a ray of sun, a better tomorrow

Je suis venu tout spécialement en cette fin de journée devant le Tokyo Metropolitan Gymnasium (conçu par Fumihiko Maki) pour regarder comment il réagissait à la lumière du soir, de quelle manière il venait la réfléchir. Cela me donne l’occasion de marcher autour du stade olympique et autour d’un autre stade dans lequel se déroule un match de baseball. En poussant un peu ma marche, j’arrive dans le centre de Shinjuku près du Yasuyo Building de Nobumichi Akashi, que je mentionnais dans un billet récent. J’avais utilisé ce building aux formes agressives noires comme image d’en-tête de Made in Tokyo pendant 6 ans, de 2010 à 2016, pour les évolutions Version-5 et Version-6 de ce blog. Pour la Version-6, j’avais même complètement enlevé le titre du blog pour ne laisser que cette image comme élément distinctif. Le titre de ce billet est en partie emprunté à celui du film de Hong Kong A Better Tomorrow (男たちの挽歌 en japonais) de John Woo avec Chow Yun-Fat et Leslie Cheung sorti en 1986. Le film A Better Tomorrow était à l’affiche d’un petit cinéma du centre de Shinjuku. J’ai eu une période cinéma de Hong Kong, il y a très longtemps avant de venir au Japon. Elle avait démarré avec la violence des films de John Woo pour continuer ensuite avec le romantisme décalé des films de Wong Kar-Wai pour lesquels j’ai eu une grande passion (et un poster de Fallen Angels que j’avais amené jusqu’au Japon). Outre Chungking Express et Fallen Angels de Wong Kar-Wai, je garde précieusement quelques autres films dans ma cinémathèque idéale, comme Made in Hong Kong du réalisateur Fruit Chan (qui m’a inspiré le nom de ce blog) et Millenium Mambo du taïwanais Hou Hsiao-hsien. L’envie de regarder ces films me revient régulièrement, presque comme une nécessité. Fut aussi une époque un peu plus lointaine où je regardais sur Canal+ les films du réalisateur chinois Zhang Yimou (Épouses et concubines, Vivre!), ceux de la première partie des années 1990 avec l’actrice Gong Li.

Musicalement parlant, j’écoute en ce moment, en alternance avec le reste, la musique du groupe Ray sur leur dernier album intitulé Green, sorti officiellement le 25 Mai 2022. On pouvait en fait l’écouter en intégralité sur YouTube sur la chaîne du groupe depuis la fin Avril, un mois avant la sortie officielle de l’album. Ce principe avait déjà été employé sur l’album précédent de Ray intitulé Pink, dont j’avais également parlé sur ce blog. Le concept de Ray est de mélanger une musique rock à inspiration shoegazing avec des voix d’idole, celles des quatre filles du groupe. Le contraste est intéressant et plutôt bien accepté par les amateurs de shoegazing. Même s’il ne fonctionne pas toujours parfaitement sur tous les morceaux, à mon avis, je trouve le concept plus abouti sur cet album. Le premier morceau Gyakkō (逆光) est un bon exemple du style musical du groupe, mais le meilleur morceau de l’album est d’assez loin le troisième intitulé Gravity, car il pousse fort le son des guitare shoegaze. Ce morceau est en quelque sorte l’équivalent du morceau Meteor de l’album Pink, qui reste tout de même pour moi le meilleur morceau du groupe (j’aime d’ailleurs aussi beaucoup la vidéo du morceau). Gravity est le seul morceau produit par un musicien étranger, à savoir Daniel Knowles du groupe shoegaze anglais AMUSEMENT PARKS ON FIRE. Meteor sur Pink était également le seul morceau produit par un musicien non-japonais (Elliott Frazier du groupe shoegaze américain Ringo Deathstarr). Comme sur Pink, plusieurs compositeurs réputés prennent en charge la partition musicale qui est toujours impeccable. On retrouve certains noms déjà évoqués ici pour leurs groupes respectifs ou d’autres projets, comme Azusa Suga (管梓) de For Tracy Hyde et AprilBlue, Tomoya Matsuura de monocism, Yusei Tsuruta de 17 years old and Berlin Wall (17歳とベルリンの壁) ou encore Kei Toriki. Parmi les noms de compositeurs, on trouve également Yūsuke Hata (ハタユウスケ) du groupe Cruyff in the bedroom, connu de la scène shoegaze japonaise, et quelques autres. Parmi les bons morceaux de ce nouvel album, on retrouve également les morceaux Koharuhi (コハルヒ), et 17 qui est déjà sorti depuis plusieurs mois. L’album Green s’aventure parfois vers des ambiances plus electro-pop d’inspiration 80s sur des morceaux comme Moon Palace (ムーンパレス) ou TEST. Le début de Moon Palace me fait d’ailleurs pensé au générique de la série Stranger Things sur Netflix que je suis justement en train de regarder en ce moment (la quatrième saison), comme tout le monde. Et comme tout le monde également, je me suis mis à écouter le morceau Running Up That Hill de Kate Bush, qui intervient dans une scène importante d’un épisode de cette quatrième saison.

obscure, la force est noire …

… noir comme le château où flotte l’étendard, notre drapeau. Ce building couvert de plaques de métal noir à Jinbōchō (神田神保町) me fascine tout comme le building Yasuyo Building de Nobumichi Akashi à Shinjuku. Il s’agit du Jimbocho Theater conçu par Nikken Sekkei, utilisé comme salle de spectacle Manzai par l’agence de comédiens Yoshimoto Kogyo. On y trouve également une école de comédie aux derniers étages et une salle de cinéma au sous-sol opérée par la maison d’édition Shogakukan. J’ai toujours trouvé étrange d’avoir choisi un design aussi agressif pour une agence de comédie. J’aurais pu comprendre si l’humour qu’on y pratiquait était incisif, mais ce n’est pas vraiment le cas de Yoshimoto, à ma connaissance. Le building n’a pas changé depuis la première fois que je l’ai vu en 2007, mais je m’attendais à voir certaines plaques noires repeintes en orange éclatant. Je suis en fait revenu voir Jimbocho Theater pour voir ce mélange de couleurs mais la couleur orange avait déjà disparu. Peut-être que cette touche de couleur était une tentative d’adoucir l’aspect visuellement inhospitalier du lieu. Ce building fait vraiment figure d’anomalie dans le quartier des librairies plutôt composé de vieux immeubles. Il ressemble à un objet spatial non-identifié qui aurait soudainement atterri dans le quartier. On me souffle même sur Instagram qu’il ressemble au casque de Dark Vador, mais qui clignerait de l’oeil comme pour nous signifier qu’il a bien conscience de ne pas être à sa place ici mais prend un malin plaisir à être disruptif. Le quartier de Jinbōchō était autrefois le domaine du samouraï Nagaharu Jinbō, le design de ce building est peut-être inspiré par les formes d’un casque de samouraï, en version modernisée. Ces formes aiguës défensives me font en tout cas penser à un château noir, une version moderne de ceux de la période guerrière de Sengoku. Juste à côté du Jimbocho Theater, je ne manque pas d’aller faire un petit tour dans la librairie spécialisée en architecture Nanyodo. Une grande quantité de livres y est condensée sur deux étages. Quelques ouvrages me font bien envie mais on n’a plus beaucoup de place à la maison pour de nouveaux livres. Notre petite bibliothèque, un meuble au style chinois acheté dans une brocante il y a très longtemps, est plein à craquer et j’ai peur qu’il s’affaisse un jour où l’autre sous le poids des livres. Le dernier gros bouquin que j’ai acheté est le recueil de photographies de Mika Ninagawa et il se trouve toujours en apparence sur la table basse du salon. J’ai une attirance pour les gros livres, comme ceux du making of des trois premiers Star Wars posés en apparence dans un coin du salon, mais c’est maintenant devenu difficile d’en ajouter un discrètement sans attirer l’attention.

De passage à Jinbōchō, je visite à chaque fois la librairie Komiyama Tokyo, qui vend des livres d’occasion mais ressemble également beaucoup à une galerie d’art avec quelques artistes montrant leurs œuvres un peu partout dans la librairie. J’aime surtout la désorganisation générale du magasin, qui donne l’impression qu’on pourra y trouver des trésors cachés. Les trésors peuvent être parfois très onéreux. Les quatre étages de la librairie sont spécialisés en photographies artistiques, parfois à tendance érotique, mais aussi en illustrations d’artistes japonais actuels comme cette illustration d’Akiakane (秋赤音) que je montre ci-dessus. Les affiches vintage de Star Wars côtoient celles de Tadanori Yokoo ou de la marque de street wear Supreme. J’aurais bien acheté celle avec Kate Moss, mais ça aurait difficilement passé à la maison. Et puis, l’affiche était de toute façon hors de prix. Je comprends un peu mieux pourquoi elles sont vite subtilisées quand elles sont affichées dans les rues de Tokyo. J’avais vu celle de Kate Moss près d’Harajuku il y a tout juste dix ans. On y trouvait également en vente l’affiche Supreme avec Neil Young. Mais de Suprême, je préfère NTM dont je réécoute soudainement l’album Paris sous les bombes (de graffitis, précisons bien). Je ne l’avais pas réécouté depuis plus de 25 ans, et j’avais un peu oublié la violence de certaines paroles. Mais quelle puissance verbale quand même. Dans la librairie Komiyama Tokyo, je suis surpris de voir des illustrations de COOKIE (くっきー!). Je le connaissais comme comédien de l’absurde (chez Yoshimoto Kogyo, d’ailleurs), et en musicien dans le groupe Genie High avec Enon Kawatani et Ikkyu Nakajima (entre autres), mais pas comme artiste graphique. Je ne suis pas sûr qu’il excelle dans tous ces domaines, mais tout n’est pas si facile. Tout ne tient qu’à un fil.

stairways to heaven and hell

Je reviens avec la première photographie sur la maison de béton Experience in Material 45, également nommée House in Jingumae (pour faire plus simple), par l’architecte Ryoji Suzuki. Je la prends en photographie sous un angle mettant en valeur les mystérieux escaliers semblant monter vers le ciel. À chaque fois que je vois ce bâtiment, je me pose la question de l’organisation intérieure car on ne voit aucune ouverture qui pourrait nous donner quelques pistes. La dernière photographie nous donne par contre l’impression d’une descente dans les bas-fonds. Il s’agit d’un passage souterrain de la station Yotsuya Sanchōme reliant deux quais de la ligne de métro Marunouchi. Cette tuyauterie exagérée est vraiment étonnante et on se demande si tous ces tuyaux sont bien fonctionnels. Cette imagerie de tuyauterie me rappelle la manga Akira, qui m’a beaucoup inspiré pour mes formes futuro-organiques. Je ne suis pas sûr de l’avoir déjà mentionné ici, mais ces formes futuro-organiques que j’ai tant dessiné m’ont en fait été initialement inspirées par le graphisme du mangaka Masakatsu Katsura pour la couverture du premier volume du manga Vidéo Girl Ai (電影少女). J’avais lu assidûment ce manga à l’époque de sa sortie en France de 1994 à 1997 aux éditions Tonkam. J’avais même dessiné une version modifiée en très grand format de cette couverture. Cette illustration m’avait pris beaucoup de temps, mais je me souviens encore bien de ces précieux moments passés à dessiner devant une grande feuille cartonnée en écoutant de la musique. Comme toutes les illustrations que j’ai dessiné à cette époque, j’ai dû écrire au dos du dessin le nom des albums que j’écoutais au moment où je dessinais. J’ai toujours aimé garder une trace de ce que j’écoutais en dessinant et je me rends compte maintenant que je fais exactement la même chose sur ce blog. J’ai également ce besoin de documenter les photographies que je prends avec la musique que j’écoute. La construction de mes billets sur ce blog mélangeant photographies et présentations musicales n’est en fait qu’une retranscription de cela. Je viens de m’en rendre compte en écrivant ces lignes. Pour revenir à ces tuyaux de la station Yotsuya Sanchōme, j’en montre d’autres photos sur mon compte Instagram. Et entre ces escaliers qui semblent monter vers le paradis pour l’un et vers l’enfer pour l’autre, j’en montre d’autres disposés au dessus de voies ferrées près de la station d’Ebisu. Cette passerelle pour piétons que je montre sur la quatrième photographie a l’air ancienne et usée. J’apprends qu’elle va bientôt disparaître dans sa forme actuelle pour être remplacée par une autre à quelques mètres de là. Je ne sais pas pour quelle raison, mais cette passerelle a souvent été utilisée comme lieu de tournage pour des publicités, dramas ou vidéos musicales. Je parlais d’ailleurs récemment d’une vidéo de Tricot tournée à cet endroit pour le morceau Right Brain Left Brain (右脳左脳). Et sur la troisième photographie qui donne l’impression d’être prise à la dérobée, il s’agit de l’actrice et personnalité de télévision Haruna Kawaguchi. J’aime en ce moment prendre en photo les affiches des abribus. Allez savoir pourquoi…

J’ai regardé le Blu-Ray du concert Air Pocket de 2018 depuis déjà plusieurs semaines, mais je n’avais jusqu’à maintenant pas trouvé le temps et le courage d’en écrire un résumé. Je sais qu’écrire sur ces concerts me prend en général beaucoup de temps car l’enthousiasme me fait toujours trop écrire. Je vais essayer de contenir (un peu) mes phrases cette fois-ci. Outre ce concert, il me restera plus tard à évoquer Ringo Expo’14 et j’aurais couvert sur ce blog tous les concerts de Sheena Ringo et Tokyo Jihen officiellement sortis en DVD/Blu-ray. Ce concert intitulé Sheena Ringo to Aitsura no iru Shinkū Chitai (椎名林檎と彼奴等の居る真空地帯), plus communément appelé Air Pocket, est sorti le 20 Octobre 2018. Il est tiré d’une tournée nationale en 23 dates couvrant tout le Japon du 2 Mars au 27 Mai 2018. Cette tournée prenant le nom de Hyotto shite Reko Hatsu 2018 (ひょっとしてレコ発2018) accompagne la sortie de l’album de reprises de ses propres morceaux Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~) le 2 Mars 2018 (la date du premier concert de cette tournée). Il faut noter que cette année 2018 était particulièrement chargée pour Sheena Ringo car la tournée Ringo Expo’18 était également programmée plus tard dans l’année en Novembre 2018. La vidéo que l’on peut voir en DVD ou Blu-ray de ce concert Air Pocket à été tournée vers la fin de la tournée, le 17 Mai 2018 au NHK Hall de Tokyo.

Comme pour le concert de 2015 (椎名林檎と彼奴等がゆく 百鬼夜行2015), le groupe accompagnant Sheena Ringo se nomme Mangarama, mais les membres sont un peu différents. Midorin (みどりん) de SOIL& »PIMP »SESSIONS prend cette fois-ci le relai à la batterie. C’est un habitué des concerts de Sheena Ringo. Ukigumo (浮雲) n’est pas présent cette fois-ci. Masayuki Hiizumi (ヒイズミマサユ機), aka H Zett M, est présent aux claviers comme sur la tournée 2015 et chante également occasionnellement en accompagnement. On retrouve les autres habitués Yukio Nagoshi (名越由貴夫) à la guitare, Keisuke Torigoe (鳥越啓介) à la basse, Yoichi Murata (村田陽一) au trombone, Kōji Nishimura (西村浩二) à la trompette et Takuo Yamamoto (山本拓夫) au saxophone et à la flûte. Cette formation est relativement classique pour un concert de Sheena Ringo. Le concert en lui-même l’est également. Mais un concert de facture « classique » pour Sheena Ringo a un niveau d’excellence qu’il est difficile d’égaler. Sa performance sur scène avec son groupe est toujours impeccable et la qualité de la mise en scène, en particulier les costumes de scène, est comme toujours excellente. Au fur et à mesure des concerts de Sheena Ringo, cette qualité générale est même devenue comme un acquis et j’imagine donc la pression qu’elle doit se mettre sur les épaules pour ne pas décevoir le public qui n’en attend pas moins. Ceci étant dit, il ne s’agit pas là d’un concert gigantesque comme ceux de la série Expo joué au Saitama Super Arena. L’organisation sur scène pour Air Pocket est beaucoup plus mesurée et se concentre donc sur l’interprétation. Cette interprétation est extrêmement solide, mais on n’y trouvera par contre qu’assez peu de moments de tension vocale comme on a pu en voir sur d’autres concerts de Sheena Ringo ou de Tokyo Jihen. Certains morceaux, comme celui qui termine le set avant les rappels, sont cependant remplis d’une puissance vocale qui nous hypnotise devant notre écran. Il ne s’agit pas là de son meilleur concert mais tout fan ou amateur de Sheena Ringo ne devrait pas passer à côté.

On trouve sur Air Pocket un grand nombre de morceaux extraits du dernier album Reimport vol.2, mais également de nombreux autres piochés dans l’ensemble de sa discographie. Le concert démarre sur un écran vidéo montrant un compte à rebours de 3 mins. Le Ringo Hyoreco Space Center, qui prend clairement la NASA comme inspiration, s’apprête à lancer une navette spatiale pour mettre en orbite dans l’espace le nouvel album Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~) ou Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~. On a l’impression que la livraison de ce nouvel album se fera par voie spatiale pour les acheteurs qui l’ont commandé. Sheena apparaît à ce moment sur scène vêtue d’une robe bleutée, d’une couronne et d’éléments semblant tirés d’une armure. Le reste du groupe est habillé de tenues dont je ne sais l’origine. Peut-être s’agit il de tenues mongoles? Le set démarre par le morceau Jinsei ha Omoidōri qui n’apparait sur aucun album car il s’agit d’une B-side du single Carnation. Le concert ne démarre pas vraiment avec les morceaux que je préfère mais je suis tout de même surpris d’apprécier cette fois-ci le morceau Oishii Kisetsu. Sheena ne mettra pas très longtemps pour se saisir de sa guitare, pour le quatrième morceau du set, Gibs. Nagoshi y effectue des arrangements à la guitare un peu différents de ce que l’on connaissait jusque là. Des années après l’écriture de ce morceau et après de très nombreuses interprétations, Sheena est toujours aussi convaincante. La sauce prend vraiment pour moi à partir de ce quatrième morceau du set. Le morceau Ishiki suit ensuite dans une interprétation sans instruments classiques et en version strictement rock qui gagne en puissance au fur et à mesure que le morceau avance. L’ambiance générale du concert est résolument rock. La présence de Midorin aux percussions, plutôt habitué aux ambiances jazz, m’avait d’abord un peu étonné.

Il n’y a qu’une seule reprise d’un autre artiste sur ce concert. Il s’agit du morceau Nature Boy par Nat King Cole. H Zett M l’interprète en solo au début, pendant que Sheena se change une première fois pour un long kimono. Cette reprise de Nature Boy est courte et sert de transition rapide vers le morceau JAL005, qui est un des morceaux que j’ai tout de suite aimé sur l’album Hi Izuru Tokoro. Le groupe joue devant un écran géant montrant des images de nuages et d’océan, des images planantes comme ce vol de la compagnie JAL reliant Tokyo à New York. Reimport vol.2 comprend le morceau Shōjo Robot initialement écrit pour Rie Tomosaka. J’en parlais longtemps dans un billet récent. Je le rappelle pour les quelques visiteurs discrets qui ne l’auraient pas encore lu. Cette version en concert est très différente de celle de Rie Tomosaka, plus jazz par l’intervention aux claviers de H Zett M. J’ai quand même une préférence pour la version originale sur le EP de Rie Tomosaka.

Benkai Debussy, morceau tiré du deuxième album Shōso Strip, détonne ensuite. H Zett M se rapproche du devant de la scène et accompagne Sheena au chant. Cette interprétation est assez géniale. Elle le fait assez souvent, mais j’adore à chaque fois la manière dont Sheena Ringo vient faire traîner son mediator de haut en bas puis de bas en haut sur les cordes de sa guitare, comme si elle y prenait un plaisir sadique (on appellerait cela Itazura en japonais). Le morceau est immédiatement suivi par Yokushitsu ponctué par une forte basse électronique et par des larsens à la guitare de Nagoshi. Sheena tient dans la main un paravant et elle effectue à certains moments des mouvements rapides qui font écho à la scène de découpe de pomme lors du concert Ringo EXPO 08. Elle a heureusement eu la bonne idée de ne pas utiliser un couteau cette fois-ci. Le piano de H Zett M apporte beaucoup sur ce morceau. Sheena lache ensuite son kimono et reste en tenue légère de couleur verte-pomme pour interpréter des morceaux de Reimport Vol2, Usurahishinjū et Anya no Shinjū tate. Elle se laisse emporter par le premier morceau jusqu’à tomber au sol. On voit là quelques similitudes avec des scènes du concert de 2015, Hyakkiyakō 2015 (百鬼夜行). Le deuxième morceau, Anya no Shinjū tate, prend des accents Enka et son interprétation est très convaincante. La reprise des Feuilles Mortes de Jacques Prévert est également un classique des concerts de Sheena Ringo, sauf que son interprétation ne me convainc jamais vraiment car son accent français n’est pas très bon ce qui rend les mots de la chanson très rugueux. Mais il s’agit d’une version courte du morceau qui agit en quelque sorte comme un interlude.

Sheena s’est changée une nouvelle fois pour porter maintenant un large et chaud blouson aux mêmes motifs que ceux du reste du groupe. Ce blouson porte aussi des motifs de léopard. Avec un pantalon en cuir et des chaussures noires à talons hauts, les cheveux courts, c’est une de ses tenues de scènes les plus cool que j’ai pu voir jusqu’à maintenant. Elle chante maintenant Memai, qui est une B-side d’un de ses premiers singles, Koko de Kiss shite. Je n’avais jamais fait trop attention au morceau Otona no Okite, mais il s’avère très bon, notamment quand les cuivres viennent accentuer l’ensemble. Le morceau qui suit, Jūkinzokusei no Onna, dégage beaucoup d’énergie. Sheena a laissé le blouson et se trouve maintenant en t-shirt avec une guitare entres les mains. Des chants bouddhistes précèdent la composition très rock de ce morceau. « Heavy metallic am I », nous chante elle pendant ce morceau qui s’appelait initialement The Heavy Metalic Girl. Sheena Ringo l’avait écrit pour la bande originale intitulée Doku Ichigo de la pièce de théâtre Egg de Noda Map. Comme je l’expliquais en détails dans un précédent billet, la version originale du morceau était chanté en japonais, tandis que la version sur Reimport vol.2 interprétée lors de ce concert est en anglais.

On approche maintenant du dernier tiers du concert. Sheena et le groupe Mangarama interprètent tout de même 24 morceaux lors de ce concert. Le morceau suivant, Shizuka Naru Gyakushū, voit Sheena jouer de la guitare acoustique, ce qui est plutôt rare. Il s’agit d’un morceau sorti officiellement sur l’album Hi Izuru Tokoro, mais qu’elle a écrit il y a très longtemps à ses debuts sous le titre Kudamono no Heya (果物の部屋). Sur Kareinaru gyakushū (c’est la série des counterback), l’ambiance devient plus pop et les petits drapeaux distribués aux spectateurs sont de sortie. Sheena est particulièrement souriante en entraînant le public avec elle sur des mouvements de drapeaux exagérément amples. L’ambiance se détend toujours un peu lorsqu’on approche de la fin des concerts, comme si la pression commençait à tomber progressivement. Sur Kodoku no Akatsuki, j’aime bien la manière dont la voix de Sheena pousse vers des pointes aiguës. Elle reste à la guitare sur le morceau suivant Jiyū e Michizure, mais la vitesse du morceau semble plus rapide que la normale. Nagoshi est très rapide à la guitare et Sheena pousse le rythme en chantant rapidement avec beaucoup d’énergie. Ce morceau fonctionne excellemment bien. On arrive au morceau final, Jinsei ha Yume darake, qui est un morceau que j’adore et qui révèle tout son talent d’écriture musicale. Il s’agit du single principal de l’album Reimport vol.2 et il est forcément très attendu. Sheena donne beaucoup de force dans sa voix, ce qui donne des frissons. Le public est très réceptif et nous fait entendre son appréciation. Il s’agit à mon avis d’un des grands moments du concert!

Sheena quite ensuite la scène mais reviendra, habillée d’un kimono très formel de couleur verte, pour les rappels avec 3 morceaux. Le détail amusant est que les membres du groupe reviennent scène avec des noms modifiés. Yukio Nagoshi devient ainsi 754 (l’interprétation en chiffre de son nom, syllabe par syllabe: Na = 7, Go = 5 et Shi = 4). Sheena devient bien entendu 417, mais le nouveau nom de Masayuki Hiizumi en Zumori a une origine qui est pour moi beaucoup plus floue. Hiizumi annonce lui-même le démarrage des rappels avec une pointe d’humour dans le ton de sa voix. On le voit toujours sérieux et très concentré derrière ses claviers, donc ça fait plaisir de le voir plus décontracté comme à la (grande) époque de Tokyo Jihen Phase 1 (sur le concert Dynamite Out bien entendu). Le premier morceau des rappels est une version très arrangée de Marunouchi Sadistic chantée en anglais. Ça doit être le morceau de Sheena Ringo qui a eu le plus de versions et d’arrangements différents. Il est désormais trop classique pour étonner mais j’aime quand même beaucoup les petits pas de danse que Sheena ajoute au morceau. Elle reprend ensuite la guitare pour un autre grand classique de Hi Izuru Tokoro, à savoir Nippon. Ce morceau, initialement créé à la demande de la NHK pour supporter l’équipe de football japonaise, est mal-aimé des fans internationaux qui y voient des paroles nationalistes. J’ai toujours pensé que c’était une extrapolation incorrecte de ses intentions, car le langage sportif nous parle en général de bataille et d’un désir de voir son pays remporter la victoire. Adopter ce langage dans les paroles d’un morceau censé supporter l’équipe japonaise n’a rien de vraiment déplacé. Bref, ce morceau n’est certainement pas mon préféré mais le solo de guitare de Sheena penchée en arrière en kimono vaut de toute façon cent fois le détour. Le concert se termine sur un morceau plus calme mais à l’ambiance très rock. Yasei no Dōmei est un des très beaux morceaux de Reimport vol.2. À la toute fin du morceau, Sheena se courbe en avant très formellement pour faire un dernier remerciement au public pendant que Nagoshi nous envahit de ses sons de guitare. Elle montre à chaque fois un grand respect pour le public qui est venu la voir. J’ai toujours l’impression qu’elle remercie le public comme si c’était la dernière fois qu’elle montait sur scène. Mais on sait heureusement que ce concert n’était pas le dernier.

Je note ci-dessous pour référence ultérieure la liste des morceaux du concert Air Pocket (椎名林檎と彼奴等の居る真空地帯) de 2018:

1. Jinsei ha Omoidōri (人生は思い通り), B-side du single Carnation (カーネーション)
2. Oishii Kisetsu (おいしい季節) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)
3. Irokoizata (色恋沙汰) de l’album Sanmon Gossip (三文ゴシップ)
4. Gibs (ギブス) de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
5. Ishiki (意識) de l’album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花)
6. Nature Boy (真理の人), reprise d’un morceau de Nat King Cole sorti en 1948
7. JL005-bin de (JL005便で) de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
8. Shōjo Robot (少女ロボット) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)
9. Benkai Debussy (弁解ドビュッシー), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
10. Yokushitsu (浴室) de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
11. Usurahishinjū (薄ら氷心中) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)
12. Anya no Shinjū tate (暗夜の心中立て) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)
13. Kareha (枯葉), reprise du morceau Les feuilles mortes écrit par Jacques Prévert et composé par Joseph Kosma, présent sur l’album Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~)
14. Memai (眩暈), B-side du single Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。)
15. Otona no Okite (おとなの掟) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)
16. Jūkinzokusei no Onna (重金属製の女) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)
17. Shizuka Naru Gyakushū (静かなる逆襲) de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
18. Kareinaru gyakushū (華麗なる逆襲) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)
19. Kodoku no Akatsuki (孤独のあかつき) de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
20. Jiyū e Michizure (自由へ道連れ) de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
21. Jinsei ha Yume darake (人生は夢だらけ) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)
22. Marunouchi Sadistic (丸ノ内サディスティック), version largement modifiée et en anglais du morceau de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
23. NIPPON de l’album Hi Izuru Tokoro (日出処)
24. Yasei no Dōmei (野性の同盟) de la compilation Gyakuyunyū ~Koukūkyoku~ vol.2 (逆輸入 ~航空局~; Reimport, Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~)

between the skies

Le ciel nuageux prend parfois le dessus sur le paysage urbain. Sur cette série photographique, je mélange volontairement ces nuages avec les fils électriques qui tanguent au dessus des petites rues. Il serait bien dommage que ces fils électriques disparaissent complètement du paysage, car ils font part intégrante de l’environment urbain. Au milieu de ces câbles qui font des noeuds, une petite maison aux lignes obliques conçue par l’Atelier Tekuto. J’adore cette maison de béton et ses grandes baies vitrées qui reflètent le ciel se trouvant autour sur les autres photographies. Cette position centrale entre les ciels est volontaire, comme s’il s’agissait d’un centre ouvrant une porte sur un autre monde intérieur. Ces lignes électriques me rappellent aussi l’association que j’en avais fait avec des kanji il y à longtemps. Les traits des kanji se mélangeaient avec les fils électriques et semblaient flotter dans les airs.

Les ciels nuageux des photographies ci-dessus me rappellent celui, certes plus cosmique, de la couverture du dernier album de Minakekke intitulé Memorabilia. Le titre de cet album reprend celui du huitième morceau déjà sorti en single et dont j’avais déjà parlé. Ce single était déjà très bon, mais pas aussi sublime que l’album dans son intégralité et en particulier les cinq premiers morceaux. Minakekke fait évoluer légèrement son style depuis le EP Oblivion mais ses envolées de voix maintiennent un esprit similaire empreint de mélancolie. Je réécoute d’ailleurs cet EP Oblivion en écrivant ces lignes, ce qui me fait dire que Minakekke est vraiment une artiste malheureusement trop méconnue. Comme le morceau Luminous sur le EP Oblivion, le morceau Butterfly sur Memorabilia nous fait tout de suite rentrer dans cet album aux atmosphères sombres. On ressent son chant comme une complainte, mais sans résignation tant elle mène ses morceaux sans temps morts. On ressent une passion qui transparait dans sa voix jusqu’à la faire trembler par moment (sur un morceau comme Bones). L’émotion qui s’en dégage est pour sûr très forte. Musicalement, c’est aussi très dense, avec des ambiances parfois proches du gothique de The Cure. Et je me mets maintenant à réécouter le chef d’oeuvre qu’est Disintegration.

le jour du sake vert à Kyōtei

Le ryokan et restaurant Kyōtei (京亭) que je montre en photographies ci-dessus est situé dans la petite ville de Yorii dans la préfecture de Saitama et a été utilisé comme lieu de tournage de la vidéo du morceau Ryokushu (緑酒) de Tokyo Jihen, sortie le 13 Mai 2021, quelques jours avant l’album Music (音楽). La beauté de cette vidéo réalisée comme d’habitude par Yuichi Kodama m’avait tout de suite interpelée au point où j’avais tout de suite recherché sur internet quelle était cette vieille demeure servant de lieu de retrouvailles pour les membres de Tokyo Jihen. Le single Ryokushu a eu beaucoup de succès et est un des morceaux emblématiques de l’album Music et de Tokyo Jihen, non seulement pour la qualité du morceau en lui-même mais aussi, je pense, grâce à cette vidéo (cette vidéo est de très loin la préférée du fan club Ringohan) . Aux yeux des fans, voir le groupe se retrouver dans une ambiance joviale marque réellement la réformation du groupe après 8 longues années d’inactivité. Cette vidéo a par conséquent une signification particulière qui m’a depuis le début donné envie d’y aller. Il m’a fallu un peu de temps pour me décider mais cette Golden Week semblait être le bon moment. Nous n’avions pas dans l’idée d’y passer une nuit mais plutôt d’y déjeuner. Je téléphone d’abord quelques jours avant notre visite pour réserver une table, en pensant que ça devait être déjà pleinement réservé depuis longtemps en cette période de vacances, sachant que le ryokan se trouve dans une zone plutôt touristique à proximité de Nagatoro dans la région montagneuse de Chichibu. Par une chance inespérée, une table restée libre nous attendait. Réservation faite pour 12h30, nous voilà partis le Mercredi 4 Mai vers 9h30 du matin.

Un trajet normal depuis le centre de Tokyo jusqu’à ce coin reculé de Saitama par l’autoroute Kan-Etsu (関越道) prend normalement de 1h30 à 2h. En partant assez tôt, on pensait pouvoir se promener au bord de la rivière Arakawa près du ryokan avant d’aller déjeuner. C’était sans compter les aléas de la Golden Week, qui est, d’autant plus, « normale » cette année, c’est à dire sans état d’urgence incitant les gens à rester chez eux. Il nous aura fallu trois heures de route pour arriver jusqu’à Yorii, en changeant de stratégie en cours de route, alternant autoroute encombrée et routes nationales tout aussi encombrées. Depuis quelques mois, voire plus d’un an, j’ai développé une capacité d’attente et de prise sur soi que je n’avais pas auparavant. Je suis maintenant en mesure d’attendre au milieu d’une file de voitures qui n’avancent pas avec le sourire. Contrairement à ce que pensait Mari, je n’ai pas volontairement passé en boucle en voiture l’album Music sur lequel se trouve Ryokushu, car je ne voulais pas associer dans mon esprit la musique de cet album avec des embouteillages interminables. Mais la radio a pris le relai en le passant soudainement, ce qui m’a d’ailleurs surpris car le morceau sorti l’année dernière n’est plus tout à fait récent. L’animatrice radio se trompe d’ailleurs dans le titre en annonçant le morceau avec le nom « Midori no Sake » (緑酒, Sake vert) plutôt que Ryokushu, qui est en fait une autre manière de prononcer les mêmes kanji. Je comprends à ce moment là que c’était volontaire car nous sommes aujourd’hui, le 4 Mai, le jour du Vert (autrement dit, de la nature) ou « Midori no Hi », et que la station de radio que nous écoutons à ce moment là sélectionnait volontairement des morceaux ayant un lien avec la couleur verte. Je me dis que nous avons très bien choisi notre journée pour cette visite des lieux du tournage de Ryokushu. Nous arrivons sur place à 12h30 exactement, ce qui démontre de ma part une maitrise parfaite du timing. Je reconnais tout de suite l’entrée de ryokan que l’on voit dès le début de la vidéo. Une dame nous accueille et nous amène jusqu’à la pièce où nous mangerons.

Kyōtei était autrefois la demeure de Kōka Sassa (佐々紅華), compositeur japonais né en 1886 et mort en 1961. Il a composé de nombreuses chansons, écrit le scénario d’un opéra mais était à l’origine graphiste, diplômé du département de design industriel de l’école Tokyo Institute of Technology (le campus actuel se trouve près de la station d’Ōokayama à Tokyo). Comme il était mélomane depuis son plus jeune âge, il a également passé les examens de l’académie de musique de Tokyo (actuellement le département musique de l’université des Beaux Arts), mais n’a pas poursuivi cette voie. Son attrait constant pour la musique l’a pourtant poussé vers des travaux de design destinés au monde de la musique. Il a d’ailleurs dessiné un logo intéressant pour la compagnie de disques Nipponophone (日本蓄音器商会) fondée en 1910 (et sous le nom actuel Nippon Columbia), représentant un bouddha écoutant un gramophone, inspiré par le chien du label musical His Master’s Voice (HMV ou La Voix de son Maître, historiquement dans le groupe anglais EMI). En 1913, Kōka Sassa se lança dans l’écriture de comptines puis en 1917 écrit un opéra se produisant à Asakusa. Il a ainsi fondé l’opéra d’Asakusa. Il continuera ensuite à écrire des chansons au sein de Nippon Victor puis Nippon Columbia. En 1931, commence la construction de sa maison de style sukiya à Tamayodo dans la ville de Yorii, l’actuel ryokan Kyōtei. Il en dessine les plans et supervise la construction en vivant sur place dès l’année suivant le début des constructions. Il faudra en tout cinq années pour construire le bâtiment actuel. Il a vécu dans cette maison jusqu’à sa mort le 18 Janvier 1961. Après sa mort, sa petite fille, Yasue Sassa, devient propriétaire et convertit cette résidence en un ryokan. Des personnalités viendront y séjourner, comme par exemple l’auteur Shōtarō Ikenami (池波正太郎).

Le bâtiment semble être entièrement préservé en l’état avec seulement quelques aménagement récents, ce qui donne à ce ryokan beaucoup de charme. J’imagine que préserver un bâtiment de cette taille ne doit pas être aisé. Le rez-de-chaussée sert de salles de restaurant. Il n’y a qu’un seul menu, avec des variations, à base de poisson Ayu cuisiné de différentes manières. Le repas était excellent, d’autant plus que l’on déjeune en ayant une vue sur le jardin, en regardant la lumière du printemps traverser les jeunes feuilles d’érable momiji. Cette ambiance paisible est bien agréable comme si le temps s’arrêtait pour un après-midi. Sur le site web du ryokan, il est d’ailleurs écrit qu’il s’agit d’un espace pour oublier le temps (時間を忘れて過ごす空間). Au cours du repas, il fallait bien qu’on lance le sujet de cette vidéo de Tokyo Jihen avec les dames du personnel du ryokan pour voir si elles étaient disposées à en parler. Le fait de mentionner que j’étais fan de Sheena Ringo et de Tokyo Jihen (Mari prend toujours un malin plaisir à dire que je suis même membre du fan club) leur apporta même un enthousiasme certain. On nous a donc très volontiers donné quelques détails. On nous dit que le tournage s’est déroulé en une seule journée, le dimanche 25 Avril 2021, avec une équipe de tournage très bien organisée de 60 personnes. La propriétaire du ryokan, qui vient nous servir pendant la deuxième partie du repas, nous explique qu’elle avait d’abord eu des réticences car elle ne voulait pas fermer le restaurant et le ryokan pour une journée entière, mais que la période de crise sanitaire qui a vu une accumulation soudaine d’annulations de réservation a finalement permis ce tournage. Elle nous indique de la main les différents endroits où le tournage a eu lieu: le bain utilisé par Ichiyō Izawa, qui a été refait depuis, le coin de jardin où Ukigumo nous dit qu’il aurait dû venir en train vers la fin de la vidéo et le deuxième étage où les scènes principales ont été tournées. La propriétaire nous indique qu’on pourra visité ce deuxième étage après le dessert et avant l’arrivée à 15h des clients qui y passeront la nuit. J’ai du mal à tenir en place lorsqu’elle nous indique qu’on pourra visiter librement le ryokan pendant presqu’une heure. Elle nous dit que de nombreux fans de Sheena Ringo et de Tokyo Jihen sont déjà venus ici, parfois habillés du yukata du groupe. Certains sont venus de loin, de l’autre bout du pays, prenant l’avion pour l’occasion avec une petite valise pour se changer en arrivant. Je ne suis pas du tout étonné de cela car les fans de Sheena Ringo peuvent aller très loin. Comme signe distinctif, je me suis personnellement contenté d’un petit badge bleu de Tokyo Jihen accroché sur le col de la chemise. La propriétaire le regarde en constatant qu’il s’agit bien du motif de paon (孔雀) qu’elle a vu sur certains yukata de visiteurs. Ce ryokan deviendrait pratiquement un lieu de pèlerinage pour les fans. J’ai moi-même ressenti cette envie irrésistible de venir jusqu’ici malgré le long trajet aller-retour en voiture.

Après le dessert, nous montons donc à l’étage où je retrouve la salle principale en tatami dans laquelle Tokyo Jihen prenait leur repas de retrouvailles accompagné de beaucoup de sake. La vue depuis cette pièce est magnifique. On aperçoit le jardin japonais en contrebas et la rivière Arakawa un peu plus bas. Dans la vidéo, Toshiki Hata nourrissait les carpes koi dans le bassin de ce jardin japonais. Je ne résiste pas à l’envie de m’asseoir au coin des fenêtres prenant la pose de Seiji Kameda lorsqu’il boit un verre de sake en attendant que les autres membres du groupe arrivent, ou de m’assoir à la place de Sheena Ringo sur le tatami de la grande salle au deuxième étage. On avait bien entendu revu la vidéo avant de venir et j’essaie au mieux de prendre des photos des endroits que je reconnais. Il n’y avait bien sûr aucun tissu au design de Tokyo Jihen comme sur la vidéo, ni guitares Vox Phantom posées dans un coin. La météo était idéale pour se promener dans le jardin japonais et nous faisons durer notre plaisir jusqu’au bout. Je m’attendais à ce qu’un chat vienne nous dire bonjour, et c’était en effet le cas pendant le repas. Il est passé nous voir en miaulant et à vite disparu dans le jardin. C’est amusant car j’avais eu ce genre de signe (qui est bien entendu une coïncidence) lors de la visite du temple Kishimojin-dō à Zōshigaya utilisé comme lieu de tournage pour Kabukichō no Jōo. On a un peu de mal à partir mais il est déjà l’heure. Nous descendons ensuite au bord de la rivière. Le lieu s’appelle Tamayodo (玉淀). Une bonne partie de la vidéo de Ryokushu y a également été tournée. Je reconnais le grand rocher de l’autre côté de la rivière que l’on voit dans la vidéo. Il doit également y avoir un cerisier au bord de cette rivière mais je ne l’ai malheureusement pas vu. Avec toutes ces images en tête, il nous faudra bientôt reprendre la route, avec l’album Music comme fond sonore. Malgré mes appréhensions car nous avons quitté les lieux à l’heure de pointe des retours vers 17h, il nous a fallu que deux heures pour rentrer sur Tokyo. Il est en fait beaucoup plus rapide de venir en train car il y a une ligne directe reliant Ikebukuro et Yorii en 90 minutes. J’ai pris beaucoup de photos de cette journée et c’était un peu compliqué de faire une sélection. Je montre d’ailleurs quelques autres photos sur mon compte Instagram, ce qui m’a d’ailleurs forcé pour l’occasion à écrire une description un peu plus longue que d’habitude. J’ai tendance à être très bref sur Instagram alors que je dois avoir plus de visiteurs que sur ce blog.

Pour la petite histoire, l’idée d’aller visiter le ryokan Kyōtei m’est revenu en tête après avoir vu la vidéo du morceau Matsuri (まつり) de Fujii Kaze (藤井風). Elle se déroule dans un parc qui a l’air magnifique appelé Rinkōkaku (臨江閣) près de Maebashi dans la préfecture de Gunma. Voir Kaze évoluer dans un des bâtiments traditionnels en bois du parc m’a en quelque sorte rappelé la vidéo de Ryokushu. Je pense que j’aime autant ce morceau Matsuri que je trouve Fujii Kaze agaçant. L’envie d’écouter ce morceau m’est aussi venu après avoir vu une interview de son producteur Yaffle par un autre producteur, Seiji Kameda, sur l’émission Wow Music que j’ai déjà évoqué plusieurs fois auparavant. J’ai également lu une très bonne interview en anglais de Yaffle par Patrick Saint Michel, sur le site de Billboard. Cette dernière interview contenait un lien vers la vidéo du morceau Matsuri de Fujii Kaze. Ce morceau a fait partie de ma playlist pour les trajets en voiture pendant cette Golden Week, tout comme l’excellent morceau intitulé Plateau (プラトー) de Sakanaction (サカナクション). Je ne suis pas sûr d’écouter leur album en entier mais la manière de chanter les couplets d’Ichirō Yamaguchi sur ce morceau me fascine complètement. Et le petit passage saccadé de guitare au milieu du morceau me rappelle ce que Kida pourrait jouer sur un morceau de Tricot.

Et pour revenir vers Tokyo Jihen, j’inclus également dans ma playlist la nouvelle version du morceau Shiseikatsu (私生活 新訳版) de leur troisième album Variety (娯楽 バラエティ) sorti en 2006. Les musiques de cette nouvelle version sont différentes de la version originale mais il ne s’agit pas non plus d’un remodelage complet du morceau. On peut légitimement se demander la raison de la sortie soudaine, le 1er Mai, de cette nouvelle version. Au moment de la sortie du Best Album Sōgō (総合), Tokyo Jihen avait en fait joué ce morceau le 24 Décembre dans l’émission Music Station Ultra Super Live 2021 (ウルトラスーパーライブ2021), d’où l’envie peut être de sortir cette version de manière officielle. Cette version retravaillée n’est pas meilleure que l’originale, mais je me surprends à beaucoup l’apprécier et l’écouter au milieu de ma playlist juste avant le morceau Matsuri de Fujii Kaze. Je prends en quelque sorte l’habitude de faire cohabiter Tokyo Jihen avec Fujii Kaze car on pourrait s’attendre à une collaboration si Sheena Ringo prend en compte les avis du fan club lors de la dernière enquête (j’en doute personnellement, mais je peux me tromper). L’illustration du single montrant la tour de Tokyo est empruntée au livre Tokyo Kenbutsu (東京見物) de feu Makoto Wada (和田誠). Je ne suis pas vraiment surpris que Sheena Ringo fasse ce choix. Makoto Wada était également le designer du packaging de Hi-lite, qui est (ou était) sa marque de cigarettes depuis toujours. J’en parlais rapidement dans un billet précédent au moment de la sortie du morceau Hotoke dake Toho (仏だけ徒歩) et de sa vidéo.