un bleu azur insaisissable

Je marche cette fois-ci dans les rues de Shirogane en écoutant Variety de Tokyo Jihen. C’est à priori l’album le moins aimé du groupe. C’est vrai qu’il est désordonné mais je l’aime personnellement beaucoup, autant que les autres. Je suis en fait partie à la recherche de la maison individuelle Kamikozawa House conçue par l’architecte Kenji Hirose en 1959. Je suis déjà passé la voir pendant un de mes joggings du week-end il y a plusieurs années, mais je voulais la prendre en photo correctement avec mon appareil photo reflex. Je me souviens de ses formes simples et modernes, même radicales pour l’époque, et j’avais envie de les revoir. Je tourne en rond autour de l’adresse que j’avais noté mais je ne la trouve malheureusement pas. Elle a peut être été détruite, ce qui ne m’étonnerait que moyennement car les propriétaires initiaux qui lui ont donné ce nom n’y habitent plus. La maison étant de plain-pied sur une surface assez vaste, elle a du être considérée comme n’étant pas optimisée pour l’espace tokyoïte, surtout dans des quartiers denses en maisons et résidences comme Shirogane. Un petite visite sur GoogleMaps me confirme effectivement qu’un nouveau bâtiment est en construction à l’emplacement de Kamikozawa House. En chemin, je prends en photographie divers lieux et choses, des temples, des posters en kimono, des composants extérieurs d’air conditionné ou des architectures intéressantes qui se conjuguent bien avec le naturel. J’aime beaucoup le quartier de Shirogane car j’ai l’impression que je peux encore m’y perdre. La réalité est que je finis par connaître ces rues et que les surprises en chemin s’amoindrissent petit à petit. Les deux dernières photographies sont prises à Shibuya, sur la rue Meiji et près du Department Store PARCO. En les rajoutant à la fin du billet, j’ai le sentiment qu’elles ne sont pas nécessaires à l’ensemble du billet. Mais je les laisserais quand même à la fin de cette série de photographies, car le fait qu’elles ne soient pas nécessaires les rend complètement indispensables. C’est aussi la manière dont je vois ce blog, dans son ensemble, et ça me libère de toute idée préconçue sur ce que je dois mettre ou pas sur ces pages.

Musicalement parlant, vous l’aurez certainement déjà bien compris, je suis dans une phase d’écoute quasi-exclusive de la musique de Sheena Ringo et Tokyo Jihen. J’écoute bien d’autres musiques mais beaucoup moins de nouveautés que d’habitude et plutôt des albums que j’ai acheté il y plusieurs mois ou années. J’ai eu des phases musicales similaires précédemment, correspondant par exemple à la musique de Jun Togawa et Yapoos, Autechre ou encore Radiohead, Sonic Youth, The Cure et Pixies, dont je dévorais les albums les uns après les autres sans interruptions majeures. C’est un peu épuisant, mais j’adore cet état d’addiction musicale qui me fait réaliser toute la réalité du slogan « No Music, No Life » (bon, j’exagère volontairement le trait mais c’était pour garder en lien quelques affiches de la campagne publicitaire de Tower Records: TJ, SR1, SR2 et SR3, NB). Il faut dire que Tokyo Jihen ne m’aide pas beaucoup à décrocher car, en plus de mon objectif de voir tous leurs concerts, ils sortent régulièrement de nouveaux morceaux qui sont de plus en plus intéressants. Tokyo Jihen sort donc le morceau Blue ID (青のID) le Vendredi 6 Novembre, et je le télécharge sur iTunes dès sa sortie à minuit. Le morceau écrit cette fois-ci par Sheena Ringo est atypique et excellent, avec une once de folie dans la partition de piano. C’est comme si le groupe retrouvait une deuxième jeunesse depuis leur réformation. Il ne plaira peut être pas à tout le monde, mais j’aime beaucoup cet aspect sans compromis. Je trouve que Blue ID, également sous-titré d’un titre en espagnol Período Azul (qui m’inspire mon titre de billet), se trouve dans une continuité de style avec le EP précédent contenant le morceau principal intitulé Aka no Doumei (赤の同盟) également sous-titré en espagnol en Alianza de Sangre. On n’est pas non plus très éloigné du son de Tokyo Jihen car certaines intonations musicales me sont familières, mais l’ambiance générale est différente depuis leur reformation Je rêve discrètement qu’ils se dirigent petit à petit vers un style plus expérimental, vu que le groupe en a toutes les capacités techniques. En attendant, Tokyo Jihen sortira un autre morceau la semaine prochaine, intitulé Inochi no Tobari (命の帳) dont je risque bien de parler ici.

Je continue de manière méthodique mais désordonnée la revue des albums live de Sheena Ringo avec Gekokujō Xstasy (下剋上エクスタシー) qui est le premier concert enregistré et disponible en DVD (et même en VHS à l’époque). Le DVD est sorti le 7 Décembre 2000 en même temps que Hatsuiku Status Gokiritsu Japon (発育ステータス 御起立ジャポン) dont je parlais auparavant. J’avais acheté ces deux DVDs en même temps à l’époque au HMV de Shibuya (mais je me répète très certainement). Gekokujō Xstasy était une tournée nationale en 15 dates à travers tout le Japon du 17 Avril au 7 Juin 2000. La captation du DVD reprend des parties des concerts au NHK Hall à Shibuya, Tokyo le 26 Avril et au Fukuoka Sunpalace le 31 Mai 2000, ainsi que trois courtes parties documentaires entrecoupant le concert. Comme j’ai pu le constater assez souvent jusqu’à maintenant, il ne s’agit malheureusement pas du concert entier car quelques morceaux de la playlist ont été enlevés comme les singles Koko de Kiss shite ou Gibs et d’autres morceaux sont plutôt présents sur le premier disque de Zetchōshū à savoir les morceaux Yattsuke Shigoto et Gamble. Je n’arrive toujours pas à comprendre les raisons d’enlever des morceaux et d’en mettre ailleurs. Sur ce concert, Sheena Ringo avec la formation Gyakutai Glycogen (虐待グリコゲン) interprète des morceaux des deux premiers albums Muzai Moratorium et Shōso Strip, ce dernier étant sorti un mois plus tôt le 31 Mars 2000.

Il ne s’agit pourtant pas de sa première tournée. La première tournée s’appelait Senkō Xstasy (先攻エクスタシー) et se déroulait en 7 dates du 1er ou 18 Avril 1999 dans des clubs de Fukuoka, Osaka, Nagoya, Kanazawa puis Shibuya et Sendai. En cherchant un peu, on peut trouver sur internet la bande sonore du tout premier concert de Sheena Ringo sur cette tournée à Fukuoka le 1er Avril 1999 au 福岡DRUM LOGOS. J’imagine que le lien Youtube peut disparaitre à tout moment, et la qualité audio est assez moyenne de toute façon, mais ça a valeur de documentaire. De Senkō Xstasy, le concert se déroulant le 9 Avril au Shibuya ClubQuattro a été en fait filmé, et on en trouve une partie sur un des disques de la Box-set Live sorti en Novembre 2013 à l’occasion des 15 ans de sa carrière musicale. Il ne s’agit que d’une partie du concert, 5 morceaux pour 22 minutes, à savoir Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。), Keikoku (警告), アイデンティティ (Identity), Crazy For You (une reprise de Madonna) et Onaji Yoru (同じ夜). Je ne pense pas trouver un jour cette Box-set Live à un prix raisonnable (le prix oscille entre 24,000 yens et 56,000 yens), mais quelques recherches internet permettent de voir ces 22 minutes de concert (j’imagine là encore que le lien va disparaitre). La qualité vidéo et audio de cet enregistrement est étonnamment bonne, et les interprétations excellentes (très agressives, roulant excessivement des ‘r’ sur le morceau Keikoku par exemple), avec de nombreuses interactions avec le public. La formation sur cette tournée était déjà Gyakutai Glycogen, donc avec Seiji Kameda à la basse, Junji Yayoshi à la guitare, Makoto Minagawa aux claviers et Masayuki Muraishi à la batterie. J’aime bien le fait que Kameda soit pratiquement toujours présent. Pendant le concert, Sheena est coiffée d’une petite couronne qui n’est pas sans me rappeler celle de Courtney Love sur l’album Live Through This de Hole, sorti 5 ans plus tôt (on sait que Sheena Ringo est fan de Nirvana, au point de rajouter le nom du groupe et de Kurt Cobain dans la version modifiée de Marunouchi Sadistic). Je ne parlerais pas de sa tenue de scène très sexy et du kanji 主 (maître) sur sa main gauche qui laisserait penser qu’il y a des esclaves dans la salle. La totalité des morceaux a été apparemment enregistrée, mais je crois comprendre que le reste restera dans les archives. Certains autres extraits ont quand même été diffusés sur la chaine musicale du câble Space Shower TV, comme Marunouchi Sadistic (encore un lien qui est destiné à disparaitre mais la qualité video est de toute façon très mauvaise). Après la tournée Senkō Xstasy, Sheena Ringo se lançait dans l’enregistrement de son deuxième album Shōso Strip.

La tournée suivante, la deuxième donc, s’appelait Manabiya Xstasy (学舎エクスタシー) et se déroulait en 4 dates du 2 au 13 Novembre 1999 lors de festivals d’universités (学園祭) à Kanagawa (Tokai University sur le campus de Hiratsuka), Tokyo (Showa Women’s University), Fukuoka (Seinan Gakuin University) et Kyoto (Ritsumeikan University). Les concerts de la tournée n’ont pas été officiellement enregistrés ou diffusés en DVD, mais il existe sur internet une vidéo de piètre qualité du concert du 7 Novembre 1999 à l’université Showa Women’s University à Setagaya, Tokyo. Certains morceaux ont été quand même enregistrés et sont présents sur le deuxième disque de Zetchōshū, à savoir Mellow (メロウ), Fukō Jiman (不幸自慢) et So Cold (喪@CINコ瑠ヲュWァ). La formation n’est plus Gyakutai Glycogen, mais Tensai Präparat (天才プレパラート). En fait, je n’avais pas eu la présence d’esprit de constater que les trois disques du EP Zetchōshū correspondent en fait, dans l’ordre, à ses trois premières tournées.

Mais revenons plutôt à Gekokujō Xstasy qui est censé être le sujet principal de ce billet. Le terme gekokujō signifie la prise de pouvoir d’une personne plus faible sur une plus forte (la révolte des faibles en quelque sorte), terme utilisé historiquement au Japon depuis la période de Kamakura dans les batailles de clans. On pourrait traduire par outsider, ce qui doit correspondre à son état d’esprit par rapport à la scène musicale de l’époque. Personnellement, même maintenant qu’elle se trouve pleinement dans le mainstream, je la considère toujours comme étant outsider. Le DVD la nomme Shéna Ringö, ce qui est assez inhabituel, mais se normalisera ensuite en Sheena Ringo, qui est son nom officiel en romanji (et non Shiina Ringo qui est la transcription directe du japonais). La couverture de l’album reprend des symboles hospitaliers tout comme la vidéo de Honnō, le premier morceau interprété sur le concert. Par rapport aux deux tournées mentionnées auparavant, Gekokujō Xstasy prend une identité beaucoup plus marquée avec une mise en scène spécifique. La scène prend la forme d’un bloc opératoire, comme dans l’univers de Honnō donc, avec électrocardiogramme en fond, un modèle anatomique sur le côté et des grandes lampes de salle d’opération. Le staff sur scène est également habillé en infirmier, d’une tenue verdâtre. Un séjour à l’hôpital avant l’enregistrement de ce morceau Honnō a apparemment été initiateur de ce décor hospitalier. Les membres du groupe sont tous habillés de blanc et Sheena porte une sorte de camisole aux manches trop longues tachées de rouge sang par endroits. Cette mise en scène est très emblématique, et même assez inquiétante, exacerbée par le regard, les yeux grands ouverts, de Sheena Ringo lui donnant comme une pointe de folie. Un cameraman et une photographe se trouvent également sur scène pour la filmer et la prendre en photo, comme s’il s’agissait d’une star de cinéma. Cette exagération est volontaire, certainement pour mettre en avant sa popularité récente et les excès que ça entraîne qui la rendrait inconfortable. Toujours est-il qu’elle joue également un rôle pendant tout le concert. Elle ne sourit pas et prend ce concert très au sérieux, ce qui est une ambiance assez différente des tournées précédentes, mais assez similaire aux tournées suivantes. Seiji Kameda porte toujours sa crête en iroquois, ce qui m’amuse toujours en pensant à sa coiffure actuelle qui lui donne plutôt une tête très amicale. C’était une autre époque, il y a 20 ans. Sheena Ringo n’avait d’ailleurs que 21 ans au moment de ce concert.

Après quelques morceaux, le concert est ensuite entrecoupé de quelques scènes montrant les répétitions et la préparation du décor. On y voit notamment les dessins de préparation de la scène et des costumes. D’autres scènes montrent le voyage du groupe en bus, ou l’entrée sur scène. Ces passages me rappellent les scènes qu’on pouvait trouver sur le DVD de Hatsuiku Status Gokiritsu Japon. Un peu plus tard, on passera dans la salle de maquillage où on remarque notamment que tous accessoires sont blancs et marqués du logo rouge en forme de croix. Sur scène, les micros sont également blancs avec des fils rouges. Le reste de la partie documentaire est un mélange de scènes sans liens évidents les unes avec les autres: Kameda recherchant des inscriptions incluant son nom en kanji dans les rues d’une ville (Fukuoka sans doute), une scène d’anniversaire à la guitare pour Kameda, et une autre scène qu’on imagine se passer après un concert dans une salle avec billard (peut être un bar ou une salle des coulisses). Les membres du groupe profitent des instruments présents pour reprendre le morceau Tsumiki Asobi. Dans la première partie du concert qui se déroule au NHK Hall de Shibuya, Sheena a les cheveux longs et les coupe plus court lors de cette tournée. Le morceau Keikoku est intéressant car il démarre sur la version du NHK Hall avec les cheveux longs et bascule soudainement sur la version du morceau prise plus tard au Fukuoka SunPalace où Sheena a les cheveux courts (la partie documentaire nous montre d’ailleurs cette coupe de cheveux). Dans les scènes documentaires, l’ambiance est légère et détendue, et contraste bien évidemment avec ce qui se passe sur scène.

Les interprétations sur scène sont dans l’ensemble très bonne. Une raison pour laquelle le concert n’est pas présenté en entier est peut être dû au fait que seulement les interprétations les plus réussies sont retenus. Le morceau Keikoku, dont je parlais juste avant, est particulièrement réussi, particulièrement agressif notamment dans le roulement des ‘r’. C’était une des distinctions de son chant, mais c’est dommage qu’elle ne le pratique plus maintenant. Je me souviens de la première fois où j’ai écouté Muzai Moratorium et ce roulement des ‘r’ m’avait particulièrement intrigué, notamment parce que c’est très inhabituel pour des japonais. Je regarde ce concert avec une certaine nostalgie, car il me ramène 20 ans en arrière et me rappelle des moments où j’écoutais intensément ces albums. Un souvenir de l’avoir écouté à Nagasaki sous le futon, probablement pendant la Golden Week de l’an 2000, me revient en tête. J’étais revenu dans la famille qui m’avait accueilli au mois de Juillet 1998 pour ma première venue au Japon. Comme souvent, les concerts incluent une reprise, c’est ici le morceau Love is Blind de Janis Ian. Sur la tournée Manabiya Xstasy, c’étaient les morceaux UFO de Pink Lady et Creep de Radiohead. Sur Senkō Xstasy, le morceau Crazy for You de Madonna (dont je parlais avant). Les morceaux que je retiendrais principalement sont Tsumiki Asobi où elle fait bien entendu la danse qui accompagne le morceau, et Tsumi to Batsu où elle donne toute son énergie. La version de ce concert de Izonshō, dernier morceau de l’album Shōso Strip, est par contre problématique. Alors que dans la version de l’album, elle laisse un blanc volontaire dans les paroles où elle évoque le nom de sa voiture, une vieille Mercedes Benz W114 jaunâtre. Elle donne le nom d’Hitler à cette voiture dans la version du concert. Ce morceau des paroles est recouvert d’un beep sonore et on ne l’entend donc pas dans la version du DVD. Cette appellation problématique n’a apparemment aucune signification particulière (bien heureusement je dirais) mais reste au minimum très maladroit. Elle avait apparemment une habitude à cette époque de donner des noms allemands à certains objets, comme sa guitare qu’elle appelait Dietrich. Elle aura plus tard une manie de sous-titrer ses morceaux en français et maintenant en espagnol pour Tokyo Jihen. On peut quand même se rassurer en se rappelant que cette voiture subit un sort radical en se faisant couper en deux dans la vidéo de Tsumi to Batsu. Juste après ce morceau, Sid to Hakuchūmu enchaine avec une mise en image très dynamique qui continue sur le morceau suivant Byōshō Public. La caméra vidéo sur scène est très rapide et montre beaucoup d’images resserrées qui accentuent l’action sur scène. Le concert finit sur le déjà classique Marunouchi Sadistic qui reste quand même meilleur en version originale rock par rapport aux versions plus jazz qui vont suivre (la version Expo par exemple).

Alors que l’on croit le concert terminé, il reprend après les crédits de fin pour quelques morceaux, cette fois-ci au format 4:3 et dans un noir et blanc très granuleux. Sheena Ringo est accompagnée d’une formation appellée Kachiikusa Kinen Gakudan (勝ち戦記念楽団) composée d’un piano et de quelques instruments à cordes. Elle chante un medley de trois morceaux pratiquement a cappella. Cette partie est très forte et aurait dû, à mon avis, être incluse à part entière dans l’ensemble de la video du concert. En fait le vrai dernier morceau, Onaji yoru, est joué en entier et passe soudainement du noir et blanc à la couleur au moment où le morceau monte en intensité. Comme pour l’épisode du changement de coupe de cheveux, cette transition est plutôt intéressante et bien réalisée. Je termine là cette revue du concert. Entre les débuts de Sheena Ringo et le dernier morceau de Tokyo Jihen qui vient juste de sortir, je fais sur ce billet un grand écart sur la ligne du temps, jusqu’au prochain épisode.

Pour référence ultérieure, ci-dessous est la liste des morceaux présents sur le DVD du concert Gekokujō Xstasy:

1. Honnō (本能), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
2. Kyogenshō (虚言症), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
3. Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
4. Aozora (あおぞら), en B-side du single Honnō (本能)
5. Tsuki ni Makeinu (月に負け犬), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
6. Identity (アイデンティティ), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
7. Keikoku (警告), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
8. Koi wa Mōmoku (恋は盲目; Love is Blind), reprise du morceau de Janis Ian
9. Tadashii Machi (正しい街), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
10. Tsumiki Asobi (積木遊び), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
11. Benkai Debussy (弁解ドビュッシー), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
12. Kōfukuron (Etsuraku-hen) (幸福論(悦楽編)), du premier single du même nom
13. Tsumi to Batsu (罪と罰), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
14. Izonshō (依存症), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
15. Sid to Hakuchūmu (シドと白昼夢), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
16. Byōshō Public (病床パブリック), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
17. Marunouchi Sadistic (丸の内サディスティック), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
18. (Medley) Yami ni Furu Ame (闇に降る雨), Kōfukuron (幸福論), Remote Controller (リモートコントローラー), Tadashii Machi (正しい街), extraits des morceaux, dans l’ordre, de l’album Shōso Strip, du premier single Kōfukuron et des B-side du single Koko de Kiss Shite.
19. (Encore) Onaji Yoru (Special Version) (同じ夜(特別バージョン)), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)

永遠コンティヌウム

L’automne est une des meilleures saisons pour marcher en ville à Tokyo, quand les typhons se mettent en pause temporaire et que la pluie retient ses gouttes le temps du week-end. Nous avons eu beaucoup de week-ends pluvieux ces dernières semaines, donc une journée froide mais ensoleillée devient une opportunité immanquable de marcher à l’extérieur. Je suis malheureusement un peu à court d’idée d’endroits où aller marcher et je me retrouve donc encore une fois à parcourir les rues d’Aoyama jusqu’à Shibuya. En fait, j’avais initialement l’intention de marcher jusqu’à Shinjuku mais le temps me manquant, je m’arrête au niveau de Killer street pour aller revoir d’un peu plus près l’immeuble de béton TERRAZZA de l’architecte Kiyoshi Sei Takeyama (Amorphe). Je suis toujours impressionné par la puissance du béton dans la petite cour intérieure avec murs à l’oblique. J’essaie ensuite de me perdre dans les rues à l’arrière du building, mais je finis toujours par retrouver mon chemin dans Jingumae. Il y a beaucoup d’architecture intéressante dans ces rues. J’ai déjà pris ces endroits en photo plusieurs fois et je me retiens donc pour cette série. Je passe quand même revoir Small House de Kazuyo Sejima, car je veux vérifier si l’arrière de la maison est toujours visible. Jusqu’à maintenant, on pouvait emprunter un petit chemin de terre près d’un sanctuaire donnant accès à un terrain vague depuis lequel on pouvait voir l’arrière de Small House et donc apprécier sa forme asymétrique. Un petit immeuble a malheureusement été construit sur le terrain vague et le chemin de terre transformé en petite allée couverte de pavés. La dernière fois que j’ai pris l’arrière de cette maison en photo était en Août 2018. Cette vue n’est désormais plus possible. En revenant vers l’avenue Aoyama, je passe brièvement devant le grand temple Baisouin dessiné par Kengo Kuma, dont l’allée bordée de bambous est très agréable au regard. Les bureaux de l’architecte se trouvent d’ailleurs dans ce quartier, dans la rue parallèle à l’allée de bambous du temple. Je finis ensuite par regagner le centre névralgique de Shibuya devant le Department Store PARCO. La foule est de retour, comme à la normale, sauf qu’il n’y a pas de touristes. Mon regard se noie dans les mouvements de la foule, mais des petits détails accrochent parfois mon attention, comme ce petit smiley jaune à la fois agressif et sympathique.

Je ressors de mon tiroir le DVD du documentaire et live Hatsuiku Status: Gokiritsu Japon (発育ステータス 御起立ジャポン) de Sheena Ringo, sorti le 7 Décembre 2000 en même temps qu’un autre live Gekokujō Ecstasy. J’avais acheté ces deux DVDs en même temps à leurs sorties simultanées. Chronologiquement parlant, les scènes de concert filmées dans Hatsuiku Status: Gokiritsu Japon se déroulent en Juin et Juillet 2000, environ deux à trois mois après celles de Gekokujō Ecstasy. La principale différence est que Gekokujō Ecstasy était un concert de Sheena Ringo, tandis que le concert intitulé Gokiritsu Japon (Standup Japon) est celui d’un groupe inconnu appelé Hatsuiku Status (Growth Status), qui ne met pas en avant la présence de Sheena Ringo. Ce groupe a en fait été créé spécialement pour composer des nouveaux morceaux qui seront ensuite interprétés en concert lors de quatre dates à Fukuoka, Hiroshima, Kobe et Shinjuku. A cette époque, Sheena Ringo est déjà très connue car ses deux premiers albums Muzai Moratorium et Shōso Strip sont déjà sorti, mais elle ne révèle apparemment pas sa présence dans ce groupe Hatsuiku Status lors des premiers concerts. J’imagine que le secret a du être gardé pour la première date à Fukuoka, mais que le mot a dû se donner peu après.

Hatsuiku Status est loin d’être le seul groupe rock créé par Sheena Ringo. On connait bien sûr Tokyo Jihen, mais elle a aussi l’habitude de créer et de donner des noms particuliers aux formations créées pour chaque album (ou partie d’albums), pour les concerts et parfois pour les enregistrements de certains morceaux. Par exemple, le groupe Gyakutai Glycogen (虐待グリコゲン) s’est formé pour les concerts des tournées Zazen Ecstasy et Gekokujō Ecstasy de l’année 2000, le groupe Tensai Präparat (天才プレパラート) jouait l’année précédente sur la tournée Manabiya Ecstasy (学舎エクスタシー). Sur l’album Muzai Moratorium, il y avait même trois groupes listés, à savoir Zetsurin Hectopascal (絶倫ヘクトパスカル), Zekkyō Solfeggio (絶叫ソルフェージュ) et Momoiro Spanner (桃色スパナ). Les orchestres avec Neko Saito prennent aussi des noms particuliers comme Noraneko Orchestra (ノラネコオーケストラ) sur le concert Baishō Ecstasy. Pour revenir aux noms de groupes, il s’avère qu’ils suivent tous la même construction dans leurs noms, à savoir deux Kanji et un mot en katakana. Les noms des formations orchestrales ont une autre convention de noms utilisant seulement des katakana. Arrêtons nous là sur les noms de groupes, car il doit y en avoir plus d’une trentaine. Et on pourra aussi noter que certains noms d’albums et de morceaux suivent également cette même composition kanji & katakana (丸の内サディスティック, 無罪モラトリアム, 三文ゴシップ…). Il s’agit là encore d’un exemple d’une des spécialités de Sheena Ringo de jouer avec la composition et les associations de mots, et je m’amuse à faire de même avec le titre de ce billet.

Hatsuiku Status a également la particularité d’avoir trois bassistes: Sheena Ringo, Yasunobu Torii et Junko Murata. Cette dernière faisait partie de Hachiōji Gulliver (八王子ガリバー), groupe des débuts de Sheena Ringo à Fukuoka. En parlant des débuts, le premier groupe de lycée de Sheena Ringo s’appelait Marvelous Marble (マーベラス・マーブル) et faisait des reprises. On peut d’ailleurs voir sa première apparition au chant à la télévision dans une émission intitulée Teens’ Music Festival en 1995. Elle avait 16 ans et est à peine reconnaissable. Sur Hatsuiku Status, on trouve également Yuka Yoshimura à la batterie et Hisako Tabuchi du groupe Number Girl à la guitare électrique. Il faut noté que Number Girl est également originaire de Fukuoka, qu’ils ont déjà sorti à cette époque quelques albums comme School Girl Distortional Addict et que Sheena allait à leurs concerts. Hisako Tabuchi est en quelque sorte senpai de Sheena Ringo et elle est de trois ans son aînée, mais on ne ressent pas du tout ce genre de rapport de force dans le documentaire du DVD. Le groupe est principalement féminin, ce qui n’est pas le cas sur les groupes qui vont suivre. En fait, je m’étais toujours demandé pourquoi Sheena Ringo avait soudainement ressenti le besoin de créer un groupe avec Tokyo Jihen en 2004, mais je me rends compte que ce besoin existe depuis ses débuts et qu’elle n’a jamais vraiment été soliste car chaque formation l’accompagnant a un nom et donc une identité. Il y a quelque chose d’intéressant à creuser là, car, vu la singularité des morceaux de sa discographie, on imagine plutôt Sheena Ringo comme étant solitaire dans l’exercice d’écriture des morceaux, qui n’accepterait pas les compromis que le travail en groupe demande. Malgré cela, depuis Tokyo Jihen à partir de la deuxième formation, on sait que sous son impulsion le travail d’écriture est beaucoup plus distribué entre les membres du groupe, surtout à partir du EP Color bars.

Sur ce projet Hatsuiku Status qui ne durera que le temps des quatre concerts que je mentionnais ci-dessus, les morceaux sont en très grande partie écrits par Sheena Ringo, en suivant vaguement le thème de la croissance (comme l’indique le nom du groupe). Le DVD commence par une partie documentaire qui nous montre les répétitions et l’exercice collectif de création musicale. En fait le deuxième morceau de la playlist Warui Nae Yoi Moe (悪い苗 良い萠) est le seul morceau dont les paroles sont écrites par la totalité du groupe et on voit quelques scènes montrant le processus de création. Les paroles sont d’ailleurs assez hétéroclites, citant des mots et bouts de phrases sans liens apparents les uns avec les autres. On peut entendre par moment des noms de personnes, comme ‘Mukai kun’ en référence à Shutoku Mukai de Number Girl, ou ‘Furuya kun’ en référence à Kenji Furuya qui est le chanteur de Dragon Ash. Le nom du 15ème président sud coréen, en fonction à l’époque du concert, est également cité mais on ne l’entend pas sur la vidéo car son nom est couvert d’un deep sonore. Les paroles de ce morceau n’étant que composés de mots divers et variés, je n’y perçois pas de messages particuliers. Ce documentaire peut paraitre anecdotique mais je trouve très intéressant d’observer les relations de Sheena avec le groupe, notamment avec Hisako Tabuchi. Ce DVD doit d’ailleurs être le seul à montrer ce type de documentaire et il est donc assez unique. Les répétions mélangent moments de sérieux et moments d’amusement, avec notamment quelques passages dans un espace de pause qui doit être celui du Shinjuku Liquid Room (qui s’est déplacé à Ebisu en 2004). J’aime beaucoup les moments où Sheena et Hisako sont habillées de la même chemise à carreaux rouges, quand les membres du groupe tentent les unes après les autres de faire les yeux blancs (comme dans la vidéo de Yattsuke Shigoto) tout en mangeant des choux à la crème, ou quand Sheena raconte une histoire sur la perte d’un pendentif en forme de coeur qui l’amène à imiter une scène de comédie musicale.

Vers la fin du documentaire, on voit le groupe préparer la playlist du concert et celui-ci commence peut de temps après dans la salle du Liquid Room de Shinjuku. La captation vidéo est volontairement assez peu modifiée pour donner une impression d’immersion dans la réalité du concert (c’est apparemment l’effet voulu). Le set de la tournée Gokiritsu Japon se compose de 11 morceaux originaux, mais seulement 9 sont montrées en vidéo sur le DVD. Deux morceaux au milieu ont été enlevés, à savoir le cinquième intitulé Fukurande kichatta (膨らんできちゃった) et le sixième intitulé Hai Hai (はいはい), ce qui est extrêmement bizarre. On retrouve cependant ces deux morceaux sur le troisième disque du EP Zecchōshū (絶頂集) sorti quelques mois avant le DVD en Septembre 2000. Peut être que l’inclusion dans le EP Zecchōshū justifie la non inclusion dans le DVD, mais c’est tout de même étrange d’avoir coupé le concert au milieu. Ceci étant dit, on ne s’en rend pas compte. Ce qui est un peu dommage, c’est que le morceau Fukurande kichatta est le plus emblématique et marquant du set, et on l’entend d’ailleurs en extrait au début du DVD. Le EP contient par contre un autre morceau du set, le 11 morceau (ou neuvième sur le DVD) intitulé Kōgōsei (光合成). Le septième morceau du DVD, Konya Dō (今夜だふ), est lui inclus sur la compilation live Mitsugetsu-shō (蜜月抄). Le reste des sept morceaux n’est disponible sur aucune autre compilation live à ma connaissance. Même si le son enregistré est assez brut, j’aurais quand même aimé les avoir en piste audio. Il ne s’agit pas non plus des meilleurs morceaux de Sheena Ringo, du niveau de ceux des deux premiers albums, mais ils sont tout de même très bons. Les morceaux ressemblent plutôt à des b-sides qu’on trouverait sur une compilation comme Watashi to Hōden, mais personnellement j’ai toujours eu une attirance pour les b-sides qui explorent parfois de nouveaux territoires sans concessions. En regardant cette vidéo, on a l’impression de regarder un concert de rock indépendant, ce qui me rappelle avec un peu de nostalgie les fois où nous étions allés voir des concerts rock de jeunes groupes inconnus au Loft de Shinjuku ou au 100000V de Koenji. Ça devait être à peu près à cette époque d’ailleurs. Les morceaux de Gokiritsu Japon sont parfois chantés à plusieurs voix, avec Hisako Tabuchi en accompagnement. Le cinquième morceau du DVD, Haenuki (生え抜き), est celui que je trouve le plus proche au niveau de sa voix des morceaux solo des deux premiers albums. Le concert est en lui-même assez court et la totalité du DVD ne fait que 70 minutes. Le tout se termine par des images supplémentaires après le générique de fin où les membres du groupe discutent des morceaux. L’autre morceau manquant du DVD, Hai Hai, est d’ailleurs joué pendant le générique de fin. Ce DVD a quelque chose d’unique pour sa valeur documentaire, et l’énergie live brute qui s’en dégage est palpable par le rendu de la captation vidéo.

Pour référence ultérieure, la liste des morceaux du concert Gokiritsu Japon sont notés ci-dessous (seulement les morceaux présents sur le DVD):

1. Hatsuga (発芽)
2. Warui Nae Yoi Moe (悪い苗 良い萠)
3. Gaichū Kujo (害虫駆除)
4. Takai Takai (たかいたかい)
5. Haenuki (生え抜き)
6. Sakasetemite (咲かせてみて)
7. Konya Dō (今夜だふ) est inclus sur la compilation live Mitsugetsu-shō (蜜月抄)
8. Mebana yue Obana (雌花 故 雄花)
9. Kōgōsei (光合成) est inclus sur le troisième disque du EP Zecchōshū (絶頂集) et sur la compilation Watashi to Hōden (私と放電)

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On peut légitimement se poser la question de l’intérêt de montrer autant de murs sur un même billet, mais il faut quand même dire qu’ils sont tous, de mon point de vue, assez intéressants, que ça soit pour leurs formes, leurs textures ou les graphismes de rues qui viennent les décorer. La première photographie est prise sur une des hauteurs de Shibuya à proximité de la tour Cerulean. Le bâtiment de bureau a des apparences des plus classiques, mais des détails comme ce mur de passerelle suspendue avec des ouvertures rondes lui donne un aspect futuriste que je remarque en passant. Ces formes froides viennent contraster avec le graffiti de personnage jaune au sourire grimaçant posé sur un muret de parking. En le voyant rire de cette façon, on se demande si c’est une bonne idée de se garer à cet endroit là, sous peine de représailles. Tout ceci n’est qu’imaginaire mais mon imagination n’a pas de limite en terme d’interprétation du langage urbain. Le mur suivant est celui d’une forteresse de béton. Lorsque je passe dans cette rue, je le prends immédiatement en photo car je remarque la qualité des détours des ouvertures, composés de formes en escalier. La brutalité de ce béton omniprésent vient s’adoucir par ce genre de détails que j’aime beaucoup découvrir, et par la présence de végétation au vert dense. J’ai pensé pendant un instant qu’il pouvait s’agir d’une maison dessinée par Tadao Ando, mais en fait non, cette demeure de béton serait l’œuvre de l’architecte Tetsuro Kurokawa, que l’on connaît pour le petit Koban futuriste installé au milieu du parc d’Ueno. Cette grande maison à Nanpeidai a en fait d’illustres propriétaires. Sur un renfoncement de mur qui doit donner accès à une porte d’entrée, on peut lire en lettres d’or les noms de Yuya Uchida et Keiko Uchida, autrement appelée Kirin Kiki, actrice magnifique qu’on a pu voir dans beaucoup de films japonais, notamment ceux de Hirokazu Kore-Eda. Elle nous a quitté en Septembre 2018 suite à un cancer. Je ne sais pas si son mari, le musicien Yuya Uchida, vit dans cette maison car ils étaient séparés depuis 1975, tout en restant mariés. Un peu plus haut sur cette rue en direction de Daikanyama, on trouve un étrange petit bâtiment de verre, en apparence rempli de blocs de bois. Je ne connais pas l’architecte mais je le découvrirais bien un jour ou l’autre. La dernière photographie est prise à Shibuya près de Maruyamachō et montre la façade du Club Asia. Je n’avais pas emprunté cette rue depuis des années et je suis surpris de voir que ce club est toujours là inchangé. J’ai en fait des très vagues souvenirs d’y être allé quelques fois quand j’avais la vingtaine insouciante. Mais ces souvenirs disparaissent et j’aurais dû les écrire sur papier à cette époque où les blogs n’existaient pas encore.

J’écoute beaucoup le dernier album d’Autechre ces derniers jours. Cet album intitulé SIGN est un tournant, un changement de direction vers une musique électronique plus abordable, tout en restant résolument expérimentale. L’album ne dure qu’une heure, ce qui est une petite révolution pour le groupe. Pour préciser, il ne s’agit pas d’un seul morceau d’une heure, mais de 11 morceaux durant tous moins de 10 minutes, ce qui peut paraitre incroyable. Après Exai qui durait 2h, elseq qui durait 4h et NTS Sessions qui durait 8h, je m’attendais à un prochain album monstrueux de 16h. Heureusement, non. J’ai tous les albums d’Autechre sauf NTS Sessions car je ne me suis jamais senti d’attaque pour 8h de musique qui me retournerait le cerveau. Ma compréhension est qu’Autechre voulait s’affranchir des normes imposés par le format d’un album, mais ils semblent être revenu sur cette direction avec SIGN. C’est beaucoup plus facile de se lancer dans l’écoute de ce dernier album. Il a également la particularité de contenir des mélodies qui sont presque évidentes, un peu comme sur Amber. Bien sûr, on parle d’Autechre, donc toutes les mélodies sont bancales et partent vers des sons inattendus (et superbes, ça va de soi). On reconnait également tout de suite le style Autechre, donc le dépaysement n’est pas total, quoique le morceau central Metaz form8 m’a quand même surpris par son style ambiant pur. L’équilibre se dérègle tout de même au fur et à mesure qu’on avance dans le morceau. On se rend compte que certaines pièces de l’univers musical ont du jeu et se désynchronisent petit à petit. Le quatrième morceau esc desc se compose d’une mélodie troublante, à l’équilibre instable rendant cette musique comme organique. Sur les derniers albums d’Autechre, on en était venu à se demander s’ils n’avaient pas terminé leur transmutation cybernétique, tant les sons qu’ils développaient s’éloignaient de toute réalité humaine. Sur SIGN, on a le sentiment qu’Autechre essaie de recréer un lien avec l’espèce humaine. Ceci ne nous empêche tout de même pas d’avoir tendance à oublier notre propre réalité physique lorsqu’on écoute attentivement cette musique. Je me demande comment les fans les plus intransigeants du groupe apprécient ce dernier album. Autechre a toujours eu des décennies d’avance sur tous les autres artistes électroniques (à part peut être Aphex Twin, mais c’est un point de vue personnel). Avec SIGN, on peut avoir l’impression qu’ils baissent un peu la garde, au risque de devenir comparable à d’autres artistes électroniques. Pour ma part, j’aime énormément ce reboot, qui je pense est représenté sur la pochette comme une boucle. Je crois comprendre qu’ils n’utilisent plus Max/MSP sur cet album mais plutôt une version modifiée par leur soin d’Ableton, et sortent donc d’une certaine manière de leur zone de confort. Je pense même que SIGN peut devenir une bonne porte d’entrée dans l’univers d’Autechre. Plus je l’écoute, plus il me marque. Il s’avère même être un excellent compagnon pour des promenades nocturnes dans l’occupation urbaine, que l’on effleure seulement en marchant car l’esprit est occupé à défricher ces notes volontairement dissonantes.

DOUBLEBLIND par OCTOBER

La meilleure chose qui puisse arriver lors d’une promenade au hasard des rues de Tokyo est de trouver soudainement une maison individuelle qu’on a déjà vu dans des magazines ou livres d’architecture. C’est encore mieux quand elles ont un aspect brutaliste en béton et des formes inhabituelles. En marchant dans le quartier de Meguro, dans des rues que je ne connaissais pas en direction approximative de Sangenjaya, j’aperçois soudainement, dans une petite rue perpendiculaire, une avancée de béton tout à fait particulière. On pouvait deviner tout de suite que cette maison était atypique. Il suffisait de s’en approcher pour constater ses drôles de formes à l’oblique et ses vitrages quasi-opaques colorés de vert. Je reconnais rapidement Doubleblind, une maison individuelle en béton renforcé dessiné par les architectes Tomomasa Ueda et Yoko Nakagawa de l’atelier October. Doubleblind faisait partie de la longue liste des maisons que je recherchais et je suis donc très content de la découvrir de cette manière tout à fait par hasard. October est un nom étrange pour un atelier d’architectes. Il s’agit d’après leur site web du mois de naissance de Tomomasa Ueda et d’une référence à un magazine culturel américain qu’il apprécie.

Par rapport aux photos que j’avais vu dans des magazines ou sur internet, la surface du béton de Doubleblind a subi les intempéries et mériterait un bon nettoyage. Sa construction s’est achevée en 2005 et les impuretés du béton doivent être le résultat de 15 années de vie sur les terres relativement humides de Tokyo. Entre la saison des pluies, la lourdeur humide de l’été et les typhons en automne, on peut comprendre que les surfaces soient mises à dure épreuve. Comme souvent à Tokyo, les maisons sont construites sur des espaces réduits et le challenge de l’architecte est à chaque fois d’optimiser l’espace habitable. Le site ici fait 60m2 et a une forme triangulaire donnant sur deux rues parallèles. Les régulations du site permettent un ratio habitable de 80%. La maison de trois étages sans sous-sol fait un total de presque 118m2. Les quelques photos ci-dessus provenant du site web des architectes, donne une bonne idée de l’espace intérieur, très spacieux avec une grande pièce centrale et relativement lumineux grâce à la grande baie vitrée au deuxième étage. On est portant situé dans une rue étroite assez typique des quartiers résidentiels de la métropole. Le design intérieur est particulièrement futuriste est les angles aigus qui le composent suivent l’esprit visuel de l’extérieur. Des architectes d’October, je connaissais déjà la maison individuelle EdgeYard aperçue plusieurs fois dans un recoin de Shibuya-Ku. J’aimerais découvrir Subdivision qui se trouve quelque part à Machida mais je n’ai pour l’instant aucune indication sur sa localisation précise.

Petits moments d’architecture (9)

Comme je le mentionnais dans un ou deux billets précédents, nous allons de temps en temps à la recherche de sanctuaires intéressants à Tokyo pour y récupérer le sceau Goshuin que nous collectionnons précieusement dans un petit carnet. Cela nous donne parfois l’occasion d’aller explorer des lieux dans Tokyo que nous ne connaissons pas beaucoup voire où ne sommes jamais allés. Ce n’est pas le cas du quartier où se trouve le sanctuaire Hibiya en photographie ci-dessus. Malgré son nom, il se trouve à Higashi-Shinbashi, tout près de Shiodome. Le parc Hibiya est cependant relativement proche. On a certainement maintes fois emprunté la Route 15 qui passe devant mais je n’avais jamais remarqué ce sanctuaire. Il est d’une taille assez réduite et a la particularité d’être coincé entre les lignes de chemins de fer derrière, les immeubles d’un côté et deux grandes avenues à plusieurs voies (la Route 15 et la 405/481) devant. Il n’y a pas moins de 5 voies de chemin de fer passant derrière le sanctuaire: la ligne Tokaido, la ligne Ueno-Tokyo, la ligne Keihin-Tohoku , la ligne Yamanote et la ligne de Shinkansen Tokaido, le tout se dirigeant vers la gare de Tokyo. Depuis la porte torii, on a une vue directe sur les avenues, ce qui donne une vue intéressante. Ce sanctuaire est pratiquement une caricature du Tokyo qui s’est modernisé trop vite en épargnant par-ci par-là des bouts de traditions. On a l’impression d’être en sécurité sur un petit îlot à part loin des dangers du traffic.

Il n’y pas beaucoup de hauts immeubles dans le quartier de Hiroo, sauf le long de l’avenue Gaien Nishi-dori qui passe devant la gare. La petite tour de 8 étages appelée ESQ.Hiroo est composée d’un zigzag de forme noire qui me fait penser à un serpent. Son élégance discrète est mise en avance par le fait qu’elle se détache un peu du reste des immeubles. J’aime prendre ce building en photo lorsque je passe devant car les vitrages enfermés dans l’encadrement noir sont très photogéniques. Lorsque je le regarde, j’aime aussi imaginer ce que ça pourrait donner de vivre la haut sans personne autour et de se lever le matin en regardant la ville à travers les baies vitrées. Nous avons déjà vécu de nombreuses années au huitième étage d’une résidence, mais je ne sais pour quelle raison, l’impression que donne cette tour fine est différente. Peut être parce qu’il semble n’y avoir qu’un seul appartement tout en haut, avec le privilège d’une vue unique.

Un peu plus loin dans les rues de Hiroo près de la gare, le petit bâtiment en forme de parallélogramme appelé Sorte par l’architecte Junichi Sanpei de l’atelier ALX est vraiment perdu dans les habitations basses du quartier. Il faut emprunter une petite rue pour y accéder. Mais lorsque l’on fait le tour du bâtiment, on se rend compte que deux des façades sont largement visibles depuis un vaste parking. Je prends la photographie montrée dans ce billet depuis ce point de vue là. Malgré sa taille relativement petite, Sorte se compose de cinq appartements. Le deuxième et troisième étages sont occupés par un seul appartement plus vaste que les autres (celui des propriétaires), dont on voit une des ouvertures en forme de triangle. Les quatre autres appartements sont en location et sont distribués sur le premier étage, le rez-de-chaussée et le sous-sol. Chaque appartement est construit sur plusieurs étages et chacun des étages comporte donc des parties de chaque appartement. Le rez-de-chaussée par exemple est divisé en quatre parties et comporte donc les pièces de quatre appartements. Depuis l’extérieur, on ne devine rien de l’arrangement intérieur et de la manière dont il essaie de capter au mieux les lumières du soleil.

Juste en face du National Museum of Western Art conçu par Le Corbusier, se dresse le grand hall Tokyo Bunka Kaikan dessiné par Kunio Maekawa, disciple de Le Corbusier. Les œuvres du maître et de son disciple se regardent à longueur de journée, se comparent peut être pour vérifier si l’élève arrive enfin à dépasser le maître. Il doit y avoir égalité même si les formes en béton renforcé exposé du Bunka Kaikan impressionnent peu être un peu plus à première vue. Ce bâtiment d’architecture moderne date de 1961. C’est un building d’aspect brut mais les lignes ont beaucoup d’élégance. Je n’ai jamais assisté à un spectacle musical à l’intérieur de la grande salle. Prendre cette photographie et en parler ici me rappelle qu’il me reste encore beaucoup de choses à faire à Tokyo et que je suis loin d’en voir le bout. Les occupations quotidiennes font que l’on oublie. Il faudrait que je sois plus discipliné et que je prennes des notes de tous les endroits que je souhaite voir un jour.

J’ai déjà parlé brièvement du sanctuaire Taishido Hachiman, se trouvant dans le quartier de Sangenjaya. Là encore, il se trouve perdu dans un quartier résidentiel. Il faut s’enfoncer dans les rues étroites pour le trouver, car il est éloigné des grandes artères. De ce fait, l’endroit est extrêmement calme et reposant. Nous y sommes passés à la fin de l’été et l’ombrage apporté par les arbres tout autour du sanctuaire apportait une protection salutaire. C’est tous les ans la même chose, lorsqu’on est en hiver, on attend impatiemment l’arrivée de l’été avec des images bucoliques de la campagne de Totoro en tête, et quand l’été arrive, on regrette la fraîcheur de l’hiver. Les jours où l’on peut vraiment apprécier pleinement le Japon s’étalent sur des périodes assez courtes au printemps et à l’automne lorsqu’on n’est pas en pleine saison des pluies et que les typhons ne viennent pas nous décourager de sortir.

Le sanctuaire de Karasumori se trouve également prés de la gare de Shinbashi, pas très loin du sanctuaire Hibiya dans je parlais plus haut. Le sanctuaire a été établi en l’an 940 (ère Heian), mais le bâtiment fait de béton est bien entendu beaucoup plus récent. A l’époque Edo, le lieu où se trouve le sanctuaire était une plage avec une forêt où se retrouvaient des groupes de corbeaux. Le nom du sanctuaire est directement tiré de cette forêt de corbeaux. Loin des espaces ouverts de l’époque Edo, il se trouve actuellement coincé dans un espace étroit entre les immeubles. On y accède par une allée étroite elle-même bordée de quelques izakaya. Les formes modernes brutalistes de béton exposé et l’austérité générale de l’edifice le rendent extrêmement intéressant et unique dans le paysage urbain.