We walk, we won’t stop

Une fois n’est pas coutume, je prends des gens en photo. Ils s’échappent certes, marchent et ne s’arrêtent pas. On me fait parfois la remarque que mes photos sont souvent vide de personnes, comme si je prenais soin d’attendre que les scènes de rues se désertent avant de prendre mes photos. Ce n’est assez clairement pas mon style ou mon premier centre d’intérêt de faire des photos d’inconnus dans la rue, mais je me fais parfois le reproche à moi-même de ne pas tenter un peu plus le coup. Je ne suis pas dans mon élément et à mon aise pour prendre des photos candides et le choix que j’ai fait d’utiliser en presque exclusivité sur toutes mes photos un objectif 20mm, grand angle donc, ne favorise de toute façon pas cette approche. Le 20mm demande une approche intrusive. Un 50mm serait peut être plus adapté pour prendre ce type de photos de temps en temps, depuis le temps que je pense en acquérir un. Ce Sigma 20mm, c’est un peu comme le style du blog, j’ai beaucoup de mal à en changer. Vu les milliers de photos que j’ai pris avec, il est grandement amorti.

Ci-dessus, deux photos de Jasper James dans sa série People and Places 2, prises à Pékin. J’avoue que j’ai un peu de mal à comprendre s’il s’agit de montages ou de véritable réflexion sur les vitres d’immeubles, mais l’effet est extrêmement réussi. L’humain devient un filtre qui nous permet de mieux apercevoir et comprendre la structure de la ville. Il agit comme un révélateur du paysage urbain. Les habitants en réflexion ici deviennent des guides nous ouvrant les portes d’une ville dense.

A gauche une photo de Shimooka Renjô datant de 1870 pour une carte de visite, à droite une photo de Daido Moriyama d’un poster déchiré à Nakano (1990-2003). J’ai découvert il y a de cela quelques temps, un article disponible en ligne de Etudes photographiques, revue semestrielle publiée par la Société française de photographie, retraçant les débuts de la photographie au Japon à travers la mise en place des premiers ateliers de photographie japonais de 1859 à 1872. L’article est très intéressant avec de nombreuses photos d’époque. Faisons un saut dans le temps, plus de 100 ans plus tard, la photographie japonaise s’exposait à Paris en 2008, « Spotlight on Japan ». LensCulture propose en ligne un long essai de Mariko Takeuchi, conservatrice invitée pour cet évènement. Cet article donne de bons pointeurs sur la photographie contemporaine japonaise. Le site Japan-Photo.info, blog photographique offrant une vue sur la photographie japonaise depuis l’étranger, propose également une interview en 2 parties de Mariko Takeuchi: Partie 1 et Partie 2. J’ai envie en ce moment de nourrir ma culture photographique, ça me prend de temps en temps. Je me suis même procuré un grand classique, Les Américains de Robert Franck, une édition récente bien entendu.

Speaker et altérations urbaines

Cette bouche d’aération d’un bâtiment administratif à Shibuya me fait penser à un haut parleur. Je prends assez peu de photos en ce moment. Peu d’occasions se sont présentées au mois de juin, ainsi qu’une petite perte récurrente de motivation. La saison des pluies qui bat son plein n’arrange rien, bien que l’année dernière, j’avais bien profité de cette saison pour prendre des photos pendant les périodes d’accalmies. C’est en général pendant ces périodes là que je me remets à réfléchir au style de mes photos en me posant des questions: faire de la straight photography comme la grande majorité des photographes amateurs de la blogosphère japon, ou continuer les travaux de montages et compositions photographiques qui construisent un peu plus certainement mon identité. Au final, la réflexion est toujours un peu vaine et je continue mon sillon sans changements majeures. Quand même, j’ai dans l’idée dernièrement de construire des entités, des groupes de quelques photos agencées pour former une entité. Je m’étais essayé avec la petite série Polaris.

En parlant de montages photographiques, on trouve parfois par hasard sur internet des merveilles. Le travail de composition du photographe belge Filip Dujardin est vraiment impressionnant. Il invente des nouveaux visages urbains en créant des buildings improbables, défiant parfois la gravité. Il juxtapose des surfaces et éléments de buildings pour créer des structures complexes, difficiles à comprendre. J’aime beaucoup ce travail d’altération du paysage urbain. Je le pratique aussi à ma façon, sans pour autant atteindre ce résultat. On se prend parfois à rêver que ces bâtiments existent pour le plaisir du photographe.

On reste dans l’irréel avec l’artiste Nicolas Moulin, tout en se déplaçant à Paris, un Paris sans signe de vie, déserté où le rez de chaussée et premier étage des immeubles sont fermés par des plaques de béton. Nicolas Moulin vide la ville et donne à voir un paysage urbain angoissant. On s’interroge également en regardant ces images, on se demande ce qui a pu se produire dans ces lieux, pourquoi tous ces bâtiments ont ils perdus leur fonctions. Est ce que Paris s’est transformée de ville musée en musée-ville? Est ce que l’on prépare la ville à une course automobile intra-muros? Cette série de photographies retouchées sur ordinateur est disponible dans un recueil intitulé Vider Paris. En transposant à Tokyo, on peut penser aux photographies de Masataka Nakano sur le fameux Tokyo Nobody. Sauf que sur ce dernier, la légende dit qu’il n’y a pas de retouches par ordinateur.

Toujours par le même artiste, je découvre d’autres créations encore plus radicales, comme ces formes de bunkers se jetant dans la mer et en extension d’un paysage naturel. Il construit également en images des structures industrielles impossibles. Tout comme les images de Paris, ces constructions sont inquiétantes et fascinantes. Son dossier en pdf nous donne un tour d’horizon de ses créations. Pour revenir aux blocs de béton disproportionnés de ces montages, j’avais cette même envie d’altération de la ville et du paysage en commençant ma modeste série d’immeubles disproportionnés. Mais, j’avoue être vraiment impressionné par la force qui se dégage de ces blocs de béton.

Black lines on concrete and magnificent black

Les faces cachées des buildings, quand elles se révèlent parfois, quand les immeubles adjacents disparaissent. J’écris qu’il s’agit de lignes noires pour les tuyaux parallèles sur la façade de béton, mais il s’agit en fait d’une tuyauterie bleutée. La rambarde sur la terrasse est, elle, de couleur rouge vive. J’avais déjà utilisé cet immeuble pour une composition urbano-végétale en 2007. Ces tuyaux comme des veines irriguent le bloc de béton et le fait vivre.

Sans complexe, je vais passer ci-dessous à une oeuvre photographique. Je n’instaure pas de hiérarchie dans mes billets, c’est à dire que j’aime de temps en temps présenter ce que j’aime sans vraiment me soucier de la notoriété de l’auteur (dont je ne suis pas toujours conscient parfois). J’avais été surpris par une remarque alors que j’avais juxtaposé une photo prise par un blogger et une photographie de photographe reconnu. Le blogger était surpris d’être associé, par proximité, à cet autre photographe. C’était il y quelques années mais j’ai toujours gardé cette remarque en tête. De la même façon, je ne m’impose pas de contraintes à montrer sur un même billet, une de mes photos suivie de celles d’un livre photographique magnifique. Sans pour autant essayer d’établir une comparaison, bien entendu.

La première fois, j’étais intrigué lorsque j’ai aperçu et feuilleté ce livre La deuxième fois, la fascination a commencé à prendre et le désir de l’acheter s’est fait irrésistible il y a quelques jours dans une librairie de Roppongi (Aoyama Book center pour ne pas nommer).

Dazaifu Tenmangu est un sanctaire paisible près de Fukuoka. Il fut construit en l’an 905 en mémoire de Michizane Sugawara, un homme de lettres et officiel de haut rang de l’Empereur à l’époque Heian, en exile à Dazaifu. Le sanctuaire possède un musée d’objets anciens et une petite galerie à l’intérieur. La volonté du jeune prêtre shintô du sanctuaire, Nobuhiro Nishitakatsuji, de conjuguer présent et passé l’a conduit à mettre un place un programme d’art contemporain dans cette petite galerie. Il commissionna ainsi la photographe Maiko Haruki. Elle passa 2 semaines dans le sanctuaire et ses environs boisées à prendre une série de photos présentées ensuite dans la galerie sous le nom Unify. C’était en 2007. Cette série de photographies est disponible depuis quelques années dans un recueil, Dazaifu, distribué par la galerie Taro Nasu. Maiko Haruki recevra des mains de l’architecte Toyo Ito le prix du jury au Mori Art Museum de Roppongi, lors de l’exposition collective Roppongi Crossing 2007. En guise de préface, Toyo Ito écrit:

白い闇、黒い闇、春木麻衣子の闇は世界を柔らかく包んで溶かし去る、甘美で深い闇。。。

J’avoue que c’est difficile à traduire mais Toyo Ito nous parle de la représentation de l’obscurité que nous donne Maiko Haruki, une obscurité claire et sombre, qui fait fondre le monde dans une douce enveloppe, une obscurité profonde et douce.

Il se dégage des photographies de ce recueil une beauté indéfinissable et une grande poésie. Il se compose de plusieurs parties, autour du sanctuaire principal Honden, dans les espaces boisés et rocailleux aux alentours ou encore lors de processions. Toutes les photos s’articulent autour de surfaces sombres voire complètement noires, parfois inquiétantes mais toujours à la fois puissantes et fragiles, une ligne floue faisant la séparation entre ces surfaces sombres et celles claires d’un ciel bleuté nuageux. Cette ligne floue et fondante, l’enveloppe, attire l’oeil en premier lieu. On s’aventure ensuite dans les surfaces sombres. Ces surfaces noires et profondes sont réellement fascinantes et apparaissent sur beaucoup de photos comme des masses omniprésentes qui couvrent pratiquement tout l’espace mais laissent parfois un peu de place à des détails fragiles: des branchages qui s’échappent, des détails et motifs du sanctuaire, une présence humaine dont on devine les corps.

Sur un thème différent, mais également basé sur un concept unique fort, je rapproche Dazaifu d’un autre livre de photographies qui m’a aussi beaucoup touché, Nami de Syoin Kajii, moine bouddhiste et photographe sur l’île de Sadogashima.

No Man’s Land

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En novembre 2009, l’Ambassade de France a déménagé dans de nouveaux locaux juste à côté des anciens, pris d’assaut volontaire par 70 artistes français et japonais le temps de quelques semaines avant destruction. Cette exposition s’intitule No Man’s Land et se déroulait jusqu’au 18 Février. Nous y sommes allés le dernier dimanche avec une grande curiosité, celle de voir de quelle façon un bâtiment que j’y pu visiter maintes fois pour des procédures consulaires (refaire son passeport et certificat de mariage entre autres) a pu être trituré. Les artistes invités, confirmés ou universitaires, ont envahis chaque espace: des façades à l’extérieur, aux bureaux en passant par les couloirs, halls, voiture de fonction… C’est d’ailleurs assez amusant de découvrir l’ambassade de cette façon, repeinte, sans dessus-dessous parfois. Certains artistes revoient le thème du bureau à leur façon (peinture intégrale gris-argent, bureau vide et mobiliers passés par la fenêtre, …), d’autres s’amusent de clichés culturels japonais ou français: des personnages de manga et de jeux video (Mario), des figures convenues de la culture japonaise ou française (sumo, geisha, cycliste …). La série de photos No Man’s Land se trouvent ci-dessous.