definitely ongoing

Ces photographies datent déjà d’il y a plusieurs semaines ou mois. Je ne me souviens plus exactement du jour où elles ont été prises mais ça devait certainement être quelques jours avant la Golden Week car je vois des carpes de couleurs accrochées à la vieille maison en bois sur la deuxième photographie. Le contraste entre la structure moderne de la première photographie et la maison à l’architecture traditionnelle de la deuxième photographie est volontaire. Cette maison à Ikegami est en fait un café mais il ne proposait que des plats à emporter. La partie café est peut être ouverte maintenant mais elle ne l’était pas à notre passage. L’intérieur est extrêmement bien conservé et nous a donné envie d’y revenir, une fois que cette crise sanitaire sera passée. La structure étrange de la première photographie est celle d’un pachinko, également fermé depuis la déclaration de l’état d’urgence. Un peu plus loin alors que nous marchons vers la gare d’Ikegami, je remarque une surface de béton dans une petite rue perpendiculaire à la rue de la gare où nous nous trouvons. Même de loin, on peut apprécier la qualité de ce béton laissé à l’état brut. Je fais immédiatement un petit écart pour aller voir cette maison de plus près, et prendre les troisième et quatrième photographies de ce billet. Il s’agit d’une maison basse placée sur un terrain relativement vaste. Derrière le garage en béton brut, deux blocs blancs aux toits biseautés se font face et sont reliés pour former une sorte de long tunnel. Derrière la porte d’entrée, une cour intérieure avec un petit jardin se cache entre ces deux blocs blancs, mais je n’irais pas voir de près car il s’agit bien entendu d’une résidence privée. Une recherche rapide m’apprendra que cette maison s’appelle Lik House et qu’elle a été conçue par Satoru Hirota Architects. De nombreuses photos sur le site de l’architecte ou sur d’autres sites specialisés en architecture et design donnent une bonne idée de la configuration intérieure et extérieure. Lik House a été construite il y a dix ans, en 2010, mais a bien conservé sa blancheur d’origine. Ce type de configuration très distribué sur l’espace est assez rare dans le centre de Tokyo pour une maison individuelle.

Pour revenir rapidement à l’enquête que j’avais publié il y a environ 3 semaines, comme je m’en doutais un peu, je n’ai reçu que peu de réponses, 5 ou 6 réponses en tout correspondant je pense aux quelques visiteurs réguliers que je reconnais (je crois du moins). Pas facile d’en sortir une quelconque analyse malheureusement. Je vais certainement retirer l’enquête car attendre quelques semaines de plus n’apportera certainement pas plus de réponses (j’avoue que je pensais que les visiteurs discrets ou non réguliers y répondraient). Je remercie ceux qui ont pris quelques minutes pour répondre à l’enquête et y mettre parfois quelques commentaires. Je voulais également voir s’il y avait des suggestions de changements, mais continuer de la même manière est la conclusion qui en ressort. Indirectement, j’ai compris la raison pour laquelle je mélange les sujets dans un billet plutôt que de me spécialiser sur certains sujets comme l’architecture ou la musique japonaise dans des sections différentes du blog par exemple. Se spécialiser dans un sujet force involontairement à l’exhaustivité, se sentir obliger de parler et de donner un avis sur telle nouvelle création architecturale de tel ou telle architecte, ou d’évoquer le nouvel album de tel ou telle artiste. Se sentir obliger de le faire enlèverait pour moi tout le plaisir d’écrire ce blog, et je pense que ça peut également devenir une raison d’un arrêt de blog quand on n’arrive plus à suivre le rythme de l’actualité. Deux principes que j’essaies plus ou moins de suivre et qui sont peut être les raisons pour lesquelles je continue à écrire sans interruptions pendant plus de 17 ans: ne pas trop contraindre son écriture à l’actualité et parler de ce qu’on aime plutôt que de ce qu’on n’apprécie pas. Les déviations sont certainement nombreuses mais c’est la ligne directrice générale que j’ai en tête depuis le début.

La réouverture récente des musées et galeries est bienvenue. Après plusieurs mois sans avoir vu d’expositions, je ressentais comme un manque indescriptible. On peut bien sûr voir l’art sur Internet, mais le ressentir en grand format dans une salle minimaliste (et presque vide) a tout de même une force toute autre. Le musée de la photographie à Yebisu Garden Place propose justement une exposition de photographies de Daido Moriyama 森山大道. L’exposition a démarré le 2 Juin pour presque quatre mois. Il ne s’agit pas d’une rétrospective complète de l’oeuvre de Moriyama, ce qui serait très certainement impossible vue la quantité de photographies qu’il a pu prendre en 55 ans de carrière (il a 82 ans cette année). L’exposition nous accueille bien avec la fameuse photographie noir et blanc du Stray dog prise à Aomori en 1971, mais le contenu de cette exposition intitulée Ongoing montre principalement des photographies récentes en noir et blanc et en couleur de Tokyo exclusivement. Il s’agit d’une sélection de photographies de plusieurs de ses séries datant de 2017 et 2018, à savoir Pretty Woman (2017), K (2017) et Tokyo Boogie-woogie (2018) ainsi que des photographies de sa série continue Record démarrée en 1972 et qu’il continue à publier en petits livrets jusqu’à maintenant (avec des interruptions). Dans ces séries, on retrouve bien sûr le style immédiatement reconnaissable de Daido Moriyama, à savoir des photographies de rue prises à la volée avec un fort contraste et du grain pour le noir et blanc. Les visages et les enseignes de Kabukicho ou d’ailleurs se mélangent dans une densité visuelle qui peut donner le tournis. Les photographies sont imprimées en grand format et sont placées les unes à côté des autres sur deux longues rangées couvrant la totalité des murs de la galerie au 3ème étage du musée. Les photographies de Moriyama se regardent comme un tout, plutôt qu’indépendamment. C’est un flot d’images et je suis assez sensible à cet aspect là. Mais malgré tout, je suis frappé cette fois-ci par la qualité individuelle de chaque photographie, et j’entrevois Moriyama d’une manière un peu différente d’avant. Alors qu’auparavant, j’avais le sentiment qu’on pouvait ‘survoler’ une exposition de Moriyama pour en saisir la substance, je me suis laissé attirer cette fois-ci par les détails. Je connaissais déjà certaines photographies pour les avoir vu l’année dernière dans les couloirs souterrains sous le grand carrefour de Shibuya pour l’exposition SHIBUYA / 森山大道 / NEXT GEN, notamment une photographie devenue emblématique d’un mannequin féminin de vitrine avec des lunettes de soleil dans lesquelles le photographe et une passante se reflètent (la passante qui regarde au même moment les lunettes de soleil est un de ces détails). Les photographies en noir et blanc ont beaucoup de force et sont celles que je préfère, par rapport à celles en couleur que je trouve plus inégales. Dans une des salles de l’exposition, une photographie de lèvre rouge de la série Lips! Lips! Lips!, comme sur l’affiche de l’exposition, est répétée des dizaines de fois sur plusieurs rangées, ce qui peut rappeler Warhol. Une petite salle dans le noir montre quelques photographies rétro-éclairées de sa série Tights in Shimotakaido de jambes féminines couvertes de bas résille. Ces photographies sont maintenant devenues emblématiques, et c’est un aspect que je n’avais pas vraiment perçu jusqu’à maintenant.

A mon arrivée au musée au moment de payer mon billet, je demande un flyer de l’exposition car je n’en vois pas positionné aux endroits habituels. La réceptionniste, un peu embêtée, veut bien me donner un flyer mais me demande lequel car il y a 16 versions différentes. Je demande deux versions prises au hasard, pour me rendre compte un peu plus tard que d’autres exemplaires sont disponibles sur des reposoirs aux étages. Je ne peux m’empêcher d’en prendre d’autres, car chacun montre une photographie différente de Daido Moriyama. C’est assez rare de voir plusieurs versions de flyer pour une seule et même exposition. Sur les 16 au total, j’en collectionne 8 que je montre en photo ci-dessus regroupés les uns à côté des autres. J’aime beaucoup le design graphique avec cette couleur jaune très marquée. A chaque exposition que je vais voir, je collectionne systématiquement le flyer que je garde ensuite précieusement dans un classeur rempli à raz bord. J’en suis déjà à mon troisième classeur et j’aime les réouvrir de temps en temps. J’ai commencé à collectionner les flyers des expositions que j’ai été voir au même moment où j’ai commencé ce blog, c’est à dire en Mai 2003. Le premier flyer de ma collection est celui d’une exposition de Nobuyoshi Araki intitulée Hana-Jinsei dans ce même musée de la photographie à Yebisu Garden Place.

静かに生きる

Les photographies ci-dessus sont prises quelques semaines avant le début de l’état d’urgence à Tokyo, mais montrent déjà des espaces vidés de monde. Si on s’écarte des points névralgiques de la ville et de ses quartiers populaires, le Tokyo des quartiers résidentiels est pratiquement vide de monde même en temps normal. Ce sont ces quartiers que je privilégie en général pour mes photographies. Nous sommes ici au bord de Shibuya et tout près de Nishi Azabu. La première photographie est prise sous la lumière jaune du soir, à l’entrée d’un mini jardin public avec jeux pour enfants tout près du sanctuaire Konnō Hachiman-gū que je montrais il n’y a pas très longtemps. Sur ces photographies, on a même l’impression que les lieux ont été abandonnés précipitamment. En les regardant maintenant alors que j’écris ce billet, après les avoir fait reposer pendant deux mois dans ce billet en mode brouillon, ces photographies me semblent montrer à la fois une atmosphère paisible et inquiétante.

Pendant cette période prolongée à la maison, je passe beaucoup plus de temps sur le balcon pour m’occuper des quelques plantes 🌱 qui prennent une bonne partie de l’espace. Elles envahissent un peu plus chaque jour le balcon et je vais finir par manquer de place pour m’y asseoir. J’écris une bonne partie des textes du blog sur l’iPad assis sur le balcon, chose que je ne fais jamais en temps normal. Mes réflexions à l’extérieur sont régulièrement interrompues par les avions de ligne partant de l’aéroport de Haneda et passant nouvellement au dessus de Tokyo. C’est le nouveau tracé prévu pour les Jeux Olympiques mais je ne comprends pas pourquoi il y a autant de traffic étant donné que les Jeux sont repoussés et que les touristes sont quasiment inexistants en ce moment. Comme les avions ne volent pas tous les jours et toute la journée mais seulement à certaines heures de l’après-midi, j’ai l’impression qu’il s’agit plutôt de vols de vérification.

Un peu plus loin dans les photographies, je tombe sur l’immeuble au plongeoir à Nishi Azabu. Il s’agit de Scala par Atsushi Kitagawara, qui dessine ses immeubles et maisons comme des œuvres d’art. J’aime beaucoup comment l’immeuble vient s’insérer comme un point central sur cette rue et ce carrefour. Quand je marche sur la rue opposée, je ne résiste pas à le prendre en photo dans son contexte. Je suis certain d’avoir pris cette photographie plusieurs fois déjà mais je ne sais pour quelle raison l’envie me prend à chaque fois de répéter la prise. Il doit y avoir dans cette composition urbaine un pouvoir d’attraction visuel ou un équilibre harmonique des choses qui résonnent en moi à chaque passage.

Après le EP Blue, je retrouve le groupe RAY avec leur premier album Pink disponible en écoute dans son intégralité sur YouTube depuis le 15 Avril et sur les plateformes digitales classiques depuis quelques jours. La particularité de RAY est qu’il s’agit d’un groupe d’idoles alternatives dans le genre shoegazing. L’association fonctionne très bien dans l’ensemble car l’esprit du shoegazing est de faire déborder la puissance et le volume des guitares par rapport aux voix des interprètes. Les voix jeunes des quatre filles du groupe apportent un contraste intéressant et inhabituel. L’association fonctionne également bien car le shoegazing n’est pas indépendant d’une idée de mélancolie adolescente. Je connaissais déjà les deux morceaux Butterfly Effect (バタフライエフェクト) et Meteor car ils étaient déjà sur le EP Blue, et ils restent dans les meilleurs morceaux de l’album, mais le morceau que je préfère est le premier de l’album, フェーディングライツ (Fading Lights). Comme Butterfly Effect et quelques autres morceaux de l’album, il est signé par Azusa Suga du groupe For Tracy Hyde, groupe dont j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog et qui est reconnu dans ce milieu musical shoegaze au Japon. Chaque morceau est associé à des compositeurs d’autres groupes de la mouvance shoegaze, comme Elliott Frazier du groupe américain Ringo Deathstarr sur le morceau Meteor. Certains morceaux, comme 世界の終わりは君とふたりで (The end of the world with you) ou Generation, prennent des accents plus pop, du fait du ton de voix des interprètes, et ne sont pas mes préférés. Ils m’ont demandé un temps d’adaptation, mais l’accroche opère et me fait y revenir régulièrement. Mon attirance va vers les morceaux plus contemplatifs comme ネモフィラ (Nemophilia) où les guitares forment des nappes de sons distordant qui ne sont pas sans rappeler My Bloody Valentine (difficile de faire du shoegaze sans les référencer) et où les voix sont plus languissantes. La qualité des partitions musicales sur chaque morceau est irréprochable, à la fois parfaitement exécutées et intéressantes à l’écoute. Il y a un équilibre qui n’est pas facile à réussir dans le ton des voix, pour à la fois apporter une tonalité légèrement pop (il s’agit tout de même d’un groupe d’idoles) tout en s’inscrivant bien dans le style shoegaze. Certains morceaux comme 星に願いを (Wish upon a star) lorgne un peu trop vers le style ‘idole’ tandis que le juste équilibre semble être trouvé pour des morceaux comme 尊しあなたのすべてを (Everything about my precious you). RAY est une nouvelle formation née des cendres du groupe précédent appelé ・・・・・・・・・(dots tokyo), sous la même agence musicale. Je ne connaissais pas les morceaux de dots tokyo, mais certains titres comme スライド (Slide) ou サテライト (Satellite) sont apparemment repris sur l’album Pink. Ce type de groupes créés de toutes pièces en associant idoles et musiciens reconnus dans le domaine du rock alternatif est peut être une spécialité japonaise, mais je ne suis pas contre lorsque j’y ressens une authenticité et quand les morceaux qui en résultent sont de la qualité de Fading Lights ou de Meteor.

Je suis toujours impressionné quand je vois le détail et la méticulosité d’oeuvres comme celles en images ci-dessus par l’artiste basée à Nara, Daisuke Tajima. Elles demandent une dedication immense et de nombreuses semaines de travail, car ces représentations urbaines ultra-denses qu’il dessine à l’encre noire sont pour la plupart de très grande taille. L’illustration sur la deuxième image ci-dessus intitulée Superpower of Eternal (Part 2) fait 3.34 mètres de large pour 2.40 mètres de haut et a demandé environ 3 mois de travail à raison de 7 heures par jour. Dans un style un peu différent, les œuvres de Daisuke Tajima me rappelle celles de Manabu Ikeda pour leur sens excessif du détail. L’illustration de la première image ci-dessus s’intitule Unified Cityscape of today (2017) et est un peu plus petite (1.05 mètres de large pour 75 cms de haut). Elle me rappelle un peu les murs de buildings que l’on peu voir dans le manga Akira (en image ci-dessous) ou les détails un peu bordéliques des rues d’inspiration Hongkongaise dans Ghost in The Shell. La sur-densité urbaine que l’on voit dans les dessins de Daisuke Tajima nous fait penser qu’il s’agit d’une œuvre d’anticipation car on imagine que les villes vont continuer à se densifier à mesure que la population croît et continue à migrer vers les centres urbains. Ces images sont oppressantes mais fascinantes car notre œil regarde les détails jusqu’à s’y perdre. Les lignes de fuite sont même vertigineuses, comme sur la deuxième image. Je pense que l’artiste essaie de nous faire comprendre les limites d’une sur-urbanisation. La répétition d’immeubles massifs écrasent l’humain et l’uniformisation de cette architecture intensifie cette impression de déshumanisation. Ce type d’illustrations m’impressionne car elles demandent une dévotion totale, quitte à sacrifier tout le reste et rentrer dans une certaine solitude. Au final, l’oeuvre vient contrôler l’individu.

Mes billets sur Made in Tokyo ressemblent ces derniers temps à des mini-magazines avec divers sujets abordés en commençant par les photographies de Tokyo, suivi d’un peu de musique, un peu d’architecture ou un peu d’art. J’ai toujours en tête cette idée de fanzine et j’essaies en quelques sorte de m’en approcher un peu mais au format web. Sans me mettre de pression cependant, je ne pense pas continuer systématiquement cette diversité dans chaque billet.

4z4bu with3eye

L’énorme pilier montré sur la deuxième photographie m’a toujours impressionné. Il supporte l’autoroute intra-muros surélevée sur deux étages au croisement de Shin-Ichinohachi près d’Azabu-jūban. Outre sa taille et son aspect massif, ce pilier surprend par son emplacement au beau milieu du carrefour. C’est comme si l’espace urbain était soudainement perforé par un tube digestif venant nourir les entrailles du monstre. Juste derrière l’infrastructure infernale de l’autoroute, se dresse tout en courbe au croisement le building Joule-A par l’architecte Edward Suzuki. Je ne résiste jamais à la contre-plongée quand je passe devant. La façade en métal perforé agit comme un écran protecteur, avec pour objectif de cacher la vue sur l’autoroute et en atténuer le bruit. Je ne suis pas certain que cette surface imagée en forme de nuages vienne vraiment diminuer les sons de l’autoroute depuis l’intérieur des bureaux du building, mais elle a au moins l’intérêt d’ajouter une petite touche poétique à ce carrefour balafré par cette jonction d’autoroutes. On trouve une autre petite touche poétique pas très loin de là sur le mur gris d’un building. Ce sont des dessins enfantins très colorés, certains ressemblent à des petits monstres. Comme je le mentionne sur ma page À propos, un des intérêts principaux de mes marches tokyoïtes est d’y découvrir des instants poétiques dans la confusion des styles qui occupent la ville. J’aime aussi la confusion des styles dans la musique que j’écoute, passant du post-punk de Ms.Machine sur le billet précédent à la pop électronique alternative ci-dessous. Mais il s’opère à chaque fois la même addiction sonore et je ne peux laisser échapper un certain sourire de satisfaction en écoutant ces sons qui ne laissent pas indifférents.

La musique pop électronique mélangeant des touches de hip-hop de 4s4ki (prononcé Asaki) m’accompagne depuis quelques jours, avec son premier album Omae no Dreamland (おまえのドリームランド). Je ne connaissais pas du tout cette artiste que je découvre donc au hasard des détours de Twitter. En fait, j’étais d’abord attiré par cette étrange composition photographique montrant 4s4ki portant à la main une crosse de hockey avec l’inscription ‘taboo’, entourée d’un cerf zébré et d’un Alien de verre, devant des vieux bâtiments commerciaux d’une autre époque. Ce décor un peu inquiétant de nuit, délabré et peu éclairé, ces personnages monstrueux ou fantaisistes et la tenue rayée de 4s4ki comme un chat du Cheshire (celui d’Alice in Wonderland) ou comme Kyary dans Fashion Monster me font penser à un monde d’Halloween. Cette composition me laisse penser qu’il se cache quelque chose d’un peu décalé dans cet univers musical. iTunes classifie d’ailleurs cet album dans le rayon des musiques alternatives, plutôt qu’électronique bien que ça soit la tendance principale. La musique de 4s4ki est très actuelle mélangeant multiples sonorités électroniques et voix autotunés souvent rappées. L’album est assez court, 32 minutes seulement, et le temps passe un peu trop vite tant on se sent bien à écouter ces morceaux. Il y a de nombreuses collaborations dans cet album, que ce soient pour la voix ou la production. Je ne connais pas la plupart de ces collaborations à part Snail’s House, sur le morceau Lover, dont j’avais beaucoup apprécié son album instrumental L’été il y a quelques années. Ces collaborations font que les styles varient entre chaque morceau tout en maintenant une bonne cohérence. J’aime beaucoup quand l’album part un peu dans l’experimental sonore quand 4s4ki s’associe avec Gu^2, sur deux morceaux プラトニック (Platonic) et サキオはドリームランド (Sakio is Dreamland). Les morceaux à deux voix, féminine et masculine, avec Maeshima Soshi sur Eyes ou Moniko par exemple fonctionnent particulièrement bien. Il y également un certain kawaisme de l’ensemble mais, tout comme l’autotune, il reste à mon avis bien maîtrisé. Le premier morceau おまえのドリームランド (Your Dreamland) reprenant le titre de l’album et étant le premier single sorti accroche très vite à l’esprit, comme la plupart des morceaux, mais en particulier NEXUS ou 風俗嬢のiPhone拾った (I picked up a prostitute’s iPhone). L’ensemble des morceaux est si fluide et maîtrisé qu’on a du mal à penser qu’il s’agisse de son premier album. J’aime beaucoup ce genre de découvertes inattendues, d’autant plus lorsqu’elles ne sont pas immédiatement dans mon lexique musical de prédilection. Ça me donne l’impression de m’ouvrir un peu plus vers d’autres styles.

Écouter la musique de 4s4ki me donne envie d’y associer les images de l’artiste Hiroyuki-Mitsume Takahashi que je suis depuis un petit moment sur Instagram. Le style des deux artistes ne se ressemble pas particulièrement, mais j’y ressens un même sens du détail, sonore d’un côté et graphique de l’autre, et une certaine sophistication. Les images très lumineuses de Mitsume sont extrêmement fouillées, grouillant de détails mélangeant la cybernétique et le grotesque dans un style ultra coloré du plus bel effet, c’est à dire sans saturation inutile des couleurs. Il représente souvent la même figure féminine avec des petites dents de vampires d’Halloween et les cheveux bicolores coupés au carré (comme l’artiste lui-même d’ailleurs). Les personnages qu’ils dessine ont souvent les entrailles ouvertes et des composants électroniques implantés sur le corps. L’univers est à la fois étrange et fascinant à regarder. On ne se lasse pas de parcourir les nombreuses images qu’il a créé, notamment une représentation de ꧁ ༒ Gℜiꪔ⃕es ༒꧂ qu’il a dessiné à deux reprises. Mitsume dessine également des vêtements recouverts complètement de ses personnages. C’est très difficile à porter à moins d’être une figure d’Harajuku.

future and the arts

Comme beaucoup de lieux de rassemblements, le Mori Art Museum est fermé pour deux semaines jusqu’au 13 mars pour raison de Coronavirus. Nous y sommes allés quelques jours avant cette fermeture temporaire, le lundi 24 Février qui était un jour férié. Il y avait assez peu de monde dans le musée par rapport à l’habitude bien que l’affluence dépend toujours de l’exposition en elle-même. L’exposition que nous sommes allés voir et qui se terminera le 29 Mars s’appelle Future and the Arts: AI, Robotics, Cities, Life. Elle a pour ambition de montrer ou du moins donner des pistes sur les modes de vie que l’humanité sera amené à suivre dans le futur. Le sujet de l’intelligence artificielle, très populaire en ce moment, y est bien entendu abordé, mais on nous parle également de biotechnologie et de réalité augmentée à travers des installations artistiques et des images ou vidéos essayant de nous décrire les modes de vie futur dans les 20 ou 30 ans qui vont venir. Fort à parier qu’on ne verra pas dans 30 ans la moitié de ce qui est montré dans l’exposition, mais l’exposition n’est pas non plus déconnectée des avancées récentes, comme l’utilisation de la robotique personnelle, et des préoccupations actuelles, notamment environnementales. L’exposition démarre en nous montrant des propositions originales d’organisations urbaines, où les villes se déplacent sur les océans ou s’intègrent complètement avec la végétation. On nous montre des exemples d’immeubles organiques (une vision de Paris en 2050 par Vincent Callebaut par exemple) et des structures construites sur imprimantes 3D se mélangeant avec des éléments de végétation. La septième photographie ci-dessus montre ce genre de bio-structure qui s’appelle tout simplement H.O.R.T.U.S. XL Astaxanthin.g par ecoLogicStudio. Ces grandes propositions urbaines nous rappellent les villes imaginées dans les années 1960 par les architectes et urbanistes japonais du groupe Métaboliste. L’exposition y fait d’ailleurs référence mais en évoquant la notion de Neo-Métabolisme, car ces nouvelles villes prennent en considération l’aspect environnemental et la coexistence avec le naturel, qui étaient absents du mouvement original.

Dans la section suivante, on aborde les changements possibles de notre style de vie intégrant la robotique et la réalité augmentée ou les innovations en terme de design, notamment vestimentaires. Il y a un stand où on peut tester un casque VR en conduisant une voiture du futur, mais cela reste assez peu convainquant et pas forcément à sa place dans une exposition d’art. On aborde ensuite les questions d’éthique liées à ces avancées technologiques, par exemple l’augmentation des capacités humaines par la biotechnologie. La place de l’humain sera également amené à évoluer dans un environnement qui se robotisera de plus en plus. L’exposition devient à mon avis un peu désorientante à partir de ces dernières sections et j’ai eu un peu de mal à maintenir le fils car certains concepts sont abstraits et l’exposition peine un peu, je trouve, à les expliquer clairement. On se trouve parfois à regarder une installation sans vraiment comprendre ce qu’elle veut démontrer. C’est le cas par exemple d’une installation appelée Architecture of Moods de François Roche, que j’aurais aimé mieux comprendre. Un peu plus loin dans les salles du musée, je suis amusé de revoir les personnages mi-hommes mi-animaux conçus de manière très réaliste par l’artiste australienne Patricia Piccinini. Nous avions vu une exposition de ses œuvres au musée d’art contemporain Hara près Shinagawa en 2004. Ces représentations imaginaires de ce que pourraient être les affres des manipulations génétiques sont à la fois effrayantes et touchantes. On nous montre ici un seul mannequin mi-femme mi-singe, intitulé Kindred, tellement réaliste qu’on arrive pratiquement à ressentir ses émotions.

Une petite salle fermée par un rideau de plastique noir attire ensuite mon attention car on y joue une musique alternative pop qui m’est un peu familière. La pièce sombre montre une boîte étanche médicale de verre dans laquelle sont disposés des tubes à essais. Je ne reconnais pas tout de suite cette voix chantant à répétition 止めて止めて進化を止めて (Arrêtez Arrêtez Arrêtez l’évolution), semblant prôner la décroissance. Il s’agit de la voix d’Etsuko Yakushimaru, dont j’ai déjà parlé quelques fois ici. L’approche de cette installation musicale intitulée わたしは人類 (Je suis l’humanité) est plus intéressante qu’elle n’en a l’air. Ce projet réfléchit au concept de musique post-humaine, au méthode d’enregistrement et de transmission de la musique à travers les décennies qui viennent. La musique est actuellement enregistrée et transmissible à travers différents supports comme les formats vinyls, digitaux sur CD ou format MP3, mais qu’en sera t’il dans des dizaines ou centaines d’années? Ces formats auront grandement évolué ou auront même disparu. La musique dont on disposait sur CD ou lecteur MP3 ne sera certainement plus écoutable sur ces supports. Cette réflexion amène Etsuko Yakushimaru à imaginer une transmission de la musique par les gènes. Elle utilise pour cela une séquence nucléique de cyanobactéries. L’information musicale est convertie en code génétique utilisée pour créer une séquence ADN artificielle incorporée dans les chromosomes d’un microorganisme. Par cette méthode, pas forcément aisé à comprendre, le microorganisme génétiquement modifié contient dans son ADN une partition musicale. Comme cet organisme se réplique lui-même continuellement, il maintiendra son existence même si l’humanité venait à disparaître, en attendant qu’une nouvelle espèce post-humaine parvienne à décoder son code musical. Tout ceci est bien entendu très utopique, mais la question initiale de faire perdurer la musique au delà des supports actuels qui seront forcément amenés à disparaître avec les années, est très intéressante et la solution imaginée est plus qu’étonnante. De retour à la maison, je m’empresserais d’acheter ce morceau I’m humanity sur iTunes.


L’exposition se termine par un bloc monolithique de 5 mètres de haut sur lequel se déroulent des images ultra-rapides sur des sons sourds post-industriels. On reste comme hypnotisé devant ces images qui défilent. J’imagine ces images défilantes comme une immense base de données enregistrant la vie humaine. Cette œuvre intitulée DATAMONOLITH par Ouchhh est vraiment impressionnante et termine excellemment l’exposition, que j’ai pourtant trouvé inégale dans son ensemble.

TOKYO par NAKANO

Le photographe Masataka Nakano expose en ce moment au Musée de la photographie de Tokyo, à Yebisu Garden Place. Je connais très bien deux de ses séries, certainement les plus connues, Tokyo Nobody et Tokyo Windows car j’ai les photobooks à la maison. Mari me les avait offert pour mes trente ans et je les ai souvent feuilleté. Je dirais même que les photographies de Nakano m’inspirent toujours beaucoup maintenant, dans le sens où mes photographies amateurs cherchent parfois à fuir la présence humaine, sans pour autant aller dans les extrêmes de la série Tokyo Nobody. Les photographies de Masataka Nakano se concentrent plus sur les constructions humaines que sur la présence de leurs créateurs, et cette approche m’est assez familière.

Dans les pièces de la galerie, les photographies sont imprimées en très grands formats et couvrent Tokyo pendant une période de 30 à 40 ans. C’est très intéressant de constater les changements urbanistiques de la ville, comme ceux que l’on peut voir actuellement à Shibuya. Même si ce n’est pas si vieux que ça, je revois l’ancienne gare de Shibuya en photo avec une certaine nostalgie. Nakano nous dit la chose suivante au sujet de cette ville en éternel changement: « I cannot quite decide, to be honest, whether to take a positive or negative stance toward the transformation which Tokyo is currently undergoing. I have always shot my images of Tokyo from a contradictory perspective with love and hate in equal measures. The idealized vision of a city I have in mind is of a space where retro buildings, with the cachet they offer, coexist with cutting-edge structures in a nice balance – and yet, Tokyo has already demolished things of great importance irreversibly. » J’ai les mêmes sentiments contradictoires entre amour et haine en prenant mes photographies des rues de Tokyo, sentiments qui sont, je pense, dû à la nature hétéroclite de l’espace urbain. J’aime tout autant photographier les anciens bâtiments que les nouvelles structures. Le paradoxe est que le fait que Tokyo soit toujours en évolution rend cette ville continuellement intéressante à photographier, mais on regrette en même temps de voir disparaître des quartiers tout entier au prétexte de la modernité (et des obligations de mettre aux normes antisismiques adéquates). À Tokyo, la photographie joue le rôle de mémoire de la ville. Je suis moi-même assez conscient de cela lorsque je prends mes photographies de Tokyo, car je sais qu’un grand nombre de bâtiments ne subsisteront pas éternellement.

La série Tokyo Nobody est toujours impressionnante à regarder, notamment en grand format. Voir des lieux qui grouillent normalement de monde, comme Ginza ou Shibuya, soudainement totalement vide de monde surprend. On imagine que la ville a été soudainement désertée. Mais on comprend aussi que les photographies on été prises très tôt le matin et certainement pendant des jours fériés. On devine cela sur certaines photographies où les drapeaux japonais sont sortis dans les rues, ce qui symbolisent une fête nationale. Nakano explique d’ailleurs que l’idée lui est venue de montrer Tokyo vide de gens alors qu’il était resté seul dans Tokyo au moment des congés du premier de l’An, alors que tous ses amis étaient retournés dans leurs villages natals. C’est moins vrai ces dernières années, mais l’activité commerciale est quasi nulle pendant les tous premiers jours de l’année, les magasins étant fermés et les gens restant chez eux au chaud. J’ai quand même une attirance pour la série Tokyo Windows qui montre des vues sur Tokyo à partir de fenêtres d’appartements, de salles de bureau, entre autres. Les vues sont parfois impressionnantes comme celle depuis une chambre montrant la goutte d’or de Philippe Starck sur l’immeuble Asahi Beer Hall à Asakusa. Comme les photographies de Nakano montrent volontairement une partie d’espace intime près des fenêtres, on se met en situation. On s’imagine vivre dans cet espace, dans cette chambre, et profiter en silence de la ville avec cette vue qui nous coupe le souffle. Ces photographies me donnent la même impression que lorsque je visite un château médiéval et que je m’imagine y vivre pendant quelques instants.

Masataka Nakano montre bien sûr d’autres séries dans cette exposition, notamment une sur la tour de Tokyo. Il nous dit d’ailleurs à propos de cette tour: “The tokyo Tower stands as what I would consider to be the symbol of Tokyo even now with the construction of the Tokyo Skytree. […] To me, a symbol is something that is somehow soothing and gives me a curious sense of relief when it comes into view, regardless of my emotional state or physical location.” C’est intéressant de remarquer que la nouvelle grande tour SkyTree n’a pas remplacé la vieille tour de Tokyo dans le coeur des gens. Nakano nous dit qu’il se sent rassuré lorsqu’il aperçoit la tour de Tokyo dans le paysage urbain, de la même manière que la plupart des japonais s’exclame en apercevant au loin le Mont Fuji lorsqu’il décide de sortir des nuages. Je comprends cet enthousiasme car il m’a également gagné, mais il s’agit de l’exact même sentiment que lorsqu’on aperçoit la tour Eiffel à Paris. Les photographies de Masataka Nakano montrent aussi le Tokyo métaboliste, en particulier les zones urbaines de Ariake et Odaiba, construites sur des espaces initialement déserts gagnés sur la mer et sur lesquels l’architecture a poussé subitement jusqu’à la fin de la bulle économique. Les photographies nous montrent ces espaces en construction. Ils semblent parfois irréels comme sur les photographies montrant la nouvelle ligne Yurikamome avec ces stations aux formes futuristes desservant des zones qui sont encore vide. La série Tokyo Float visite les canaux de Tokyo, ceux recouverts par l’autoroute intra-muros et qu’on pourrait presqu’oublier tant ils sont dissimulés derrière les murs de béton et l’infrastructure autoroutière. A travers l’oeil du photographe, on redécouvre ces espaces oubliés. Il y a une autre série un peu différente au fond des salles d’exposition intitulée Tokyo Snaps. Elle est différente car les photographies se concentrent sur la foule, la présence humaine en mouvement. Cette dernière série m’intéresse un peu moins. Pour les photographies capturant l’activité humaine, je préfère celles de Daido Moriyama. Je repasse alors voir les séries que je préfère, car on ne s’en lasse pas. Je vois une jeune femme assise sur une des deux banquettes de la salle et elle regarde d’un air rêveur les murs de photographies devant elle. Je l’envie car j’aimerais bien aussi prendre un peu de temps pour rêver assis sur ces banquettes, mais le temps m’est déjà compté. 二時間だけのバカンスでした。

L’exposition retrospective des photographies de Masataka Nakano se déroule jusqu’au 26 janvier 2020 au Tokyo Photography Art Museum de Yebisu Garden Place. Les photographies sont autorisées à l’intérieur de la galerie.