CAPSULE A906 et l’image d’un futur lointain

Je suis allé plusieurs fois voir de près la tour Nakagin Capsule Tower (中銀カプセルタワービル) de l’architecte Kisho Kurokawa (黒川紀章), œuvre architecturale emblématique du mouvement métaboliste japonais, avant sa destruction malheureuse. Je n’étais par contre jamais entré à l’intérieur d’une capsule. Pendant les dernières années avant sa destruction, certains tours opérateurs indépendants proposaient des visites de la tour Nakagin et d’une ou de plusieurs capsules in-situ, mais le timing ne m’avait jamais permis d’y aller. Je le regrette un peu maintenant, mais je me rattrape en quelque sorte cette fois-ci en visitant deux des capsules de la tour présentes dans la galerie SHUTL à Tsukiji, près d’Higashi-Ginza. Au moment de la destruction de la tour Nakagin, on sait que certaines capsules ont été extraites en vue d’une utilisation ultérieure. La finalité de la mise en place de deux capsules dans cette galerie n’est pas très claire. L’espace était ouvert aux visiteurs pendant seulement deux jours, le Samedi 7 et Dimanche 8 Octobre 2023. Je comprends que cette galerie deviendra ensuite un espace créatif, conservant les deux capsules en son enceinte. Il sera en fait possible de louer cet espace, comme une galerie d’art, pour des expositions, des lectures ou projections de films, des interviews, entre autres. La première exposition démarrant le 13 Octobre serait en lien avec les idées du mouvement des Métabolistes. J’ai eu vent de cette ouverture temporaire de deux jours grâce au compte Instagram de l’amatrice d’architecture et guide tokyoïte Haruka Soga, qui en parlait donc sur son compte. Vu l’importance de Nakagin pour l’histoire de l’architecture japonaise et l’espace que j’imaginais à raison très réduit des capsules et de la galerie, je me suis dis qu’il fallait mieux y aller en avance. L’espace ouvrant à 13h, je m’y suis donc rendu une heure avant, vers midi. Une vingtaine de personnes étaient déjà sur place à attendre à l’entrée de la galerie, mais les membres du staff ont rapidement décidé de donner des tickets d’entrée par heure pour éviter une longue file d’attente dans la rue de la galerie. Mon petit ticket en poche, j’en ai profité pour faire un tour du quartier en passant visiter une nouvelle fois l’intérieur du grand temple Tsukiji Honganji puis en passant devant le théâtre Kabukiza avant de m’enfoncer dans les rues d’Higashi-Ginza. L’heure a passé assez vite et me revoilà devant la galerie dix minutes avant l’ouverture.

Deux capsules étaient accessibles à la visite, une capsule originale appelée CAPSULE A – A906 et une autre nommée CAPSULE B – A1006 qui n’était en fait qu’un squelette de la capsule montrant sa structure métallique. La capsule originale est bien entendu la plus intéressante car elle a été restaurée comme à l’origine avec son large lit prenant pratiquement tout l’espace des 8.5 m2 habitables de la capsule. On retrouve donc devant le lit, l’emblématique large hublot avec son rideau à ouverture circulaire et l’équipement audio-vidéo d’un autre temps: le lecteur à bandes, la petite télévision cathodique et le vieux téléphone. La sobriété de l’espace de couleur blanchâtre et le design général évoque l’image d’un futur imaginée à une époque désormais bien lointaine. L’espace est tellement exiguë qu’on a un peu de mal à y tenir à deux personnes. Les toilettes et la salle de bain en un bloc sont plus communes, car on en trouve encore maintenant dans certains hôtels bon-marchés. J’imagine assez bien cet espace être utilisé pour des interviews d’artistes ou de personnalités. Le squelette de la capsule B est moins intéressant à la visite. On imagine qu’il va être utilisé pour y afficher des œuvres artistiques lors de futures expositions. J’aurais voulu passer un peu plus de temps à l’intérieur de la capsule originale, mais les visites sont chronométrées. Je me doute bien que visiter une capsule dans la tour Nakagin d’origine devait être beaucoup plus intéressant. Il s’agit en tout cas d’une petite consolation que j’ai tout de même beaucoup apprécié. Je montre quelques photos supplémentaires de cette visite sur mon compte Instagram.

Il y a quelques semaines, je suis allé voir l’exposition de l’artiste Minoru Nomata (野又穫) à la galerie d’art de Tokyo Opera City, près de Shinjuku. Cette exposition solo de Minoru Nomata s’intitulait Continuum et se déroulait du 6 Juillet au 24 Septembre 2023. J’en suis ressorti enchanté. Ces peintures montrent des structures architecturales mystérieuses, que l’on aurait du mal à dater comme si elles provenaient d’un futur déjà passé. Regarder ces peintures est ludique car on peut du regard marcher à l’intérieur, en emprunter les marches des escaliers et des échelles. On devine certaines propriétés aéronautiques à ces structures mais leurs fonctions et leur significations laissent interrogatifs. Quel est le sens de ces grandes voiles de bateaux posées sur un bâtiment accroché fermement au sol, ou ces ballons qui ne demanderaient qu’à s’envoler mais qui restent prisonniers attachés à un socle sur la terre ferme? Nomata nous montre également d’étranges sphères de taille gigantesque abritant dans leur centre un microcosme végétal, comme si elles voulaient protéger cette végétation d’un milieu extérieur hostile. Mais les peintures de Nomata mettent pourtant en scène des créations humaines dans leur contexte naturel dans une cohabitation paisible. Les structures délicates ne semblent pas êtres ébranlées par les éléments. La peinture intitulée Babel est l’une des plus impressionnantes par sa taille et son souci du détail. A quoi peut ressembler la vie dans une structure écrasante telle que celle-ci? Cette structure est pourtant très lumineuse. Il serait peut être même très agréable de marcher sur ces longs escaliers en hauteur rafraichit par un vent qui ne peut venir que de la mer. Des images nous viennent forcément en tête en regardant ces structures, et j’en viens même à souhaiter qu’un illustrateur de manga réutilise cet univers pour un film d’animation. Je pense rapidement à Tsutomu Nihei (弐瓶 勉) bien que son oeuvre soit beaucoup plus sombre.

MONOSPINAL par Makoto Yamaguchi

Je n’étais pas parti à la recherche de nouvelle architecture intéressante depuis quelques mois. La plupart des billets de Made in Tokyo montre de l’architecture, mais ça fait quelques temps que je ne m’étais pas donné comme objectif d’aller voir un immeuble particulier déjà vu dans un magazine ou sur internet, en l’occurence sur plusieurs comptes Instagram dédiés à l’architecture tokyoïte dans le cas présent. Mon objectif, cette fois-ci, était d’aller voir d’un peu plus près une étrange tour faite de strates obliques grisâtres sans fenêtres apparentes, nommée Monospinal par l’architecte Makoto Yamaguchi. On imagine que ce nom vient de la forme du building ressemblant à une épine dorsale composée de neuf éléments formant chacun des étages de l’édifice. Monospinal accueille une compagnie de production de jeux vidéo, mais je ne connais pas son nom. Cet immeuble est placé au pied de la station Asakusabashi (浅草橋駅) desservie par la ligne de train Sobu. Je ne suis en fait pas allé jusqu’à Asakusabashi en train, j’ai préféré prendre la ligne Yamanote jusqu’à la station Okachimachi (御徒町駅) puis marcher jusqu’à Asakusabashi, tout en achetant au passage du pain chez Pelican. Quand j’ai un peu de temps devant moi, je préfère descendre à une station différente (ou à une ou deux stations avant) de ma destination pour pouvoir explorer à pieds des quartiers que je connais moins. Ça m’a permis de découvrir cette étrange tour émerger depuis le bout de la rue. J’aime par dessus tout voir comment ce genre d’architecture atypique vient s’inscrire dans son environnement. Les parois obliques couvertes d’aluminium nous font plutôt penser que cette tour essaie de s’extraire de l’environnement alentour en créant une séparation très nette. Chaque étage est entourée d’un bacon délimité par ce mur latéral en pente apportant lumière et ventilation tout en protégeant du bruit extérieur pour créer un environnement intérieur restant suffisamment lumineux et favorisant la concentration. Seul le rez-de-chaussée avec ses baies vitrées est ouvert de manière visible sur l’extérieur. Vu que cette tour est située le long de la ligne de trains extérieure Sobu, on imagine très bien le souci de vouloir se couper des nuisances sonores et visuelles. On peut voir sur internet des rendus de l’intérieur au design sobre et élégant. Seul le chandelier visible depuis le rez-de-chaussée contraste avec l’image générale intérieure plutôt épurée. On peut aussi se poser la question de la présence d’un jacuzzi au dernier étage formant une terrasse extérieure. Le terrain de pierre entourant la tour est étroit et simple d’apparence. Sur ce terrain aride, on appréciera les élégantes pointes de végétation formées par une rangée de bambous et un petit pin placé devant l’entrée. J’aime aussi beaucoup le petit muret de pierre reminiscent des châteaux forts japonais, renforçant cette idée de tour imprenable. La tour est difficile à prendre en photo en entier depuis la rue mais je me suis tout de même amusé à faire coïncider ses formes avec les fils électriques et la voie de chemin de fer surélevée. En regardant cette tour une nouvelle fois de loin depuis la rue, je me dis que cette apparence futuriste est également organique comme une plante ayant poussée progressivement dans le quartier. Je montre quelques autres photos de Monospinal sur mon compte Instagram.

estival ’23 (4)

Nous n’avons passé que peu de temps dans le centre de Paris lors de ce séjour, mais passer devant le musée du Louvre et traverser le Palais Royal sont comme des étapes obligées. Devant le musée du Louvre, on distingue à peine un étrange cube couvert de miroirs. Ces murs de miroirs viennent dissimuler le chantier des nouveaux locaux de la Fondation Cartier sur le site de l’ancien Louvre des antiquaires. J’apprendrais plus tard que ce cube est la création de l’architecte Jean Nouvel. Un de nos objectifs pour cette journée était d’aller voir le nouveau musée de la Bourse de Commerce. Plus que les œuvres de la collection Pinault, c’était la transformation de l’espace intérieur par Tadao Ando que j’étais curieux de voir. Il a installé à l’intérieur du bâtiment historique rénové une parois circulaire de béton délimitant un nouvel espace. Je n’avais amené que ma lentille pancake 40mm, c’était donc difficile de montrer cet espace dans son ensemble sans un objectif grand-angle. Quelques autres photos sur mon compte Instagram donneront peut-être une meilleure représentation. Nous voulions également jeter un coup d’oeil à La Samaritaine près du Pont-Neuf. Elle a été en partie recouverte, sur la rue de Rivoli, par une paroi ondulée de verre conçue par SANAA. Et puis nous filons jusqu’à Notre Dame de Paris pour constater de l’avancement des travaux. Il y a foule autour de Notre Dame. Quelques panneaux placés autour des travaux nous expliquent les opérations en cours. Les anneaux olympiques sont déjà là sur la place de l’Hotel de Ville. Je reste assez dubitatif sur la manière dont ces jeux vont pouvoir s’organiser en plein milieu de Paris.

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Au carrefour de Jingūmae à l’opposé du Tokyo Plaza, un autre immeuble fait de plaques de verre est en construction. J’ai déjà parlé de ce nouveau bâtiment commercial par Akihisa Hirata. Ce nouvel espace également développé par Tokyu verra le jour au printemps 2024. Les plaques géométriques et angulaires de verre feront en quelque sorte écho à celle du Tokyo Plaza situé dans sa diagonale. La photo de cet immeuble partiellement en verre entre en parallèle et en contraste avec la photographie suivante montrant une autre surface d’immeuble beaucoup plus simple car dessiné de nuages. En regardant une nouvelle fois l’immeuble en construction à Jingūmae, il me fait maintenant penser que les terrasses ouvertes sur l’extérieur sont comme posées sur des nuages matérialisés par des polygones de verre. Ce billet de quatre photographies est en fait symétrique car la première et la dernière photo se font à la fois écho et opposition.

Après Glitch Princess sorti en Février 2022, Yeule sortira son troisième album intitulé softscars le 22 Septembre 2023. On peut déjà en écouter trois morceaux, sulky baby, dazies et fish in the pool, qui sont tous les trois très bons et nous laisse imaginer un autre excellent album. Par rapport à l’album précédent, les deux morceaux sulky baby et dazies sont plutôt axés rock et moins expérimentaux que les morceaux du premier album. Plus facilement abordable, mais on y trouve cependant l’empreinte artistique particulière de Yeule. Le troisième morceau disponible à l’écoute fish in the pool est instrumental au piano. La mélodie est simple et belle, comme si elle avait été enregistrée dans l’intimité de l’artiste dans un moment personnel plein de mélancolie. Yeule est un personnage très particulier qu’on dirait éloigner de la réalité. Sa musique a pourtant une consistance bien réelle. Son style de composition musicale et de chant poussant aux frontières du rêve me parlent beaucoup.

Je découvre au hasard des recommandations YouTube un jeune groupe trio de rock indé japonais appelé Brandy Senki (ブランデー戦記). Le groupe originaire d’Osaka se compose de Hazuki (蓮月) au chant et à la guitare, Minori (みのり) à la basse et aux chœurs et de Bori (ボリ) à la batterie. Le groupe doit être tout jeune car seulement deux morceaux sont disponibles sur iTunes, ceux que j’écoute en ce moment. J’aime beaucoup ce style de rock alternatif rappelant celui des années 90, mais l’empreinte japonaise est tout de même très forte dans ke ton de voix d’Hazuki. Musica est leur premier morceau sorti le 31 Décembre 2022 et il a un certain succès sur YouTube si on en croit le nombre de vues. Le deuxième morceau intitulé Kids est plus récent, sorti il y a quelques jours seulement, le 8 Juillet 2023. C’est par ce deuxième morceau que j’ai découvert le groupe et j’ai tout de suite été attiré par le son de guitare très présent dès les premières cordes. Le morceau et le chant sont bien maîtrisés et il s’agit encore une fois d’un groupe à suivre de près, ne serait-ce que pour voir la direction qu’ils vont prendre. Ces deux premiers morceaux sont en tout cas excellents et très prometteurs pour la suite. J’ai parfois l’impression que le rock indé au Japon est en pleine renaissance. Mais, à force d’explorer la musique rock de ces 20-30 dernières années, je me rends compte qu’il n’a de toute façon jamais été mourant ou en voie de disparition. Quel plaisir de découvrir de nouveaux groupes et de nouvelles musiques. Comme l’écrivait Jane Birkin avec Yōsui Inoue (井上陽水) sur une affiche de Tower Records: « Pas de musique pas de vie ». J’y rajouterais bien: « Pas de musique, pas de blog ».

林檎齧って空ばかりを見てる

La chaleur estivale bat déjà son plein dans les rues de Shirogane où je me promène rapidement cette fois-ci. Cette fin du mois de Juin et ce début Juillet sont particulièrement occupés et je manque par conséquent de l’énergie nécessaire pour prendre suffisamment de photographies qui alimenteront ce blog. Je repasse vers des endroits déjà empruntés et photographiés dans le passé. Il y a d’abord Oyagi House par Ryue Nishizawa (2018), puis le temple Zuishōji à Shirogane dont les nouvelles dépendances de bois ont été conçues par Kengo Kuma et finalement le fameux building verdâtre de cuivre oxydé nommé Nani Nani (1989) par Philippe Starck en collaboration avec Makoto Nozawa de GETT. Bref, rien de vraiment très neuf sous le soleil tokyoïte. J’ai ouvert un compte sur Threads, la nouvelle application liée à Instagram venant concurrencer directement et frontalement Twitter. J’étais assez motivé pour l’utiliser à la place de Twitter dans les premiers jours, mais l’excitation du moment est déjà retombée. L’interêt par rapport à Instagram est plutôt limité. J’utilise principalement Twitter pour suivre l’activité des artistes et groupes que j’apprécie, et je ne suis pas prêt à passer du temps pour vérifier s’ils et elles ont un compte sur Threads. L’application sans publicité pour l’instant est pourtant agréable, très axée photographies du fait de son lien direct avec Instagram.

Je suis toujours sous l’emprise irrésistible de Yuki sur les albums de Judy and Mary que je continue de découvrir. Mais, j’ai également envie de changer quelque peu d’ambiance avec quelques excellents morceaux d’une jeune compositrice et interprète appelée Rinne Amano (天野凛音) que je ne connaissais pas. Je la découvre vraiment par hasard au milieu de story Instagram. Ce personnage aux cheveux décolorés surgit soudainement avec un morceau intitulé Orange like the Chuo Line (中央線のオレンジ), qui me rappelle un peu l’ambiance musicale de Hidefumi Kenmochi pour Wednesday Campanella. Mais c’est seulement au début du morceau, car il part ensuite vers une atmosphère plus contemplative. Rinne Amano mélange les passages de hip-hop avec d’autres moments plus chantés. Ce morceau est très inspiré tout comme celui intitulé There was a Landlord (家主がいた) que j’écoute ensuite et que j’aime vraiment beaucoup. Il y a une certaine fluidité et un automatisme dans son chant qui rendent ce morceau particulièrement évident. On se laisse attraper par son flot très assuré, mais qui ne surjoue pourtant pas les émotions. Il y a une certaine joie mélancolique dans ses morceaux qui me plait beaucoup. Le fait que le morceau dure assez longtemps, environ 4 mins 30, me plait aussi beaucoup car on se sent bien dans ce refrain qui se répète. Ces deux morceaux sont sortis respectivement en Octobre et en Décembre 2022. Rinne Amano n’a pas encore sorti de EP ni d’album, mais seulement quelques morceaux très prometteurs. Le plus récent sorti en Janvier 2023 intitulé Chiki-Po, est assez différent, partant vers des ambiances beaucoup plus électroniques. Elle y chuchote sur des nappes sonores, mais le rythme est tout de même très présent. Ces quelques morceaux sont une belle découverte et sa musique est déjà très prometteuse. Et en parlant d’Hidefumi Kenmochi (ケンモチヒデフミ) qui est très présent dans le paysage musical électronique japonais en ce moment, il a récemment collaboré avec KAF (花譜) sur un très joli morceau intitulé Shuge-Hai!!! (しゅげーハイ!!!). On ne reconnaît pas immédiatement le style d’Hidefumi Kenmochi, ce qui est assez inhabituel. Le phrasé rapide de la mystérieuse KAF est toujours excellent, surtout quand le rythme s’emballe gentiment vers la fin du morceau.