depuis la route sinueuse menant à Naritasan (1)

Ces photographies datent du tout début du mois d’Août. Je pense que tous les ans en été, je prends beaucoup de retard pour montrer sur Made in Tokyo toutes les photos que j’ai pris, au point où j’en oublierais presque de les montrer. J’ai tout de même la discipline personnelle de travailler et de sélectionner mes photographies peu de temps après les avoir prises, ce qui me permet de tout de même de garder le fil. Nous sommes ici au grand ensemble de temples Naritasan Shinshōji (成田山新勝寺) dans la préfecture de Chiba. Naritasan est situé à une vingtaine de kilomètres de l’aéroport international de Narita. Nous avons souvent parlé d’aller voir ce temple, qui compte parmi les plus important de la région du Kanto, mais c’était en fait la première que nous nous y rendions. Je ne pensais pas trouver près du temple une rue en partie préservée. Naritasan est un temple bouddhiste de la branche Shingon, fondé en l’an 940. Le restaurant d’anguille grillée (うなぎ) nommé Kawatoyo (川豊) dans lequel nous avons déjeuné n’est pas aussi ancien que le temple de Narita, mais a tout de même plus de 100 ans, puisqu’il a ouvert ses portes en 1910. Il s’agit du plus d’ancien restaurant d’unagi de la ville. Les anguilles qui sont une spécialité de Narita sont attrapées dans le lac Inbanuma et dans les rivières proches de Tone et Naganuma. On s’assoit au deuxième étage du restaurant sur le tatami sur lequel est posé des tables basses. Les clients sont nombreux mais le service est bien huilé. Les touristes y affluent. L’endroit doit être noté dans les guides. Nous serons un peu plus tranquille à l’étage, d’autant plus qu’on y a une vue sur la rue zigzaguante menant à la grande porte d’entrée de Naritasan. Assis sur le tatami, nous sommes à l’abri de la lumière forte du plein été. Lorsque j’habitais en France, Unagi (うなぎ) était pour moi avant tout un film de Shōhei Imamura (今村昌平) primé de la palme d’or ex-æquo au Festival de Cannes de 1997. Je n’ai pas vu le film mais il m’a pourtant beaucoup marqué. Comment est ce possible? Certains films laissent des traces dans notre imaginaire avant même qu’on les voit et on a même peur de les voir par crainte de ne pas y trouver ce qu’on y recherche. Il faudra quand même que je rattrape le coup très vite en le regardant. Unagi est maintenant ce repas délicieux dont on raffole mais qu’on ne se permet que de temps en temps. C’est également le plat qui a certainement le plus mauvais rapport prix et durée de dégustation, car il nous faut seulement quelques minutes pour terminer notre bento que nous avons pourtant attendu pendant plus dizaines de minutes. Le ventre plein, on pourrait très facilement s’endormir sur les petits coussins posés sur le tatami, mais il ne faut pas qu’on oublie la raison pour laquelle nous sommes venu jusqu’ici. Une fois franchi la grande porte de Naritasan, nous progressons doucement en recherchant les points d’ombre.

along those lines

Cette série de photographies a été prise au milieu de l’été à proximité de la baie de Tokyo. Je me déplace souvent avec mon vélo fixie en ce moment, et cette fois-ci était jusqu’à la station d’Hamamatsuchō. Depuis la station, on peut parcourir à pieds une longue passerelle surélevée qui nous m’amène jusqu’au port de Takeshiba. De ce point là, on peut prendre le bateau jusqu’au îles d’Izu, entre autres. Je n’irais pas jusque là même si ça serait tentant de retourner vers l’île Shikinejima que j’avais découvert il y a 25 ans avec un groupe d’amis. Shikinejima est une petite île dont on a vite fait le tour. Il me semble que la traversée en bateau prenait environ huit heures. Depuis la passerelle tout près de la station d’Hamamatsuchō, on aperçoit le jardin de Kyū Shiba Rikyū (旧芝離宮恩賜庭園) que je n’ai pas encore visité. En 1678, le site où se trouve le parc était utilisé pour la résidence de samouraï de Ōkubo Tadamoto, fonctionnaire du shogunat Tokugawa à la période Edo. La résidence et son jardin ont changé plusieurs fois de mains pour ensuite devenir propriété impériale. Le site fut grandement détruit par le grand tremblement de terre de 1923, puis les jardins furent remis en état et ouvert plus tard au public. Sur le chemin du retour, j’aperçois un petit festival dans la rue commerciale de Shirogane, ce qui me donne l’occasion de m’arrêter quelques instants.

Je suis tout juste de retour de Hong Kong pour un séjour non touristique qui ne m’a pas laissé beaucoup de temps pour divaguer dans les rues de Hong Kong. Notre unique séjour touristique à Hong Kong date de 2005, mais j’y suis allé de nombreuses fois depuis. Je pensais trouver un peu de temps dans l’avion ou dans mon hôtel pour écrire tous les textes en retard de mes billets de blog, mais je n’ai finalement pas écrit un seul mot. J’ai préféré regarder des films, notamment les fabuleux Furiosa de George Miller, de la série Mad Max, avec Anya Taylor-Joy dans le rôle titre, puis la deuxième partie de Dune de Dénis Villeneuve avec Timothée Chalamet et Zendaya, entre autres. Ces deux films matérialisent à l’écran des univers et esthétiques tout à fait spécifiques. Je vois là deux monuments cinématographiques qui resteront dans ma mémoire. Je trouve qu’ils se ressemblent même un peu en certains points.

Musicalement, je suis subjugué par la beauté du nouveau single de FKA twigs intitulé Eusexua, qui sera présent sur son prochain album du même nom. Je pensais avoir perdu le fil des créations musicales de FKA Twigs depuis son deuxième album Magdalene sorti en 2019, mais en fait pas vraiment, car elle n’a pas sorti de nouvel album studio depuis celui-ci. Eusexua sera donc son troisième album. Le premier single Eusexua laisse en tout cas présager le meilleur. C’est un morceau en suspension comme elle arrive tellement bien à le faire, plein d’une délicate émotion palpable comme si elle était à fleur de peau. Tiens j’utilisais cette même expression sur mon billet au sujet du concert d’Haru Nemuri et elle poste justement un extrait d’Eusexua sur son compte Instagram, comme quoi Haru doit apprécier la musique de FKA Twigs. Bien que leurs styles soient très différents, j’ai le même sentiment que ces deux artistes ne trichent pas avec le profond intérieur qu’elles semblent exprimer sans filtres.

美しく戦いましょう

Il faut se battre contre les chaleurs du mois de Septembre comme on le faisait au mois d’Août. Mon envie de marcher s’érode avec les degrés dépassant les normales saisonnières. Je prends donc moins de photos en ce moment et c’est une bonne chose car j’ai un peu de mal à tenir le rythme au niveau de l’écriture. Je manque parfois de courage pour me lancer dans l’écriture de certains billets, quand je sais à l’avance qu’ils vont être longs à écrire. Je suis loin de regretter de les avoir écrit une fois qu’ils sont terminés, mais c’est ce genre de longue écriture consommatrice en temps qui me font poser une fois de plus des questions sur l’utilité et la finalité de ce blog.

Je connaissais la jeune compositrice et interprète Toaka (十明) pour son chant remarquable sur le single Suzume (すずめ) de RADWIMPS pour le film d’animation Suzume (すずめの戸締まり) réalisé par Makoto Shinkai. Ce morceau avait eu beaucoup de succès et l’avait tout de suite fait connaître du grand public. Je n’avais pourtant pas suivi son actualité jusqu’à ce que son nom me revienne en tête récemment car la photographe Mana Hiraki (平木希奈) a réalisé la couverture de son dernier single intitulé Dancing on the Miror, sorti le 30 Juillet 2024. Ce n’est pas la première fois que je découvre une nouvelle ou un nouveau artiste par l’intermédiaire de cette photographe, qui est donc pour moi une très bonne source d’inspiration. Dans la foulée de ce dernier single, je me lance dans l’écoute de son excellent EP Boku Dake no Ai (僕だけの愛) composé de cinq titres. Sur le morceau Cinder ella (灰かぶり), j’adore sa voix, assez exceptionnelle il faut bien le dire, pleine de nuances qu’elle maîtrise à la perfection jusqu’aux soupirs entre certaines paroles. Elle a une voix puissante et expressive qui en impose, comme si elle prenait le dessus sur les mots qu’elle prononce. J’ai commencé l’écoute de cet EP par le dernier morceau intitulé Sanagi (蛹) qui a la composition la plus atypique. Ce genre de morceaux m’attirent particulièrement. J’aime aussi beaucoup la manière dont l’atmosphère musicale varie au fur et à mesure des morceaux. Le morceau titre Boku Dake no Ai (僕だけの愛) évolue par exemple sur un rythme folk à la guitare sèche pendant sa majeure partie, mais décolle tout d’un coup sur des hauteurs inattendues. La voix de Toaka lui permet tout à fait ce genre d’envolées et c’est un plaisir de se laisser guider par son chant. Ses morceaux ont pour la plupart une densité et une tension pop qui nous accrochent immédiatement et cette composition musicale clairement axée pop possède une inventivité certaine. Sur son dernier single New Area on dirait qu’elle chante comme elle mènerait une bataille, tant elle transmet de la force à chaque mot qu’elle prononce. Et cette bataille vocale est menée avec beaucoup d’élégance.

美しく戦いましょう。Let’s fight gracefully.

un été sur la péninsule de Kii (8 et fin)

Pendant toute notre visite du temple Hōryūji (法隆寺), nous recherchons les points d’ombre sous les porches car le soleil tape fort. Les chaleurs nous avaient relativement préservé pendant tout notre séjour sur la péninsule de Kii sauf pour cette dernière journée à Nara. Après les deux heures de visite avec notre guide, nous n’aurons malheureusement pas le courage de visiter la partie Est du complexe. Ce n’est qu’un petit regret car la partie la plus intéressante reste l’enceinte Ouest que nous venons de visiter. Pendant notre visite, il s’est produit un petit événement inhabituel. Une des branches du grand pin planté à proximité de la pagode à cinq étages s’est soudainement brisée. Aux dires de notre guide, il s’agit d’un fait relativement rare, qui semblait beaucoup étonné le personnel du temple. La branche a été vite débarrassée. Nous étions assez tranquille pendant notre visite, car il n’y avait pas foule dans l’enceinte Ouest. Ça m’a étonné vu l’importance historique d’Hōryūji, mais il est vrai que ce temple est excentré par rapport au grand parc de Nara qui reste l’attraction touristique principale de la ville. J’aurais voulu y aller, ne serait ce que pour vérifier que les daims ne sont pas malmenés par les touristes, mais le temps nous manquera. La chaleur ambiante nous pousse plutôt vers une petite pâtisserie japonaise proposant de la glace pilée Kakigōri (かき氷). Nous avons trouvé une très bonne adresse, Nara Shogaku (奈良祥樂 法隆寺本店), car la glace pilée à la pêche était un véritable bonheur. Il faut dire que la glace pilée est une spécialité de Nara. On y trouve même un sanctuaire en son honneur, le sanctuaire d’Himuro (氷室神社). Nous n’aurons malheureusement pas le temps d’y aller. Un autre grand regret est de ne pas avoir visité le Mont Koya. Il nous aurait facilement fallu une journée de plus, et ce sera donc pour une prochaine fois car l’heure du retour se fait proche. Nous passerons tout de même rapidement à l’emplacement de l’ancien grand palais impérial de Nara Heijokyu (平城宮跡). Le parc est immense et certains des bâtiments du palais ont été reconstruits récemment. Je ne sais pas si l’intention est de reconstituer le palais dans son intégralité mais on peut déjà compter trois bâtiments reconstruits dont la grande porte Suzakumon que je montre en photo ci-dessus. Avec ces magnifiques images de Nara et de la péninsule de Kii en tête, nous reprenons la route du retour vers Tokyo. Nous voyagerons pendant presque six heures sans encombres malgré quelques ralentissements attendus sur l’autoroute Ise-Wagan au niveau de Nagoya. Il fait déjà nuit alors que nous parcourons les montagnes sur l’autoroute Shin-Tomei, et nous arrivons à Tokyo vers 23h après plusieurs pauses. Notre périple nous aura fait traverser ou visiter 8 préfectures (Kanagawa, Shizuoka, Aichi, Mie, Wakayama, Nara, Osaka et Shiga), si je ne trompe pas, certaines d’entre elles étant relativement difficiles à visiter sans voiture. Malgré cela, j’espère que cette petite série photographique en huit épisodes à propos d’un été sur la péninsule de Kii aura donné quelques idées aux visiteurs de Made in Tokyo.

un été sur la péninsule de Kii (7)

Notre visite des temples de Hōryūji (法隆寺) à Nara démarre assez tôt le matin, car nous le visitons en groupe accompagné d’un guide attaché à l’hotel où nous avons passé la nuit. Le thème de la visite guidée change tous les deux mois, et notre visite se concentre sur les bases du temple bouddhiste que l’on peut apprendre grâce aux temples d’Hōryūji (法隆寺で学ぶお寺のイロハ). Le terme Iroha (イロハ) signifie le début ou la base des choses, mais il s’agit surtout des trois premiers kana du poème Iroha-uta (いろは歌) attribué au moine et savant bouddhiste Kūkai (空海). Ce poème a la particularité d’être un pangramme, c’est à dire une phrase comprenant toutes les lettres de l’alphabet. Dans le cas présent, Iroha-uta contient les 47 caractères kana et chaque caractère n’est utilisé qu’une seule fois. A travers ce thème, notre guide nous fait comprendre qu’il ne nous expliquera pas les temples d’Hōryūji dans leurs moindres détails mais nous fera part de nombreuses anecdotes parfois amusantes de la vie quotidienne Japonaise à partir d’une explication de certains lieux et statues des temples d’Hōryūji.

Sous une chaleur difficile à soutenir, il faut bien le dire, nous visitons donc ce haut lieu du bouddhisme japonais. Le temple Hōryūji a été fondé en l’an 607 par le Prince Shōtoku (聖徳太子), qui œuvra à la promotion du bouddhisme au Japon. Il contient les plus anciennes structures en bois du pays qui ont été inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ces structures se trouve dans l’enceinte Ouest du temple que l’on appelle Saiin Garan (西院伽藍). A l’intérieur de l’enceinte couverte d’une arcade en bois, on découvre ces trois structures: la porte centrale (Chumon 中門), le hall principal (Kondo 金堂) et une superbe pagode de cinq étages. Ces structures ont été construites à l’épique Asuka (538-710) et n’ont subi aucune destruction, malgré quelques rénovations au fur et à mesure des années. Notre guide nous explique par exemple que des dragons ont été ajoutés sur certains piliers du hall central. Ces bâtiments sont à la fois impressionnants et fascinants. Ils sont connus de tous les japonais car le temple Hōryūji est présent dans les manuels scolaires pour son importance historique. Ce hall contient quelques unes des plus anciennes statues de Bouddha du Japon, ayant survécues depuis l’ère Asuka. On peut les voir en faisant le tour de l’intérieur du grand hall.