une tranquillité éphémère

Après avoir fait le tour de Sky House, je reviens vers la station de Gokokuji (護国寺) avec l’intention de marcher à travers le quartier de Zōshigaya (雑司ヶ谷) jusqu’à Ikebukuro. Je garde pour ce quartier de Zōshigaya une attirance particulière depuis mon passage il y a quelques mois à la recherche du lieu de tournage de la vidéo de Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王) de Sheena Ringo. Je ne vais pas cette fois-ci retourner au temple Kishimojin-dō (鬼子母堂), mais m’arrêter dans un autre grand temple, celui de Gokokuji donnant son nom à la station de métro. L’enceinte du temple est vaste incluant un cimetière dans lequel on peut trouver, si on cherche bien (ce que je n’ai pas fait), la tombe de l’architecte anglais Josiah Conder, mort en 1920 et surnommé au Japon le « père de l’architecture moderne japonaise ». Il a notamment conçu Ichigokan (premier immeuble des bureaux Mitsubishi) à Marunouchi, la demeure Iwasaki (du clan fondateur de Mitsubishi) dans l’arrondissement de Taito ou encore la demeure du baron Furukawa dans l’arrondissement de Kita au nord de Tokyo. Josiah Conder a formé des architectes comme Tatsuno Kingo qui concevra la gare de Tokyo en 1914.

Le temple Gokokuji fut établi en 1681 et le hall principal Kannon-Dō construit en 1697. Il a survécu au grand tremblement terre de 1923 et aux bombardements de la deuxième guerre mondiale, et il est resté grandement inchangé depuis cette époque, bien que certaines dépendances aient été ajoutées plus tard comme la grande et magnifique porte Furō-Mon en 1938. On la voit sur la première photographie du billet. Il se dégage une grande sérénité de cet endroit qui nous déplace en dehors de notre époque. Lorsque je marche dans les allées du temple, près des derniers cerisiers en fleurs, j’aimerais que le temps s’arrête pendant quelques heures pour prendre le temps d’en profiter pleinement. Il n’y a pas foule dans l’enceinte du temple, et on se sent seul avec soi-même, accompagné par des milliers d’âmes. Ces endroits ne sont pas pour moi propice à la réflexion ou à l’introspection. J’y fais plutôt l’expérience du vide dans un espace où les obligations de la vie de tous les jours n’ont plus beaucoup de sens et d’importance. Ces moments ont quelque chose d’agréable même s’ils sont très éphémères. Sortir de Gokokuji nous ramène à la réalité fracassante de la ville car il nous faut passer dessous la bruyante autoroute intra-muros surélevée numéro 5 pour progresser plus avant vers Ikebukuro. Je gagne ensuite le vaste cimetière de Zōshigaya et retrouve une tranquillité passagère. La ville redevient plus dense lorsqu’on s’approche d’Ikebukuro. Une tour gigantesque au loin m’est familière. Il s’agit d’une tour résidentielle conçue par Kengo Kuma qui se nomme Brillia Tower Ikebukuro. La partie haute de la tour est conventionnelle mais l’originalité du design vient plutôt de la partie basse composée d’un patchwork de matériaux. Je ne trouve pas l’ensemble particulièrement harmonieux et même un peu chaotique. Le but de ma marche vers Ikebukuro était de voir un autre building de taille plus réduite. J’en parlerais dans un prochain billet.

Je prends moins de photographies ces derniers jours et je ne suis pas sûr de pouvoir en prendre beaucoup pendant la Golden Week qui démarre. Le nouvel état d’urgence nous contraint à passer plus de temps chez soi, mais ça ne m’empêche en général pas de marcher à l’extérieur. Un soudain mal de dos qui prend du temps à passer va certainement m’obliger à marcher sans mon lourd appareil photo. Je vais peut être faire un peu plus de vélo, ce qui m’amènera de toute façon vers des endroits où je vais moins. Dans les coulisses du blog, j’essaie ces derniers temps de corriger les liens dans les anciens articles vers lesquels je fais référence dans des billets récents ou alors dans les anciens billets qui sont les plus populaires (en général plutôt ceux orientés architecture). Ce n’est pas toujours facile de réparer les liens quand ils ont été cassés, surtout quand ce sont des liens vers des blogs qui ont aujourd’hui disparus. Je me rends compte que la plupart des blogs sont éphémères malgré la bonne volonté initiale de leurs auteurs. Je mets en général beaucoup de liens dans mes billets. J’en mets peut être trop d’ailleurs, si on considère le risque qu’ils finissent par disparaître. J’avais d’ailleurs réfléchi à ne plus du tout inclure de liens dans le texte de mes billets mais plutôt les inscrire en note à la fin d’un billet, ce qui éviterait que la lecture d’un billet soit interrompue par un lien. Cela irait un peu à l’encontre du principe d’un article sur internet et ferait plutôt ressembler le texte à celui d’un magazine avec des notes en fin de page. Il me vient régulièrement l’idée de ne plus publier mes billets sur WordPress mais plutôt de les regrouper dans un petit magazine mensuel au format exportable en pdf. Je ne suis par encore prêt à franchir la pas, car il me serait difficile de patienter pendant un mois avant de publier quelque chose d’un bloc. C’est pourtant ce que j’avais fait en 2009 en ne publiant des photos qu’une fois par mois en forme de petit livret, mais j’avais eu du mal à me tenir strictement à ce rythme au fur et mesure des mois.

J’écoute l’album Yoake mae (夜明け前), prenant également le titre Before Sunrise, de Nana Yamato depuis environ un mois, mais je viens de me rendre compte que je n’en ai pas encore parlé sur ce blog. Ceux qui suivent Made in Tokyo depuis quelques années auront peut être fait le rapprochement avec l’artiste ANNA dont j’avais déjà parlé ici pour son EP Tonite sorti en Juillet 2018. Nana Yamato sort son premier album sous son vrai nom, plutôt que sous le nom de code plus commun de ANNA. J’avais beaucoup aimé cet EP Tonite à l’époque, mais son premier album sorti en Février 2021 est d’un autre niveau. L’ambiance de rock indépendant se construit pourtant dans la continuité de ses EPs mais je ressens une plus grande maturité dans ses compositions musicales et dans son chant, malgré le fait qu’elle n’ait que 20 ans. La musique et le chant de Nana Yamato ne s’imposent pas à l’auditeur, comme si elle jouait avant tout pour elle-même plutôt que pour un public. Mais, on se laisse facilement prendre par ces sonorités de guitares à la mélodie accrocheuse plutôt mélancolique, comme par exemple sur le quatrième morceau Gaito. Elle soigne particulièrement le final de certains morceaux en les concluant sur une partie instrumentale qui prend de nouvelles directions. J’aime beaucoup en rock indé quand le final d’un morceau part subtilement dans une direction inattendue. C’est le cas par exemple du morceau avec un titre en français Voyage et Merci, qui introduit en plus des sons de cuivre parmi les arrangements de guitares. C’est après plusieurs écoutes, le morceau que je préfère de l’album. Nana Yamato chante en japonais et en anglais. Il y a un charme certain dans sa manière de chanter en anglais avec un accent imparfait ou lorsque sa voix s’efface à la fin de certains couplets. Le texte accompagnant l’album sur la page Bandcamp est intéressant car il nous parle de son rapport à la ville.

Nana Yamato’s brilliance lies in a profound imagination that confronts the isolation and claustrophobia of Tokyo life, without losing grasp of the whimsy and romance of girlhood. “I think Tokyo is a lonely city,” says Nana. “It’s more like an empty city. It’s like there’s nothing in it but buildings. A big stadium was built, but the Olympics were postponed. It’s empty.” Yet it’s hard to ignore the romance the artist has with the streets that she walks; Japanese and English vocals sing about the lights and sounds of the city, as if there’s no place else she could exist.

C’est certainement le propre des grandes villes, mais le sentiment de solitude dont parle Nana Yamato existe bien à Tokyo et je le ressens moi-même souvent, sans qu’il soit pesant, au contraire. En dehors des grandes artères, Tokyo est principalement vide de monde. Le grand stade dont elle parle est celui conçu par Kengo Kuma, censé être utilisé pour les Jeux Olympiques. Elle le montrait déjà dans une vidéo de ce EP Tonite et c’est peut-être dû au fait que le label indépendant Big Love Records qui distribue ses albums est situé dans ce même quartier.

Sky House par Kiyonori Kikutake

J’avais en tête depuis très longtemps d’aller voir la maison Sky House de l’architecte japonais Kiyonori Kikutake, un des fondateurs du mouvement architectural Métaboliste dont je parle décidément souvent dans mes derniers billets. L’occasion ne s’était jamais présentée jusqu’à maintenant, ou peut-être est ce que je n’avais tout simplement pas créé cette occasion jusqu’à ma visite récente il y a quelques semaines. Cette petite maison de béton posée sur une pente se trouve dans le quartier d’Ōtsuka dans l’arrondissement de Bunkyō. J’y accède par la station de métro Gokokuji dont la sortie se trouve au niveau du bâtiment de la maison d’edition Kōdansha. On accède à Sky House par une petite rue étroite parallèle à la grande avenue sur laquelle se trouve la station. La rue étroite est un cul-de-sac et je sais que Sky House se trouve tout au bout de cette rue. Je devine, du bout de la rue où je me trouve, une personne debout devant la maison. J’avance doucement en attendant l’air de rien que cette personne quitte les lieux ou rentre à l’intérieur. En avançant un peu plus, je me rends compte que cette personne est en train de laver la voiture stationnée devant la maison, une Mercedes break grise. Kiyonori Kikutake a construit Sky House pour lui et sa famille, mais il n’est plus de ce monde depuis presque 10 ans. Il s’agit peut être du fils de l’architecte qui nettoie la voiture familiale, ou d’un autre membre de la famille Kikutake. Sur toutes les photographies de maisons individuelles que j’ai pu prendre jusqu’à maintenant, c’est bien la première fois que le locataire des lieux se trouve dehors sur le palier au moment de mon passage. Je passe une première fois devant la maison en pensant revenir devant l’entrée un peu plus tard, une fois que le propriétaire aura finit le nettoyage de cette voiture. Au fond de la rue, un petit escalier de pierre permet de descendre la pente le long de Sky House. Un muret et des arbustes empêchent de voir les bas étages de la maison. Une fois en bas de l’escalier, un parking adjacent me donne assez de recul pour prendre en photo Sky House dans son intégralité. La partie haute en béton date de la construction de la maison en 1958, tandis que la partie basse a été ajoutée bien après. Je pars ensuite marcher dans le quartier pour faire passer le temps. En empruntant un terrain au dénivelé très accentué à proximité de Sky House, j’espère trouver un point de vue photographique intéressant sur la maison mais la vue est malheureusement obstruée par d’autres bâtiments. Mon impatience me fait cependant rapidement revenir vers l’escalier au bord de la maison que je monte doucement. Le propriétaire est toujours là à laver sa voiture et je finis par lui demander aimablement (ça va de soit) si je peux prendre sa maison en photo. Il accepte sans aucune hésitation et se déplace même sur le côté pour me laisser prendre la façade principale en photo. Je me confonds en courbettes et en remerciements tout en m’éclipsant après avoir pris les photos tant convoitées. Il aurait été dommage d’être venu jusqu’ici sans pouvoir prendre ces photographies de la façade. Je pense que le propriétaire doit avoir une certaine habitude de voir des gens comme moi, amateurs d’architecture remarquable, venir tourner autour de Sky House pour l’observer et la prendre en photo. Après tout, cette maison a une valeur historique et emblématique de l’architecture moderne japonaise.

Sky House porte ce nom car elle est élevée dans les airs par quatre piliers de béton, comme on peut le voir sur les photos ci-dessus de l’époque de sa construction en 1958. Elle est emblématique du mouvement métabolisme car elle est susceptible de se modifier en fonction des besoins de la famille qui y habite. Elle apparaît notamment dans le livre manifeste du mouvement intitulé METABOLISM/1960, montrant une série de projets clés par ce jeune mouvement naissant et en phase de connaître une reconnaissance mondiale lors de la World Design Conference (WoDeCo) se déroulant à Tokyo en Mai 1960. Parmi les participants à cette conférence internationale, Louis Kahn viendra notamment visiter la maison Sky House avec d’autres architectes comme Fumihiko Maki.

Le terrain en pente favorise cette impression de maison élevée dans les airs. On y accède par la rue haute par laquelle je suis venu. La maison d’origine se compose d’un seul étage fait d’une structure de béton en damier, posé sur quatre pilotis anti-sismiques de 6.6 mètres de haut. Lorsque l’on voit des photographies d’époque, la maison se dégage nettement de l’environnement alentour de maisons basses. En plus de 60 ans, le paysage urbain autour de la maison a bien changé et Sky House est maintenant noyée dans les buildings. La maison en elle-même a également beaucoup changé en 60 ans. Tout l’espace sous l’étage surélevé, le patio, était initialement ouvert. Une première modification en 1962 vient ajouter une capsule, que Kikutake appelle plutôt move-net comme élément amovible, qui sera utilisé comme chambre pour enfant. Ce move-net était accroché sous l’étage comme on peut le voir sur la dernière photo d’époque ci-dessus. L’espace sous la maison et sous le move-net fut petit à petit utilisé comme bureau pour Kikutake. En 1977, le patio voit de nouvelles transformations avec l’ajout d’une cuisine, de chambres et d’une véranda. En 1985, cet espace évolue encore et est complètement occupé par un living et des extensions des chambres. Comme on peut le voir actuellement, tout l’espace vide en dessous de la partie initiale en béton a été rempli par des espaces habitables, ce qui enlève en quelque sorte la particularité de surélévation de la maison. La maison Sky House s’est en quelque sorte reconnectée avec la terre ferme, de laquelle elle essayait pourtant initialement de s’éloigner. Une des dernières évolutions a été d’installer le mur de verre que l’on voit devant l’entrée, derrière l’espace de parking.

Lorsque l’on passe devant la maison, on admire bien sûr la partie haute en béton tout en essayant de l’imaginer sans les additions installées en dessous qui viennent malheureusement dénaturer le projet initial. En même temps, cette maison a été dès le début conçue avec cette idée d’evolution selon les principes du mouvement métaboliste. On peut seulement regretter que les dernières évolutions sous l’étage initial n’ont pas suivi le style architectural d’origine en béton. En même temps, cet ajout est peut être considéré comme temporaire avec dans l’idée d’être enlevé plus tard? Ceci n’est que pure supposition de ma part. Derrière les volets de bois et les parois de béton de l’étage, l’espace habitable ne se compose que d’une grande pièce ouverte, séparée en deux par un mur amovible. On devine dans la pièce un bloc cuisine mais on ne voit pas la salle à manger qui devait se trouver derrière le mur. La chambre devait également se trouver derrière ce mur, mais la composition de cette pièce n’est de toute façon pas figée, elle est modulable et a changé de configuration au cours des années. L’espace initial sur un seul étage est minimaliste et on imagine bien qu’il devînt vite insuffisant avec l’agrandissement de la famille. Cet étage en béton est également intéressant car il me rappelle la structure d’une maison traditionnelle japonaise avec un couloir engawa faisant le tour de la maison, sauf que les portes coulissantes donnant sur l’intérieur habitable sont ici remplacées par des baies vitrées et les ouvertures extérieures par des grands volets faits de lamelles de bois. En passant devant la maison, j’imagine cet espace intérieur, la qualité de cette grande pièce ouverte que je n’ai vu qu’en images dans des magazines ou livres d’architecture. En écrivant ce billet de retour à la maison, je ressors de ma bibliothèque Project Japan Metabolism Talks, le livre de Rem Koolhaas et Hans Ulrich Obrist aux éditions Taschen consacré comme son nom l’indique à une revue en détail du mouvement Métaboliste. On y trouve de nombreuses interviews, dont une avec Kikutake en 2009 (quelques années avant sa mort) à l’intérieur même de Sky House. Quelques photos prises par la fille de l’architecte néerlandais, la photographe Charlie Koolhaas, immortalise cette rencontre. Ce livre est d’ailleurs extrêmement bien documenté et c’est un plaisir d’y revenir pour tous les amoureux d’architecture moderne japonaise.

Honganji & visual shock

Après avoir fait le tour du Dentsu Tsukiji Building de Kenzo Tange, je ne pouvais pas manquer de faire une visite rapide du grand temple Tsukiji Honganji situé tout près de la station de Tsukiji sur la ligne de métro Hibiya. Ce temple au style unique d’inspiration indienne fut conçu par l’architecte Itō Chūta en 1934. L’architecte a également imaginé la très particulière tour Gion Kaku dans l’enceinte du temple Daiun-in dans le quartier de Gion à Kyoto. Je me rends compte que ça fait 15 ans que je ne suis pas allé voir ce temple. La première et unique fois était en Mai 2006, sur le retour d’une promenade à moto avec Mari qui nous avait amené jusqu’à Toyosu encore en construction à l’époque. Je repense tout d’un coup à cette période avec beaucoup de nostalgie. Le temple Tsukiji Honganji n’a, en lui-même, pas changé mais son approche est bien différente. Un nouveau bâtiment moderne avec un café s’est installé sur la place sur l’aile gauche. En fait, je suis entré cette fois-ci à l’intérieur du temple, non seulement pour me remémorer l’ambiance des lieux, mais aussi pour vérifier si le petit autel dressé par des fans en l’honneur de Hide était toujours présent. Il y a 15 ans, j’avais été très étonné de voir cet autel consacré à Hideto Matsumoto, dit Hide, feu guitariste du groupe rock X JAPAN, mort le 2 Mai 1998 à l’âge de 33 ans. A cette époque, Je ne connaissais pas beaucoup X JAPAN et le statut culte du groupe, d’où mon étonnement de voir un groupe rock représenté dans un temple bouddhiste. En retournant au Tsukiji Honganji, je suis donc parti à la recherche de cet autel qui me semblait être dans un coin du hall principal. Ne le trouvant pas à l’emplacement de mes souvenirs, je descends d’un étage pour le trouver finalement sans trop de difficulté aux pieds du grand escalier orné de figures animalières. On y trouve toujours une multitude de photos, des carnets décorés, dessins et petites poupées à l’effigie de Hide.

Les funérailles du guitariste ont eu lieu dans ce temple et ont réuni une foule monstre de 50,000 personnes. On peut voir une vidéo d’extraits des news de l’époque couvrant l’événement, très intéressante pour la démesure de l’événement et le niveau d’adoration de nombreux fans. J’ai du mal à imaginer des scènes similaires se déroulant maintenant et je me dis que la musique de X JAPAN devait avoir une signification toute particulière pour toutes ces personnes réunies en pleurs. J’ai écouté plusieurs albums notamment leur plus connu, Blue Blood sorti en 1989, qui est d’ailleurs a l’origine du terme Visual Kei. Sans être fanatique du groupe, j’éprouve un certain intérêt pour leur musique car elle a marqué l’histoire du rock japonais et était à l’origine du mouvement Visual Kei, par lequel j’ai découvert le rock japonais. J’ai en fait beaucoup d’admiration pour Yoshiki, même si, à mon avis, il casse un peu son image dans certaines émissions télévisées ces derniers temps (je l’évoquerai un peu plus tard). J’avais acheté l’album Art of Life composé d’un long et unique morceau de 29 minutes, que j’aime beaucoup réécouter car c’est un moment de bravoure musicale. Yoshiki a écrit le morceau, y joue de la batterie avec un acharnement inégalé et continue avec délicatesse sur le piano avant de partir vers des notes expérimentales. Ce long morceau est poignant car on sait que Yoshiki ne fait pas de compromis et qu’il donne tout ce qu’il a en lui jusqu’à se blesser, ce qui arrive d’ailleurs très régulièrement. J’avais déjà parlé du film américain We Are X de Stephen Kijak sorti en 2016 revenant sur quelques étapes de la vie mouvementée du groupe. Je viens en fait de le voir car cette visite au temple Tsukiji Honganji m’a rappelé son existence. Entre autres complications et drames qui ont frappés X JAPAN, Yoshiki y évoque justement la mort de Hide, en parlant d’un accident plutôt que d’un suicide. Cet épisode reste flou, mais Hide reste un membre à part entière du groupe même après sa mort, même s’il est remplacé par Sugizo de LUNA SEA lors des apparitions du groupe sur scène. Il est enterré au cimetière de Miura Reien au fin fond de la péninsule de Miura dans la préfecture de Kanagawa, au delà du terminus de la ligne de train Keihin Kyūkō à Misakiguchi. C’est un endroit où j’ai souvent été (dans une autre vie), sans pour autant savoir que Hide était enterré là bas depuis peu. A en croire les photos que l’on peut voir de sa tombe, elle est tout autant décorée que l’autel qui lui est dédié au temple Tsukiji Honganji. Je connais seulement Hide par sa présence dans X JAPAN et je n’ai jamais écouté d’albums de sa carrière solo, mais cet attachement très fort de fans pour un artiste m’intrigue et m’impressionne beaucoup.

Les coïncidences, j’adore les coïncidences car elles conditionnent souvent les sujets de mes billets, font que l’émission Matsuko no Shiranai Sekai (マツコの知らない世界) parle justement de Visual Kei (ヴィジュアル系) dans un épisode diffusé peu de temps après ma visite du Tsukiji Honganji. Pour ceux qui ne suivent déjà plus au fond de la salle, j’avais dit dans un billet précédent que je reparlerais très certainement de cette émission que j’aime beaucoup pour son érudition humble. L’invitée de Matsuko Deluxe pour cette émission est une ancienne membre des forces de self-défense japonaise (元自衛官) reconvertie en spécialiste du mouvement Visual Kei sur lequel elle écrit. Chiaki Fujitani (藤谷千明) nous présente pendant l’emission sa découverte de ce genre musical au tout début des années 90 au moment de l’explosion de la bulle économique, ainsi que les différents styles qui composent le genre. Elle a elle-même le style vestimentaire gothique qui va bien avec le genre et a un ton légèrement pinçant qui la rend assez amusante à suivre. Elle plaisante par exemple sur le fait que Yoshiki de X JAPAN est maintenant devenu une personnalité de première classe (一流芸能人) en référence à sa participation (avec d’ailleurs Gakt, ex-membre d’un autre groupe visual kei appelé Malice Mizer) dans l’émission télévisée Geinōjin kakuzuke Check ! (芸能人格付けチェック!) animée par Hamada Masatoshi du duo comique Downtown. Elle nous parle également des concerts monstres de la fin des années 90, notamment ceux de Glay et de LUNA SEA. Elle a d’ailleurs fait sa découverte du mouvement avec LUNA SEA, comme c’était le cas pour moi d’ailleurs. Elle nous parle de quelques groupes clés outre X JAPAN ou LUNA SEA, comme Kuroyume, Dir En Grey, Malice Mizer ou encore Shazna qui ont, pour certains, développé un style androgyne et flamboyant qui ne passe pas inaperçu. Je me souviens qu’Izam du groupe Shazna passait tous les matins dans une émission télévisée que je regardais d’un air mélangeant incompréhension et fascination. Il se trouve que je connais Izam et que j’avais été voir une pièce de théâtre de la série Bio Hazard dans lequel il jouait, mais il a bien entendu beaucoup changé. Il y a un côté très théâtral dans les accoutrements et les attitudes du Visual Kei, qui me rappellent un peu le théâtre Takarazuka qui joue également sur l’aspect androgyne, car tous les personnages y sont exclusivement interprétés par des femmes. Le Visual Kei est à ma connaissance exclusivement masculin mais les vêtements que portent les membres de ces groupes, leurs chevelures et leur maquillage viennent brouiller les pistes. Cette distinction stylistique pleine d’un romantisme sombre disparaîtra au fur et à mesure au cours des années 90 pour une représentation sur scène plus sobre. Dans l’émission de Matsuko, Chiaki Fujitani semble proclamer que le retour du Visual Kei est proche, et je suis d’ailleurs surpris de voir que des groupes actuels se réclament du style, sous de nombreuses variantes ceci étant dit. Matsuko abonde d’ailleurs en ce sens dans l’emission suggérant au public télévisé qu’il devrait se maquiller et aller crier (化粧してシャウトしないとダメですよ、人間), à la manière de ces groupes de Visual Kei, comme un geste libérateur des tensions de l’existence. Sans forcément aller jusque là, j’aime personnellement quand les artistes musiciens sortent de l’ordinaire.

A gauche: le groupe LUNA SEA au complet à savoir Sugizo, J, Inoran, Shinya et Ryuichi au centre. A droite: Hide, guitariste et figure emblématique de X Japan.

Ce mouvement Visual Kei m’intéresse conceptuellement mais je n’ai pourtant pas d’accroche pour la plupart voire majorité des groupes qui le composent, à part LUNA SEA pour lequel j’éprouve une sorte d’adoration (j’exagère bien sûr). Je l’ai déjà évoqué avant et à plusieurs reprises mais ce groupe a été ma porte d’entrée vers le rock japonais alors que j’étais encore étudiant en France. J’avais découvert à l’époque quelques morceaux du groupe sur Internet et je les écoutais en mp3 sur Winamp. Le premier single que j’ai acheté à Nagasaki en 1998 était le morceau I For You sur l’album Shine sorti cette année là. J’ai ensuite découvert petit à petit leurs albums en commençant par Shine, puis par une compilation de singles sortie en 1997 qui a été une porte ouverte sur les albums plus anciens du groupe pendant leur période la plus prolifique au milieu des années 1990. L’album MOTHER de 1994 est leur chef d’oeuvre, notamment le morceau final éponyme sur lequel je reviens très souvent. Cette musique peut être très aggressive sous certains aspects mais également très mélodique. On y trouve des ambiances sombres et gothiques, mais également par rares moments des rythmes plus pop même s’ils sont noyés dans les guitares. Enfin, la musique de LUNA SEA baigne dans un romantisme sombre, exacerbé par la voix de Ryuichi Kawamura. Je me souviens que lorsque j’ai écouté LUNA SEA pour la première fois, j’avais été d’abord surpris par ce style de chant qui peut être rebutant à la première écoute. Mais, le chant de Ryuichi s’est avéré pour moi fascinant, sa gamme vocale et les émotions qui s’en dégage y étant pour beaucoup. Une chose est sûr, la musique du groupe tout comme leur attitude ne laissent pas indifférents. On adore ou on déteste. Au tout début de mes années à Tokyo, lorsque je disais autour de moi que j’aimais la musique du groupe, on me rétorquait souvent que l’attitude narcissique de Ryuichi le rendait antipathique. Dans le même ordre d’idée, on me regardait d’un air bizarre lorsque je disais que j’aimais la musique de Sheena Ringo, vu qu’elle était perçue comme une personne atypique, sortant de l’ordinaire à cette époque. L’image de LUNA SEA s’est adoucie avec les années mais l’image qu’ils projettent reste à mon avis similaire. La musique du groupe garde une place toute particulière dans ma discothèque personnelle et j’y reviens assez souvent. Depuis plusieurs jours et même semaines, je me suis mis à écouter exclusivement la musique de LUNA SEA en revenant sur leurs anciens albums, notamment MOTHER (1994) et l’album suivant STYLE (1996) que je n’avais pas écouté depuis longtemps et que je redécouvre sous un autre jour maintenant. Il y a bien sûr le superbe morceau IN SILENCE sur cet album mais je me rends compte en le réécoutant que la totalité des morceaux sont excellents, au delà même de mon souvenir, notamment les ballades. Les incursions de guitares ou même de violon de Sugizo sont mémorables et fondent le son du groupe, tout comme peut l’être la puissance de la voix de Ryuichi. L’album MOTHER reste le point d’entrée le plus évident vers l’univers du groupe. Si un morceau comme le single très rapide ROSIER ou le morceau teinté de romantisme gothique MOTHER ne provoquent aucune émotion ou intérêt, il faut mieux passer son chemin. Comme X JAPAN , je pense que LUNA SEA représente une pièce importante de l’édifice du rock japonais.

アルキミュージック

Les photographies orientées Architecture de ce billet ont été prises dans des lieux divers et n’ont pas vraiment de liens entre elles. Enfin si, on peut les grouper par deux. Les deux premières photographies prises à Aoyama se concentrent sur le motif et la forme des vitrages. Les deux suivantes ont été prises à Funamachi, quartier proche d’Arakichō dont je parlais récemment. Je suis persuadé d’avoir déjà vu cette maison individuelle blanche dans un magazine d’architecture mais je n’en retrouve malheureusement pas la trace. J’enverrais peut être une bouteille à la mer sur Instagram au cas où quelqu’un reconnaîtrait ce bâtiment, mais il arrive souvent que je retrouve moi-même l’architecte avant qu’on ne me l’indique ou que mes bouteilles se perde en pleine mer pour aboutir au point Nemo. Les deux maisons se trouvant derrière ont également des formes intéressantes, mais la légèreté blanche de la première m’intrigue et m’intéresse beaucoup plus. Sur les deux dernières photographies, je reviens à vélo de Yotsuya vers Shinanomachi. Dans la courbe de l’autoroute intra-muros, un temple s’est installé à l’abris des regards. On ne le devine pas de l’avenue principale et sa découverte était inattendue. La dernière photographie montre la gare JR de Shinanomachi conçue par l’architecte Shinichi Okada. La gigantesque colonne donnant sur l’avenue au coin du building est impressionnante. Je n’ai pas pu la prendre en entier au format horizontal, car je n’avais malheureusement pas assez de recul. Je n’ai pas insisté car ça me donnera l’occasion d’y revenir un peu plus tard.

Tokyo Jihen nous annonce par un petit email envoyé à 4h du matin par l’intermédiaire du fan club Ringohan que le nouvel album que l’on attend impatiemment arrivera plus vite que prévu. Je pensais qu’il sortirait pendant l’été 2021, mais on apprend avec joie qu’il est déjà terminé et qu’il sortira le 9 Juin 2021. Le nouvel et premier album complet depuis la reformation du groupe le 1er Janvier 2020 s’intitulera tout simplement Music (ミュージック) mais s’écrira en kanji 音楽 (Ongaku, c’est à dire musique). Ce n’est pas inhabituel qu’un album de Tokyo Jihen ait un titre en kanji et en anglais écrit en katakana. C’était le cas notamment de Adult (大人) et de Variety (娯楽). On sait que chaque album prend pour nom un type de chaine de télévision: Discovery, News, Education, Adult, Sports, Variety et Color Bars reprenant l’image de la mire de télévision. Le nouvel album prend donc le nom d’une hypothétique chaine télévisée musicale. Si on ne tient pas compte des mini-albums News et Color Bars, c’est le premier album complet de Tokyo Jihen depuis Daihakken sorti il y a exactement 10 ans en Juin 2011. On sait que l’album comprendra 13 morceaux et qu’on en connait déjà 5 sortis en singles (Inochi no Tobari, Ao no ID, Yaminaru Shiro et Ryokushu) ou maxi-single (Aka no Dōmei). Il y a donc 8 nouveaux morceaux qui nous attendent. On apprend aussi que le groupe travaille sur cet album depuis deux ans, c’est à dire qu’ils ont commencé à écrire les morceaux avant la reformation du groupe. Alors que toutes les paroles des morceaux sont écrites par Sheena Ringo, la composition est par contre distribuée entre les membres du groupe, sauf Toshiki Hata sans surprise. Sans surprise non plus, Ichiyō Izawa est la force créative de cet album car il en compose exactement la moitié, c’est à dire 6.5 morceaux, suivi par Sheena qui compose 2.5 morceaux puis Ukigumo et Kameda avec 2 morceaux chacun. Je ne suis pas surpris de cette distribution car la quasi totalité des singles déjà sortis sont composés par Izawa. Sans surprise également, on retrouve une symétrie parfaite dans les titres et leurs emplacements dans la playlist. C’est le cas par exemple des titres composés de plusieurs mots reliés avec un “no” (の). Il y aura une version limitée première presse qui contiendra en plus du CD, le maxi-single Aka no Dōmei (赤の同盟) déjà sorti l’année dernière seulement en digital et un livret de 40 pages intitulé Shigotochū (仕事中) qui devrait montrer des photos du groupe en plein travail. La photo utilisée pour la couverture de l’album, montrant une table de mixage, le laisse en tout cas penser. C’est cette version limitée que je viens de commander sur Tower Records. J’étais également très surpris par la photographie promotionnelle montrant le groupe sur le toit du Sky Building No. 3 (ou New Sky Building). On l’appelle également encore GUNKAN Higashi Shinjuku car il ressemble à un cuirassé. Ce building brutaliste de béton fut conçu par Yōji Watanabe en 1970 en suivant l’inspiration du mouvement architectural des Métabolistes. Je suis allé le voir de près il y a 14 ans en Juin 2007, et il était en mauvais état. Ça avait été une expérience assez marquante car l’immeuble est tout simplement unique. Il a été rénové depuis et les peintures verdâtres recouvrant les blocs d’habitation sur les façades ne sont pas du meilleur goût. Je me souviens avoir vu des photos de l’intérieur, qui semblait lugubre, mais les appartements ont apparemment été complètement rénovés. Le toit sur lequel la photographie de Tokyo Jihen a été prise n’est pas accessible au public (du moins c’était le cas à l’époque où j’y suis allé). En regardant cette photo, j’apprécie le contraste entre la massivité de la tête du building et légèreté apparente du groupe. Je parle de la légèreté des tenues et une certaine légèreté humoristique dans le fait qu’ils sont tous affublés d’un instrument à vent n’ayant pas grand chose à voir avec leurs instruments de prédilection. Le sens de tout ça m’échappe, mais j’y vois quand même une image de paix où la musique vient envahir les vieux navires. En tout cas, je garde en tête que cette photo vient faire un lien bienvenu entre deux des sujets principaux de Made in Tokyo, l’architecture tokyoïte et la musique de Sheena Ringo et Tokyo Jihen.

La liste des morceaux annoncés pour le nouvel album Music (音楽) est la suivante:

1. 孔雀 (Kujaku) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Ukigumo, Sheena Ringo)

2. 毒味 (Dokumi) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Kameda Seiji)

3. 紫電 (Shiden) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Izawa Ichiyō)

4. 命の帳 (Inochi no Tobari) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Izawa Ichiyō)
5. 黄金比 (Kōgonhi) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Ukigumo)

6. 青のID (Ao no ID) (Paroles & Composition: Sheena Ringo)
7. 闇なる白 (Yaminaru Shiro) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Izawa Ichiyō)
8. 赤の同盟 (Aka no Dōmei) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Izawa Ichiyō)
9. 銀河民 (Gingamin) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Ukigumo, Izawa Ichiyō)
10. 獣の理 (Kemono no Kotowari) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Kameda Seiji)
11. 緑酒 (Ryokushu) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Izawa Ichiyō)
12. 薬漬 (Kusurizuke) (Paroles: Sheena Ringo, Composition: Izawa Ichiyō)

13. 一服 (Ippuku) (Paroles & Composition: Sheena Ringo)

Les formes du bâtiment de la gare JR Shinanomachi sur la dernière photographie me rappellent l’image ci-dessus présente dans la bibliothèque Radiohead Public Library. Cette image d’architecture de l’époque de l’album In Rainbows attire tout de suite mon attention pour sa symétrie et son traitement en noir et blanc, et j’ai envie de l’associer aux blocs ascendants de la gare de Shinanomachi. Je connais cette librairie d’archives du groupe Radiohead depuis un petit moment, mais ne sachant pas par où commencer, je ne l’avais jamais vraiment exploré. Je me rends compte maintenant que l’on peut y voir des concerts entiers comme celui de Coachella le 14 Avril 2012 que je me suis mis à regarder en le choisissant au hasard. Ce concert se place chronologiquement après la sortie de The King of Limbs et de son album de remixes TKOL RMX 1234567 sortis respectivement en Février et en Septembre 2011. Je ne suis pas certain d’avoir déjà vu en vidéo un concert entier de Radiohead, seulement des extraits. Voir ce concert me rappelle à certains morceaux du groupe que j’avais un peu oublié mais qui me reviennent immédiatement dès les premières secondes d’écoute. Les interprétations sur scène sont plutôt fidèles aux versions des albums, mais c’est surtout la présence de Thom Yorke qui impressionne. Il se laisse complètement emporté dans son interprétation et envahit la scène avec des danses qui semblent improvisées. Sa manière de danser atypique ressemble même à un combat. Entre les morceaux, Thom laisse s’échapper quelques petites phrases et commentaires pince sans rire. Par exemple, en réponse à quelques personnes dans la foule qui lui crient leur amour, il nous dit « I love you then… Possibly not quite as you hope ». Au sujet d’un nouveau morceau que le groupe interprète pendant ce concert, il nous dit « We play new songs to be sure we are still alive… We are in fact still alive ». Il me semble qu’il y a de nombreux concerts disponibles en streaming gratuit dans la librairie d’archives web du groupe. Je vais piocher par ci par là, pour me replonger dans l’univers de Radiohead, ce qui est pour moi un exercice récurrent. Et puis, je prends un malin plaisir à parler volontairement de Radiohead sur un billet évoquant Tokyo Jihen, car Sheena Ringo a déjà fait des reprises de Radiohead en particulier Creep dans un des ses premiers concerts, puis elle était signée chez EMI tout comme Radiohead, et également parce que j’avais déjà parlé auparavant des deux groupes dans un seul billet abordant le souci donné au livret et au packaging accompagnant le CD d’un album. J’adore tout particulièrement la direction artistique des albums de Radiohead et en particulier celle de l’album The King of Limbs.

Dentsu Tsukiji Building par Kenzo Tange

J’étais très surpris d’apprendre la démolition prochaine de l’immeuble Dentsu à Tsukiji. Cet austère immeuble de béton de 13 étages dans le pur style brutaliste était l’ancien quartier général de l’agence de publicité Dentsu, avant son déménagement à Shiodome dans le très élancé building dessiné par Jean Nouvel. Le building historique de Tsukiji a été conçu par Kenzo Tange en 1967, une année après le Yamanashi Bunka Kaikan dont je parlais précédemment. Ces derniers temps, Dentsu vend ses bijoux de famille, dont cet immeuble historique. C’est certainement dû aux complications liés au report et à la réduction de voilure des Jeux Olympiques de Tokyo pour lesquels le géant publicitaire s’est particulièrement impliqué. Le building n’était apparemment pas occupé depuis 2014 et l’espace laissé après sa destruction sera utilisé pour un projet de redéveloppement par Sumitomo Realty & Development. La destruction du building a commencé le 18 Avril 2021 et se terminera à la mi-2022. La présence massive du building impressionne tout de suite. Il a même une apparence de machine monstrueuse dont le squelette est exposé sur les façades. La vue de côté donne l’impression d’une vue de coupe. Les poutres de béton qui dépassent de la surface au niveau de cette découpe donnent le sentiment que d’autres blocs pourraient s’ajouter et s’imbriquer dans le building existant dans le style de l’architecture d’évolution organique des Métabolistes. Le design initial du building était pourtant bien différent.

Le design initial du building s’inscrivait dans un plan urbain beaucoup plus large formulé par Kenzo Tange pour le quartier de Tsukiji sous le nom de “Redevelopment Plan of Tsukiji District Proposal” en 1964. Ce plan pour Tsukiji reprenait en plus compact les idées de ville avec blocs interconnectés qu’il avait développé pour son plan pour Tokyo de 1960 où l’on voyait la ville s’étendre comme un réseau informatique sur la baie de Tokyo. Le building Dentsu était destiné à être un des éléments de ce plan, occupant au total une portion des 3,300 m2 acquis par Dentsu dans le quartier de Tsukiji. Le building actuel sera pourtant le premier et le dernier bâtiment construit pour ce plan. Alors qu’il était prévu d’avoir une hauteur de 19 étages, des raisons de dépassement budgétaire ont vus sa taille se réduire aux 13 étages actuels. Comme on peut le voir sur les photographies des maquettes du projet initial, le design général du building était très différent de ce que l’on peut voir maintenant. Le design original se rapprochait beaucoup plus des principes du métabolisme avec des énormes colonnes »core » soutenant les étages, comme on pouvait le voir sur le Yamanashi Bunka Kaikan. Les colonnes contenaient les ascenseurs desservant les étages et connectaient le building avec le reste de la ville en sous-sol. Le président de Dentsu qui était favorable à ce projet décéda malheureusement pendant la période de conception du plan pour Tsukiji et les coupures budgétaires ont eu raison de cet ambitieux et utopique projet. Il ne resta donc que le building actuel, adoptant un design plus « raisonnable ». Le projet construit en entier aurait pu être grandiose mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait ressembler à un espace industriel qui déshumanise. Le building actuel dégage une grande force visuelle car il se démarque très nettement de tout ce qui existe aux alentours, mais imaginer un quartier entier dans le même style me fait peur. Conceptuellement, ça aurait quand même été grandiose.