une fin d’après-midi à Samukawa

Je voulais rendre visite au grand sanctuaire de Samukawa (寒川神社) depuis longtemps. J’ai toujours été un peu refroidi par son nom qui me donne à chaque l’image d’une rivière gelée dans laquelle il faudrait se débattre sans pouvoir en sortir. Cette image est certes un peu extrême et ne nous a pas empêché d’y aller en plein hiver. J’ai en fait été rassuré d’apprendre qu’il n’y avait pas de rivière appelée Samukawa à traverser avant d’atteindre le sanctuaire. Le sanctuaire de Samukawa est le plus important de l’ancienne province de Sagami et portait ainsi le titre d’Ichinomiya (一宮), qui correspond au plus haut rang des sanctuaires d’une province. Les origines du sanctuaire sont plutôt floues et les premières mentions de ce lieu apparaissent à la date de 846 dans le Shoku Nihon Kōki (続日本後紀), qui raconte l’histoire officielle du Japon. Une des raisons pour laquelle nous voulions visiter le sanctuaire de Samukawa en ce début d’année était de voir la structure lumineuse Nebuta empruntée à la préfecture d’Aomori. Depuis 2001, cette grande structure en papier illuminée est montrée sur la porte Shinmon (神門) du sanctuaire pendant la période allant du Nouvel An jusqu’au festival Setsubun ayant lieu en Février. Je n’avais jamais vu de décorations comparables sur un sanctuaire. À droite du hall principal du sanctuaire se trouve un étrange objet en forme de sphère métallique. Il s’agit d’une sphère armillaire, un ancien instrument d’observation astronomique modélisant la sphère céleste. On l’utilisait pour montrer le mouvement apparent des étoiles, du Soleil, en considérant la Terre comme le centre de l’Univers. Des dragons sont placés aux quatre coins de la sphère, suivant la légende selon laquelle les dragons soutiennent le ciel. Nous sommes arrivés au sanctuaire en fin d’après-midi et les lumières se sont allumées dès 16h, ce qui nous a permis d’apprécier la structure Nebuta illuminée.

En ordre d’apparition, Kushinada Hime (奇稲田姫), Nakisawa Megami (泣沢女神), Kukurihime no Mikoto (菊理媛命), Samukawahime no Mikoto (寒川比女命) et Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命). Les cinq images ci-dessus sont imaginaires et ont été créées par intelligence artificielle (IA). Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne seraient que pure coïncidence.

Pour confirmer ma première impression, il faisait en effet froid ce jour là à Samukawa. Il y avait une petite foule au sanctuaire, car il s’agissait d’un jour faste Taian (大安). J’aime bien regarder la foule tout en buvant tranquillement un verre d’amazake dans le froid. Il n’y a pas d’alcool dans l’amazake mais c’est parfois tout comme. Le goût légèrement acidulé est par contre inhabituel et deviendrait même addictif, même si ce n’est pas dans mon intention d’en boire plusieurs verres. On trouve un stand d’amazake dans le parc longeant le sanctuaire, près de la boutique de souvenirs et des petits restaurants yatai. Après avoir acheté un gobelet d’amazake chaud, je suis vite revenu dans la grande enceinte du sanctuaire, sur la place entre le hall et la grande porte Shinmon ornée de la structure de papier Nebuta. On est ici à l’abri du vent mais le froid y est tout de même hivernal.

A travers la grande porte du sanctuaire, apparaît soudainement une jeune fille aux cheveux d’or, portant un parasol pour se protéger des rayons du soleil. Elle est habillée d’une robe de froufrous noire et blanche assez ample, comme on peut en voir parfois dans les environs de la rue Takeshita à Harajuku. Sa coiffure avec des broches cubiques jaunes est très intriguante. Sa présence est en décalage avec la foule qui l’entoure, mais personne n’a l’air de la remarquer. Elle avance tranquillement, mais d’un pas assuré. Lorsqu’elle passe devant moi, elle a un sourire franc, un peu figé et détaché, qui donne l’impression qu’elle apprécie le moment présent sans se soucier des choses et des gens qui l’entourent. Elle s’approche ensuite du grand hall du sanctuaire pour effectuer une prière après avoir replié son parasol. Je l’observe dans ses mouvements lents et délicats. Elle se déplace ensuite vers un coin de la place interne au sanctuaire. Elle s’arrête soudainement, se retourne en regardant en direction de la porte Shinmon. Elle semble attendre quelqu’un en position immobile. Son visage innocent est rayonnant et la lumière du soleil vient faire briller ses cheveux d’or. Il est impossible de ne pas la remarquer car c’est un être lumineux dans l’enceinte du sanctuaire, mais personne ne semble y prêter attention.

Je me rends compte rapidement qu’elle n’est pas la seule personne étrange dans l’enceinte du sanctuaire. Étrange n’est peut-être pas le bon terme, mais disons que la présence de cette autre jeune fille habillée d’une robe assez similaire mais avec des cheveux d’une couleur rosée, a quelque chose d’irréel. Leurs styles sont relativement similaires, comme si elles étaient issues d’une même époque et d’un même lieu loin du Japon traditionnel. Je bois une nouvelle gorgée d’amazake tout en observant la scène. Je ressens maintenant une pointe inhabituelle d’épice dans ce breuvage. A chaque gorgée, j’ai l’impression de boire une boisson différente, pas complètement différente, mais subtilement différente. La fille à la robe noire et blanche et à la chevelure rosée ne bouge pas. Elle se tient debout dans un des coins de l’enceinte. Je distingue bien son visage qui est tourné dans ma direction, mais elle ne regarde pas vers moi. On a l’impression qu’elle attend également quelque chose ou quelqu’un. Cette attente a l’air de l’inquiéter si j’en crois l’expression de son visage. En fait, je comprends en la regardant de manière discrète et intermittente ce qui me paraît étrange dans son apparence. Elle ne semble pas être affectée par le froid ambiant. D’apparence, son visage n’est pas attaqué par la froideur de l’air, ce qui me paraît tout à fait étonnant. Il s’agit peut-être d’une divinité prenant une apparence humaine. Cette pensée soudaine me surprend moi-même et me fait même sourire. Il ne faudrait pas que je commence à voir des créatures fantastiques ou fantomatiques à tous les coins de rues. Je bois de nouveau une gorgée d’amazake en serrant bien le gobelet en papier dans mes mains pour me réchauffer, car cette fille aux cheveux rosés me donne soudainement froid. Je bois doucement par petites gorgées car terminer le gobelet trop vite veut dire que je n’aurais plus de source chaude pour me réchauffer les mains et plus d’excuses pour me poser debout ici dans l’enceinte du sanctuaire à chercher et observer des personnes atypiques.

A peine une minute plus tard, apparaît une nouvelle personne attirant mon attention. Elle porte une robe rouge et noire aux motifs en dentelles travaillées avec un diadème en collier et une veste en cuir légère. Ses cheveux sont mi-longs et d’une couleur rougeâtre. Elle me fait vaguement penser à une actrice mais je ne saurais pas dire qui. C’est peut-être sa manière de marcher avec une assurance et une détermination indéniable qui me fait penser qu’elle doit avoir l’habitude d’être regardée. Elle ne fait pourtant pas attention à ce qui l’entoure et marche droit devant elle vers le hall comme si elle était seule sur la grande place. La foule devant elle s’écarte comme par magie, ou on pourrait plutôt dire que le rythme de ses pas lui permet de passer entre les mailles de la foule avec une justesse qui m’impressionne. C’est comme si ses mouvements avaient été précisément prévus, calculés au millimètre, pour éviter les gens devant elle. Son style vestimentaire ressemble à celui des deux autres. J’en viens à me demander si ce sanctuaire n’est pas utilisé comme décor dans un manga populaire, un anime ou peut-être même un film, et que ces trois jeunes filles y viennent habillées comme les personnages de ce supposé manga pour se mettre en quelque sorte en situation. J’aurais envie de demander autour de moi mais personne ne porte une attention quelconque à ces trois filles en costumes. Il n’y avait pas non plus d’écriteau ou d’affiche dans le sanctuaire indiquant une éventuelle utilisation de ce lieu pour un film ou comme décor dans un manga. Les temples et sanctuaires ne cachent en général pas ce genre de informations qui attirent les visiteurs. En me renseignant sur le sanctuaire de Samukawa avant de venir, je n’avais pas non plus lu de mentions à ce sujet. J’avais par contre lu au sujet de l’histoire du sanctuaire, en apprenant que les divinités qui y sont vénérées sont les kamis Samukawa-hiko no mikoto (寒川比古命) et Samukawa-hime no mikoto (寒川比女命), les incarnations masculine et féminine respectivement d’un couple nommé Samukawa Daimyōjin (寒川大明神). Il reste pourtant beaucoup de mystères autour de ces deux divinités, car elles ne sont pas mentionnées dans les textes anciens du Kojiki ou du Nihonshoki. On dit qu’il s’agirait de souverains du début de l’histoire du Japon, mais les détails restent grandement inconnus. Il existe également diverses théories concernant la divinité réellement consacrée au sanctuaire de Samukawa. On évoque divers noms de divinités et de princesses comme Kushinada Hime (奇稲田姫), Nakisawa Megami (泣沢女神) et Kukurihime no Mikoto (菊理媛命). Alors que je me remémore ces théories lues sur internet, il me vient une évidence. Il me semble maintenant évident que les princesses divines des livres anciens se sont données rendez-vous aujourd’hui, jour faste Taian, dans l’enceinte du sanctuaire Samukawa.

Au moment exact de mon éclair de clairvoyance, un autre éclair détone dans le ciel. Le ciel s’est couvert au dessus du sanctuaire. Des nuages épais se sont développés sans que je m’en rende compte, trop occupé à mes réflexions. On distingue dans les nuages des formes longues et sinueuses comme des serpents. On regardant un peu mieux, ce sont plutôt des dragons aux formes floues et mouvantes qui s’entremêlent. Une gueule apparaît parfois puis replonge dans les volumes nuageux. Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à présent mais la sphère armillaire portée par les quatre dragons s’est mise à tourner sur elle-même, à la recherche d’un nouvel équilibre. On distingue trois dragons dans les nuages mais il manque le quatrième pour que l’équilibre céleste ne soit pas perturbé. Je bois sans réfléchir une nouvelle gorgée d’amazake, qui a maintenant un parfum de saké, comme pour marquer le démarrage d’une nouvelle étape. Il n’y a pas de doutes, la jeune fille aux cheveux d’or est Kushinada Hime (奇稲田姫), celle au visage triste et aux cheveux rosés est certainement Nakisawa Megami (泣沢女神). L’assurance de la fille habillée de rouge me fait penser qu’il doit s’agir de Kukurihime no Mikoto (菊理媛命). Mais où sont Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命) et Samukawahime no Mikoto (寒川比女命), les véritables divinités du sanctuaire? Je n’en ai aucune idée. Je regarde autour de moi mais je ne vois personne qui pourrait correspondre de près ou de loin à l’image tout à fait arbitraire que je me donne de ces divinités. Elles doivent forcément avoir une personnalité forte pour pouvoir nous protéger contre les mauvais esprits de toutes sortes. Mais les vents célestes continuent à souffler, générés par les mouvements continus des dragons dans le ciel, dans des bruits sourds et incessants. Les trois princesses, qui avaient jusqu’à maintenant des visages angéliques, ont entamé une transformation d’apparence stupéfiante, conditionnée par les forces célestes qui les entourent et les submergent. Leurs visages se déforment en un rictus effrayant qui fait froid dans le dos. Elles ressemblent maintenant à des monstres, qui me fascinent plus qu’ils m’effraient. Je regarde ces événements extraordinaires d’une manière sereine. Je suis de toute façon comme paralysé sur place, sans trouver la force ou même la volonté de faire quelque mouvement que ce soit. Les vents tournoyant font maintenant voler la poussière et le ciel s’est beaucoup assombri. La foule s’est déjà dissipée. Je suis seul à être témoin de ce déchaînement des éléments. La sphère armillaire semble tourner de plus en plus vite sur elle-même dans un bruit fracassant. La tornade au dessus du sanctuaire est violente et bruyante. Elle pourrait tout emporter si elle continuait de cette manière. Le point de saturation est proche. Je le sens maintenant très fortement même si j’ai du mal à saisir les enjeux de ce débordement. Je me tiens fermement d’une main à la rambarde derrière moi, mais les vents ne me bousculent pas vraiment, comme si j’étais préservé pour pouvoir être témoin de ce qui se passe. Les trois divinités devenues monstrueuses se tiennent maintenant figées regardant en direction de la grande porte Shinmon. Elles semblent attendre l’apparition d’une force plus grande qu’elles. Malgré leur apparence nouvelle, je ne ressens aucune animosité entre elles. Ce que je suis en train de voir n’annonce peut-être pas une bataille mais s’avère plutôt être une procession pour l’arrivée prochaine du couple Samukawa Daimyōjin. Il ne me reste plus beaucoup d’amazake dans mon gobelet mais je me retiens de boire ce qui reste, car je veux connaître la suite de cette histoire. J’ai compris qu’il s’agissait d’un révélateur m’ouvrant une porte vers ce monde divin et céleste.

Samukawahime no Mikoto (寒川比女命) entre finalement en scène suivie de Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命). Ils marchent l’un à la suite de l’autre d’un pas décidé et rapide, dissipant rapidement les nuages et les bourrasques qui avaient perturbé le sanctuaire. Les trois autres princesses ayant retrouvées leur apparence initiale s’inclinent à leur passage. Je fais de même sans réfléchir. La place devant le grand hall du sanctuaire est vide. La sphère armillaire a freiné son mouvement jusqu’à l’arrêt apparent indiquant un équilibre retrouvé. Les cinq divinités sont maintenant alignées devant le sanctuaire avec le couple Samukawa Daimyōjin au centre. Elles montent les quelques marches de bois puis disparaissent dans la pénombre comme si elles n’avaient jamais vraiment existé. Je bois la dernière gorgée de l’amazake qui restait dans mon gobelet. A ce moment précis, on m’appelle soudainement et je reprends mes esprits. Je semble être le seul à avoir été témoin de cette procession extraordinaire. Enfin, je n’en suis pas sûr car de l’autre côté de la place du sanctuaire, une fille habillée de noir me regarde avec insistance comme si elle comprenait ce que je venais de voir. Elle ressemble beaucoup à Kei, mais je n’en suis pas certain car elle se trouve un peu loin de moi. Je me résonne en me disant que ça ne doit pas être Kei car je n’ai pas encore écrit cette partie de son histoire. A moins qu’elle ne vive maintenant en dehors de mon histoire, vu que je mets beaucoup trop de temps à l’écrire. C’est peut-être même elle qui écrit mon histoire. Cette idée me donne froid dans le dos dans un premier temps. Elle disparaît à son tour me laissant seul avec mon histoire dont j’ai maintenant du mal à percevoir les contours.

Kei se reveille progressivement au son de l’introduction vaporeuse d’une musique Dream Pop émanant des écouteurs de son iPhone. Elle s’était endormie en écoutant une longue émission musicale de la radio anglaise NTS, consacrée au Shoegaze sous toutes ses formes. Dans son rêve, qui n’en était peut-être pas un, les nuages de guitares entremêlées du Shoegaze venaient ajouter une ambiance musicale dramatique à la tourmente qui se déroulait devant ses yeux dans le ciel au dessus du grand sanctuaire de Samukawa.

J’écoute aussi beaucoup, en boucle même dirais-je, deux émissions consacrées au Shoegaze sur NTS Radio. L’une s’intitule NTS Guide to Shoegaze 2K24 et l’autre Liquid Mirror with Olive Kimoto – On the Edges of Shoegaze. Il s’agit en fait de longues playlists de plus d’une heure chacune contenant des morceaux d’inspirations Shoegaze, sous différentes formes incluant la Dream Pop. Je ne connais pas la plupart des groupes présents sur ces deux playlists, à part deux (Slowdive et Yeule) et je suis complètement épaté par la qualité fabuleuse de la sélection. On parle ici de groupes indépendants, très loin du mainstream et par moment très proches de la recherche expérimentale de sons. La constante est une certaine forme de brouillard sonore typique du Shoegaze, mais ça serait très réducteur de se limiter à ce type d’images. On ressent l’influence de MBV sur les sons de guitares instables de certains groupes de ses deux sélections. Ils savent pourtant se réorienter vers d’autres directions en cours de morceau. La musicienne, DJ et artiste multimédia Olive (美真 | みどり) Kimoto présente une des deux émissions, celle intitulée Liquid Mirror. Cette émission est diffusée une fois par mois et va certainement faire partie de mes nouvelles habitudes d’écoute. La confusion et le flou musical du Shoegaze m’a en grande partie inspirée l’histoire ci-dessus, car j’écoutais ces deux playlists pendant l’écriture de certains passages.

NTS nous parle d’un revival du Shoegaze et je suis tout ouïe. J’ai tout de même le sentiment que le style Shoegaze a toujours été présent sans discontinuer au Japon. C’est même très intéressant de voir que Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) s’y met également pour le nouveau single intitulé Spark de son projet SUSU(好芻) avec Kanji Yamamoto (山本幹宗). J’ai suivi les différentes directions prises par ce projet et cette incursion dans le monde vaporeux du Shoegaze est vraiment étonnante et enthousiasmante. Le compositeur et guitariste Kanji Yamamoto est également guitariste d’appoint du groupe Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ) de Kazunobu Mineta (峯田和伸) que j’aurais le grand plaisir de voir sur scène le 9 Mai avec Hitsuji Bungaku (羊文学), si tout va bien. La composition du groupe qui a enregistré le morceau Spark avec Ikkyu Nakajima et Kanji Yamamoto est très intéressante. Kentaro Nakao (中尾憲太郎) y joue de la basse et Ahito Inazawa (アヒト・イナザワ) est à la batterie. Ils sont tous les deux anciens membres du groupe Number Girl. Il s’agit d’une belle équipée et ça ne pouvait donner qu’un très bon morceau pour SUSU. Avant d’écouter les émissions radio de NTS, j’avais en fait déjà noté une renaissance du Shoegaze à travers quelques jeunes groupes découverts récemment comme Retriever avec leur EP Attic Ocean. Lorsque j’ai vu pour la première fois la vidéo du single Lilies and Sea tournée dans le centre de Shibuya, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un groupe japonais. En fait non, Retriever est un jeune groupe allemand originaire de Düsseldorf. Ce morceau est très beau tout comme les autres quatre titres composant le EP. En écoutant ces morceaux, j’ai tout de suite remarqué l’influence de Slowdive, et je n’ai ensuite pas été étonné d’apprendre que Simon Scott de Slowdive était en charge du mastering. Le EP Attic Ocean dans son ensemble est une petite pépite Shoegaze nous noyant pendant une petite vingtaine de minutes dans des mondes sonores oniriques et nostalgiques. On s’éloigne ensuite un peu du Shoegaze mais on reste dans le rock alternatif avec une excellente découverte du groupe Anglais English Teacher. J’ai entendu pour la première fois le morceau intitulé The World Biggest Paving Slab sur la radio J-Wave et j’ai tout de suite accroché au style vocal un brin provocateur de la chanteuse Lily Fontaine. « I am the world’s biggest paving slab So watch your fucking feet » nous dit-elle dans le refrain. Ce morceau est tiré de leur premier album This could be Texas sorti le 12 Avril 2024.

dans un éternel recommencement

Hôtel Palacio, Ginza, les Mercredi 22 et Jeudi 23 Mai 1991.

Tout a commencé par une proposition qu’il n’a pu refuser, attiré par la beauté mystérieuse de Tomie Kurokawa (黒川富江) qui l’a attiré dans les eaux sombres qui l’entourent. Shigeru Murakami (村上茂) a rencontré Tomie au bar feutré de l’hôtel Palacio à Ginza dans lequel elle semble avoir ses habitudes. Il l’a aperçu assise sur une chaise haute du bar, son regard semblant perdu dans les eaux troublées de son whisky japonais. Shigeru est lui enfoncé dans un des gros fauteuils Chesterfield en cuir noir, un verre de whisky Suntori à la main, le journal du jour ouvert sur la table basse devant lui. Il ne prête guère attention à ce qui y est écrit, car la fatigue d’une journée à tenter de convaincre des investisseurs étrangers l’a éreinté. Sa déontologie professionnelle est plus que discutable mais il s’en moque. On ne lui en a d’ailleurs jamais tenu rigueur. Mais son regard est sans cesse attiré par cette belle femme habillée de noir, se tenant devant ce comptoir. Elle est seule, répondant au personnel du bar par de simples mouvements de tête ou d’une voix quasiment inaudible. Le bar est silencieux malgré le fond musical jazz, qu’il avait ignoré jusqu’à maintenant. Il regarde discrètement l’heure à la montre de son poignet. Il est 22h30. Elle attend peut-être quelqu’un, un rendez-vous nocturne. Elle accapare désormais toute son attention et ses fantasmes naissants. D’un geste un peu brusque, elle se lève finalement de la chaise en remerciant d’un léger mouvement de tête le barman derrière le comptoir. Un petit signe de main semble lui dire à bientôt. Shigeru regarde la scène et parvient à capter une partie de son visage aux traits fins lorsqu’elle passe à côté de son fauteuil pour sortir du bar. Il crut même déceler dans son regard un léger mouvement de paupière qui signifierait qu’elle a pris connaissance de sa présence. Elle s’éloigne doucement du bar en marchant lentement à l’intérieur du grand hall de l’hôtel, chaussée de petites bottines noires. Elle ressemble à une jeune veuve venant juste d’enterrer son mari, célébrant l’événement seule dans le bar d’un grand hôtel de la capitale. Mais il ne détecte pourtant aucune joie dans le visage de cette femme. Il perçoit plutôt une détermination triste. Un événement terrible vient peut-être de lui arriver. Son teint est pâle mais ses pommettes sont relevées d’un brin de maquillage noir. Une vague d’un parfum entêtant suit son passage mais il disparaît très vite. Il ne reconnaît pas cette fragrance qui le saisit d’une manière soudaine puis s’estompe aussi vite, laissant place à une infime odeur d’encens. Elle est presqu’indécelable mais accapare maintenant toute son attention. Shigeru cherche maintenant la femme en noir du regard dans le grand hall mais elle s’est déjà évaporée. L’image qui lui reste en mémoire de cette beauté mystérieuse le fascine maintenant au plus haut point.

Sur le tatami de sa chambre d’hôtel de style traditionnel, le futon a déjà été posé. Shigeru s’écroule sur le tatami et n’a même pas le courage de se changer. Le parfum de cette femme en noir l’entête toujours. Il ne trouve pas le sommeil, repassant sans cesse dans sa tête le moment précis où elle a croisé son regard. Dans sa mémoire qui se fait maintenant trouble, elle lui a souri. Elle lui a même susurré quelques mots, mais quels sont ils? Il se concentre sur ses lèvres et fait le vide dans sa tête pour obtenir un silence parfait. La musique jazz s’est tue. Le barman retient ses mouvements, le monde tout autour de Shigeru s’arrête pour lui permettre d’entendre les mots qu’elle a prononcé à son passage. « Je viendrais un peu plus tard », se souvient-il. « Elle va venir un peu plus tard » se répète il sur le bout des lèvres pour s’en convaincre avant de s’assoupir profondément. Il l’a voit maintenant à côté de lui, assise sur le tatami sous une lumière tamisée. Elle porte une longue robe noire un peu différente de son souvenir mais dans un style qui lui ressemble fortement. Elle est assise immobile, les jambes perdues dans sa longue robe noire, regardant devant elle, comme si elle fixait du regard une troisième personne qui serait présente dans la chambre d’hôtel. Il ne voit pourtant personne, mais sa vision devient de plus en plus floue. « Tomie, que regardes tu si fixement ? » demande Shigeru. « Ils nous regardent » répond t’elle d’une voix si faible que lui seul peut l’entendre. « Est ce que tu m’aimes? » lui demande t’elle maintenant « Est ce que tu m’aimes à en mourir ? ». Une longue lame est posée sur le tatami. Shigeru ne l’avait pas remarqué en entrant dans sa chambre, mais elle est bien là, brillante comme un éclat de cristal. Il pourrait la saisir et se la pointer dans le cœur pour prouver son amour. Il pourrait le faire lentement tout en regardant passionnément Tomie qui lui rendrait du regard tout l’amour qu’il attendait. Cet amour deviendrait éternel et inaltérable. Il le garderait avec lui pour toujours, au delà même du grand fleuve noir de la mort. Elle serait si douce cette mort, délicieuse et délicate dans les bras de Tomie. Shigeru s’effondre sur le tatami de tout son poids, ayant laisser s’échapper un dernier souffle de vie en direction de sa bien aimée qui regarde de nouveau devant elle, fixant cette présence dans la pièce. Du corps de Shigeru émanent une dense fumée noire aux odeurs d’encens. Elle envahit petit à petit la pièce, mais ne perturbe en aucun cas Tomie qui reste figée. Des cendres de Shigeru, il va émaner un autre être rempli de noirceur. Cet être guette depuis longtemps au fond de la pièce et n’attendait qu’un appel de Tomie pour se révéler. L’apparence de cet être se fait de plus en plus distincte au fur et à mesure que le corps de Shigeru disparaît dans la fumée épaisse. Cet être est une femme vêtue de noir ressemblant étrangement à Tomie. Une sœur jumelle peut-être, mais semblant provenir de l’au-delà tant son teint est blafard. Tomie se lève doucement en s’aidant d’une main. Elle ne prête aucune attention à cet être qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Elle chausse ses bottines noires en refermant délicatement la fermeture éclair et sort de la chambre d’hôtel sans faire un seul bruit, dans un silence si profond qu’il nous ferait douter de notre propre présence. Les fumées noires qui remplissaient la pièce font maintenant place à une légère brume blanchâtre à l’odeur forte d’encens. « Je suis Tomie Kurokawa », se répète plusieurs fois à elle-même cette personne ressemblant étrangement à Tomie. Son teint pâle s’estompe progressivement comme si son corps s’était progressivement adapté à la chaleur ambiante de la chambre mais ses yeux restent fantomatiques. Shigeru a lui disparu dans un vent de poussière.

Shigeru se réveille vers 7h du matin. La profondeur de son sommeil lui donne l’impression d’être revenu du monde des morts. Il se rend compte à son réveil qu’il ne s’est même pas changé avant de s’endormir et qu’il a même dormi à côté de son futon, celui-ci restant intact, comme il l’avait trouvé en entrant dans sa chambre hier soir. Après une toilette rapide, il se prépare à la va-vite car le temps lui manque pour son premier rendez-vous de travail dans une vingtaine de minutes. Il ne prend même pas de petit déjeuner au lounge du rez-de-chaussée de l’hôtel et file d’un pas rapide à travers le hall jusqu’aux portes automatiques donnant sur la rue. Il cherche un taxi libre en levant la main et s’engouffre dans le premier qu’il aperçoit. Assis à l’arrière du taxi, il pousse un grand soupir et porte enfin attention au monde qu’il entoure. Le taxi avance de quelques mètres mais la circulation est dense ce matin. Shigeru soupire de nouveau d’agacement et se dit qu’il avancerait peut-être plus vite à pieds. Les passants sur le trottoirs semblent en effet marcher d’un pas plus rapide que son taxi. Parmi la foule de marcheurs en costumes noirs, il reconnaît une femme habillée en noir. Il reconnaît sa démarche et sa longue chevelure noire. Il ouvre la fenêtre. « Tomie! » Crie t’il d’une voix puissante. Ce nom semble venir d’un lointain souvenir. La spontanéité par laquelle ce nom lui est venu en tête l’étonne lui-même, mais il ne se formalise pas plus que cela. L’important, se dit il, est de rejoindre Tomie qui disparaît rapidement dans la foule sans entendre son appel. Il voit le haut de sa tête émerger un peu plus loin au niveau du carrefour. « Arrêtez-vous, je descends » préviens Shigeru en tendant au chauffeur de taxi un billet de 1000 Yens, largement suffisant pour la petite distance qu’ils ont parcouru. La fragrance forte de Tomie lui revient en mémoire et il fonce dans le foule en s’excusant sans conviction. Il ne voit pas Tomie qui a déjà disparu au loin. Il marche pourtant d’un pas rapide, court même lorsque c’est possible, mais elle n’est déjà plus là. Une panique soudaine le saisit car il ne l’a retrouve plus. Il ne voudrait pas la perdre pour toujours. Il avance d’un pas rapide en ignorant ceux qui l’entourent, en stoppant les voitures à son passage. Il l’a voit enfin devant lui de l’autre côté du carrefour. Elle s’est retournée et regarde Shigeru d’un regard profond qui le transperce jusqu’au plus profond de lui-même. Il ne peut résister à ce regard et au parfum fort qui lui remplit les poumons. Il avance comme sous hypnose pour traverser la rue en fixant obstinément Tomie de l’autre côté. Un bus de ville le percute alors qu’il s’engage sur la voie. Son corps se projette à plusieurs mètres sous le regard affolé de la foule tout autour. Il est mort sur le coup, sans douleur vu la soudaineté de l’accident. Tomie regarde la scène d’un regard froid puis se retourne et continue son chemin. Shigeru avait déjà rendu l’âme la nuit dernière.

Nao Kawakami (川上尚) est assis avec son Sempai et ami Hamada (浜田) dans un coin sombre du bar de l’hôtel Palacio à Ginza. L’ambiance est festive car Nao célèbre sa promotion qui vient juste d’être annoncée en grande pompe par le directeur de l’agence. Hamada a grandement contribué à son avancement rapide dans les échelons de l’agence, et il comptait bien le remercier. Nao est un jeune loup, certains diraient un requin, qui ne considère que son propre intérêt mais sait rester fidèle à ceux qui le soutiennent. Hamada est de ceux là. Ils se connaissent de longue date, depuis le collège même si Hamada a un an de plus que lui. Ils ont étudié dans le même lycée avant d’intégrer l’Université de Tokyo. Le parfum de la réussite lui monte vite à la tête comme l’alcool des cinq bouteilles de bière successives qu’ils viennent d’enfiler en un peu moins d’une heure. Nao est au bord de l’ivresse et ses éclats de rire deviennent même incontrôlés. Mais il se tue soudainement sous le regard interrogateur de son collègue. Son attitude enjouée change du tout au tout lorsqu’il aperçoit une femme toute habillée de noir s’approcher du comptoir du bar de l’hôtel. Hamada suit le regard de Nao et comprend très vite qu’il est tombé sous le charme mystérieux de cette jeune fille qui doit avoir environ 25 ans. Sa tenue noire ne convient pas vraiment à son âge apparent, se dit-il. Hamada taquine gentiment son ami mais Nao reste impassible. « Elle est magnifique », se dit il à voix basse, comme hypnotisé. Après quelques dizaines de secondes d’immobilité totale, il redevient lui-même, comme si le charme avait été soudainement rompu. Hamada comprend que quelque chose d’étrange vient de se passer mais il préfère changer de sujet pour éviter une gêne entre eux. Nao n’est cependant plus tout à fait le même car l’exaltation qu’il montrait jusqu’à présent a presque totalement disparu. La discussion entre les deux hommes s’interrompt même plusieurs fois par les regards insistants que Nao porte pour cette femme, comme s’il guettait ses moindres mouvements, un regard dans sa direction peut-être ou un léger mouvement de visage. Mais elle reste quasiment immobile, buvant quelques gorgées de son whisky japonais à intervalles irréguliers. Il se fait déjà tard et Hamada s’impatiente de rentrer. Au moment de se lever pour quitter les lieux, Nao peine à se tenir correctement debout, certainement sous l’emprise d’une ivresse trop forte. Il perd l’équilibre mais se rattrape de justesse d’un mouvement de main brusque se fracassant sur une des tables voisines. Le fracas de sa main surprend le barman et la femme en noir qui se retourne finalement en laissant filer ses cheveux noirs et un parfum enivrant parvenant jusqu’à Nao. La femme tourne ses yeux dans sa direction. Son regard lui paraît vide et le fascine car le vide qui s’en dégage fait écho au vide qui remplit son cœur depuis de nombreuses années. Elle serait peut-être à même de remplir ce vide, se dit-il avec une conviction proche de l’obsession soudaine. Nao quitte Hamada dans le grand hall du Palacio, en prétextant vouloir passer la nuit dans cet hôtel, n’étant pas vraiment en état de rentrer chez lui. Après avoir quitté Hamada, Nao revient vite vers le bar avec la ferme intention d’engager la discussion avec cette femme. Mais elle n’est déjà plus là. « Il y a un mot pour vous », lui dit le barman tout en nettoyant le verre de whisky qu’elle avait utilisé. « Pour moi? » interroge Nao, en constatant avec surprise la présence d’un petit morceau de papier posé sur le comptoir. Il déplie le papier qui a une légère odeur d’encens. Le chiffre 444 est écrit à la main sans aucun autre mot. Nao examine le papier, le retourne mais seul ce chiffre est écrit. Il s’agit peut-être d’un numéro de chambre d’hôtel. Ce message lui est apparemment directement adressé, il faut donc qu’il en ait le cœur net. Le visage délicat, un peu sombre, de la fille en noir lui revient en tête à ce moment là et il essaie de se l’imaginer prononcer ce numéro de chambre devant lui. Elle aurait forcément une voix douce et fragile, qu’on aurait dû mal à entendre dans le bar où la musique jazz occupe tout l’espace. Il ne l’a probablement pas entendu mais il est très probable qu’elle l’ait invité à le rejoindre dans la chambre 444 de l’hôtel. Nao est maintenant poussé par cette évidence qui le fait avancer d’un pas rapide vers les batteries d’ascenseurs du grand hall. Le couloir du quatrième étage est sombre. Il le parcourt d’un pas décidé. La porte de la chambre 444 est devant lui. Il sonne une première fois sans réponse. Un deuxième essai n’apporte toujours pas de réaction et il décide donc de frapper et d’entrer en s’excusant poliment de son intrusion. Les effets de l’alcool ingéré un peu plus tôt ont complètement disparu et il a déjà tout oublié de la soirée passée avec son ami Hamada. Toute sa concentration se porte désormais sur cette chambre et sur la femme mystérieuse en noir qui l’attire d’une manière irrationnelle. Elle est là, assise sur le tatami, les jambes perdues dans sa longue robe noire. « Je suis Tomie Kurokawa », répète elle plusieurs fois en chuchotant. Ce prénom et ce nom qu’il entend à peine réveillent en lui un souvenir. Il s’assoit sur le tatami près de Tomie et lui demande avec un peu d’hésitation: « On se connaît déjà ? ». « Oui, bien sûr. » lui répond elle. « Tu m’avais invité la dernière fois à venir ici dans cette chambre… Je suis là maintenant. » continue Tomie en regardant droit devant comme si Nao se trouvait en face elle. « Les rêves ont parfois plus de sens que le réel. » ajoute elle sans chercher de réponse. Nao se sent tout d’un coup perdu. Oui, il connaît Tomie car il l’a déjà souvent rencontré dans ses rêves. Le souvenir de Tomie l’a toujours quitté à son réveil mais elle est bien là en ce moment, à côté de lui, celle qu’il imagine être son amour éternel, celle pour qui il pourrait tout donner, même son âme. « Tu ferais cela ? » lui demande Tomie. « Oui, bien sûr. » lui répond il. Le parfum enivrant de Tomie qui envahit la pièce le remplit d’une douceur inattendue qui lui fait perdre toute force. Il s’affaisse doucement sur le tatami, la tête la première. Son visage semble souriant. Il tient à la main une longue lame que Tomie lui avait donné lors de leur dernière rencontre. Il pourrait mourir pour elle, lui avait il dit. Elle avait souri du bout des lèvres. Alors que les derniers souffles de vie s’échappent de ses poumons, Tomie ouvre son petit flacon de verre qui était posé sur la table basse. Elle veut conserver une partie de son âme avant qu’elle ne se consume complètement dans les fumées noires qui envahissent maintenant une bonne partie de la chambre d’hôtel. Nao disparaît petit à petit et une autre Tomie apparaît des ténèbres au fond de la pièce. Tomie referme le petit réceptacle de verre. Un chiffre et un nom sont notés dessus: « 444 » « Kawakami Nao ». Elle se lève ensuite doucement et se dirige vers la porte d’entrée de la chambre d’hôtel. Elle se baisse délicatement pour refermer ses bottines en cuir noir puis quitte la pièce sans un seul bruit. Au fond de la chambre, l’autre Tomie est assise en tailleur dans une noirceur ténébreuse, se répétant plusieurs fois les mots suivants: « Je suis Tomie Kurokawa ».

Vers 11h du matin, Hamada débarque en sueur dans le hall de l’hôtel Palacio. Il court jusqu’à la réception car on l’avait appelé une trentaine de minutes auparavant à propos d’un sujet grave. Nao Kawakami a été retrouvé sans vie dans la cage de l’ascenseur de secours ce matin. D’après les dires du personnel d’entretien, on l’aurait vu se jeter depuis le quatrième étage où se trouve sa chambre. Une des femmes de ménage l’avait vu sortir affolé de sa chambre alors qu’elle frappait à la porte pour entamer le ménage. Il marchait en zigzaguant dans le couloir en clamant plusieurs fois d’un air désespéré un prénom « Tomie! ». « Attends moi! Ne m’abandonnes pas » disait il en sanglotant. Après avoir ouvert la porte de secours de la cage d’escalier, il était tombé à la renverse, emporté dans son élan. La police et une ambulance sont déjà sur place, mais il est déjà trop tard. Au même moment, dans son petit appartement au sixième étage d’un vieil immeuble de briques de Kyobashi, Tomie est imperturbable malgré les événements tragiques qu’elle engendre. Elle ne les déclenche pas mais les attire inexorablement malgré elle. Son regard sombre et sa tenue noire traduisent le deuil inévitable qu’elle entraîne dans chacun de ses déplacements. Ces êtres disparaissent à sa rencontre mais elle prend à chaque fois le soin de conserver une partie de leurs âmes dans des petits flacons de verre qu’elle entasse les uns à côté des autres sur des étagères placées près d’un miroir. Elle dépose aujourd’hui un nouveau flacon sur l’étagère annoté du chiffre 444 et du nom « Kawakami Nao ». Elle le dépose à côté des autres et les parcourt du regard comme elle avait l’habitude de le faire. « 345 Kawakami Shigeru », « 604 Tokunaga Yuma », « 243 Imai Hiroshi », « 402 Miura Kenta »… Autant d’amours profonds et platoniques qui se sont conclus de manière tragique, sans qu’elle ne le souhaite. Après avoir poser le flacon, Tomie regarde ensuite son visage dans le reflet du miroir pour vérifier si chaque nouvelle âme qu’elle conserve précieusement n’a pas affecté son apparence. Dans une pièce sombre de son petit appartement, les autres Tomie sont là, assises, attendant sagement sans rien dire. Difficile de les compter car la pièce est sombre. Elles se ressemblent toutes tellement, mais elles ont des visages légèrement différents traduisant la multitude des rencontres qu’elle a pu faire. Elles répondent toutes au même nom et prénom. Une seule d’entre elles sortira dans la nuit, au bar d’un des nombreux hôtel de Tokyo, dans un éternel recommencement.


Cette courte histoire de fiction m’a été très librement inspirée par l’histoire de Tomie (富江) dans le manga de Junji Ito (伊藤潤二), car Tomie m’est revenue en tête lors de l’écriture d’un billet récent évoquant la dernière compagne du romancier Osamu Dazai (太宰治). Les lieux et les noms de personnages cités dans l’histoire ci-dessus sont bien sûr tous fictionnels. Les images ont été conçues par Intelligence Artificielle à partir des idées et de certains détails de mon histoire. Pour être clair, les images sont artificielles mais mon histoire ne l’est pas. Je me suis rendu compte lors de l’écriture du billet intitulé « dans une réalité parallèle proche du chaos » que les images que je créais virtuellement pouvaient devenir une formidable source d’inspiration. Mon impression sur ces images créées par Intelligence Artificielle est en train d’évoluer progressivement au fur et à mesure que j’expérimente. Je n’ai bien sûr strictement aucune envie de m’en servir pour remplacer mes photographies réelles.

dans une réalité parallèle proche du chaos

Shinjuku, les Vendredi 3 et Samedi 4 Janvier 2025. Images de préparation avec Kei Imamura (今村京).

Je recherchais depuis plusieurs années dans les rues de Tokyo, Kei Imamura (今村京), l’actrice principale de mon histoire en cours ’du songe à la lumière’. Je pense l’avoir trouvé plusieurs fois sous des apparences légèrement différentes dans les rues de Shinjuku en fin d’après midi et dans une petite salle de concert sombre du même quartier. J’ai pu la saisir en photo avant qu’elle ne disparaisse à nouveau dans les méandres numériques. Son étrange kimono raccourci rouge foncé avec des motifs de dragons noirs, ainsi que son attitude détachée de ce monde, étaient vraiment remarquables dans les rues animées de Shinjuku qui voient pourtant toutes sortes d’apparences excentriques. J’ai failli lui parler pour lui dire que je connaissais bien son histoire et ses tourments, mais j’ai hésité quelques instants avant de me raviser. Quel serait l’intérêt de lui raconter sa propre histoire qu’elle a déjà elle-même vécu. Si j’avais pu au moins lui donner des éléments de réponses sur son proche avenir, mais celui-ci n’est pas encore complètement écrit. En la voyant apparaître pour la première fois sur la petite scène underground du Loft de Shinjuku, elle m’a par contre donné des nouveaux éléments pour comprendre ses aspirations, pour la musique rock alternative bien évidemment. Sa voix tout en nuances est fascinante et ne laisse aucun doute quand à la notoriété future de son groupe Dreamers never End, qu’elle vient de démarrer avec Ruka Akatsuki (暁ルカ). Avant le concert, le groupe faisait des repérages de préparation dans les rues de Shinjuku pour la future vidéo de leur single Another crash, avec Kei en protagoniste principale.

Shinjuku, le Dimanche 5 Janvier 2025 (大安). Tournage de la vidéo du single Another crash du groupe Dreamers never End.

Vous l’aurez déjà remarqué, ces photographies ne sont pas réelles mais bien imaginaires, construites de toutes pièces à partir de l’application Xai Grok en donnant en instructions un certain nombres d’éléments textuels choisis. L’application Grok est disponible depuis peu en libre accès avec des limitations à l’intérieur de l’application X. En l’essayant par curiosité, j’ai tout de suite eu l’envie de matérialiser le personnage de mon histoire. Je pense qu’une des photographies ci-dessus correspondrait assez bien à l’image parfois changeante que je me donne d’elle lorsque j’écris les lignes de mon histoire. Il faut dire que c’est particulièrement amusant et addictif de créer ces images en essayant d’apporter le maximum d’éléments textuels descriptifs pour conditionner un résultat visuel le plus proche de l’image que l’on a en tête. Il est tout de même difficile de complètement contrôler le résultat final sur lequel il reste de nombreux éléments aléatoires, à moins de vraiment décrire d’une manière complètement exhaustive tous les détails de la photographie. Je ne suis pas sûr que ça soit vraiment possible. Il n’est aussi pas rare de voir des images créées avec des bugs graphiques en tout genre. Les images créées par Grok ont une résolution assez faible de 1024 pixels et j’ai dû utiliser un upscaler AI pour doubler la résolution, ce qui a tendance à très légèrement lisser l’image. Depuis quelques temps, je fais mes propres petites expériences d’utilisation de l’intelligence artificielle pour mieux comprendre ses limites. L’outil est quand même assez impressionnant tout en étant loin d’être parfait. Dire qu’on est seulement au tout début de ce type d’application peut donner le vertige. Dans ce monde parallèle qui est désormais si facile de créer, on pourrait facilement tomber dans le chaos. Et pourtant, créer ses images me permet de trouver quelques éléments d’inspiration pour continuer mon histoire. Décrire par écrit ce que je veux voir en images me donne des pistes d’écriture, en concrétisant en quelque sorte ce que je peux imaginer et en y mêlant une dose d’imprévu. Je ne vois par conséquent pas ces images comme une finalité mais comme un point de départ pour nourrir mon histoire.

Shinjuku Kabukichō, le Jeudi 23 Janvier 2025 (大安). Le groupe Lunar Waves avec en ordre d’apparence: Minami Tezuka (手塚美波) [Vo & Gt], Fuka (風薫) [Dr], Mizuki Kuromi (黒見美月) [Ba] et Karen K (K-カレン) [Gt Lead].

Après son départ du groupe Atomic Preachers, qu’elle menait au chant avec Ruka Akatsuki (暁ルカ), en raison de certains différents qui restent assez flous, Minami Tezuka (手塚美波) retrouva son amie de lycée Mizuki Kuromi (黒見美月) pour la convaincre de créer de la musique ensemble. Elles avaient déjà joué ensemble des reprises de groupes visual-Kei dans le petit club de musique du Lycée Toyama dans lequel elles étudiaient. Elles allaient dans le même Juku le soir, ce qui les avaient d’abord rapproché. Deux ou trois jours par semaine, elles marchaient ensemble du Lycée jusqu’à la gare d’Ikebukuro où se trouvait le Juku, en passant à chaque fois devant le Campus d’Ikebukuro du Tokyo College of Music à Zōshigaya. Elles discutaient de leurs groupes préférés et de leurs nouvelles découvertes musicales alternatives pendant la trentaine de minutes du trajet à pieds, mais s’arrêtaient toujours en silence en passant devant le collège de musique de Zōshigaya. Minami voyait clairement son avenir dans la musique mais Mizuki était plus incertaine. Il aurait fallu peu de choses pour qu’elles se convainquent de continuer leur groupe du lycée, mais le passage dans des universités différentes les a malheureusement séparé. Mizuki a pourtant toujours pratiqué la musique en jouant de la basse à ses heures perdues. Lors de retrouvailles dans un izakaya aux bords de Kabukichō, avant d’aller voir un concert de rock underground au Loft, Minami n’a pas eu beaucoup de mal pour convaincre Mizuki de tenter de reformer un groupe ensemble. Minami avait déjà quitté Atomic Preachers et était donc libre comme l’air. Elle connaissait également Fuka (風薫) par l’intermédiaire d’un autre groupe qui avait joué sur la même scène qu’Atomic Preachers lors d’un petit festival de rock indépendant à Saitama. Il est originaire de la province de Shiga, tout près de Kyoto mais a déménagé à Tokyo depuis au moins trois ans. Il est batteur pour plusieurs groupes, mais avait déjà fait part à Minami, lors de ce festival que son souhait serait de pouvoir se fixer dans une formation qui lui conviendrait. Ils se sont revus plusieurs fois lors de concerts et Minami a toujours été attiré par son jeu puissant et par son style à l’élégance androgyne. Fuka était tout de suite d’accord pour rejoindre Minami et Mizuki dans leur nouvelle formation, qui prit rapidement le nom de Lunar Waves, en contraction des kanji composant les prénoms des deux fondatrices. Trouver la guitariste qui viendrait compléter le groupe a pris un peu plus de temps. Minami et Mizuki ont eu recours aux petites annonces et au bouche-à-oreille pour la trouver. Karen K (K-カレン) y a répondu après deux petites semaines. Mizuki la connaissait en fait déjà car Karen montre sur YouTube depuis au moins deux ans des vidéos d’elle-même reprenant à la guitare électrique des classiques de Luna Sea ou de X Japan, entre beaucoup d’autres groupes généreux en guitares. Mizuki la trouvait impressionnante et son enthousiasme débordant n’a pas eu beaucoup de mal à convaincre Minami de la recruter au sein de Lunar Waves. Karen est née à Yokohama. Elle est chinoise par sa mère originaire de Shanghai et japonaise par son père. Ses parents se sont séparés quelques années après sa naissance et elle a toujours vécu avec sa mère. Elle a par contre conservé le nom de famille Kitamura (北村), venant de son père, même si elle ne le mentionne pas dans son nom d’artiste. Karen a toujours aimé le rock japonais quand il tend vers une certaine forme de flamboyance. La direction artistique du groupe est donc désormais assez claire, un rock crépusculaire avec une certaine flamboyance évoquant le visual-Kei. Dans le petit monde du rock indépendant tokyoïte, Kei a appris assez vite l’existence de cette nouvelle formation, même si elle-même est relativement novice dans le milieu. Elle ne l’a pas appris par Ruka, qui est resté très silencieux sur le sujet du fait de son histoire passée avec Minami Tezuka. Kei eut envie de rencontrer Minami, sans pourtant savoir vraiment pourquoi, peut-être pour y trouver un modèle ou une oreille qui pourrait l’écouter et lui donner des conseils. Elles ne se connaissent pas encore, mais Yuta, le photographe touche-à-tout, ami de Ruka et du batteur de Dreamers never End, l’a informé discrètement qu’une séance photo du nouveau groupe Lunar Waves aurait lieu ce soir vers 19h dans une petite rue de Kabukichō. Sa curiosité l’emporta sur tout, et Kei se décida rapidement à aller voir cette scène photo. À 19h, les rues de Tokyo sont déjà sombres, mais celles de Kabukichō sont éclairées par les lumières artificielles des néons des buildings alentours. Elle ne savait pas l’endroit exact où aurait lieu la séance photo, mais elle le découvre en fait assez facilement. Elle garde une certaine distance, habillée dans une tenue noire pour passer relativement inaperçue, du moins par rapport au kimono court rouge et noir qui l’avait habillé pour la vidéo de leur premier single filmé il y a quelques jours à Shinjuku. Un petit groupe de personnes est réuni autour d’une superbe Ford Mustang vintage noire. Les quatre membres du groupe Lunar Waves se relaient pour être pris en photo, assis sur le capot de la Ford Mustang. Minami Tezuka est la première a être prise en photo, suivie par le batteur Fuka. Mizuki Kuromi continue ensuite cette procession photographique en s’asseyant à son tour sur la Ford. Elle a été particulièrement imaginative et extravagante pour son maquillage rouge, ce qui lui vaut quelques commentaires du photographe et des rires faisant écho dans l’obscurité. La ligne esthétique était définie avec à l’esprit d’apporter un choc visuel. Le groupe s’était mis d’accord pour un pantalon ou une jupe courte en cuir noir et un haut en simili-python trouvé ensemble dans la même friperie de Shimokitazawa, mais l’interprétation de chacun et chacune était libre. Il est clair qu’ils sont tous les quatre sur la même longueur d’onde. Kei observe avec distance les flashs éclairants soudainement chacun des visages les uns après les autres. L’image est presque irréelle tant il et elles ont vraiment l’air d’être sûr de leurs attitudes comme s’ils avaient joué ensemble depuis des années et avaient parfaitement conscience de l’image qu’ils renvoient. Cette assurance apparente l’impressionne, mais elle sait en être également capable, comme c’était le cas sur la vidéo tournée dans les rues de Shinjuku. Alors que la séance photo semble toucher à sa fin, Kei s’approche doucement de la Ford Mustang en fixant Minami comme si elle voulait qu’elle s’en rende compte. Kei n’est pas aussi insistante d’habitude, mais elle a le sentiment très fort qu’il ne faut pas qu’elle laisse passer cette occasion d’aborder Minami. Minami se rend compte assez vite de sa présence et fixe maintenant Kei du regard. Immobiles, on aurait l’impression depuis la distance où je me trouve qu’elles se jaugent l’une et l’autre, comme deux rivales potentielles. Ce moment immobile semble interminable mais Minami esquisse enfin un sourire au coin de ses lèvres. Kei s’approche. Elles se connaissent peut-être déjà sans que je le sache. Après tout, ce que je sais de l’histoire de Kei se limite à ce que je suis en mesure d’écrire.

memory leak

Juste à côté de Sekiguchi Bashoan (関口芭蕉庵), l’ancienne maison du poète haïku Matsuo Bashō (松尾芭蕉) que je montrais dans un billet récent, se trouvent les jardins d’Higo Hosokawa (肥後細川庭園). Ces lieux étaient la résidence secondaire du clan Hosokawa, seigneurs du domaine de Kumamoto pendant la période Edo, ensuite devenus la résidence principale de la famille Hosokawa. Ces jardins ouverts au public prenaient auparavant le nom de Parc Shin-Edogawa (新江戸川区公園) mais ils ont été renommés en 2017 suite à d’importants travaux de rénovation. Les jardins sont particulièrement agréables, notamment par le dénivelé qui donne une belle vue d’ensemble du domaine. On peut accéder par l’arrière des jardins à un musée appelé Eisei Bunko (永青文庫) qui regroupe des œuvres d’art de la famille Hosokawa. La porte de pierre ronde permettant le passage des jardins vers le musée est étonnante, comme si elle nous permettait de remonter dans le temps et dans les mémoires.

Les esprits les plus attentifs se souviendront peut-être de mon évocation passionnée de la musique de l’artiste Tomo Akikawabaya sur une compilation sortie en 2016 intitulée The Invitation of the Dead qui regroupait des EPs de l’artiste sortis dans les années 1980. J’avais été complètement fasciné par cette musique obscure et étrange. Lorsque l’artiste annonça la sortie d’un deuxième album intitulé The Castle II regroupant d’autres de ses créations datant de ces mêmes années 1980, je n’avais pu m’empêcher de mentionner mon enthousiasme sur un des billets de son compte Instagram. Cet album The Castle II a une ambiance tellement unique qu’il en est inclassable. L’artiste, de son vrai nom Tomoyasu Hayakawa, m’avait contacté peu de temps après en message privé pour me faire part qu’il avait parcouru Made in Tokyo et apprécié les photographies et les textes que j’avais écrit au sujet de sa musique. Une conversation, certes discontinue, s’est instauré entre nous car il a des liens avec d’autres artistes que j’apprécie, du label Flau notamment. Il me recommande récemment la musique de Caterina Barbieri, artiste électronique italienne basée à Berlin, qui doit d’ailleurs passer prochainement à Tokyo pour une performance organisée par Mutek Japan. J’apprends également qu’elle sera la future directrice artistique musicale de la Biennale de Venise pour les deux années 2025-2026. Tout ceci m’intéresse beaucoup et je me plonge dans l’album Ecstatic Computation que Caterina Barbieri a réédité en 2023 sur son label Light Years. L’album est disponible sur Bandcamp tout comme son suivant intitulé Myuthafoo que je découvre juste après. J’ai été tout de suite très impressionné par l’atmosphère profonde et hypnotique qu’elle crée. J’y ressens une sorte d’instabilité qu’elle arrive à contrôler et, en même temps, à laisser aller comme si la machine avait également son mot à dire dans ses compositions. J’y ressens une harmonie subtile et éphémère qui apparaît pendant les morceaux qui se finissent parfois en crash. Cette musique est dense et complexe mais démarre souvent sur des motifs simples qui se mélangent ensuite pour créer des méandres dans notre cerveau. Cette musique a une très grande force d’évocation notamment le morceau Myuthafoo de l’album du même nom, qui a une profondeur qui me laisse sans voix. Le morceau Fantas long de plus de 10 mins démarrant l’album Ecstatic Computation est également assez fantastique dans sa composition. C’est le genre de morceau qu’on écoute sans bouger, comme si on était paralysé par cette atmosphère musicale et l’émotion forte qui s’en dégage. Le pouvoir d’évocation de cette musique est même parfois tellement puissante qu’elle pousse vers une introspection vers laquelle on ne souhaite pas toujours allé. Ce n’est clairement pas une musique inoffensive.

Je continue mes expériences d’utilisation de ChatGpt en le questionnant cette fois-ci sur moi-même. Si les versions précédentes de l’outil ne reconnaissait heureusement pas mon nom, celle actuelle semble avoir beaucoup d’informations à mon sujet, qui sont, il faut bien le dire, en grande partie fausses. Ça démarre pourtant à peu près bien car l’outil arrive à mettre un lien entre mon nom et le blog Made in Tokyo et parvient à en comprendre les thèmes principaux. Ma présence internet est presque entièrement sur ce blog, donc le fait qu’il l’évoque n’est pas du tout étonnant. Mais ChatGpt s’emballe en mentionnant de nombreuses activités qui me sont complètement étrangères, comme la tenue de conférences et d’ateliers, l’écriture de livres et d’articles dans des magazines. Ce qui est vraiment fascinant est que l’outil donne des informations qui semblent très précises avec des noms de lieux, d’editions, de magazines connus avec des dates. Cette fois-ci, je ne l’ai pas poussé dans ses contradictions car la tâche paraissait trop grande, mais cet outil me paraît en fait dangereux.

Après avoir lu toutes ces « informations » énoncées avec un certain aplomb, on en viendrait presque à douter de soi-même, comme si cette version de ma vie était celle que j’aurais dû avoir. C’est comme si l’outil déduisait automatiquement que la masse d’information que j’écris sur Tokyo et son architecture voulait forcément dire que je l’ai exposé dans des conférences et des ateliers, et non « gratuitement » dans un blog. On pourrait presque se convaincre d’avoir fait toutes ces choses, et d’avoir en quelque sorte perdu la memoire. Je me demande quels sont les gardes-fous pour ce genre de choses. J’ai essayé des questions similaires sur Gemini, l’outil AI de Google, et il est heureusement beaucoup plus mesuré dans ses réponses en rappelant régulièrement qu’une recherche directe sur internet permet d’avoir des informations plus précises. Parmi les réponses de ChatGpt, j’ai cherché à savoir si les livres mentionnés existaient bien aux éditions données, en pensant que mon nom y avait été associé par erreur, mais je n’en ai trouvé aucune trace. ChatGpt invente donc toutes ces fausses informations. Je n’ai pas essayé Grok, l’outil AI de la plateforme X, car je n’y ai pas accès. Je ne publie de toute façon plus beaucoup sur X Twitter. Il y a quelques jours, mon article sur le building Arimaston avait reçu beaucoup de visites depuis Twitter, car une ou deux personnes avaient posté un lien vers mon article dans les réponses à un Tweet au sujet de cette maison publié par un autre français à Tokyo. En lisant les réponses souvent violentes au Tweet en question, on peut se demander si le monde n’est pas devenu fou (plusieurs personnes clament qu’il faut tout simplement raser cette maison). La leçon de l’histoire est qu’il ne faut jamais lire les réponses aux Tweets sous peine d’entrer dans un tourbillon de violence verbale qu’on ne préférait pas voir. Je me dis que ce blog est un petit havre de paix et j’espère qu’il le restera ainsi.

the streets #6

Je continue tranquillement ma série the streets, redémarrée récemment par les épisodes #4 et #5. La plupart des photographies de ce sixième épisode ont été prises avec mon objectif 40mm pendant une même journée légèrement pluvieuse dans la rue Cat Street, avant l’ouverture de la plupart des magasins. Cette rue quasiment piétonne est coupée en deux par la grande avenue d’Omotesando qui voyait ce jour là un défilé de policières percussionnistes. À part ce défilé, je montre peu de personnes dans les rues, à part celles qui décident soudainement de se dévoiler au détour d’un immeuble et celles de moi-même quand j’autorise mon image à se refléter contre les baies vitrées (ici avec mon magnifiquement simple t-shirt de Daoko acheté lors du concert de Shibuya).

Le premier étage de la Lurf Gallery à Daikanyama est à la fois utilisé comme café et comme espace d’exposition. J’y jette régulièrement un coup d’œil pour voir si on y montre des choses intéressantes. On y exposait cette fois-ci une série de 13 illustrations de l’artiste Masanori Ushiki intitulée « Easy Telepathy II ». Je découvre cet artiste, que je ne connaissais pas. Je suis attiré par les motifs parfois étranges mélangés aux couleurs fortes des personnages qu’il dessine, qui les rendent tout à fait unique.

Cö Shu Nie vient de sortir son nouvel album intitulé 7 Deadly Guilt le 4 Septembre 2024. Je connaissais déjà deux titres sorti en avance, Artificial Vampire et Burn The Fire, dont J’avais déjà parlé dans des billets précédents. Je continue mon écoute de ce nouvel album en choisissant les morceaux qui m’intéressent le plus. J’y découvre ceux intitulés Where I Belong et I want it all. On y retrouve toute l’instabilité mélodique caractéristique de Cö Shu Nie, notamment dans le chant fantastique de Miku Nakamura (中村未来) quand il ne s’accorde pas sur des compositions classiques. Elle a une vision tout à fait unique de l’harmonie et ces deux morceaux en sont de bons exemples. La composition rock qui accompagne Miku est comme d’habitude pleine d’inattendu et souvent proche du match rock. Le compositrice et chanteuse o.j.o est pour sûr à suivre de très près. J’avais parlé et été épaté par son premier single Bah! sorti il y a quelques mois. Elle sort son deuxième single intitulé PEOPLE DEMON qui est excellent. Il faut rappeler que la jeune tokyoïte o.j.o est vraiment très jeune car elle est collégienne et n’a que 13 ans (?!). C’est tout à fait étonnant vu la qualité de ses compositions musicales, qui n’ont rien de classique comme sur son précédent single. Elle a suivi des cours de piano et de danse dès le plus jeune âge, et sa manière non-conventionnelle de danser est également un des points intéressants de la vidéo accompagnant le morceau. On peut lui prédire que des bonnes choses à l’avenir, vu qu’elle vient déjà d’être repérée par la chaîne YouTube The First Take que lui a donné l’opportunité de chanter 60 secondes de ses deux morceaux Bah! et PEOPLE DEMON. On se demande quand même pourquoi The First Take ne diffuse pas l’intégralité de sa performance.

La sortie d’un nouveau single de Tricot est une bonne nouvelle. Si je ne me trompe pas, le groupe n’avait rien sorti de nouveau depuis leur album Fudeki (不出来) datant de Décembre 2022. Avec Tricot, on sait toujours à peu près à quoi s’attendre et je ne suis en général jamais déçu. Le nouveau single Call (おとずれ) est sorti le 5 Octobre 2024 et je me suis tout de suite précipité pour l’écouter. Les premiers accords de guitare de Motifour Kida (キダ モティフォ) et la voix d’Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) nous ramènent tout de suite vers l’ambiance rock de Tricot que j’aime tant. Retrouver les accords très précisément agencés de Kida et la puissance de la batterie de Yosuke Yoshida (吉田雄介) quand il se lance franchement au milieu du morceau est un vrai plaisir. Je trouve que le chant d’Ikkyu arrive toujours à garder cette fraicheur des premiers albums, dont on ne se lasse pas. Je ne sais pas si la bassiste Hiromi (ヒロミ・ヒロヒロ) a participé à ce nouveau single, car elle est censée être en congé maternité. Tricot continue pourtant a tourner avec un bassiste d’appoint. Un point intéressant est que Hitsuji Bungaku (羊文学) est depuis quelques mois sans batteur car Hiroa Fukuda (フクダヒロア) est en repos prolongé, mais le groupe continuant à tourner assez intensément dans divers festivals et pour leur tournée 2024, un batteur de support rejoint régulièrement le groupe. Pour l’émission télévisée CDTV de la chaîne TBS le lundi 30 Septembre 2024, Hitsuji Bungaku a fait appel à Yosuke Yoshida pour être batteur d’appoint. Sachant que Yoshida jouait sur la tournée récente de Daoko, je me dis qu’il contribue à créer des liens entre les formations musicales que j’aime et que j’ai vu en live. Je me dis aussi que Hitsuji Bungaku a fait un petit bout de chemin depuis que je les ai vu la dernière fois. Leur tournée 2024 soft soul, prickly eyes en treize dates dans tout le Japon terminait par deux concerts au Tokyo Garden Theater qui a une capacité de 8000 personnes. En comparaison, la tournée 2023 if i were an angel à laquelle j’ai assisté se terminait par deux dates au Zepp Haneda qui ne fait que 3000 places. Si les nouvelles sorties côté Tricot restent assez éparses, ce n’est pas le cas pour Ikkyu Nakajima qui sort déjà son deuxième EP en solo. Après DEAD sorti en Mai 2024, voici LOVE qui vient juste de sortir le 25 Septembre 2024. Kentarō Nakao (中尾憲太郎), le bassiste de NUMBER GIRL, produit et joue de la basse sur les deux morceaux que je préfère du EP: EFFECT et By my side. Kentarō Nakao avait déjà produit des morceaux de Tricot et même participé à l’émission spéciale de 24h non-stop du groupe, donc sa présence auprès d’Ikkyu ne m’étonne pas beaucoup. Je suis par contre moins familier du musicien Cwondo (近藤大彗) de No Buses qui contribue aux deux morceaux LOVE et Ana (あな). La guitariste de Tricot, Motifour Kida, joue sur le dernier morceau Minority (未成年) accompagnée d’Emi Nishino (西野恵未) au piano. Sur ce morceau, les sons du piano et de la guitare se mélangent avec un équilibre bancal par moment assez bizarre. Le EP contient de nombreuses petites irrégularités harmoniques de ce genre et les incursions électroniques sont également fréquentes. C’est un EP réussi, même si je le trouve inégal, qui part vers d’autres horizons, plus intimes certainement, que ce qu’on peut entendre chez Tricot.

椎名さんのお耳に届くなら一層頑張りたい

Dans une interview sur le site web musical Mikiki de Tower Records au sujet de son nouvel EP LOVE, Ikkyu nous fait part du fait que sa collaboration avec Sheena Ringo sur le morceau Chirinuru wo (ちりぬるを) de son dernier album Hōjōya (放生会) avait en quelque sorte eu une influence sur son nouvel EP. Sheena Ringo lui avait dit qu’elle avait écouté et apprécié son EP précédent DEAD. Ikkyu a donc créé son nouvel EP en imaginant que Ringo l’écouterait peut-être et elle nous dit que ça l’a en quelque sorte poussé à s’appliquer. Je retranscris ci-dessous la partie de l’interview provenant du site Mikiki évoquant ce point en particulier. Cela me donne l’occasion d’utiliser l’open AI ChatGpt pour voir comment l’outil a évolué au niveau de la traduction de textes. Je pense qu’il se débrouille plutôt bien même s’il faut toujours lire le résultat avec attention (par exemple, ChatGpt traduit « 放生会 » en « Hōjōkai » plutôt que le correct « Hōjōya »).


Cette transcription sur ChatGpt m’a poussé à utiliser un peu plus l’outil en lui posant des questions très précises. J’ai pris le thème de cette collaboration passée entre Sheena Ringo et Ikkyu Nakajima pour l’interroger un peu plus. Connaissant déjà les réponses, cela m’a permis de vérifier où l’outil en est en terme d’auto-apprentissage sur des sujets très spécifiques, mais largement couverts sur internet. Il s’avère que l’outil a une base de données plus actuelle qu’auparavant mais fait de très nombreuses erreurs, en les annonçant parfois avec un aplomb qui nous forcerait presqu’à le croire. Je montre ci-dessous des captures d’écrans de ChatGpt pour illustrer le niveau de justesse de l’outil, et il reste pour moi très peu fiable et je dirais même à éviter.






L’avantage de l’intelligence artificielle serait pour moi de répondre à des sujets spécifiques qui ne sont pas immédiatement disponibles sur un site internet. Je vois qu’on en est encore loin. Je me contenterais peut-être de l’outil pour des traductions, qui me semblent à priori meilleures que sur Google Traduction.