nakamebucks

En y réfléchissant bien, il y a quand même beaucoup de bâtiments de toutes tailles et fonctions conçus par l’architecte Kengo Kuma à Tokyo. Il a pris depuis quelques années le statut d’architecte incontournable au Japon et même à l’étranger. Il construit beaucoup au Japon et notamment à Tokyo, que ça soit le nouveau stade olympique, la nouvelle gare de Takanawa Gateway que je n’ai pas encore été voir, la tour Shibuya Scramble Square dont je parlais dans le billet précédent ou le vaste bâtiment en photos ci-dessus pour une modeste chaîne de cafés appelée Starbucks. Je suis déjà passé devant plusieurs fois, notamment en mars 2019 peu de temps après son ouverture. Je me souviens qu’à l’époque, je m’étais naïvement présenté à l’entrée pour y acheter un café à emporter tout en voulant faire un petit tour de l’intérieur, mais on m’avait gentiment dit qu’il fallait d’abord acheter un ticket dans le bâtiment annexe pour avoir le droit d’entrer à l’intérieur deux ou trois heures après. J’avais finalement fait demi-tour après avoir quand même pris quelques photos de l’extérieur. La situation a bien changé maintenant, car il n’était pas nécessaire d’acheter un ticket en avance ou d’attendre dans une file pour entrer à l’intérieur. Et comme j’y suis allé un jour de semaine pendant mes congés, il n’y avait pas foule. Le bâtiment a plusieurs étages avec des grandes terrasses donnant sur la rivière Meguro. J’imagine que la vue doit être superbe ici pendant la période des cerisiers en fleurs. J’évite quand même de m’asseoir en terrasse car il faisait chaud et humide cette journée. Je préfère m’asseoir le long des baies vitrées sur une chaise basse pour m’obliger à regarder en hauteur. Une chose est sûre, ces grands espaces s’apprécient mieux quand il y a peu de monde. Les deux rives de la rivière Meguro changent petit à petit avec des nouvelles constructions voyant le jour, comme celle de ce café ou un autre grand bloc de béton superbe juste en face sur l’autre rive. Naka Meguro est un quartier prisé depuis déjà un petit moment et ça ne va aller qu’en s’accentuant.

Shakujii Apartment par SANAA

J’ai déjà découvert, par hasard ou volontairement, un grand nombre de buildings et de maisons individuelles conçus par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, soit individuellement ou ensemble au sein du groupe SANAA, sans pour autant avoir créer une liste facilement consultable de ce que j’ai pu voir jusqu’à maintenant. Comme je le mentionnais dans les commentaires d’un billet précédent, ce blog est une forêt inextricable ramifiée sur 17 années de contenus organisés seulement de manière chronologique. Un novice arrivant à la lisière de cette forêt y réfléchira sans doute à deux fois avant de s’y enfoncer. Pourtant, cette approche plutôt déroutante et opaque me convient assez bien pour ce blog, car j’aime l’idée que l’on puisse découvrir les choses de fil en aiguille à mesure de son intérêt, plutôt que tout d’un bloc de façon organisée. Si on comparait cette démarche à de l’architecture, elle serait à l’exact opposé de l’extrême transparence de SANAA. Cette approche sans concession de l’architecture m’intéresse beaucoup et me pousse à la découverte progressive des créations architecturales de SANAA.

Cette fois-ci, je pars sur les traces d’un ensemble d’appartements dénommé Shakujii Apartment. L’adresse est facilement trouvable sur Internet. Ce petit ensemble se trouve à côté d’une rivière, la rivière Shakujii, et assez proche d’un grand parc, le parc de Shakujii, qui sous certains aspects me rappelle un peu le parc de Inokashira. Le parc Shakujii est desservi par une station du même nom sur la ligne Seibu-Ikebukuro, que j’emprunterais seulement au retour. A l’aller, j’emprunte une ligne parallèle à celle-ci, la ligne Seibu-Shinjuku, qui m’amène à la station Kami Igusa. Depuis cette station, il faut marcher une bonne dizaine de minutes dans une zone résidentielle, en se perdant un peu en court de route, pour finalement découvrir Shakujii Apartment au détour d’une rue. La zone résidentielle dans laquelle se trouve Shakujii Apartment est des plus classiques comme dans toutes les banlieues lambda autour de Tokyo, sans personne dans les rues.

Le style de Shakujii Apartment contraste fortement avec le reste des maisons individuelles de deux ou trois étages du quartier. Il s’agit d’un immeuble de taille basse tout en longueur, composé de huit unités d’habitation de tailles variables. Les unités sont construites en structures d’acier et sont couvertes dans leur quasi-totalité de vitrages. Elles sont composées de trois étages avec un rez-de-chaussée à moitié en sous-sol, et ne sont pas positionnées en alignement sur le terrain. Leurs dispositions sur le terrain laisse d’ailleurs place à des espaces verts qui sont parfois utilisés comme allées pour circuler ou comme petits jardins. Cette disposition semblant aléatoire me fait tout de suite penser à la disposition des blocs habitables de Moriyama House de Ryue Nishizawa à Kamata. Certains blocs de Shakujii Apartment sont surmontés d’une terrasse, d’autres sont utilisés au rez-de-chaussée comme place de parking couverte. Les configurations de chacune des unités sont toutes différentes en taille et en organisation. Les unités sont accessibles depuis un petit escalier menant à l’étage. Comme on peut le comprendre sur les diagrammes des étages, trois unités sont composées de deux blocs tandis que les cinq autres sont faites d’un seul bloc. L’apparence générale de l’ensemble est très agréable car ce petit labyrinthe de ruelles vertes est bien entretenu et la blancheur des surfaces et des piliers ne semble pas avoir été trop affectée par les 9 années d’existence du bâtiment (il date de 2011).

Mais, l’architecture de Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa a comme toujours le défaut de ses qualités. La transparence, la légèreté et la très grande délicatesse du bâti sont les points communs de l’architecture du groupe, mais l’espace qui est créé est-il réellement habitable à la manière dont les architectes l’ont conçu? Les façades de verre sur les trois étages me rappellent le bloc d’Apartment I conçu par Kumiko Inui à Hiroo, et comme c’est le cas pour Apartment I, les rideaux étaient tous refermés quand j’y suis passé. Les japonais n’ont à priori pas une nature exhibitionniste et j’imagine que ces rideaux sont fermés en permanence à longueur de journée. Il y a un fort vis-à-vis avec les autres maisons individuelles autour car les rues sont assez étroites dans ce quartier résidentiel tout à fait ordinaire. La situation aurait peut être été différente si la résidence avait été placée en bord d’un grand espace vert ou au bord de la rivière Shakujii à quelques mètres de là. Ce type de transparence me semble plus adapté pour un espace commercial plutôt que pour un espace habitable. Le problème se remarque aussi au niveau des terrasses et du vis-à-vis entre les unités elles-mêmes. Les habitants se protègent en ajoutant des toiles assez disgracieuses (ou du moins qui ne correspondent pas à l’esprit initial du bâtiment). Cette résidence de SANAA est dans son concept très intéressante mais, à mon avis, ne remplit pas complètement sa fonction primaire. Il manque une distance pour permettre à cet espace ouvert sur l’extérieur de bien fonctionner. Je ne suis d’ailleurs pas certain que l’ensemble de la résidence soit occupée. Seulement deux unités montraient des signes clairs d’occupation (des plantes sur la terrasse, une voiture stationnée, un vélo posé au bord d’un mur, et ces toiles accrochées en hauteur). C’était difficile de juger de l’occupation de l’ensemble car j’y suis passé en semaine plutôt que le week-end. L’environnement autour de Shakujii Apartment est très agréable par la présence du grand parc tout en longueur occupé en grand partie par un étang.

amor fati

Passage très rapide devant la gare de Harajuku. Cette partie du quartier change de visage petit à petit. Après la construction de la nouvelle gare, qui n’est pas très intéressante visuellement, un nouveau building appelé With Harajuku vient d’ouvrir ses portes en face. On y trouve principalement les magasins Ikea et Uniqlo, entre autres. Le bâtiment est assez élégant avec ses ouvertures serties de bois, mais on peut se poser la question de la pertinence d’un magasin Ikea à cet endroit et d’un nième nouveau magasin Uniqlo à Tokyo. D’autant plus qu’Uniqlo vient d’ouvrir un nouveau ‘flagship store’ à Ginza sur plusieurs étages de l’ancien building du Printemps, Marronnier Gate Ginza 2. Le design intérieur de ce magasin de Ginza est le travail des architectes suisses Herzog et De Meuron. Les architectes ont creusé dans les étages et laisser les poutres de béton apparentes. Ça semble très intéressant à voir, d’après les nombreuses photos que j’ai pu déjà voir sur Instagram. C’est d’ailleurs la course aux photos sur Instagram lorsqu’il s’agit d’architectes stars déjà très connus à Tokyo pour leur bâtiment de verre Prada à Omotesando. J’avoue que je suis aussi très curieux d’aller voir cela, mais je vais certainement laisser passer la vague pour éviter une possible foule. C’est très reposant de ne pas se sentir obligé d’y aller tout de suite, et d’attendre que cet intérieur de bâtiment soit déjà tellement vu sur le web qu’il finisse par ne plus intéresser grand monde.

Passage très rapide devant la forêt. Je ne veux pas parler de la forêt de Yoyogi assez proche, mais du Department Store Laforet dont je montre une photographie de la façade courbe tout en haut de ce billet. Les affiches publicitaires montrent d’étranges vêtements rouges. Ces tenues avant-gardistes me rappellent les photos de jeunes créateurs ou créatrices à Harajuku, qui rivalisent d’originalité dans leurs tenues et que l’on peut voir sur le compte Twitter Tokyo Fashion. Je n’ai aucune connaissance dans le domaine de la mode, mais j’apprécie regarder les photos qui y sont publiées. Certains créateurs nous montrent des vêtements à tendance cyberpunk que je trouve très en avance sur leur temps. Je ne marche pas souvent sur la grande avenue d’Omotesando ou dans les rues de Harajuku et je n’aperçois que rarement ce genre d’excentricités vestimentaires. J’associe la photo de ce personnage rouge un peu bancae avec la vue oblique de rue sur la deuxième photographie du billet.

Passage très rapide devant la galerie GA. J’aime beaucoup le bâtiment de béton de GA Gallery situé près de la station de Kitasando et que je montre ici sur la troisième photographie du billet. GA Gallery date de 1974 et fut conçu par Makoto Suzuki et Yukio Futagawa. Rien qu’en regardant le bâtiment de l’extérieur, on se rend compte de suite qu’il a vécu. La marque du temps est venue s’imprimer sur la surface du béton, ce qui lui donne une beauté certaine. La rudesse et la brutalité du béton se trouve amenuisée par la verdure dense de cet arbre posé au milieu d’une petite cour intérieure. Je suis déjà venu voir des expositions dans cette petite galerie qui est exclusivement consacrée à l’architecture, mais cette fois-ci, je passe rapidement faire un tour d’horizon de la librairie au premier étage. J’y cherche distraitement le livre Encounters and positions: Architecture in Japan, dont je parlais précédemment dans mon billet sur Azabu Edge de Ryoji Suzuki. Distraitement, car j’étais pratiquement certain de ne pas le trouver en vente ici, mais le chercher était un prétexte pour venir revoir cette galerie que j’ai déjà pris plusieurs fois en photo. Cette galerie est affiliée au magazine sur l’architecture contemporaine GA (Global Architecture). Du photographe Yukio Futagawa, je possède un livre de photographies de sa série Residential Masterpieces (le 12ème) sur deux résidences dessinées par Tadao Ando: House in Sri Lanka et House in Monterrey. Il s’agit d’un photo book de grande taille permettant d’apprécier à la fois la qualité architecturale des oeuvres de béton de Tadao Ando et la qualité photographique du rendu que Yukio Futagawa en fait. Tout près de GA Gallery, un peu plus bas sur la pente, on trouve une petite maison biseautée en béton près d’un minuscule jardin public. Plutôt que d’essayer de prendre l’ensemble en photographie, je me concentre plutôt, une nouvelle fois, sur le contraste entre le vert des quelques plantes posées au pied des marches, et l’uniformité grise du béton. Un peu plus loin encore, en direction de Harajuku, je tombe par hasard sur les bureaux de Wonderwall du designer Masamichi Katayama. La porte d’entrée noire est surdimensionnée et on ne voit rien de l’intérieur. Il s’y cache pourtant un immense ours blanc, qu’on pouvait voir dans une exposition dédié au designer à Opera City à Shinjuku en Avril et Juin 2007. Je n’avais pas pu voir l’exposition, mais je me souviens bien de cet ours et de quelques autres objets que Katayama collectionne, comme par exemple une guitare d’Ichiro Yamaguchi.

Eloignement passager de la musique japonaise. Pendant ma petite semaine de congés sans aller nullepart ailleurs que Tokyo, nous avons quand même fait un passage rapide au magasin géant Ikea de Kohoku. Rien de tel comme exercice de ‘zenitude’ que de marcher pendant deux heures en zigzag sur les deux étages du magasin en voyant toujours les mêmes objets se répéter sans cesse. Au bout d’une heure de marche, on arrive à se déplacer dans un état d’abstraction qui nous extrait de l’environment qui nous entoure. En fait, je me mets à rêver à divers choses tout en poussant machinalement le caddie, mais en faisant parfois quelques pauses en touchant aux choses (et en se désaffectant les mains immédiatement après avec une solution hydro-alcoolisée portable). Comme le magasin reconstitue souvent des modèles de pièces toutes équipées suivant un style particulier, je m’imagine souvent y vivre pendant quelques minutes. Dans plusieurs des ces pièces, on pouvait trouver une petite enceinte digitale proposant 4 ou 5 morceaux se jouant en continu en démonstration. Par curiosité, je sélectionne le morceau Freelance de Toro y Moi qui se joue très fort dans la pièce. On pouvait régler le son mais je le laissais fort car il n’y avait pas foule dans le magasin. A chaque fois que je tombais sur cet appareil dans un autre coin du magasin, je rejouais ce morceau qui a fini par se graver dans ma mémoire. C’est un morceau de synth-pop très ludique et accrocheur. En revenant à la maison, je me décide à écouter l’album entier Outer Peace de Toro y Moi, alias Chaz Bear, sorti en Janvier 2019. Dès le premier morceau, j’y trouve une ambiance estivale qui me console un peu des vacances qu’on ne passera pas en France cette année faute de ne pas pouvoir sortir du territoire japonais. Je suis surpris par la qualité générale de cet album que j’avais complètement loupé à sa sortie. La plupart des morceaux sont interprétés par Chaz Bear, dont j’aime beaucoup le chant plutôt nonchalant (matérialisé par la dernière phrase des paroles du troisième morceau Laws of the Universe), mais on y trouve également plusieurs invités que je ne connaissais pas, notamment une certaine ABRA sur le superbe quatrième morceau Miss Me. J’avais déjà un morceau de Toro y Moi de son premier album de 2010 dans ma librairie musicale iTunes, mais je n’avais pas suivi sa musique jusqu’à ce dernier album de l’année dernière. En parcourant sa fiche sur Wikipedia, j’apprends que ce musicien californien est proche d’un autre musicien américain, Washed Out alias Ernest Greene, dont je connais quelques morceaux qui m’avaient marqué à l’époque: Eyes Be Closed et Amor Fati de son album Within and Without de 2011. Le premier morceau a beaucoup de volume, on a l’impression de survoler une plage sud asiatique comme dans le film The Beach (mais sans Moby). Le style chillwave de l’album dans son intégralité me plait beaucoup, tout autant que la couverture de l’album. J’y trouve également un petit quelque chose d’estival qui me fait un peu oublier la pluie incessante qui commence à nous taper sur les nerfs. J’utilise le titre du troisième morceau de l’album, Amor fati, comme titre de mon billet. Ce sont des mots latins introduits par le philosophe allemand Nietzsche qui signifient l’amour du destin ou plutôt l’acceptation de son propre destin. Ces termes font d’ailleurs échos à la série allemande Dark dont je dévore actuellement les trois saisons sur Netflix. L’acceptation du destin est certainement le thème principal de cette série complexe qui nous trimballent entre les époques. On essaie de ne pas se perdre en route. C’est une tache ardue mais passionnante. J’en suis à la moitié de la troisième et dernière saison.

White Base

J’ai recherché ce bâtiment futuriste appelé White Base pendant de nombreuses années et j’en parlais déjà dans un billet de Juillet 2007 où j’énumérais les quelques bâtiments à l’architecture remarquable que j’aimerais voir un jour en vrai plutôt qu’en photo sur un magazine. Après plus de dix ans, je finis par le trouver à Kodaira, dans la banlieue Ouest de Tokyo. Je l’ai tellement recherché virtuellement sur Google Maps et Street View que je connais désormais par cœur le quartier où elle se trouve, avant même d’y être allé physiquement. Je profite de ma petite semaine de congé pour m’y rendre et voir cet objet architectural si particulier de mes propres yeux. White Base se trouve dans une rue commerçante assez étroite d’un autre temps et contraste complètement avec le reste des maisons basses et les quelques résidences d’appartements aux alentours. Il est assez difficile d’imaginer qu’un tel bâtiment puisse se trouver à cet endroit. Ma crainte lorsque j’approche ce type d’architecture maintes fois vue dans les magazines est qu’elle ait mal vieillie et donc perdue de son panache. Pour ce qui est de White Base, le bâtiment est assez bien conservé bien qu’il date de 2006, à part des traces d’écoulements d’eau à plusieurs endroits de la façade supérieure.


L’architecte de White Base est Akira Yoneda (Architecton) accompagné par l’ingénieur en structure Masahiro Ikeda. Ce duo a également conçu la petite maison Delta (∆) se trouvant à Meguro. Masahiro Ikeda est également à l’origine de la structure du petit bâtiment blanc ressemblant à un grain de riz, Natural Ellipse par l’architecte Masaki Endoh. Ce sont à chaque fois des projets futuristes et, dans le cas de White Base, dépassant même les limites du possible. Il s’agit ici à la fois du studio de travail et de la résidence d’un Mangaka, créateur d’une série à succès (que je ne connais pas). Il a travaillé en étroite collaboration avec l’architecte pour parvenir à cette œuvre architecturale singulière. Ce qui surprend immédiatement sur White Base est bien entendu le dernier étage cantilevé. J’avais déjà vu des volumes en porte-à-faux, comme sur le petit building Undercover Lab de Klein Dytham, mais dans le cas ici, on se demande vraiment comment cet étage peut bien tenir en place dans les airs. Le volume cantilevé composé d’une structure d’acier prend une forme de L dont une partie est télescopée, courbée d’un angle de 20 degrés pour venir chercher la lumière au dessus des habitations alentours. Cette structure et son revêtement se composent de panneaux d’acier corten recouvert d’une résine fluorocarbonnée qui me font penser à un objet spatial. La chambre principale est située à ce niveau là, au dernier étage dans le coin de la forme en L, et donne sur la partie en tube oblique et ouverte formant une terrasse. Cet étage est dédié aux chambres et possède peu d’ouvertures sur l’extérieur à part quelques zones couvertes d’un treillis blanc. L’étage au dessous est une partie ouverte sur l’extérieur. Un escalier enfermé dans des vitrages transparents permet de faire le lien entre le dernier étage placé dans les airs et l’étage en dessous correspondant au deuxième étage japonais utilisé comme espace de séjour pour la famille du Mangaka. Pour compliquer un peu plus la configuration, ce deuxième étage en forme de S à l’intérieur n’est pas aligné avec l’étage supérieur en porte-à-faux et n’est pas non plus aligné avec les contours du terrain. Le rez-de-chaussée, juste en dessous, contient principalement le parking intérieur dont on peut voir le portail donnant sur la rue. Ce parking peut contenir 7 voitures et quelques photos aperçues sur le web me laisse penser qu’il contient une Delorean. Le studio de travail du Mangaka et de son équipe se trouve aux étages inférieurs, dans une base faite d’un bloc de béton renforcé, creusé sur la quasi-totalité du terrain, ouvert d’un côté pour laisser passer la lumière à travers une grande baie vitrée de deux étages de hauteur. Une mezzanine surplombe cette zone de travail haute de plafond. Après le design sur papier, il aura fallu plus de trois ans et des complications dans la conception du dernier étage, pour mener à bien ce projet qui se conclura en Août 2006.

White Base est bordé par un parking ressemblant à un terrain vague. J’imagine qu’une construction verra le jour dans quelques temps. En attendant, cette vue dégagée depuis ce parking permet d’apprécier une bonne partie du building. Il reste cependant difficile à comprendre depuis l’extérieur tant l’agencement des espaces intérieurs est atypique. Le numéro 64 du magazine Japan Architect consacré à une rétrospective architecturale de l’année 2006 montrent quelques photos de l’intérieur et des plans des étages, qui je montre ici pour faciliter la compréhension de cette structure complexe (à noter, le cinquième étage sur le plan correspond au dernier étage en porte-à-faux). White Base apparaissait également en couverture du numéro 246 de Shinkenchiku et dans le numéro 7 du magazine MARK d’Avril et Mai 2007 consacré entre autres à la présentation de 5 maisons japonaises. White Base faisait également la couverture du magazine MARK, mais dans une version stylisée. Ce numéro présentait également la maison blanche Sky Trace de Kiyoshi Sei Takeyama (Amorphe) dont je parlais récemment, mais aussi un autre petit chef-d’œuvre architectural, Reflection of Mineral par Yasuhiro Yamashita (Atelier Tekuto). L’article du magazine MARK montre des photographies différentes de celles de Japan Architect, et donne des détails intéressants sur la conception du building, basé sur les idées de design assez précises et agressives du Mangaka. Son nom était d’ailleurs précisé dans le magazine, ce qui m’a un peu étonné. Ceci étant dit, en plus d’être une maison sur les étages du haut, White Base est également pour une grande partie l’espace professionnel de ce Mangaka. Je ne mentionne pas l’adresse de White Base, comme il est d’habitude pour ce genre de maisons. C’est un peu triste à dire mais j’ai l’impression d’avoir conclu un cycle dans mes découvertes architecturales après avoir vu ce building. Il me reste pourtant beaucoup d’autres architectures à découvrir dans Tokyo et à approfondir.

ゲリラWACK

On dirait bien que l’agence WACK a pris pour habitude d’investir les rues de Shibuya chaque année dans la deuxième partie du mois de Juin. L’année dernière, le visage de AiNA marqué du logo de l’agence était affiché en très grand format en noir et blanc sur la façade du Department Store Tokyu de la gare de Shibuya. A l’époque, je ne connaissais pas la musique des groupes de cette agence d’idoles alternatives, ce qui m’avait inspiré quelques commentaires critiques non informés. Cette campagne publicitaire avait eu le mérite de m’intriguer et de m’inciter en quelque sorte à écouter le dernier album de BiSH qui était sorti à peu près à ce moment là. Bien qu’inégale, j’avais trouvé la musique du groupe très intéressante et les interprétations vocales certes un peu bancales m’avaient convaincu, notamment car le registre musical y est plutôt tourné vers le rock alternatif avec des tendances parfois à la limite du punk rock. J’avais trouvé la musique du groupe très éloignée de l’image que je me faisais des groupes d’idoles. Je n’ignorais pas l’existence de ces groupes d’idoles alternatives, car BiSH n’est pas le premier groupe du genre (BiS de la même agence lui est antérieur) mais la qualité générale des morceaux de BiSH dépassait nettement la moyenne. BiSH est le groupe phare de l’agence WACK dirigée par Junnosuke Watanabe, mais une myriade d’autres groupes s’est petit à petit développée autour de BiSH. A part quelques morceaux piochés par-ci par-là chez BiS ou EMPiRE, je ne connais pas les morceaux des autres groupes.

Je découvre d’abord le panneau de la première photographie derrière la rangée d’immeubles bordant l’avenue Meiji et au dessus de la rivière bétonnée de Shibuya au dessus d’un petit garage à vélo grillagé. Je reconnais le visage d’Atsuko Hashiyasume de BiSH, ce qui me fait comprendre qu’il s’agit d’une campagne publicitaire pour l’agence plutôt que pour le groupe car je ne reconnais pas les autres personnes sur les photographies entourées de noir. Chacune des photos est d’ailleurs marquée du logo de l’agence (un étrange signe McDonald barré deux fois comme pour indiquer une correction), d’un hiragana à chaque fois différent, et d’un trait courbe de couleur fluorescente. Tout ceci est très intriguant. L’emplacement, à l’abri des regards, ne m’étonne pas beaucoup car j’avais déjà vu ici une photographie d’un champ de tournesols en noir et blanc de Daido Moriyama pour l’exposition temporaire intitulée SHIBUYA / 森山大道 / NEXT GEN. Il y a d’ailleurs assez régulièrement des expositions de rue organisées dans les rues de Shibuya et j’aime partir à leur découverte, quand je suis au courant qu’une exposition se déroule. C’est d’ailleurs rarement le cas, car je ne pense pas que ces expositions soient annoncées à l’avance, ce qui fait d’ailleurs tout l’interêt de la chose et une des raisons pour lesquelles j’aime me promener dans Shibuya, dans les rues en dehors du centre. Je connais par contre à peu près les endroits où sont en général affichées les photographies de ce genre d’exposition de rue. Je marche ensuite vers le sanctuaire Konnō Hachiman-gū où j’y découvre, sans grande surprise mais avec une pointe de satisfaction, d’autres photographies affichées les unes à côté des autres (sur la troisième photographie du billet). Un peu plus haut dans la même rue, deux autres photos sont accompagnées d’un court texte. Une des photos montre Junnosuke Watanabe. Il semblerait donc que certaines photos soient accompagnées de textes ce qui me fait penser au jeu japonais traditionnel Karuta basé sur les poèmes hyakunin isshu, auquel on joue à la maison pendant les fêtes du début d’année (je perds d’ailleurs à chaque fois). Les figures historiques seraient ici remplacées par les visages de l’agence WACK et les poèmes par d’autres phrases courtes comme des poèmes urbains. Cette découverte éveille quelque peu ma curiosité et réveille l’otaku latent qui sommeille en moi, mais que j’essaie de laisser endormi le plus possible. J’envie parfois la dédication sans failles des otakus, qui vivent pleinement leur passion, même si le bonheur qu’elle procure n’est qu’artificiel. Mais je n’ai pas le temps nécessaire ni le désir suffisant de ‘complétisme’ (construire une collection complète de choses) pour devenir otaku. Il me démange tout de même de découvrir s’il existe d’autres photos Karuta et je retourne donc le soir dans le centre de Shibuya voir si d’autres photos sont affichées aux endroits prédéfinis que je connais. Je trouve comme prévu d’autres séries dans les allées souterraines dessous le grand carrefour de Shibuya, notamment dans les escaliers près de la tour Q-Front. A ce même endroit, j’avais découvert il y a quelques mois l’exposition temporaire du photographe Tomokazu Yamada appelée Beyond City, où on apercevait notamment Kom_I au milieu d’un Shibuya en destruction/construction. Dans les allées souterraines qui mènent vers la gare, on peut voir cette fois-ci les visages de AiNA la tête en arrière et de AYUNi D faisant une grimace. J’aurais envie de partir à la recherche des autres affiches dans les rues de Shibuya mais le temps manque déjà et j’en resterais donc là.

De retour à la maison, quelques recherches sur internet me confirment que ces affiches font bien référence au jeu traditionnel Karuta. Il y a en tout 46 cartes comprenant tous les membres de l’agence avec le CEO de WACK Junnosuke Watanabe mais sans le musicien et compositeur Kenta Matsukuma. Chaque carte montre une photo et un message écrit par chaque membre au dos de la carte. Le jeu entier était même proposé à la vente pour 2750 Yens en quantité limitée depuis le 30 Juin mais était aussitôt en rupture de stock dès le premier jour de vente. Cette série mise en scène dans les rues de Shibuya du 15 au 30 Juin 2020 prend pour titre「それでも、音楽は、死ねない。」qu’on pourrait traduire par « Malgré cela, la musique ne peut pas mourir « . Je ne connais pas le sens exact du « Malgré cela », mais il s’agit peut être d’ironie de la part de Watanabe essayant de nous dire que malgré la moindre qualité de la musique qu’il produit (c’est le sens du mot wack), la ‘musique’, elle, ne meurt toujours pas, en sous-entendant que l’on peut donc continuer sur cette voie. Ceci étant dit, je ne pense pas que Watanabe ait des doutes sur la qualité de ses productions mais je pense plutôt qu’il cultive volontairement cette ambiguïté, qui rend d’ailleurs cette agence plutôt atypique. Le message que Watanabe publie sur un site web construit exprès pour l’occasion donne également une idée de son approche en dehors de ce qui est communément établi au Japon, en célébrant les individualités plutôt que de faire l’éloge du groupe. Il l’écrit assez clairement sur cette page web, mais prévient qu’il peut se tromper. Il n’y a rien de choquant dans ces affirmations car l’exercice artistique qu’il nous livre sous forme de guérilla publicitaire dans les rues de Shibuya n’est au final qu’une somme d’individualités, même s’il entend casser cette somme. Les messages sur les cartes sont apparemment écrits par chaque membre des groupes mais je ne me suis pas amusé à essayer de tous les déchiffrer car certains sont plutôt obscurs. En voici quelques exemples: 生きてて良かったって初めて思えたのは必死になることを覚えたから (La première fois que j’ai ressenti la joie d’être en vie est quand je me suis souvenu du moment où j’étais désespérée), 愛がないやつは何をやってもダメ (Une personne sans amour ne peut rien faire de bon) ou encore le message plus anticonformiste 右ならえ、前ならえ、うるさい!僕は後ろ向く(Suivre à droite, suivre devant, insupportable ! Moi, je me tourne vers l’arrière). Difficile de dire si ces phrases correspondent à une vraie manière de penser ou à une attitude. J’ai tendance à penser qui s’agit d’une méthode de penser gentiment transgressive que Junnosuke Watanabe insuffle à ses équipes pour fonder l’esprit de l’agence. On peut ensuite s’amuser à imaginer à quoi ressemblent les formes aux couleurs fluorescentes, superposées sur les photos des Karuta, quand le puzzle est reconstitué pour avoir une meilleure idée du personnage. Toujours est-il que j’aime beaucoup découvrir ce genre d’expositions urbaines au hasard des rues. Celle-ci m’a d’ailleurs donné envie de réécouter la discographie de BiSH en ordre antichronologique.

Les photographies de ce billet ont été prises le 29 Juin. Le 2 Juillet, tout avait déjà disparu comme on peut le constater sur cette dernière photographie des escaliers du Q-Front près du grand carrefour de Shibuya.