là que trois albums dans ma discothèque personnelle, à savoir Scary Monsters (And Super Creeps) sorti en 1980, son dernier album Blackstar sorti en 2016 et le premier album de la trilogie berlinoise, Low, sorti en 1977. Cette époque dite berlinoise à la fin dès années 1970 en collaboration avec Brian Eno est la période qui m’intéresse à priori le plus. Écouter l’émission Very Good Trip me donne l’envie irrésistible d’aller acheter au Disc Union le plus proche, l’album Heroes sorti en 1977 qui est le deuxième album de cette trilogie berlinoise. Je ne me lancerais bien sûr pas dans une critique de cet album, mais je noterais juste qu’il est fabuleux. C’est pour l’instant l’album que je préfère dans ma petite collection personnelle des albums de Bowie que je possède. L’album Heroes ressemble à Low dans le sens où la deuxième moitié de l’album est presque totalement instrumentale. Dans les morceaux chantés dans la première partie de l’album, le morceau titre Heroes est bien entendu le plus connu et un des plus beaux de sa carrière, mais la plupart des morceaux sont fascinants (Sons of The Silent Age, par exemple). C’est certainement dû à la manière non conventionnelle de chanter de David Bowie et à une certaine non prédictibilité musicale. Il a trois morceaux instrumentaux sombres et inquiétants (Sense of doubt, Moss Garden et Neukoln) faisant une coupure très nette avec le reste de l’album. Ils forment une longue trame se terminant en apogée sur le dernier morceau Neukoln et sa complainte de saxophone. J’ai une petite préférence pour les morceaux instrumentaux de Low, notamment le grandiose Warszawa et Subterraneans, mais ceux de Heroes sont également superbes. Sur Heroes, j’aime particulièrement le morceau intitulé Blackout. Dans les paroles de ce morceau, Bowie glisse la phrase suivante « I’m under Japanese influence and my honour’s at stake ». On sait que David Bowie apprécie beaucoup le Japon (trop peut-être si on comprend bien ce qu’il veut nous dire dans ces paroles). Son premier voyage au Japon date d’Avril 1973. Il a notamment collaboré avec le couturier Kansai Yamamoto (山本寛斎) et le photographe Masayoshi Sukita (鋤田正義) qui signe les photographies de l’album Heroes (la photo de droite ci-dessus).

Pourquoi donc ces deux photographies de Sheena Ringo sur la gauche, me direz-vous? Je trouve que les positionnements de mains de Sheena Ringo sur ces photographies, notamment sur celle du bas, ressemblent beaucoup à ceux de David Bowie sur les photographies du photographe Sukita. Il ne s’agit pourtant pas du même photographe et je n’ai pas réussi à trouver de référence précise mentionnant une éventuelle influence. Mais la référence me paraît tout à fait évidente. Les photos de Sheena Ringo sont tirées du livre officiel Channel Guide Tokyo Incidents, sorti le 29 Février 2012 au moment de la séparation de Tokyo Jihen. L’émission Very Good Trip de Michka Assayas insiste beaucoup sur les multiples métamorphoses et la curiosité musicale de David Bowie tout au long de sa carrière. On retrouve ces métamorphoses et cette curiosité chez Sheena Ringo, et un journaliste lui avait d’ailleurs fait la remarque dès 2003 dans une interview du magazine GB que je suis en train de lire. J’y reviendrais certainement très vite, car c’est une piste qui m’est particulièrement intéressante.

because friends don’t waste wine when there’s words to sell

Je ne suis pas passé à Monzen-Nakachō (門前仲町) depuis Mai 2014, si j’en crois les archives de mon blog. Made in Tokyo me permet de me rappeler où je suis allé et quand (à peu près) sur les 20 dernières années (à peu près). Je précise “à peu près”, car j’omets bien sûr volontairement beaucoup de choses. Mais une chose est sûre, je continue à amener systématiquement avec moi mon appareil photo, peu importe l’endroit où nous allons, et j’ai donc au moins une photo de chaque endroit où je ou nous sommes allés. Dans le billet de Mai 2014, je montrais déjà l’étrange hall Hondō (本堂) recouvert de textes en caractères sanskrits construit quelques années avant en 2011. Je voulais en fait le revoir et c’était une des raisons premières de ce passage à Monzen-Nakachō. Ce grand temple s’appelle Fukagawa Fudōdō (深川不動堂) ou Fukagawa Fudōson (深川不動尊). C’est un temple bouddhiste de la secte Shingon et il fait partie du temple Naritasan (成田山) dans la ville de Narita à Chiba. Je remarque que, par rapport à 2014, le hall Hondō a été étendu. On accède à Fukagawa Fudōson par une petite rue assez animée. Il n’y a pas foule dans l’enceinte du temple mais un flot ininterrompu de visiteurs, parmi lesquels quelques étrangers (dont je fais partie). Je remarque d’ailleurs un retour sensible des touristes étrangers, ce qui est une bonne nouvelle car le retour à une situation normale semble proche. Enfin, je n’ai aucune idée précise s’il s’agit vraiment de touristes ou de personnes comme moi vivant au Japon depuis 10 ou 20 ans. Les deux premières photographies du billet montre le grand sanctuaire Tomioka Hachimangu (冨岡八幡宮) qui est en comparaison beaucoup plus calme. On y préparait pourtant une estrade à l’occasion du festival Tsukimi (月見) honorant la lune d’automne le 10 Septembre. Je continue ensuite ma marche vers un petit quartier préservé de l’ère Showa (1926-1989) appelé Tatsumi Shindō (辰巳新通). Ce petit quartier comprend deux ruelles piétonnes dont la plus longue doit faire une cinquantaine de mètres. Tatsumi Shindō est rempli d’une trentaine de petits bars et restaurants. Je m’attarde, en photos seulement, sur le restaurant appelé Izumi (いずみ), préparant une cuisine fait maison, car un vélo rouge a eu la bonne idée de se stationner devant l’unique arbre de la ruelle principale. Et cette rue paisible est dans l’ensemble très photogénique lorsque le soleil fort du milieu de journée nous laisse présager l’obscurité à l’intérieur de ces bars et restaurants avant l’activité du soir. Je continue ensuite à marcher dans le quartier de Fukagawa en direction de la station de Kiyosumi Shirakawa. On dit qu’on y trouve de nombreux cafés. Je m’arrête quelques instants dans celui appelé B2 faisant également boulangerie (souvenez-vous que je le déplace souvent en fonction des boulangeries). J’hésite entre écrire sur mon smartphone ou rêvasser. Je privilégie la deuxième solution pour observer le va-et-vient des clients.

Relire le texte de ce billet de Mai 2014 montrant Monzen-Nakachō me rappelle que ça fait de nombreuses années que je me préoccupe du peu de commentaires que je peux recevoir sur les billets de ce blog. J’en étais même venu à couper la possibilité d’écrire des commentaires mais c’était heureusement de courte durée. Ce billet est également le seul n’ayant pas de titre, car j’avais eu l’idée de créer un flot ininterrompu de photographies. Mais ça aurait très vite été ingérable dans WordPress. Bref, ce sont deux mauvaises idées que je n’ai heureusement pas conservé, mais j’avais quand même à cette époque une volonté de faire évoluer ce blog vers quelque chose d’autre. Ce type de réflexions se fait malheureusement de plus en plus rare. Et au sujet du titre de ce billet, il est tiré des paroles du morceau Obstacle 2 d’Interpol sur Turn on the Bright Lights (dont je parlais hier). J’aime beaucoup cette phrase même si je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre sa signification exacte.

because it’s easy to come by, much harder to let it go

Je prends souvent l’excuse d’aller acheter du pain pour aller au quatre coins de Tokyo. Sauf que la plupart du temps, c’est Mari qui me donne l’adresse de la boulangerie où je vais aller. Cette fois-ci, je pars vers Nippori, traverse le grand cimetière de Yanaka pour trouver une boulangerie appelée Atari à Ueno Sakuragi (上野桜木あたり). Elle est logée dans un ensemble de petites maisons de bois préservées. Le pain rustique y est excellent. Le temps était pluvieux lors de ma visite mais j’ai heureusement échappé aux averses soudaines qui frappaient assez souvent le pays à ce moment. Avant d’arriver à cette boulangerie, je me perds bien sûr volontairement en route car il faut bien se perdre pour trouver des endroits que l’on ne connaît pas. En l’occurence, je n’arrive pas vraiment à me perdre cette fois-ci car je tombe sur des lieux que j’avais déjà pris en photo en Juillet 2020 pour une petite série intitulée Obake ga Mienai kedo (お化けが見えないけど) (épisode 1, 2 et 3). Il faut dire que j’avais beaucoup marché dans ce quartier en Juillet 2020.

Je suis clairement reparti dans une période rock indé mais cette fois-ci loin du Japon et en partance pour New York, avec un groupe que je ne connaissais pas appelé Been Stellar (et non pas Ben Stiller comme je l’avais d’abord lu rapidement). J’ai découvert ce groupe avec le dernier morceau intitulé Ohm de leur EP éponyme alors qu’il passait dans l’émission Tokyo Moon de Toshio Matsuura sur la radio InterFM. L’émission passe le dimanche soir de 17h à 18h et on est très souvent en déplacement en voiture à cette heure là ce qui fait que je l’écoute régulièrement mais rarement en intégralité. Tokyo Moon se présente comme un programme musical pour adultes curieux. Cette définition est en fait assez fidèle au ton de l’émission qui ne plaisante pas mais nous fait découvrir plein de nouvelles musiques aux styles divers et variés, mais avec une tendance jazz et ambient quand même assez présente. La musique qu’on y passe ne me laisse presque jamais indifférent même si je ne me retrouve que rarement à acheter la musique que j’y entends. A part cet EP de Been Stellar qui me plait tout de suite et que j’achète très rapidement sur iTunes. Il est également disponible sur Bandcamp et je me demande maintenant pourquoi je ne me le suis pas procuré sur Bandcamp. Il s’agit de rock alternatif sur cinq morceaux tous aussi bons les uns que les autres. Le son rock n’est pas vraiment novateur mais les guitares patfois plaintives sont très attirantes et la passion vocale très convaincante. Je n’arrive pas à vraiment pointer du doigt quels groupes cette musique me rappelle. En fait, je n’ai trouvé que peu d’information sur le groupe en lui-même à part une interview, nous rappelant notamment que le rock a été longtemps absent de la scène new-yorkaise depuis The Strokes et leur fameux album Is This It?, que j’avais personnellement beaucoup aimé et écouté à l’époque au début des années 2000 et qui me rappelle l’époque insouciante de ma jeunesse où on faisait souvent des Homeparty avec plein de monde chez les uns et les autres. S’il y a quelque chose que j’apprécie beaucoup au Japon musicalement, c’est le fait que le rock indé y est loin d’être mort ou moribond. Been Stellar est un groupe de Brooklyn composé de cinq membres: Sam Slocum au chant, Skyler St. Marx et Nando Dale aux guitares, Nico Brunstein à la basse et Laila Wayans (la seule fille du groupe) à la batterie. Ils définissent leur son comme étant quelque part entre Sonic Youth et Oasis, ce qui est vraiment très large comme spectre musical rock. Le son des guitares, notamment les courtes parties solo, et cette passion vocale dont je parlais plus haut me rappelle parfois un autre groupe new-yorkais, Interpol, même si rien n’égale la voix toute en complainte de Paul Banks (Turn On The Bright Lights sorti en 2002 est un chef-d’oeuvre). Enfin bref, écouter cet EP me rappelle que le rock new-yorkais me manque beaucoup et j’aimerais découvrir d’autres EPs et albums de ce style, surtout quand ils sont aussi bons que cet EP de Been Stellar.

Mokuzai Kaikan

J’ai déjà montré dans un billet précédent des photographies du parc de Yumenoshima (l‘île des rêves) mais j’allais presque oublier de montrer des photos du building que j’étais avant tout venu voir lors de ce passage à Shin-Kiba, il y a quelques semaines. Il s’agit du Mokuzai Kaikan par Tomohiko Yamanashi et Takeyuki Katsuya de Nikken Sekkei. Il s’agit des bureaux de l’association des grossistes en bois. Le concept du building est de montrer l’attrait de l’utilisation du bois en architecture, comme Kengo Kuma le fait également très bien. L’alliance du béton brut avec l’agencement apparemment aléatoire des éléments de bois rend l’ensemble très élégant. J’aurais aimé voir ici un building de plusieurs étages entièrement construit en bois, comme celui novateur installé à Oiso dans la préfecture de Kanagawa, mais celui-ci a tout de même un design de façade très intéressant. Je ne suis pas sûr qu’on puisse se déplacer librement à l’intérieur, mais j’y suis allé un dimanche et le hall d’entrée était de toute façon fermé. Comme le nom le suggère, les zones de Kiba et Shin-Kiba sont historiquement liées à l’industrie du bois de construction. Kiba était devenu le centre principal pour cette industrie dès 1657 suite à une décision du shogunat Tokugawa. Shin-Kiba est une zone gagnée sur la baie qui a ensuite été utilisée par cette industrie du bois de construction à partir des années 1970, en remplacement de Kiba. Et pour en savoir un peu plus sur ce building, je laisse un lien vers un article de The Architectural Review.