dans les lumières photographiques de la brume aux coraux

La grande porte rouge du sanctuaire de Shitaya (下谷神社) a comme particularité sa taille qui remplit pleinement l’espace entre les rangées de bâtiments délimitant la rue. Ce n’est pas la première fois que je passe devant et pénètre à l’intérieur de ce sanctuaire mais j’y suis arrivé tout à fait par hasard, comme d’ailleurs la première fois que j’y suis venu. Il faut croire que ce sanctuaire m’attire inlassablement. Il se trouve à un peu plus de cinq minutes de la gare d’Ueno. Je n’avais pas emprunté depuis très longtemps la grande passerelle piétonne qui enjambe l’avenue Showa et donne accès à la station. Je comptais prendre le train depuis la gare d’Ueno, mais je préfère finalement entrer dans le parc pour en sortir un peu plus loin sous le regard de la statue de Takamori Saigō (西郷隆盛). Je marche ensuite le long de la longue avenue de Chuo en direction d’Akihabara, mais je m’arrêterais à Suehirochō (末広町). Le long de cette avenue, nous connaissons bien la pâtisserie japonaise Usagiya (うさぎ屋) qui vend tout simplement les meilleurs dorayaki de Tokyo. En voyant deux passants prendre la pâtisserie en photo, je n’ai pas pu m’empêcher de les prendre moi-même en photo.

La photographe et vidéaste Mana Hiraki (平木希奈), aka Cabosu Lady, expose du 20 Février au 3 Mars 2025 une série de photographies dans la galerie et café 229 situé près de la station d’Okachimachi. J’y suis allé le Dimanche 23 Février en fin d’après-midi car je savais qu’elle y serait à priori présente. Je n’avais pas pu voir sa précédente exposition intitulée Wave? en Mai 2023 à Jingūmae et je me suis donc rattrapé cette fois-ci. Je parle assez régulièrement de cette artiste sur ces pages, car j’aime beaucoup son style onirique qui s’accorde toujours très bien avec la musique des artistes qu’elle accompagne visuellement. Son monde unique vient même transcender ces musiques. Mana Hiraki photographie beaucoup d’artistes musicaux, et je l’avais d’abord découverte par les photographies qu’elle avait prise pour Samayuzame, notamment sur son album Plantoid. Elle avait aussi pris en photo Miyuna (みゆな) en kimono dans une superbe série qui m’avait rappelé les fameuses photographies de Sheena Ringo montrées sur le magazine GB de Mars et Avril 2003 à l’occasion de la sortie de son troisième album KSK. J’avais par la même occasion remarqué que Mana Hiraki devait aimer la musique de Sheena Ringo car elle montrait régulièrement des liens vers ses albums dans ses stories sur Instagram. Au fur et à mesure de ses nouvelles photographies et vidéos, j’ai également découvert de nouveaux artistes que je ne connaissais souvent que de nom sans pourtant connaître leurs musiques. C’était le cas notamment d’Ohzora Kimishima (君島大空), Toaka (十明), Nagisa Kuroki (黒木渚), Kiwako Ashimine (安次嶺希和子), entre autres. Je suis toujours très reconnaissant quand on me fait découvrir de nouvelles belles choses. En plus de voir ses nouvelles photographies qui sont belles et inspirantes, je voulais lui parler de tout cela si l’occasion se présentait. La galerie 229 se trouve dans une petite rue qui est relativement large. Une petite pancarte avec le nom du café et de l’exposition Katami Hakka (筐はっか) posée sur le trottoir m’indique que je suis bien arrivé à destination. Le rez-de-chaussée est un café avec un comptoir et quelques tables. Une étagère propose des livres de photographies à la vente et je vois tout de suite une pile de livrets de photographies de Mana Hiraki directement liés à cette exposition qui se déroule au sous-sol. Un étroit escalier de béton nous y donne accès. La salle unique d’exposition est très sombre et la série de photographies est retro-éclairée. Ce sont des photographies inédites. Je ne les connais pas bien sûr, sauf celle utilisée pour illustrer l’exposition. Quelques dizaines de secondes plus tard, une personne en robe noire entre dans cette même pièce sombre. Je me demande d’abord s’il s’agit d’une autre personne venue visiter la galerie, mais comme elle se tient immobile au fond de la pièce, je comprends très vite qu’il s’agit de la photographe. J’étais en fait passé devant elle dans le café du rez-de-chaussée sans la reconnaître. Je lui demande si elle est bien Mana Hiraki et elle me répond positivement. Ce qui m’étonne, c’est qu’elle me demande immédiatement si je suis la personne sur Instagram avec un nom commençant par fga… Elle se souvenait également du fait que je n’avais pas pu venir à sa première exposition et que j’en avais parlé sur mon blog. Elle avait lu mon billet en français avec un traducteur, car même si elle m’avait répondu en français sur Twitter suite à ce billet, elle me confirme qu’elle ne parle pas la langue. Elle se souvient également que je suis fan de Sheena Ringo et confirme que c’est aussi son cas. Tout en regardant ses photographies, nous discutons des artistes qu’elle a couvert, ce qui est l’occasion pour moi de la remercier pour les nombreuses découvertes musicales. Je lui souhaite bien sûr de pouvoir prendre Sheena Ringo en photo dans un futur proche. Elle prendra peut-être en photo AiNA The End en photo avant Ringo car elle m’indique qu’elles sont amies. Elle me confirme également que Samayuzame est fan de Sheena Ringo, ce dont je me doutais déjà très fortement.

En regardant les photographies de Mana Hiraki, je ressens toujours une impression maritime et elle me confirme cette proximité de l’océan dans ses œuvres car elle a vécu près de la mer dans des endroits que je connais également assez bien. Le petit livret de l’exposition indique que son titre s’inspire du phénomène du blanchissement des coraux qui se produit lorsque des événements perturbateurs tel que la montée des températures viennent provoquer une rupture de la relation symbiotique. Il y a un parallèle entre les relations délicates des coraux avec leur environnement naturel et celles des humains dans le monde qui les entoure. Les visions de la photographe nous montrent des mondes fantastiques, proches du rêve éveillé, qui sont renforcés par les lumières jaillissant des photographies dans la pièce sombre. J’y ressens toujours une proximité avec le mouvement musical Shoegaze dont je parle souvent sur ces pages, car il y a une même approche onirique où les choses ne sont pas immédiatement évidentes. Je lui fait part de cette impression et elle me confirme apprécier ce mouvement musical qui doit certainement l’influencer, même indirectement. Ses photographies sont intimes et proches de l’introspection. On se perd volontiers le regard dans ces images en imaginant une fin d’après-midi estivale sur les plages du Shonan. Elle est très active en ce moment car je vois des annonces régulières de nouvelles vidéos qu’elle a réalisé, la dernière en date étant pour le morceau Tasokare (たそかれ) de Kayoko Yoshizawa (吉澤嘉代子) tournée dans une maison d’époque qui m’a forcément rappelé celle de Hyakuiro Megane (百色眼鏡), surtout lorsqu’un des personnages regarde à travers une serrure au début. Parmi les vidéos que j’aime beaucoup, il y a celles de no aid(ea) de Samayuzame, 16:28 de Ohzora Kimishima, Kikikaikai (器器回回) de Nagisa Kuroki, entre autres et pour n’en citer que quelques unes. Elle m’indique qu’elle travaille sur une nouvelle vidéo qui sortira bientôt mais dont elle ne peut bien sûr pas en dire d’avantage. Il est maintenant temps de remonter à la surface. J’achète le petit livret de l’exposition et un café glacé (malgré le froid dehors, quelle idée) et la remercie une fois encore pour cette visite et discussion qui étaient bien agréables. En sortant du café, je remets les écouteurs en marchant jusqu’à la gare d’Ueno, en passant sans le vouloir à travers le sanctuaire Shitaya que je mentionnais plus haut. A l’aller, j’avais écouté l’album no public sounds de Ohzora Kimishima. Au retour, j’écoute Plantoid de Samayuzame, puis Kikikaikai (器器回回) de Nagisa Kuroki et finalement KSK (加爾基 精液 栗ノ花) de Sheena Ringo, pour en quelques sortes prolonger l’atmosphère de l’exposition.

dans le calme de Kuhonbutsu

Je retenais du temple Kuhonbutsu Jōshinji (九品仏浄真寺) une image de verdure abondante qui rendait l’endroit presque sauvage, mais en y revenant en hiver, je me suis bien évidemment rendu compte que l’abondance du vert était en pause saisonnière. J’aurais dû m’en douter, mais ça ne m’a pas empêché d’apprécier ces lieux. Malgré les saisons, on trouve des personnes assises sur les bancs à l’intérieur de l’enceinte du temple. L’abondance de personnes assises par deux comme dans un café pour discuter m’avait surpris la première fois. Il y avait cette fois-ci un groupe de photographes d’un certain âge. Je les suis avec un hall de retard. Un autre photographe avec appareil photo en bandoulière, indépendant au groupe, me suit également avec un hall de retard. Il y a plusieurs halls alignés contenant chacun des grandes statues bouddhistes avec d’étranges couleurs bleues vives. Ils me saluent de la main droite, je m’incline doucement en retour et je continue mon chemin vers le grand hall qui leur fait face. Je me procure le sceau goshuin du temple puis repars me perdre dans les rues des quartiers résidentiels vers la colline des libertés (Jiyugaoka), que je connais assez peu. Depuis la station de Jiyugaoka, je longe la voie ferrée qui m’amène jusqu’à Gakugei Daigaku. En chemin, on peut traverser le petit parc Himonya en très grande partie composé d’un étang avec une petite île sur laquelle a été déposé le sanctuaire Itsukushima. Je ne traverse pas le pont qui y mène mais j’aurais peut-être dû. J’ai eu un peu peur que traverser ce pont m’amène encore vers des histoires imaginaires.

En revenant ensuite vers Ebisu, les toilettes en béton conçues par le designer Masamichi Katayama (片山正通) et sa société Wonderwall me rappelle le film Perfect Days de Wim Wenders que j’ai vu pendant les premiers jours de cette année. Le film franco-allemand suit la vie routinière d’Hirayama, un nettoyeur de toilettes publiques, magnifiquement interprété par Kōji Yakusho (橋本広司), dans les quartiers de Shibuya-ku (où se trouvent toutes les toilettes d’architectes et designers reconnus). Aoi Yamada (アオイヤマダ) y joue également un petit rôle. Je n’étais pas surpris car je savais qu’elle y jouait. Un certain nombre de scènes du film se passent dans et près des toilettes conçues par Toyo Ito (伊東豊雄) à Yoyogi Hachiman. Après leur nettoyage, on imagine qu’Hirayama prend ses pauses déjeuner dans le parc du sanctuaire Yoyogi Hachimangu situé juste à côté. Hirayama a choisi une vie simple, ce qui fait réfléchir. Il prend tous les jours des photos argentiques de ce qui l’entoure et les classe dans une boîte en ne les regardant que très rapidement. Il a choisi une vie simple, mais est-ce que ça lui suffit pleinement?

Nous sommes ici dans d’autres lieux et un autre jour. Cette petite colline se trouve près d’Hachiōji. Il s’agit d’une ferme qui a eu l’idée de se diversifier et de créer un café en faut de ses terres. On peut voir les vaches et les chèvres puis boire un chocolat chaud dans la café. Ce café attire la jeunesse car de nombreuses choses y sont instagrammables. Ça me rappelle d’ailleurs que je n’ai pas publié de nouvelles photos sur Instagram depuis début Décembre 2024, même si j’avais matière pour le faire. Je n’ai pas publié de tweets sur X Twitter depuis Septembre 2024. Je me suis en quelques sortes un peu lassé des réseaux sociaux même si je continue à les parcourir régulièrement. Viendra peut-être un jour où je me lasserais de Made in Tokyo. Ce blog va bientôt atteindre les 2500 billets publiés, et je n’ose pas me demander combien de photos j’y ai montré et combien de mots j’y ai écrits. Je réfléchis en ce moment à changer le thème du blog car celui actuellement en place n’a pas changé depuis 2017, à part le titrage qui est plus récent. Je me dis à chaque fois que celui existant est plus simple et immédiat que tous les autres thèmes que j’ai pu essayer ces derniers mois.

it feels like becoming a part of the city in all its mesmerizing details and crushing massiveness

La pluie ne m’empêche pas toujours de partir marcher, ici jusqu’au sanctuaire Meiji Jingū. Lorsque j’entre dans la forêt qui entoure le sanctuaire après avoir traversé la première grande porte, je me demande à chaque fois si c’est correct d’écouter de la musique aux écouteurs tout en parcourant la grande allée de ce lieu sacré. Je me ravise rapidement en me disant que rien ne l’interdit, mais j’y repense à chaque fois. Je devrais peut-être poser les écouteurs un peu plus souvent afin de tout simplement apprécier les musiques de la rue, ce que je fais tout de même la plupart du temps en dehors de mes marches solitaires du week-end. La fresque bleue et jaune de la première photographie est de l’artiste de rue italien RAUL, à l’occasion d’une exposition qui a lieu en ce moment sur l’histoire du street art au Shibuya Stream Hall. L’exposition intitulée Stream of Banksy Effect – Street Art (R)Evolution (ストリートアートの進化と革命 展) se déroule du 22 Janvier au 23 Mars 2025, mais je ne suis pas encore allé la voir. En street art, une des plus belles expositions que j’ai pu voir est dans le musée dédié à Keith Haring à Kobuchizawa dans la préfecture de Yamanashi. En marchant du centre de Shibuya jusqu’au sanctuaire de Meiji Jingū, je passe volontairement devant le gymnase olympique de Kenzo Tange, qui est très beau sous la pluie quand ses parois courbes viennent réfléchir la lumière. En chemin également, j’aperçois régulièrement des images intéressantes sur l’écran géant Neo Shibuya TV du grand magasin MODI dans le centre de Shibuya. Du 27 Janvier au 2 Février 2025, on y montrait des mini-vidéos des œuvres de six artistes regroupés sous le nom Nostalgia Group Show. L’illustration ci-dessus est d’une artiste multimédia polonaise nommée Dead Seagull, mélangeant beauté et thèmes macabres. J’ai noté également une illustration de Dr.Capsoul s’inspirant librement des décors de Katsuhiro Otomo sur Akira.

De haut en bas: Des images extraites des vidéos des morceaux Last Live de Brandy Senki (ブランデー戦記), Drop de HANA, Hide your Navel d’acidclank et Marionnette de REIRIE.

Je parle assez régulièrement du groupe Brandy Senki (ブランデー戦記) car ils sortent des nouveaux singles de manière assez régulière, en prévision de leur premier album prévu un peu plus tard cette année. Pour leur dernier single Last Live, on retrouve avec bonheur ce mélange d’inspiration rock alternatif américain des années 90 et cette fraîcheur de la jeunesse japonaise actuelle. Écouter cette musique me ramène un peu vers mes vingt ans et cette nostalgie me donne un sentiment étrange car j’ai passé la plus grande partie de mes vingt ans au Japon mais j’ai écouté la grande majorité du rock alternatif américain que j’aime en France. Les morceaux de Brandy Senki viennent mélanger en moi ces deux types de nostalgie. Le morceau n’est pas aussi fort que Coming-of-age Story, mais j’adore la manière par laquelle il vient s’accélérer en deuxième partie. Dans un style Hip-hop, j’écoute ensuite le premier single intitulé Drop du groupe HANA composé de sept filles (Chika, Naoko, Jisoo, Yuri, Momoka, Koharu et Mahina). Il s’agit d’un groupe monté de toute pièce sur audition, mais qui a la particularité d’avoir été créé par Chanmina (ちゃんみなみ). Une émission télévisée montrait même les différents étapes dès la création du groupe, avec les étapes de sélection. Tout ceci peut paraître très artificiel mais il n’empêche que le résultat sur ce premier morceau est très bon. Je ne suis pas un amateur inconditionnel de Chanmina mais je garde une oreille ouverte à sa musique, depuis son single Biscuit dont je parlais il y a un peu plus d’un an. Dans un style totalement différent et pour revenir vers des sonorités plutôt orientées rock, je découvre deux très beaux morceaux d’acidclank, projet musical de Yota Mori. Ils s’intitulent Hide your Navel et Out of View sur son dernier album In Dissolve sorti le 5 Février 2025. Je ne connaissais pas cet artiste basé à Kamakura que je découvre grâce à la newsletter hebdomadaire du journaliste musical et culturel Patrick St Michel. Mes nouvelles découvertes musicales ne se font pas souvent à travers cette newsletter car ses recommandations sont souvent assez éloignées des styles que j’apprécie, mais j’y trouve tout de même de temps en temps quelques très belles choses comme cet album d’acidclank. Il faudra que je le découvre un peu plus en profondeur car j’aime beaucoup la voix apaisée du compositeur et interprète. Pour terminer cette petite sélection, je reviens encore une fois vers le duo REIRIE car elles viennent de sortir un EP intitulé Twinning Fate sur lequel on retrouve les morceaux Faint Light et RulerxRuler dont j’ai déjà parlé précédemment. J’y trouve un autre morceau intéressant, le deuxième du EP intitulé Marionnette. On revient ici vers la pop mais pas aussi dense que le morceau RulerxRuler qui jouait dans la démesure. Tout le EP ne me plait pas mais ce morceau ainsi que les deux autres déjà mentionnés et un autre intitulé Cherry me plaisent beaucoup.

une fin d’après-midi à Samukawa

Je voulais rendre visite au grand sanctuaire de Samukawa (寒川神社) depuis longtemps. J’ai toujours été un peu refroidi par son nom qui me donne à chaque l’image d’une rivière gelée dans laquelle il faudrait se débattre sans pouvoir en sortir. Cette image est certes un peu extrême et ne nous a pas empêché d’y aller en plein hiver. J’ai en fait été rassuré d’apprendre qu’il n’y avait pas de rivière appelée Samukawa à traverser avant d’atteindre le sanctuaire. Le sanctuaire de Samukawa est le plus important de l’ancienne province de Sagami et portait ainsi le titre d’Ichinomiya (一宮), qui correspond au plus haut rang des sanctuaires d’une province. Les origines du sanctuaire sont plutôt floues et les premières mentions de ce lieu apparaissent à la date de 846 dans le Shoku Nihon Kōki (続日本後紀), qui raconte l’histoire officielle du Japon. Une des raisons pour laquelle nous voulions visiter le sanctuaire de Samukawa en ce début d’année était de voir la structure lumineuse Nebuta empruntée à la préfecture d’Aomori. Depuis 2001, cette grande structure en papier illuminée est montrée sur la porte Shinmon (神門) du sanctuaire pendant la période allant du Nouvel An jusqu’au festival Setsubun ayant lieu en Février. Je n’avais jamais vu de décorations comparables sur un sanctuaire. À droite du hall principal du sanctuaire se trouve un étrange objet en forme de sphère métallique. Il s’agit d’une sphère armillaire, un ancien instrument d’observation astronomique modélisant la sphère céleste. On l’utilisait pour montrer le mouvement apparent des étoiles, du Soleil, en considérant la Terre comme le centre de l’Univers. Des dragons sont placés aux quatre coins de la sphère, suivant la légende selon laquelle les dragons soutiennent le ciel. Nous sommes arrivés au sanctuaire en fin d’après-midi et les lumières se sont allumées dès 16h, ce qui nous a permis d’apprécier la structure Nebuta illuminée.

En ordre d’apparition, Kushinada Hime (奇稲田姫), Nakisawa Megami (泣沢女神), Kukurihime no Mikoto (菊理媛命), Samukawahime no Mikoto (寒川比女命) et Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命). Les cinq images ci-dessus sont imaginaires et ont été créées par intelligence artificielle (IA). Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne seraient que pure coïncidence.

Pour confirmer ma première impression, il faisait en effet froid ce jour là à Samukawa. Il y avait une petite foule au sanctuaire, car il s’agissait d’un jour faste Taian (大安). J’aime bien regarder la foule tout en buvant tranquillement un verre d’amazake dans le froid. Il n’y a pas d’alcool dans l’amazake mais c’est parfois tout comme. Le goût légèrement acidulé est par contre inhabituel et deviendrait même addictif, même si ce n’est pas dans mon intention d’en boire plusieurs verres. On trouve un stand d’amazake dans le parc longeant le sanctuaire, près de la boutique de souvenirs et des petits restaurants yatai. Après avoir acheté un gobelet d’amazake chaud, je suis vite revenu dans la grande enceinte du sanctuaire, sur la place entre le hall et la grande porte Shinmon ornée de la structure de papier Nebuta. On est ici à l’abri du vent mais le froid y est tout de même hivernal.

A travers la grande porte du sanctuaire, apparaît soudainement une jeune fille aux cheveux d’or, portant un parasol pour se protéger des rayons du soleil. Elle est habillée d’une robe de froufrous noire et blanche assez ample, comme on peut en voir parfois dans les environs de la rue Takeshita à Harajuku. Sa coiffure avec des broches cubiques jaunes est très intriguante. Sa présence est en décalage avec la foule qui l’entoure, mais personne n’a l’air de la remarquer. Elle avance tranquillement, mais d’un pas assuré. Lorsqu’elle passe devant moi, elle a un sourire franc, un peu figé et détaché, qui donne l’impression qu’elle apprécie le moment présent sans se soucier des choses et des gens qui l’entourent. Elle s’approche ensuite du grand hall du sanctuaire pour effectuer une prière après avoir replié son parasol. Je l’observe dans ses mouvements lents et délicats. Elle se déplace ensuite vers un coin de la place interne au sanctuaire. Elle s’arrête soudainement, se retourne en regardant en direction de la porte Shinmon. Elle semble attendre quelqu’un en position immobile. Son visage innocent est rayonnant et la lumière du soleil vient faire briller ses cheveux d’or. Il est impossible de ne pas la remarquer car c’est un être lumineux dans l’enceinte du sanctuaire, mais personne ne semble y prêter attention.

Je me rends compte rapidement qu’elle n’est pas la seule personne étrange dans l’enceinte du sanctuaire. Étrange n’est peut-être pas le bon terme, mais disons que la présence de cette autre jeune fille habillée d’une robe assez similaire mais avec des cheveux d’une couleur rosée, a quelque chose d’irréel. Leurs styles sont relativement similaires, comme si elles étaient issues d’une même époque et d’un même lieu loin du Japon traditionnel. Je bois une nouvelle gorgée d’amazake tout en observant la scène. Je ressens maintenant une pointe inhabituelle d’épice dans ce breuvage. A chaque gorgée, j’ai l’impression de boire une boisson différente, pas complètement différente, mais subtilement différente. La fille à la robe noire et blanche et à la chevelure rosée ne bouge pas. Elle se tient debout dans un des coins de l’enceinte. Je distingue bien son visage qui est tourné dans ma direction, mais elle ne regarde pas vers moi. On a l’impression qu’elle attend également quelque chose ou quelqu’un. Cette attente a l’air de l’inquiéter si j’en crois l’expression de son visage. En fait, je comprends en la regardant de manière discrète et intermittente ce qui me paraît étrange dans son apparence. Elle ne semble pas être affectée par le froid ambiant. D’apparence, son visage n’est pas attaqué par la froideur de l’air, ce qui me paraît tout à fait étonnant. Il s’agit peut-être d’une divinité prenant une apparence humaine. Cette pensée soudaine me surprend moi-même et me fait même sourire. Il ne faudrait pas que je commence à voir des créatures fantastiques ou fantomatiques à tous les coins de rues. Je bois de nouveau une gorgée d’amazake en serrant bien le gobelet en papier dans mes mains pour me réchauffer, car cette fille aux cheveux rosés me donne soudainement froid. Je bois doucement par petites gorgées car terminer le gobelet trop vite veut dire que je n’aurais plus de source chaude pour me réchauffer les mains et plus d’excuses pour me poser debout ici dans l’enceinte du sanctuaire à chercher et observer des personnes atypiques.

A peine une minute plus tard, apparaît une nouvelle personne attirant mon attention. Elle porte une robe rouge et noire aux motifs en dentelles travaillées avec un diadème en collier et une veste en cuir légère. Ses cheveux sont mi-longs et d’une couleur rougeâtre. Elle me fait vaguement penser à une actrice mais je ne saurais pas dire qui. C’est peut-être sa manière de marcher avec une assurance et une détermination indéniable qui me fait penser qu’elle doit avoir l’habitude d’être regardée. Elle ne fait pourtant pas attention à ce qui l’entoure et marche droit devant elle vers le hall comme si elle était seule sur la grande place. La foule devant elle s’écarte comme par magie, ou on pourrait plutôt dire que le rythme de ses pas lui permet de passer entre les mailles de la foule avec une justesse qui m’impressionne. C’est comme si ses mouvements avaient été précisément prévus, calculés au millimètre, pour éviter les gens devant elle. Son style vestimentaire ressemble à celui des deux autres. J’en viens à me demander si ce sanctuaire n’est pas utilisé comme décor dans un manga populaire, un anime ou peut-être même un film, et que ces trois jeunes filles y viennent habillées comme les personnages de ce supposé manga pour se mettre en quelque sorte en situation. J’aurais envie de demander autour de moi mais personne ne porte une attention quelconque à ces trois filles en costumes. Il n’y avait pas non plus d’écriteau ou d’affiche dans le sanctuaire indiquant une éventuelle utilisation de ce lieu pour un film ou comme décor dans un manga. Les temples et sanctuaires ne cachent en général pas ce genre de informations qui attirent les visiteurs. En me renseignant sur le sanctuaire de Samukawa avant de venir, je n’avais pas non plus lu de mentions à ce sujet. J’avais par contre lu au sujet de l’histoire du sanctuaire, en apprenant que les divinités qui y sont vénérées sont les kamis Samukawa-hiko no mikoto (寒川比古命) et Samukawa-hime no mikoto (寒川比女命), les incarnations masculine et féminine respectivement d’un couple nommé Samukawa Daimyōjin (寒川大明神). Il reste pourtant beaucoup de mystères autour de ces deux divinités, car elles ne sont pas mentionnées dans les textes anciens du Kojiki ou du Nihonshoki. On dit qu’il s’agirait de souverains du début de l’histoire du Japon, mais les détails restent grandement inconnus. Il existe également diverses théories concernant la divinité réellement consacrée au sanctuaire de Samukawa. On évoque divers noms de divinités et de princesses comme Kushinada Hime (奇稲田姫), Nakisawa Megami (泣沢女神) et Kukurihime no Mikoto (菊理媛命). Alors que je me remémore ces théories lues sur internet, il me vient une évidence. Il me semble maintenant évident que les princesses divines des livres anciens se sont données rendez-vous aujourd’hui, jour faste Taian, dans l’enceinte du sanctuaire Samukawa.

Au moment exact de mon éclair de clairvoyance, un autre éclair détone dans le ciel. Le ciel s’est couvert au dessus du sanctuaire. Des nuages épais se sont développés sans que je m’en rende compte, trop occupé à mes réflexions. On distingue dans les nuages des formes longues et sinueuses comme des serpents. On regardant un peu mieux, ce sont plutôt des dragons aux formes floues et mouvantes qui s’entremêlent. Une gueule apparaît parfois puis replonge dans les volumes nuageux. Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à présent mais la sphère armillaire portée par les quatre dragons s’est mise à tourner sur elle-même, à la recherche d’un nouvel équilibre. On distingue trois dragons dans les nuages mais il manque le quatrième pour que l’équilibre céleste ne soit pas perturbé. Je bois sans réfléchir une nouvelle gorgée d’amazake, qui a maintenant un parfum de saké, comme pour marquer le démarrage d’une nouvelle étape. Il n’y a pas de doutes, la jeune fille aux cheveux d’or est Kushinada Hime (奇稲田姫), celle au visage triste et aux cheveux rosés est certainement Nakisawa Megami (泣沢女神). L’assurance de la fille habillée de rouge me fait penser qu’il doit s’agir de Kukurihime no Mikoto (菊理媛命). Mais où sont Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命) et Samukawahime no Mikoto (寒川比女命), les véritables divinités du sanctuaire? Je n’en ai aucune idée. Je regarde autour de moi mais je ne vois personne qui pourrait correspondre de près ou de loin à l’image tout à fait arbitraire que je me donne de ces divinités. Elles doivent forcément avoir une personnalité forte pour pouvoir nous protéger contre les mauvais esprits de toutes sortes. Mais les vents célestes continuent à souffler, générés par les mouvements continus des dragons dans le ciel, dans des bruits sourds et incessants. Les trois princesses, qui avaient jusqu’à maintenant des visages angéliques, ont entamé une transformation d’apparence stupéfiante, conditionnée par les forces célestes qui les entourent et les submergent. Leurs visages se déforment en un rictus effrayant qui fait froid dans le dos. Elles ressemblent maintenant à des monstres, qui me fascinent plus qu’ils m’effraient. Je regarde ces événements extraordinaires d’une manière sereine. Je suis de toute façon comme paralysé sur place, sans trouver la force ou même la volonté de faire quelque mouvement que ce soit. Les vents tournoyant font maintenant voler la poussière et le ciel s’est beaucoup assombri. La foule s’est déjà dissipée. Je suis seul à être témoin de ce déchaînement des éléments. La sphère armillaire semble tourner de plus en plus vite sur elle-même dans un bruit fracassant. La tornade au dessus du sanctuaire est violente et bruyante. Elle pourrait tout emporter si elle continuait de cette manière. Le point de saturation est proche. Je le sens maintenant très fortement même si j’ai du mal à saisir les enjeux de ce débordement. Je me tiens fermement d’une main à la rambarde derrière moi, mais les vents ne me bousculent pas vraiment, comme si j’étais préservé pour pouvoir être témoin de ce qui se passe. Les trois divinités devenues monstrueuses se tiennent maintenant figées regardant en direction de la grande porte Shinmon. Elles semblent attendre l’apparition d’une force plus grande qu’elles. Malgré leur apparence nouvelle, je ne ressens aucune animosité entre elles. Ce que je suis en train de voir n’annonce peut-être pas une bataille mais s’avère plutôt être une procession pour l’arrivée prochaine du couple Samukawa Daimyōjin. Il ne me reste plus beaucoup d’amazake dans mon gobelet mais je me retiens de boire ce qui reste, car je veux connaître la suite de cette histoire. J’ai compris qu’il s’agissait d’un révélateur m’ouvrant une porte vers ce monde divin et céleste.

Samukawahime no Mikoto (寒川比女命) entre finalement en scène suivie de Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命). Ils marchent l’un à la suite de l’autre d’un pas décidé et rapide, dissipant rapidement les nuages et les bourrasques qui avaient perturbé le sanctuaire. Les trois autres princesses ayant retrouvées leur apparence initiale s’inclinent à leur passage. Je fais de même sans réfléchir. La place devant le grand hall du sanctuaire est vide. La sphère armillaire a freiné son mouvement jusqu’à l’arrêt apparent indiquant un équilibre retrouvé. Les cinq divinités sont maintenant alignées devant le sanctuaire avec le couple Samukawa Daimyōjin au centre. Elles montent les quelques marches de bois puis disparaissent dans la pénombre comme si elles n’avaient jamais vraiment existé. Je bois la dernière gorgée de l’amazake qui restait dans mon gobelet. A ce moment précis, on m’appelle soudainement et je reprends mes esprits. Je semble être le seul à avoir été témoin de cette procession extraordinaire. Enfin, je n’en suis pas sûr car de l’autre côté de la place du sanctuaire, une fille habillée de noir me regarde avec insistance comme si elle comprenait ce que je venais de voir. Elle ressemble beaucoup à Kei, mais je n’en suis pas certain car elle se trouve un peu loin de moi. Je me résonne en me disant que ça ne doit pas être Kei car je n’ai pas encore écrit cette partie de son histoire. A moins qu’elle ne vive maintenant en dehors de mon histoire, vu que je mets beaucoup trop de temps à l’écrire. C’est peut-être même elle qui écrit mon histoire. Cette idée me donne froid dans le dos dans un premier temps. Elle disparaît à son tour me laissant seul avec mon histoire dont j’ai maintenant du mal à percevoir les contours.

Kei se reveille progressivement au son de l’introduction vaporeuse d’une musique Dream Pop émanant des écouteurs de son iPhone. Elle s’était endormie en écoutant une longue émission musicale de la radio anglaise NTS, consacrée au Shoegaze sous toutes ses formes. Dans son rêve, qui n’en était peut-être pas un, les nuages de guitares entremêlées du Shoegaze venaient ajouter une ambiance musicale dramatique à la tourmente qui se déroulait devant ses yeux dans le ciel au dessus du grand sanctuaire de Samukawa.

J’écoute aussi beaucoup, en boucle même dirais-je, deux émissions consacrées au Shoegaze sur NTS Radio. L’une s’intitule NTS Guide to Shoegaze 2K24 et l’autre Liquid Mirror with Olive Kimoto – On the Edges of Shoegaze. Il s’agit en fait de longues playlists de plus d’une heure chacune contenant des morceaux d’inspirations Shoegaze, sous différentes formes incluant la Dream Pop. Je ne connais pas la plupart des groupes présents sur ces deux playlists, à part deux (Slowdive et Yeule) et je suis complètement épaté par la qualité fabuleuse de la sélection. On parle ici de groupes indépendants, très loin du mainstream et par moment très proches de la recherche expérimentale de sons. La constante est une certaine forme de brouillard sonore typique du Shoegaze, mais ça serait très réducteur de se limiter à ce type d’images. On ressent l’influence de MBV sur les sons de guitares instables de certains groupes de ses deux sélections. Ils savent pourtant se réorienter vers d’autres directions en cours de morceau. La musicienne, DJ et artiste multimédia Olive (美真 | みどり) Kimoto présente une des deux émissions, celle intitulée Liquid Mirror. Cette émission est diffusée une fois par mois et va certainement faire partie de mes nouvelles habitudes d’écoute. La confusion et le flou musical du Shoegaze m’a en grande partie inspirée l’histoire ci-dessus, car j’écoutais ces deux playlists pendant l’écriture de certains passages.

NTS nous parle d’un revival du Shoegaze et je suis tout ouïe. J’ai tout de même le sentiment que le style Shoegaze a toujours été présent sans discontinuer au Japon. C’est même très intéressant de voir que Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) s’y met également pour le nouveau single intitulé Spark de son projet SUSU(好芻) avec Kanji Yamamoto (山本幹宗). J’ai suivi les différentes directions prises par ce projet et cette incursion dans le monde vaporeux du Shoegaze est vraiment étonnante et enthousiasmante. Le compositeur et guitariste Kanji Yamamoto est également guitariste d’appoint du groupe Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ) de Kazunobu Mineta (峯田和伸) que j’aurais le grand plaisir de voir sur scène le 9 Mai avec Hitsuji Bungaku (羊文学), si tout va bien. La composition du groupe qui a enregistré le morceau Spark avec Ikkyu Nakajima et Kanji Yamamoto est très intéressante. Kentaro Nakao (中尾憲太郎) y joue de la basse et Ahito Inazawa (アヒト・イナザワ) est à la batterie. Ils sont tous les deux anciens membres du groupe Number Girl. Il s’agit d’une belle équipée et ça ne pouvait donner qu’un très bon morceau pour SUSU. Avant d’écouter les émissions radio de NTS, j’avais en fait déjà noté une renaissance du Shoegaze à travers quelques jeunes groupes découverts récemment comme Retriever avec leur EP Attic Ocean. Lorsque j’ai vu pour la première fois la vidéo du single Lilies and Sea tournée dans le centre de Shibuya, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un groupe japonais. En fait non, Retriever est un jeune groupe allemand originaire de Düsseldorf. Ce morceau est très beau tout comme les autres quatre titres composant le EP. En écoutant ces morceaux, j’ai tout de suite remarqué l’influence de Slowdive, et je n’ai ensuite pas été étonné d’apprendre que Simon Scott de Slowdive était en charge du mastering. Le EP Attic Ocean dans son ensemble est une petite pépite Shoegaze nous noyant pendant une petite vingtaine de minutes dans des mondes sonores oniriques et nostalgiques. On s’éloigne ensuite un peu du Shoegaze mais on reste dans le rock alternatif avec une excellente découverte du groupe Anglais English Teacher. J’ai entendu pour la première fois le morceau intitulé The World Biggest Paving Slab sur la radio J-Wave et j’ai tout de suite accroché au style vocal un brin provocateur de la chanteuse Lily Fontaine. « I am the world’s biggest paving slab So watch your fucking feet » nous dit-elle dans le refrain. Ce morceau est tiré de leur premier album This could be Texas sorti le 12 Avril 2024.

目が眩むほど光る dimension おやすみ異世界

Je n’avais pas pris de photos depuis le 38ème étage de la tour de Yebisu Garden Place depuis très longtemps. En prenant les photographies ci-dessus, j’avais en tête celles prises il y a plus de 15 ans sous le titre Pattern Recognition. Les vitrages de la tour viennent refléter la ville comme des miroirs et m’avaient donné cette impression d’être un mécanisme de reconnaissance automatique de motifs. Un des points d’observation aménagés du haut de la tour donne une vue en direction de Roppongi, Akasaka et la Tour de Tokyo. Près des ascenseurs, les grandes baies vitrées en angle sont plus intéressantes, car elles permettent à certains endroits cet effet de miroir. Ce point de vue nous montre Shibuya puis Shinjuku au loin. Nous avons déjeuné dans cette tour pour un anniversaire. L’emplacement de notre table nous donnait une autre vue encore.

De gauche à droite: 嚩ᴴᴬᴷᵁ, cyber milk ちゃん, MANON, nyamura et devant KAMIYA, pour le singe GALFY4 produit par Masayoshi Iimori (マサヨシイイモリ).

J’aime faire des grands écarts musicaux en ce moment car ce qui va suivre est très différent de la musique que j’évoquais dans les deux derniers billets. Je reviens en fait très volontiers vers les atmosphères intenses et souvent maximalistes de l’hyper-pop japonaise. Une première excellente découverte est le single GALFY4 de KAMIYA avec plusieurs autres interprètes dont 嚩ᴴᴬᴷᵁ, MANON, nyamura et cyber milk ちゃん. Je suis arrivé sur ce morceau en faisant des recherches sur YouTube de collaborations musicales de 嚩ᴴᴬᴷᵁ avec d’autres artistes de ce même univers électronique et pop excentrique. Sur le morceau GALFY4, les cinq interprètes se relaient au chant en commençant et terminant par KAMIYA qui est l’artiste menant le morceau dans son ensemble. Elle est suivie de cyber milk ちゃん, nyamura, 嚩ᴴᴬᴷᵁ et MANON. La production du morceau est assurée par Masayoshi Iimori (マサヨシイイモリ), dont j’ai déjà plusieurs fois parlé sur Made in Tokyo pour sa participation à certains morceaux de 4s4ki. Il apporte sur ce morceau des sons influencés par l’Euro Beat avec toute l’extravagance sonore de l’Hyper Pop. J’adore la manière par laquelle il vient ajouter un rythme un peu haché qui agit comme un révélateur sur la voix neutre et détachée de cyber milk ちゃん. nyamura continue ensuite avec un ton de voix un peu similaire mais avec un auto-tune renforcé qui donne des effets intéressants sur certaines fins de ses phrases. On reconnaît ensuite immédiatement la voix de 嚩ᴴᴬᴷᵁ qui poursuit ensuite brillamment le morceau en se fondant assez bien avec le style de voix de nyamura. On trouve une certaine constante qui se casse par l’intervention beaucoup plus agressive de MANON. Je ne me lasse pas de ce morceau que j’ai écouté des dizaines de fois.

Le single GALFY4 me pousse même à écouter quelques autres morceaux de cette formation, en démarrant par cyber milk ちゃん, dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à maintenant. J’écoute son single intitulé Sunkissed sorti en Juin 2024. Sa voix éthérée est très particulière car extrêmement modifiée et donne une impression d’être en dehors de toute réalité. Le rythme du morceau riche en basse sourde est assez lent, mais son phrasé est rapide et continu composé de successions de rimes. Cette atmosphère sonore m’attire beaucoup. J’y trouve quelque chose d’estival comme le suggère le titre du morceau et la vidéo qui l’accompagne, tournée au bord de l’océan. Je me tourne ensuite vers la musique de nyamura avec son dernier morceau When the Linalia Blooms (リナリアが咲いて) sorti le 1er Février 2025. Le personnage de la couverture du single me rappelle un peu les princesses du manga Ah My Goddess! (ああっ女神さまっ) dont j’avais vu certaines OVA (Original Video Animation) au début des années 1990 sur une cassette VHS qui se copiait de personne en personne car les OVAs n’étaient pas aussi disponibles à l’époque qu’elles le sont actuellement. Le morceau When the Linalia Blooms est basé sur les sons d’une guitare acoustique sur lesquels vient se poser la voix de nyamura pleine d’ondulations vocales. Une constante de tous ses morceaux est l’utilisation de l’auto-tune qui vient lisser les voix mais n’enlève rien à la beauté des morceaux. Il faut dire que cet auto-tune n’est pas exagéré et parfois même assez subtil. Il vient même contribuer à une atmosphère onirique comme sur son très beau morceau you are my curse sorti en Juin 2023. Ces deux morceaux de nyamura sont magnifiques. Dans un style assez similaire à celui de nyamura, j’écoute également le très beau Kill Me With a Lie (嘘で殺して⋆。˚✩) d’angelize, dont je ne sais pratiquement rien. Le rythme devient plus agressif avec deux morceaux de la franco-japonaise MANON. Je connais son premier morceau xxFANCYPOOLxx, tiré de son premier album Teenage Diary sorti en Juillet 2018, depuis longtemps, peut-être même depuis sa sortie. Elle avait 15 ans à cette époque et ce morceau de hip-hop léger évoque des épisodes de la vie quotidienne d’une jeune icône en devenir de la jeunesse japonaise. Le morceau sample le titre Lolita Ya Ya de Nelson Riddle tiré de la musique du film Lolita de Stanley Kubrick. Il possède une certaine drôlerie contagieuse et représente bien le brin de folie qui circule dans la musique de MANON. J’écoute également son dernier single intitulé Nobody Like きゅん sorti le 19 Décembre 2024, qui a une approche rock assez déstructurée. Ses morceaux ont une qualité underground et une grande liberté qui me plaisent beaucoup, comme l’excellent L.M.S.N (pour Let’s Make Some Noise) avec Kyunchi sorti en 2023. Le morceau démarre par un beat sourd comme si on pénétrait dans un club en sous-sol en pleine nuit. Le hip-hop qui vient accompagner ce beat très marqué est très accrocheur se laisse ensuite emporter par des sons techno jusqu’au slogan Let’s Make Some Noise servant de refrain et d’hymne pour le dance floor. Je reviens ensuite sur le EP Imaginary Friend de 嚩ᴴᴬᴷᵁ que j’avais précédemment évoqué car j’ai beaucoup écouté son dernier morceau intitulé 489. J’écoute maintenant beaucoup le EP en entier et il me donne encore une fois l’impression d’entrer dans un tout autre monde. Il faut bien sûr accrocher à la voix très modifié et aiguë à la limite du kawaiisme de Haku. Le contraste entre sa voix et l’électronique hyper-pop est vraiment prenant et est pour moi tout à fait fascinant. Le quatrième morceau OYASUMI (おやすみ), produit par KOTONOHOUSE, est un très bon exemple de ce contraste commençant doucement avec une voix presque chuchotée qui vient se crasher peu après avec une composition électronique particulièrement brutale. J’aime beaucoup cet EP mais je me dis qu’il n’est peut-être pas facile d’accès pour les néophytes de ce type d’atmosphère (comme un certain nombre de morceaux de cette sélection d’ailleurs).

Je n’écoute pas beaucoup de musique K-Pop mais je reste curieux des sorties du groupe aespa (에스파), depuis Supernova et Whiplash. Le single hot mess n’est pas le plus récent du groupe mais il attire mon attention car il est en partie chanté en japonais. Rappelons que l’une des quatre membres du groupe, Gisele, est japonaise même si son nom de scène ne le suggère pas vraiment. Il y a une dynamique particulièrement soutenue dans ce morceau. Mais même si le morceau est en partie chanté en japonais, il conserve la plupart des codes de la K-Pop. La raison pour laquelle j’aime certains morceaux d’aespa par rapport à ceux d’autres groupes K-Pop reste pour moi un peu mystérieux. Je pense que la combinaison de leurs quatre voix fonctionne très bien, et leur interprétation de Supernova pour The First Take ne contredira pas cela. La vidéo de hot mess a également une inspiration japonaise. Sur certaines scènes de la vidéo, les quatre membres du groupe viennent envahir la ville comme des Eva ou des Anges de Néon Genesis Evangelion. Elles n’écrasent heureusement pas tout sur leur passage. J’écoute également le morceau RulerxRuler du duo REIRIE dont la vidéo a également la particularité de les montrer envahissant Tokyo, le grand carrefour de Shibuya pour être précis. Le single RulerxRuler est plus proche d’un morceau d’idole mais passé à l’accélérateur, avec un rythme exagérément poussé à l’excès, ce qui rend le morceau très interessant, voire même addictif. J’aime beaucoup la dynamique du morceau qui bouscule tout sur son passage. Il y a une agressivité certaine dans cette musique, en décalage assez net avec les morceaux classiques d’idoles, qu’elles ne sont à priori plus.

Pour terminer cette sélection qui était d’abord pour moi assez disruptive mais qui entre maintenant dans ma zone de confort à force d’écoutes après des journées difficiles, je reviens vers le hip-hop japonais avec un morceau assez décapant intitulé Boss Bitch par la rappeuse 7 (ナナ). J’adore sa voix très convaincante qui possède une certaine nonchalance tout en étant très maîtrisée. Son flot sans interruptions s’impose immédiatement pour un hip-hop dont on a ensuite du mal à se detacher tant son rythme nous reste en tête. Il s’agit du deuxième morceau du EP intitulé 7 sorti en Novembre 2023. 7 a 24 ans et est originaire de la préfecture de Wakayama. Elle est devenue rappeuse après avoir vu un concert d’Awich qui a joué comme un électrochoc alors qu’elle vivait en Neet (ニートpour Not in Education, Employment, or Training) à cette époque de sa vie (comme nyamura d’ailleurs). Je trouve qu’on reconnait tout de suite cette inspiration d’Awich dans le morceau Boss Bitch. Avant de découvrir ce morceau, les algorithmes de YouTube, qui me recommandent assez souvent ce que j’ai envie d’écouter, m’ont amené vers le morceau PARALLEL (パラレル) produit par Chaki Zuku et interprété par Liza, une autre jeune rappeuse japonaise de 23 ans née en Russie. Ce morceau est un duo de Liza (à ne pas confondre avec LiSA) avec 7. Il a un certain humour dans ce morceau qui est malheureusement très court, faisant moins de deux minutes. Voici encore une fois de nombreuses nouvelles pistes musicales qui s’ouvrent à moi.