Daikan 1

Je ne vois pas beaucoup d’intérêt dans Instagram sauf quand il me fait découvrir des nouveaux lieux, des nouvelles architectures intéressantes à Tokyo ou des expositions à aller explorer. Après une exposition à Hong Kong et Melbourne, l’artiste Shohei Ōtomo annonce sur Instagram une exposition soudaine au Tsutaya T-site de Daikanyama. Je me précipite donc le lendemain, un samedi matin, pour aller voir de mes propres yeux ses illustrations à l’encre, notamment Heisei Mary, dont il nous montrait dernièrement les étapes de création sur son compte Instagram. Les posters de l’oeuvre étaient malheureusement déjà en rupture de stock, mais je ne pense pas que Mari m’aurait de toute façon autorisé à l’afficher dans le salon ou au dessus de l’ordinateur. Cette figure féminine est intéressante car elle est tatouée de divers dessins représentant des images de la culture populaire japonaise et américaine. On reconnaît les personnages de Street Fighter, Dragon Ball, Death Note, Godzilla, Sailor Moon, Evangelion ou encore Kitty Chan et Pokémon du côté japonais. Du côté américain, Dark Vador se dresse à côté du Joker, de personnages de Matrix, de Harry Potter et du Pirate des Caraïbes, à côté des tours du World Trade Center en feu. Les ambiances sont mélangées car la reine des neiges côtoie la princesse Peach de l’univers Nintendo, Nausicaa de Hayao Miyazaki et les petites fleurs colorées de Takashi Murakami. Une colombe blanche, signe de paix au milieu de ces cohabitations improbables, surplombe une explosion nucléaire semblable à celle que l’on voit dans Akira de Katsuhiro Ōtomo, le père de Shohei. Il y a beaucoup de talent dans cette famille. L’exposition est malheureusement assez limitée car on ne peut y voir que quelques œuvres, notamment les figures détournées de policiers et le spectre dont je parlais déjà dans un billet précédent. J’aurais aimé en voir plus et pouvoir acheter un art book de ses œuvres, mais il n’existe pas encore. Shohei Ōtomo reste pour moi un artiste à suivre de près.

Je reprends ensuite la route dans les rues de Daikanyama en gardant un œil sur l’occupation végétale au sol et l’occupation graphique sur les murs. Cette fois-ci, deux stickers m’intriguent sur un poteau électrique, notamment un étrange casque de couleur rose inspiré de Neon Genesis Evangelion. Un lien mentionné sur le sticker pointe vers le compte Instagram d’un artiste tatoueur taïwanais appelé Che-Wei. Alors que Shohei Ōtomo dessine des tatouages de personnages du monde de l’animation sur le corps imaginaire de Heisei Mary, Che-Wei tatoue des personnages assez similaires dérivés du manga sur des personnes réelles et nous montre les résultats sur son compte Instagram. Les couleurs sont très vives et le rendu de certains tatouages est assez impressionnant. Je suis très loin d’être spécialiste ou d’avoir un quelconque intérêt pour le tatouage, mais ceux-ci m’ont l’air d’être très évolués. Après je me pose quand même toujours la question des regrets éventuels, à posteriori, d’avoir gravé un pikachu sur le bras pour toute la vie, même si celui-ci est extrêmement bien exécuté.

Je n’avais vu jusqu’à maintenant qu’un seul film de Shinya Tsukamoto, Tokyo Fist. Le film était sorti en 1995 mais je ne l’ai vu que bien après, il y a 16 ans en DVD. Ce film m’avait laissé une forte impression, mais ce n’était pour sûr pas un film facile d’approche. Je me décide maintenant à regarder un autre film de Tsukamoto, grâce aux hasards des recherches Netflix. J’étais assez surpris d’y trouver un des ses premiers films, Tetsuo: The iron man (鉄男), sorti en 1989. Tetsuo est un film à part qui ne ressemble à aucun autre, singulier et décalé. Le film en noir et blanc nous raconte l’histoire d’un salary man qui voit soudainement grandir en lui des morceaux de métal. La raison reste inexpliquée et le scénario n’est pas d’une compréhension immédiate, mais on comprend tout de même une relation psychique avec un autre homme, fétichiste du métal (si on veut bien imaginer ce que ça peut bien vouloir dire) qui le poursuit inlassablement, au fur et à mesure que le salary man développe sa transformation progressive et irrémédiable en homme-machine. Le film est conceptuel et expérimental, et n’est clairement pas adressé à un large public. L’ambiance s’apparente aux films de style cyberpunk, mais sans les effets spéciaux numériques actuels, car tous les effets spéciaux sont mis en images de manière artisanale. La manière de filmer les scènes rapides dans les rues de banlieue tokyoïte en une succession d’images coupées et séquencées, ajoutent à l’étrangeté générale de cet objet cinématographique. Le film n’est pas facile, il faut accepter une violence certaine des images, mais je suis resté scotché à l’écran pendant les 67 minutes du film. Je pense que, comme pour Tokyo Fist, Tsukamoto traite dans Tetsuo le sujet de l’aliénation humaine face à la sur-urbanisation. En pensant au titre du film, je ne peux m’empêcher de repenser au Tetsuo du manga Akira de Ōtomo sorti quelques années auparavant en 1982. De la même manière, les personnages perdent leur forme humaine et se transforment en monstre d’une manière grotesque. La différence est que le Tetsuo de Akira prenait des formes organiques tandis que le salary man du film Tetsuo voit des pièces métalliques sortir de son corps. Quoiqu’on en pense, le film ne laisse pas indifférent et je dirais même qu’il s’agit d’un chef d’oeuvre, à la fois inquiétant, effrayant et choquant, mais complètement passionnant à regarder.

Je continue avec un autre film difficile (décidément), mais dans un tout autre style que Tetsuo même s’il y a un point commun, la présence de Shinya Tsukamoto mais en tant qu’acteur. En fait, je voulais voir un film de Takashi Miike et je me suis mis à chercher ce qui était disponible sur Netflix. Je tombe sur Ichi The Killer (殺し屋1) sorti en 2001. Il s’agit d’un film de yakuza ultra-violent, et même parfois difficile à regarder mais pas de la même manière que The Forest of Love de Sion Sono, dont je parlais auparavant, car la violence ici n’est pas psychologique mais visuelle. Takashi Miike sait s’arrêter avant que la scène devienne insoutenable. Le personnage principal est un chef de gang appelé Kakihara du clan Anjo, excellemment joué par Tadanobu Asano, à la recherche de son patron qui a mystérieusement et soudainement disparu avec la caisse. On soupçonne d’abord un kidnapping par le clan rival, mais il s’avère qu’un mystérieux tueur appelé Ichi est derrière tout cela. On découvre assez vite que Ichi est un être faible psychologiquement, manipulé par un homme de l’ombre aux apparences inoffensives pour éliminer les membres des syndicats du crime en les montant les uns contre les autres. Le film s’en sort grâce à son humour pince-sans-rire, surtout celui de Kakihara, personnage sadomasochiste aux tenues exubérantes, aux cheveux teints en blond et au visage balafré. Le film ‘pince’ fort tout de même, jusqu’à la torture parfois. L’acteur fétiche de Kitano, Susumu Terajima, jouant le yakuza Suzuki doit en savoir quelque chose. Là encore, le film n’est pas pour les âmes sensibles et était même controversé à sa sortie pour ses scènes de violence souvent grotesques. Mais le scénario est habile et le jeu des acteurs très bons, dans l’excès et l’irréalisme par moment car rappelons que le film est tiré d’un manga (de Hideo Yamamoto). Je ne suis pas particulièrement amateur de films violents, mais j’aime les films de genre qui ne laissent pas indifférent. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce film montrant des yakuza avec toutes leurs attitudes excessives, ne laisse pas indifférent. En regardant le film, je me suis même dit que c’est le genre de films qui doit plaire à Quentin Tarantino. Les scènes du film se passent dans leur totalité dans le quartier chaud de Kabukichō et derrière Nishi Shinjuku, car on aperçoit souvent le bâtiment de la mairie au loin. Nishi Shinjuku me rappelle le roman déjanté de Ryu Murakami, Les Bébés de la Consigne Automatique. Takashi Miike a d’ailleurs déjà réalisé un film d’après un roman de Ryu Murakami, Audition. Je lis dans une interview de Miike sur le site consacré au cinéma japonais Midnight Eye qu’un projet pour adapter Les Bébés de la Consigne Automatique avait été lancé mais abandonné faute de financement. Peut-être que ce projet pourrait prendre un jour vie grâce à Netflix, quand on voit comment cette plateforme devient un dernier recours pour développer certains films pour lesquels les producteurs classiques restent frileux (l’excellent Irishman de Martin Scorsese par exemple). Midnight Eye est un site de référence sur le cinéma japonais mais est malheureusement devenu inactif, même si on peut toujours consulter les archives. On y trouve de nombreuses critiques de films et des interviews. Les critiques couvrent d’ailleurs beaucoup de films non conventionnels, dont ceux de Takashi Miike, mais Ichi The Killer n’y est bizarrement pas revu. Ce film me donne d’ailleurs envie de revoir les films de Hong Kong de John Woo, ceux avant sa carrière américaine comme The Killer et Hard Boiled avec son acteur fétiche Chow-Yun Fat ou encore Bullet in The Head avec Tony Leung. Et quand je pense à Tony Leung, me revient l’envie de revoir Chungking Express de Wong Kar-Wai, puis Fallen Angels du même réalisateur. Il faut que je me refasse un cycle sur le cinéma de Hong Kong des années 90.

Mais pour l’instant et pour changer de style en allégeant un peu l’ambiance, je regarde le film River’s Edge (リバーズ・エッジ) d’un réalisateur originaire de Kumamoto que je ne connaissais pas, Isao Yukisada. Le film, également disponible sur Netflix, est également basé sur un manga du même nom de Kyoko Okazaki. Je ne connaissais pas non plus les deux acteurs principaux à savoir Fumi Nikaidō jouant le rôle de Haruna Wakakusa et Ryō Yoshizawa dans le rôle de Ichiro Yamada. Ils sont tous les deux lycéens dans une banlieue quelconque près d’une rivière, dans la deuxième moitié des années 90, cette période où on n’avait pas encore de téléphone portable et de smartphone. J’ai d’ailleurs tendance à penser que les films sont plus intéressants sans smartphone, car ces objets ont souvent le pouvoir de simplifier les intrigues, en supprimant la possibilité du hasard et les situations de personnages seuls livrés à eux même. L’histoire de River’s Edge est en fait assez noire et certaines scènes sont assez crues. Les personnages sont des lycéens un peu paumés, à la recherche de repères dans leur vie. On ne peut pas dire que le film se base sur une histoire forte ou un scénario compliqué. L’interêt du film tient plus dans le jeu des acteurs et actrices, essayant de faire la part des choses entre amour et amitié. Les rapports entre les personnages sont d’ailleurs volontairement ambigus. On ressent l’amour non déclaré, qui n’est peut être qu’un très fort lien d’amitié, entre Wakakusa et Yamada, mais on apprend très vite que c’est une situation compliquée car Yamada est homosexuel et qu’il subit les harcèlements répétés et les coups d’une bande de garçons menés par le copain de Wakakusa, un grand garçon assez beau gosse aux cheveux longs appelé Kannonzaki. A ce trio, vient s’ajouter une autre lycéenne appelée Kozue Yoshizawa, modèle aux cheveux courts, poussée par ses parents dans cette voie mais qui ne croit pas en elle. Les liens qui relient Yoshizawa à Wakakusa jouent aussi beaucoup sur l’ambiguïté. Les histoires personnelles de ces lycéens et lycéennes se relient au bord de la rivière autour d’un secret macabre, mais je n’en dirais pas plus. Le film est interrompu par des interviews des personnages dans le film, comme s’il s’agissait d’interrogatoires menés par un conseiller psychologique. Ces scènes restent indépendantes du reste de l’histoire et on se demande quelle est la finalité de cet aparté. Au final, le film fonctionne grace à ses personnages et on finit par s’accrocher à cette histoire dont on ne sait pas trop où elle nous mène.

Shiota Chiharu: The Soul Trembles

J’avais aperçu à plusieurs reprises en photo sur Internet le travail artistique de Chiharu Shiota 塩田千春, mais c’est la premiere fois que je vois ses œuvres dans un musée. L’exposition intitulée The Soul Trembles se déroule jusqu’à la fin du mois d’Octobre au Mori Art Museum de Roppongi Hills. Il s’agit d’une rétrospective complète des 25 années de carrière artistique de l’artiste japonaise, installée à Berlin. Les grandes installations faites de cordons rouges ou noirs sont les plus impressionnantes par leur taille et par leur force d’évocation. La multitude de fils rouges qui s’entremêlent nous rappellent des vaisseaux sanguins et par extension la complexité des interconnexions humaines. On peut marcher à l’intérieur de l’installation appelée Uncertain Journey en faisant attention de ne pas effleurer ces cordons rouges. Les cadres métalliques en forme de barque laissent penser à un voyage, au cours duquel les rencontres humaines seront certainement nombreuses. Ces rencontres créeront de nouveaux liens fragiles entre les personnes. On a vraiment ce sentiment de fragilité en parcourant l’exposition, un peu comme une toile d’araignée aux apparences fragiles, mais pouvant tout de même affronter les intempéries de la vie. Le thème du voyage revient dans une autre œuvre de l’exposition intitulée Accumulation – Searching for the Destination montrant des valises accrochées par un simple cordon rouge au plafond. Elles sont comme en apesanteur et certaines bougent même légèrement comme si elles trépignaient d’impatience de partir en voyage. Par ces 430 valises accrochées, Chiharu Shiota nous parlent du déracinement et des mémoires qui l’accompagnent. C’est son cas personnel car elle vit à Berlin depuis 1996. Ces réflexions, qu’elle donne sur un petit texte affiché sur un mur de l’exposition, me parlent aussi personnellement car l’année prochaine, j’aurais passé exactement la moitié de ma vie au Japon. Une œuvre marquante de l’exposition s’appelle In Silence. Elle montre un piano et des chaises brûlés, reliés cette fois par des fils noirs, symbolisant la mort par rapport aux fils rouges de la vie. On nous explique que cette installation très sombre lui a été inspirée par un incendie près de chez elle quand elle était petite. Le contraste des robes de mariées blanches avec les grilles complexes de fils noirs est saisissant. Cela nous laisse penser qu’un événement heureux a été interrompu soudainement par un autre événement dramatique. Ce sont ces émotions qui sont évoquées dans le titre de l’exposition, l’âme tremble. Elle est bousculée. L’exposition montre d’autres installations et quelques vidéos qui sont pour moi moins évocatrices, mais elle vaut vraiment le détour, notamment par sa grandeur comme souvent au Mori Art Museum. Il fallait compter une heure d’attente avant d’entrer à l’intérieur. Il s’avère qu’il s’agissait en fait d’un moyen de réguler les entrées pour éviter la foule à l’intérieur, en raison de la fragilité des installations. Je préfère attendre un peu, avec de la musique dans les oreilles en observant les gens dans les files d’attente, plutôt que se bousculer dans les salles du musée.

how to repeat Tokyo endlessly (η)

Alors que j’écris ces lignes, je suis bien loin du centre de Shibuya où les photographies ci-dessus ont été prises. Malgré ce que je disais dans le billet précédent, il n’y a pas toujours de correspondance directe entre les textes que j’écris et les images que je montre dans un billet. Je suis assis dans les tribunes presque vide du stade olympique de Komazawa, car le fiston y fait des courses depuis le matin et pour une bonne partie de l’après-midi avec le club de son école. Pendant les temps morts le matin, je pars faire un tour dans le parc de Komazawa autour des infrastructures olympiques construites dans les années 60, pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. J’adore l’architecture que l’on voit dans ce parc et je l’ai souvent montré, mais j’y reviendrais encore une fois avec des nouvelles photographies dans un prochain billet. Après la vague de chaleur qui a suivi le typhon numéro 15, les températures se sont bien rafraîchies depuis samedi. C’est très agréable d’être assis là dans les gradins presque vide, à ne rien faire ou presque, enfin observer ce qui se passe en rêvant un peu sans oublier de soutenir le fiston quand il court. Et écrire ces quelques lignes et profiter du temps disponible.

Mais revenons quand même un peu sur les quelques photographies du billet prise en fin de journée. En haut de la petite pente Spain-zaka, on arrive en face du Department Store PARCO toujours en construction. En face de l’ancien Cinéma Rise, une petite galerie, que je ne connaissais pas, éclaire la rue. Cette galerie nommée Shibuya SR6 montrait lors de mon passage des effusions de couleurs pop, celles de personnages manga créés par l’illustratrice Mika Pikazo. Elle est apparemment reconnue pour la création du personnage de virtual YouTuber Kaguya Luna (輝夜 月). C’est un monde qui m’est totalement opaque mais j’aime bien faire le curieux lorsqu’une affiche géante pleine de couleurs attire le regard.

Je me rends compte en passant devant le Cinéma Rise que je n’y ai jamais vu de films. Je vais très peu au cinéma à Tokyo alors que j’y allais au moins une fois par semaine, souvent deux, quand j’étais étudiant dans les années 90. La page d’archives du Cinéma Rise, agrémentée de photographies de Mika Ninagawa et Nobuyoshi Araki, donne une liste des films, principalement d’art et d’essai, montrés dans ce cinéma pendant ses trente années d’opération. Cette liste me rappelle la multitude de bons films que j’ai pu voir à cette époque, en France dans les années 90, comme Fallen Angels de Wong Kar-Wai et Cyclo de Trần Anh Hùng. Je pense avoir entendu pour la première fois le morceau Creep de Radiohead dans Cyclo, ce qui a certainement contribué un peu pour moi à l’aura de ce film. Le morceau était sorti sur le premier album du groupe Pablo Honey depuis quelques années déjà mais ne s’est fait connaître que plus tard en France. Je me souviens que Pablo Honey était vendu avec l’album suivant The bends à sa sortie en 1995, comme un double CD. Le podcast de France Inter Pop & Co de Rebecca Manzoni, que je découvre grâce à un tweet de la journaliste Karyn Nishimura, parle justement de Creep dans un numéro assez récent. Depuis ce tweet, je suis assez assidûment ce podcast qui décortique des morceaux emblématiques. Parmi les films qui sont pour moi cultes, Cinéma Rise passait également Fargo des frères Coen en 1997. Et en 1999, The Big Lebowski des mêmes frères Coen. A cette époque, j’arrivais au Japon et je remplaçais mon appétit de cinéma des salles obscures par l’achat de DVDs toutes les semaines au HMV de Shibuya. The Big Lebowski était un de ces achats du week-end et je l’ai regardé des dizaines de fois.

how to repeat Tokyo endlessly (ζ)

Toujours Shibuya, je pourrais presque renommer ce blog tant le quartier de Shibuya est le sujet et le lieu d’un grand nombre de mes photographies. L’action des photographies ne se passe pas forcément dans le centre du quartier mais dans l’arrondissement tout entier que j’explore continuellement le samedi matin pendant environ 1h30. Je pense avoir emprunté chaque rue au moins une fois, mais le décor changeant souvent, une marche dans ces lieux est un éternel recommencement. Sur un des murs à l’entrée du Tower Records de Shibuya, PEDRO annonce finalement la sortie de son album en CD. C’est étonnant car la version digitale est déjà sortie il y a plusieurs mois et j’en parlais dans un billet précédent. J’ai du mal à comprendre les logiques de distribution de l’agence Wack. Je réécoute cet album Thumb sucker régulièrement et j’y retrouve une certaine authenticité rock que j’aime écouter dans les rues de Shibuya, justement. Il y a une agressivité sonore qu’on retrouve visuellement dans les rues du quartier. D’ailleurs, il est écrit en graffiti sur l’affiche de l’album au Tower Records la mention 渋谷のカリスマ (figure charismatique de Shibuya) à propos de l’interprète Ayuni D du groupe. Je ne pourrais pas dire si ça correspond à une réalité, ou à l’imagination d’un fan.

Je vais de temps en temps à la galerie de la boutique Diesel de Shibuya, située au sous-sol. On y montre plutôt de l’art contemporain, de la culture pop, cette même culture pop que je vois dans les rues de Shibuya et que j’aime tant photographier. L’artiste s’appelle MAD DOG JONES et il s’agit d’un Instagramer que je ne connaissais pas (les réseaux sociaux créent tellement de célébrités qu’on a du mal à toutes les connaître). Ça doit être la première fois que je vois une exposition provenant d’Instagram, si on exclut le projet de Richard Prince il y a quelques années. Cet artiste canadien crée des œuvres digitales très colorées et d’inspiration cyberpunk. On y voit des décors pseudo futuristes, pseudo Tokyoïtes, où les morceaux de villes s’entremêlent. Associer Tokyo à l’image cyberpunk de Blade Runner n’a rien de nouveau, mais je suis sensible à ces imbrications urbaines improbables qui rendent une représentation de ville irréelle. Ces dessins sont en plus très bien exécutés et très cinématographiques. J’ai pensé un moment prendre une photo à l’iPhone d’une des œuvres et la poster sur mon compte Instagram, mais je me suis vite rendu compte du ridicule de la situation. A quoi bon montrer sur Instagram une photographie qui vient initialement d’instagram. C’est comme mettre deux miroirs l’un en face de l’autre et créer des espaces infinis où on pourrait se perdre. On peut donc voir la plupart des œuvres sur le compte Instagram de l’auteur. Cette exposition intitulée AFTERL-IFE se déroule jusqu’au 14 novembre 2019.

Alors qu’on attend son prochain album Miss Anthropocene avec une certaine impatience, Claire Boucher alias Grimes ༺GRIM ≡゚S༻(⧖) nous fait patienter avec des morceaux au compte-goutte. Après We appreciate Power sorti en 2018, le nouveau morceau de Grimes s’appelle Violence. C’est le genre de morceau qui fait table rase sur toutes les autres musiques que j’écoute à ce moment là. Après avoir écouté le morceau, j’ai comme une perte d’envie d’écouter autre chose, car le reste me paraît soudain un peu fade. Ce n’est bien sûr qu’un sentiment illusoire et temporaire, car cette impression ne dure pas. Elle se reproduit pourtant de temps en temps pour des musiques qui correspondent exactement à ce que j’ai envie d’écouter au moment où je l’écoute. Sur le morceau Violence, on retrouve l’ambiance éthérée assez caractéristique du chant de Grimes. Les sons électroniques tout d’abord assez sourds voire industriels, montent assez rapidement en rythme. La voix de Grimes se fait également de plus en plus claire au fur et à mesure que le son monte jusqu’aux répétitions électroniques de la fin du morceau. J’aime toujours ces répétitions quand elles donnent l’impression d’un décrochage involontaire des machines, quand les AI toutes puissantes ne fonctionnaient plus comme prévu (pour reprendre un thème de son morceau précédent). La vidéo est également superbe surtout quand elle se concentre sur le visage de Grimes car on a du mal à deviner si son sourire est angélique ou au contraire diabolique. Cette dualité est intéressante, tout comme la chorégraphie assez saccadée par moment. D’après Pitchfork, on n’est pas sûr que ce morceau soit présent sur l’album. Moi, j’espère que tout l’album sera dans ce style là.

藝祭2019

C’est la fin de l’été et on entre tranquillement dans le mois de septembre. A ce moment chaque année, les matsuri de quartier envahissent les rues de Tokyo et d’ailleurs. Celui que nous allons voir ce dimanche est un peu différent car il s’agit du matsuri de l’école des Beaux Arts de Tokyo (Geidai), où Mari a étudié quand elle était plus jeune. Nous allons tous les ans à cette fête de l’école appelée Geisai qui se déroule sur trois jours du vendredi au dimanche. Nous y faisons toujours une visite rapide car il nous faut ensuite aller faire un tour au matsuri du sanctuaire Hikawa qui se déroule la plupart des années le même week-end. Ce n’est pas le cas cette année car le matsuri de Hikawa se déroule une semaine après celui de l’école des Beaux Arts. Cela ne nous a pas vraiment donné plus temps car un grand typhon, le numéro 15, arrivait tout droit sur Tokyo le jour de notre visite. On attendait d’abord ce typhon en début d’après-midi, mais il n’arrivera finalement que tard le soir. Une bourrasque de vent et de pluie nous a quand même surpris pendant notre visite, alors que nous étions à l’extérieur. La masse de visiteurs s’est à ce moment regroupée à l’intérieur des immeubles de béton de l’école. Nous en profitons comme tous les ans pour passer en revue les œuvres étudiantes du département de peinture à l’huile et de nihonga. J’y trouve toujours des belles choses inspirantes, mais aussi beaucoup d’œuvres naissantes qui se cherchent et qui n’ont pas encore grand intérêt. En plus des peintures sur les murs, j’aime observer discrètement et sans photographies les jeunes artistes eux-mêmes. Dans une salle blanche, un jeune homme aux cheveux bouclés blonds couvert d’un manteau en mouton tout aussi bouclé semble être hypnotisé par son œuvre. Dans un couloir du même étage, une jeune fille gothique a une étrange coiffure dont la mèche, coincée sous un bonnet, dépasse pour lui couvrir presque tout le visage. On se demande comment elle peut voir devant elle, mais elle a l’air de maîtriser ses mouvements. On voit parfois dans les couloirs de l’école des personnages singuliers. Le but de notre visite en ce dimanche matin, avant que le typhon ne vienne frapper le centre de Tokyo, était de voir les quatre chars mikoshi créés par les étudiants à l’occasion de ce matsuri. Ils sont en général inspirés de personnages imaginaires ou d’animaux mythiques, qu’on a parfois du mal à reconnaître. Un des chars est disposé à l’intérieur de l’école tandis que les autres sont mis en exposition près de la gare de Ueno, comme l’année dernière. Nous ne les avons jamais vu en mouvement car la parade avait lieu le vendredi. Alors que nous sortons de l’école pour regagner le parc de Ueno, nous tombons sur un autre mikoshi qui retourne prématurément, avant le typhon, vers l’intérieur de l’école. C’est un cheval couvert de fleurs géantes, très bien exécuté. Nous verrons malheureusement pas les deux autres mikoshi. A ce moment là, l’arrivée du typhon ne montrait aucun signe, à part des grandes montagnes de nuages. Depuis le huitième étage du building du département de peinture, la vue sur l’enceinte très verdoyante de l’école, avec la tour Tokyo Sky Tree en fond de tableau, est d’ailleurs vraiment superbe. Nous regagnons ensuite l’appartement en milieu d’après-midi, allons ensuite à la piscine car le typhon se fait attendre. Alors que je pensais qu’il frapperait de plein fouet Tokyo dans la soirée du dimanche, l’oeil du typhon sera en fait au dessus de Tokyo à 3h du matin. Les vents seront forts jusqu’au matin vers 6h. De nombreuses lignes de trains sont fermées jusqu’à 8h ou plus pour effectuer des vérifications. Le métro n’est par contre pas vraiment affecté. En me levant tôt, je n’ai pas de problème de transport. Ce n’est pas le cas pour tous. J’ai le sentiment que l’intensité des typhons touchant le Japon augmente d’années en années. Le lendemain, après que le ciel se dégage enfin, le thermomètre affiche 36 degrés, des températures inhabituellement hautes pour un mois de septembre.