memory leak

Juste à côté de Sekiguchi Bashoan (関口芭蕉庵), l’ancienne maison du poète haïku Matsuo Bashō (松尾芭蕉) que je montrais dans un billet récent, se trouvent les jardins d’Higo Hosokawa (肥後細川庭園). Ces lieux étaient la résidence secondaire du clan Hosokawa, seigneurs du domaine de Kumamoto pendant la période Edo, ensuite devenus la résidence principale de la famille Hosokawa. Ces jardins ouverts au public prenaient auparavant le nom de Parc Shin-Edogawa (新江戸川区公園) mais ils ont été renommés en 2017 suite à d’importants travaux de rénovation. Les jardins sont particulièrement agréables, notamment par le dénivelé qui donne une belle vue d’ensemble du domaine. On peut accéder par l’arrière des jardins à un musée appelé Eisei Bunko (永青文庫) qui regroupe des œuvres d’art de la famille Hosokawa. La porte de pierre ronde permettant le passage des jardins vers le musée est étonnante, comme si elle nous permettait de remonter dans le temps et dans les mémoires.

Les esprits les plus attentifs se souviendront peut-être de mon évocation passionnée de la musique de l’artiste Tomo Akikawabaya sur une compilation sortie en 2016 intitulée The Invitation of the Dead qui regroupait des EPs de l’artiste sortis dans les années 1980. J’avais été complètement fasciné par cette musique obscure et étrange. Lorsque l’artiste annonça la sortie d’un deuxième album intitulé The Castle II regroupant d’autres de ses créations datant de ces mêmes années 1980, je n’avais pu m’empêcher de mentionner mon enthousiasme sur un des billets de son compte Instagram. Cet album The Castle II a une ambiance tellement unique qu’il en est inclassable. L’artiste, de son vrai nom Tomoyasu Hayakawa, m’avait contacté peu de temps après en message privé pour me faire part qu’il avait parcouru Made in Tokyo et apprécié les photographies et les textes que j’avais écrit au sujet de sa musique. Une conversation, certes discontinue, s’est instauré entre nous car il a des liens avec d’autres artistes que j’apprécie, du label Flau notamment. Il me recommande récemment la musique de Caterina Barbieri, artiste électronique italienne basée à Berlin, qui doit d’ailleurs passer prochainement à Tokyo pour une performance organisée par Mutek Japan. J’apprends également qu’elle sera la future directrice artistique musicale de la Biennale de Venise pour les deux années 2025-2026. Tout ceci m’intéresse beaucoup et je me plonge dans l’album Ecstatic Computation que Caterina Barbieri a réédité en 2023 sur son label Light Years. L’album est disponible sur Bandcamp tout comme son suivant intitulé Myuthafoo que je découvre juste après. J’ai été tout de suite très impressionné par l’atmosphère profonde et hypnotique qu’elle crée. J’y ressens une sorte d’instabilité qu’elle arrive à contrôler et, en même temps, à laisser aller comme si la machine avait également son mot à dire dans ses compositions. J’y ressens une harmonie subtile et éphémère qui apparaît pendant les morceaux qui se finissent parfois en crash. Cette musique est dense et complexe mais démarre souvent sur des motifs simples qui se mélangent ensuite pour créer des méandres dans notre cerveau. Cette musique a une très grande force d’évocation notamment le morceau Myuthafoo de l’album du même nom, qui a une profondeur qui me laisse sans voix. Le morceau Fantas long de plus de 10 mins démarrant l’album Ecstatic Computation est également assez fantastique dans sa composition. C’est le genre de morceau qu’on écoute sans bouger, comme si on était paralysé par cette atmosphère musicale et l’émotion forte qui s’en dégage. Le pouvoir d’évocation de cette musique est même parfois tellement puissante qu’elle pousse vers une introspection vers laquelle on ne souhaite pas toujours allé. Ce n’est clairement pas une musique inoffensive.

Je continue mes expériences d’utilisation de ChatGpt en le questionnant cette fois-ci sur moi-même. Si les versions précédentes de l’outil ne reconnaissait heureusement pas mon nom, celle actuelle semble avoir beaucoup d’informations à mon sujet, qui sont, il faut bien le dire, en grande partie fausses. Ça démarre pourtant à peu près bien car l’outil arrive à mettre un lien entre mon nom et le blog Made in Tokyo et parvient à en comprendre les thèmes principaux. Ma présence internet est presque entièrement sur ce blog, donc le fait qu’il l’évoque n’est pas du tout étonnant. Mais ChatGpt s’emballe en mentionnant de nombreuses activités qui me sont complètement étrangères, comme la tenue de conférences et d’ateliers, l’écriture de livres et d’articles dans des magazines. Ce qui est vraiment fascinant est que l’outil donne des informations qui semblent très précises avec des noms de lieux, d’editions, de magazines connus avec des dates. Cette fois-ci, je ne l’ai pas poussé dans ses contradictions car la tâche paraissait trop grande, mais cet outil me paraît en fait dangereux.

Après avoir lu toutes ces « informations » énoncées avec un certain aplomb, on en viendrait presque à douter de soi-même, comme si cette version de ma vie était celle que j’aurais dû avoir. C’est comme si l’outil déduisait automatiquement que la masse d’information que j’écris sur Tokyo et son architecture voulait forcément dire que je l’ai exposé dans des conférences et des ateliers, et non « gratuitement » dans un blog. On pourrait presque se convaincre d’avoir fait toutes ces choses, et d’avoir en quelque sorte perdu la memoire. Je me demande quels sont les gardes-fous pour ce genre de choses. J’ai essayé des questions similaires sur Gemini, l’outil AI de Google, et il est heureusement beaucoup plus mesuré dans ses réponses en rappelant régulièrement qu’une recherche directe sur internet permet d’avoir des informations plus précises. Parmi les réponses de ChatGpt, j’ai cherché à savoir si les livres mentionnés existaient bien aux éditions données, en pensant que mon nom y avait été associé par erreur, mais je n’en ai trouvé aucune trace. ChatGpt invente donc toutes ces fausses informations. Je n’ai pas essayé Grok, l’outil AI de la plateforme X, car je n’y ai pas accès. Je ne publie de toute façon plus beaucoup sur X Twitter. Il y a quelques jours, mon article sur le building Arimaston avait reçu beaucoup de visites depuis Twitter, car une ou deux personnes avaient posté un lien vers mon article dans les réponses à un Tweet au sujet de cette maison publié par un autre français à Tokyo. En lisant les réponses souvent violentes au Tweet en question, on peut se demander si le monde n’est pas devenu fou (plusieurs personnes clament qu’il faut tout simplement raser cette maison). La leçon de l’histoire est qu’il ne faut jamais lire les réponses aux Tweets sous peine d’entrer dans un tourbillon de violence verbale qu’on ne préférait pas voir. Je me dis que ce blog est un petit havre de paix et j’espère qu’il le restera ainsi.

6 commentaires

  1. Bonjour M. l’acteur clé de la diffusion de la culture japonaise !
    elle est sympa la vie imaginaire de Frédéric Gautron made in ChatGPT. Dans cette vie imaginaire, on a probablement passé une soirée ensemble après ta conférence de 2019 à la MCJP (où je prends mes cours de japonais depuis 2015). Quoique même pas sûr, j’ai commencé à suivre ton blog courant 2019, donc si la conférence a eu lieu début 2019, on ne se connaissait pas encore. Mais ce n’est pas très grave, cette conférence ne regarde que ChatGPT.
    Je dois reconnaitre qu’à part une exception, je n’ai jamais été troublé par l’atmosphère pleine de bienveillance qui règne sur Made in Tokyo, et ça participe à y trouver refuge.

  2. Salut Nicolas, oui, inquiétant quand même ce ChatGpt. Il nous apprendra peut-être qu’on se connaissait en fait sans le savoir. Je suis le compte Twitter de MCJP depuis un moment et je ne pense pas avoir été informé de ma conférence. C’est peut-être la raison pour laquelle elle n’a pas eu lieu, on a certainement oublié de m’informer Ahahah. Bon, tu vois, je fais aussi mes propres expérimentations avec l’IA, tout ça pour essayer d’avoir un point de vue sur le sujet, qui n’est pas très bon pour ke moment, il faut bien le dire. Bon, les informations bien qu’étant fausses ne sont pas négatives, c’est déjà ça, mais imaginons que ça soit le contraire … Rien ne dit en tout cas que les mêmes questions donneront les mêmes réponses.

  3. c’est vrai ! Quand ChatGPT prendra conscience de ton billet et de cette discussion, il devrait s’améliorer et quelque part dans la base de donnée la case « maitre de conférence à la MCJP » sera décochée. Par contre, à force de faire ces tests qui mettent à défaut ChatGPT, tu finiras par être blacklisté ou catégorisé…on ne soupçonne pas les profils qu’on nous crée dans le dos. Une fois, j’ai découvert dans un magasin parisien très connu que sur le fichier client (normalement inaccessible de la clientèle) il m’avait été mis la caractéristique de « curieux ». J’ai pu m’en apercevoir alors que le vendeur s’était absenté pour régler un problème et avait laissé son ordinateur à la vue de tous, ma page de client affichée sous mes yeux…

  4. Salut Nicolas, le mot curieux est intriguant car ça peut tout aussi bien dire curieux dans le sens « étrange » que curieux dans le sens intéressé par diverses choses. Dans tous les cas, ça veut dire que tu passes certainement beaucoup de temps à poser des questions aux vendeurs ! Il ne t’avait pas demander de mettre à jour ta fiche pendant qu’il était absent ? Ahahah. Et pour ChatGpt, il s’agit volontairement d’images que j’ai mis dans ce billet donc je ne pense pas que l’IA vienne scanner pour sa base de données. Je ne voulais pas contribuer à confirmer des fausses informations en les publiant en textes sur ce billet.

  5. salut Frédéric, je t’invite à refaire ce test dans quelques mois pour voir comment évoluent les réponses aux mêmes questions. Décidément, ce site devient un lien de croisement des expérimentations sur l’IA / l’homme !

  6. Salut Nicolas, ah ah, tu ne crois pas si bien dire. Je viens de réessayer pour faire le curieux avec exactement la même question de départ et je suis retombé dans l’anonymat le plus complet. Il ne reconnait pas mon nom même si je précise que j’habite à Tokyo. Il faut finalement indiquer que je tiens ce blog Made in Tokyo pour qu’il finisse par faire un rapprochement et me sortir quelques informations, mais qui n’ont absolument rien à voir avec tout ce qui est indiqué ci-dessus. Ça me rassure tout de même, mais tout ça me fait dire que l’IA est très instable, et que d’un moment à l’autre on aura des réponses complètement différentes aux mêmes questions. Ça me confronte en effet dans une impression que j’avais déjà.

Laisser un commentaire