FRUiTS, Sweet Heart & Kabuki

Ces photographies des grands magasins HARAKADO et LaForet sont en fait antérieures à celles montrées dans mon billet intitulé FRUiTS, Stripes & Burn. J’étais passé devant et n’étais pas entré à l’intérieur faute de temps. Je marchais en direction de Shinjuku pour aller voir une exposition dans la galerie de Tokyo Opera City. En voyant les photographies du magazine FRUiTS que l’on voit sur la devanture du LaForet qui montrait des styles vestimentaires parfois très décalés, je me remémore soudainement l’extravagance du Visual Kei qu’on pouvait parfois observer dans les rues de ces quartiers là. Me reviennent maintenant en tête les images d’un groupe d’appartenance Visual Kei (V系) nommé SHAZNA et en particulier son chanteur prenant le nom d’IZAM. Je n’écoutais pas la musique du groupe à l’époque, à la toute fin des années 1990, mais j’ai un souvenir assez net d’IZAM pour son apparence androgyne voire féminine très prononcée. À mon arrivée à Tokyo, je regardais volontiers les émissions musicales du soir, comme Hey! Hey! Hey! Music Champ sur Fuji TV, Utaban (うたばん) sur TBS ou Music Station (Mステ) sur TV Asahi, car c’était les seules que j’arrivais à peu près à comprendre, mon japonais étant plus que rudimentaire. Pendant les premiers mois de l’année 1999, je regardais aussi les émissions du matin mélangeant news et divertissement, mais je me tournais plutôt vers celles de la deuxième catégorie pour me réveiller en douceur. IZAM passait à l’époque tous les matins dans une émission intitulée saku saku MORNING CALL (サクサク モーニングコール) sur la chaîne TVK, qui doit être une chaîne de Kanagawa que l’on reçoit tout de même à Tokyo. Il faisait suite à Puffy comme présentateur principal de l’émission du mois d’Avril à Décembre 1999. Son personnage m’intriguait mais je regardais cette émission que d’un oeil distrait sur la petite télévision cathodique noire posée devant mon lit, pendant que je me préparais.

J’ai quelques souvenirs des morceaux qu’IZAM chantait avec son groupe, mais celui que j’aime écouter en ce moment s’intitule Sweet Heart Memory, sorti en Janvier 1998. Ce groupe me revient en tête maintenant car il a repris ses activités récemment. En l’écoutant, le morceau Sweet Heart Memory me donne une nostalgie certaine de mes premières années à Tokyo. J’écoutais beaucoup l’album Heart de L’Arc~en~Ciel sorti cette même année 1998. On y retrouve le même romantisme attaché au Visual Kei. Le single Loreley de cet album a une beauté saisissante. Il faut bien sûr adhérer au style de chant très maniéré de Hyde. Le morceau que je préfère du groupe reste Ibara no Namida (いばらの涙) sorti sur l’album suivant Ark sorti en 1999, qui est assez sublime de bout en bout avec notamment un solo de guitare inspiré comme on en fait peu maintenant dans la musique rock. La fiche Wikipedia décrivant le style Visual Kei mentionne une influence du théâtre Kabuki. Ça ne m’était pas venu à l’idée, mais c’est vrai qu’on y retrouve une même utilisation démesurée du maquillage, un port de vêtements élaborés et flamboyants, et cette même représentation féminine par des hommes.

Je n’avais pas encore mentionné sur ce blog l’exposition de l’illustrateur Uno Aquirax que j’ai été voir à la galerie d’art de Tokyo Opera City le même jour que l’exposition de Junji Itō (qui remonte quand même au 27 Avril 2024). Je connaissais Uno Aquirax pour certaines de ses illustrations sur l’album Razzle Dazzle de Buck-Tick sorti en Octobre 2010 et sur l’album compilation de collaborations diverses Ukina (浮き名) et l’album de morceaux choisis en live Mitsugetsushō (蜜月抄) de Sheena Ringo, tous les deux sortis en 2013. Les deux illustrations ci-dessus sont les dessins originaux de Mitsugetsushō (à gauche) et Ukina (à droite) avant leurs versions colorées utilisées sur ces deux albums. Uno Aquirax, de son vrai nom Akira Uno (宇野亜喜良) est un illustrateur, artiste graphiste et peintre, né en 1934 et ayant fait partie dans les années 1960-70 de la scène artistique underground japonaise aux côtés de Shūji Terayama avec qui il a plusieurs fois collaboré. Son style est immédiatement reconnaissable, composé en grande partie de portraits fantaisistes de femmes aux formes sensuelles mélangeant souvent les couleurs vives aux traits en noir et blanc. L’exposition montre un grand nombre d’affiches, posées pour certaines d’entre elles sur un des immenses murs des salles de la galerie. Parmi ces affiches, je suis surpris de voir celle de la pièce de théâtre kabuki Sannin Kichisa (三人吉三). Sheena Ringo avait écrit les musiques de cette pièces, en particulier le superbe morceau Tamatebako (玉手箱) datant de 2007 dont j’ai déjà parlé. Les liens entre Uno et Ringo semblent donc assez nombreux.

FRUiTS, Stripes & Burn

Je suis enfin aller voir de plus près le nouvel immeuble Tokyu Plaza HARAKADO (ハラカド) conçu par Akihisa Hirata (平田晃久) au croisement d’Harajuku. Je suis passé plusieurs fois devant en le prenant en photo en pleine construction. Il fait face à l’existant Tokyu Plaza OMOKADO (オモカド) par l’architecte Hiroshi Nakamura & NAP (中村拓志), qui est situé à l’exact opposé dans la diagonale du croisement. Les buildings se font en quelque sorte écho car on retrouve des éléments similaires entre ces deux bâtiments commerciaux pourtant conçus par des architectes différents, notamment les plaques de vitrages à angles variés et les jardins posés sur les hauteurs. Celui du nouveau HARAKADO est particulièrement développé, occupant plusieurs étages. S’y promener est très agréable car on a une vue très dégagée sur le carrefour et sur le Building OMOKADO de l’autre côté. Depuis un des balcons d’HARAKADO, certaines personnes faisaient même des grands gestes pour attirer l’attention des gens en face. Les gens se répondaient entre eux par des grands signes de mains. J’ai fait un tour rapide de l’intérieur du nouveau building mais il faudra que j’y reviennes plus tard. Je préférais en fait monter jusqu’au jardin du toit du building OMOKADO pour avoir une vue d’ensemble d’HARAKADO. On a vraiment l’impression que le jardin est creusé dans le building qui ressemble par ses formes irrégulières à une sorte de gros nuage.

Je voulais également voir l’exposition dédiée au magazine FRUiTS qui était consacré à la mode d’Harajuku de la toute fin des années 1990 et du tout début des années 2000. Ce magazine a été fondé par Shoichi Aoki, photographe de la mode urbaine de ce quartier (entre autres certainement) depuis 1985. Le magazine existe toujours maintenant mais a clairement connu son heure de gloire au début des années 2000. Il fait encore maintenant figure de précurseur influençant les jeunes générations. Depuis, d’autres publications digitales se sont consacrées à la mode d’avant-garde d’Harajuku comme l’excellent compte Instagram Tokyo Fashion, qui prend des photographies de jeunes tokyoïtes, souvent étudiants dans le domaine de la mode, le long de la grande avenue d’Omotesando. Je n’ai jamais acheté ni consulté la version papier du magazine FRUiTS, mais je suis depuis longtemps le compte Instagram du magazine montrant de très nombreuses photos d’archives de la jeunesse de l’époque. Ces photographies me parlent beaucoup car j’avais tout juste 20 ans à cette époque et j’ai de très bon souvenir de la population et des modes vestimentaires parfois très étonnantes qu’on pouvait voir à l’époque. Je revois donc ces photographies avec une bonne dose de nostalgie, mélangée à l’étonnement qui ne m’a jamais quitté. Cette mode Y2K n’a pas complètement disparue car on en retrouve certains éléments chez la jeunesse actuelle. Le Departement Store LaForet situé près du carrefour d’Harajuku présentait donc l’exposition FRUiTS ARCHIVE EXHIBITION 1997-2003+2024 du 27 Avril au 12 Mai 2024. Des photographies étaient montrées à différents endroits du Departement Store, mais je ne me sentais pas particulièrement à l’aise pour parcourir le bâtiment de fond en comble. A vrai dire, ça fait bien 20 ans que je ne suis pas entré à l’intérieur du LaForet Harajuku et la moyenne d’âge de la clientèle doit tourner au dessous des 20 ans. Un petit espace vendait des magazines d’archives et en montrait un très grand nombre sur un long stand. J’ai cherché celui avec Kyary Pamyu Pamyu en couverture, alors qu’elle était figure d’Harajuku mais pas encore chanteuse, mais je ne l’ai malheureusement pas trouvé. J’aurais certainement acheté ce numéro s’il avait été en vente.

Je voulais également revoir les portraits à rayures de Shigeki Matsuyama (松山しげき) qui étaient montrés dans la petite galerie LOVUS au sous-sol du magasin The SHEL’TTER du Tokyu Plaza OMOKADO. Cette exposition intitulée Portaits IV se déroulant du 30 Avril au 6 Mai 2024 montrait moins d’une dizaine de portraits mais l’espace de la galerie avait également la particularité d’être recouvert des mêmes motifs hachurés que les portraits. Le visiteur entrait donc en immersion quasi complète dans l’oeuvre de Shigeki Matsuyama. J’avais déjà vu deux fois l’année dernière des œuvres de cet artiste, à la galerie d’art Foam Contemporary liée au magasin Tsutaya de Ginza6 et à la galerie Night Out. Les yeux ultra réalistes de ces portraits conceptuels m’impressionnent toujours autant et l’envie de les revoir m’est à chaque fois irrésistible.

DAOKO vient de sortir son cinquième album le 22 Mai 2024, et je suis allé l’acheter dès le soir du jour d’avant au Tower Records de Shibuya, en mode Flying Get (フラゲ). J’étais très pressé d’écouter ce nouvel album intitulé Slash-&-Burn car j’adore le single déjà sorti Tenshi ga ita yo (天使がいたよ), dont j’ai déjà parlé sur ce blog et qui est un de ses meilleurs morceaux. Je voulais également écouter au plus vite cet album en préparation de son concert du 14 Juin 2024 dans la salle WWW X de Shibuya. Du nouvel album, je connaissais également le single Abōn (あぼーん), sorti l’année dernière, en Avril 2023, et dont j’avais également déjà parlé. DAOKO compose la grande majorité des morceaux et écrit ses paroles, mais fait appel à plusieurs arrangeurs différents, comme Hideya Kojima (pour Tenshi ga ita yo), DJ6月 (pour Abōn), entre autres. Nariaki Obukuro intervient sur le deuxième morceau intitulé FTS qui compte également dans les meilleurs morceaux de l’album mais demande plusieurs écoutes avant de vraiment se révéler. Je trouve que l’album est assez irrégulier car on y trouve des moments de pure pop comme NovemberWeddingDay qui est immédiatement très efficace et d’autres avec une approche beaucoup indie comme ONNA ou l’excellent Kō×2 + Uso×2 (好×2 + 嘘×2) qui compte parmi les morceaux que je préfère. Certains morceaux m’intéressent moins comme Sute chatte ne (捨てちゃってね), car je trouve l’ambiance un peu « gentillette ». Sur tous les albums de DAOKO que j’ai pu écouter jusqu’à maintenant, il y a toujours un morceau qui me convient moins. Mais ce que j’aime par-dessus tout chez DAOKO, ce sont les moments de transcendance comme sur le dernier morceau Akame no Biru (赤目のビル) qui est sublime, ou encore le troisième morceau SLUMP arrangé par GuruConnect. J’aime beaucoup la manière dont elle peut modifier sa voix sur certains morceaux, et par la même occasion de registre. Je trouve que c’est un point commun avec Sheena Ringo, sauf que c’est quasiment théâtral chez Ringo et c’est beaucoup plus feutré voire chuchoté chez DAOKO. Son phrasé est souvent très rapide. J’ai un peu de mal à classer sa musique dans le hip-hop mais elle rappe quand même souvent (et le Disk Union de Shimokitazawa la classe dans les rayons hip-hop). J’ai également un peu de mal à imaginer quel type de concert elle va jouer le mois prochain car ça sera à priori une formation plutôt rock avec batterie et guitare qui l’accompagnera. Il y aura forcément des claviers ou autres instruments électroniques, car c’est quand même une partie importante de son style musical. En fait, les morceaux de cet album sont un mélange, une sorte de melting-pot de styles, mais au final, on reconnaît immédiatement le style DAOKO. Elle a appelé cet album Slash & Burn pour exprimer le fait qu’elle faisait table-rase pour redémarrer de zéro. Je trouve cependant que l’approche musicale et stylistique n’est pas très éloignée de son album précédent Anima. Je découvre en même temps l’album Anima sorti en 2020, qui était en quelques sortes un retour vers la musique indé après les quelques énormes succès de sa carrière, notamment avec Kenshi Yonezu. Je ne pense pas que Slash & Burn contienne ce genre de méga-hit mainstream, mais peu importe, plus je l’écoute, plus j’ai envie de le réécouter. Mon autre petite crainte pour le concert de DAOKO est de voir quel genre de public viendra la voir. Par rapport à Tricot ou à AAAMYYY, j’ai un peu de mal à imaginer quel peut être son public type. Bon, et côté sélection musicale pour le concert, si elle est en mesure d’entendre ce que j’écris, je voudrais bien qu’elle interprète Tenshi ga ita yo (天使がいたよ), Akame no Biru (赤目のビル), Kō×2 + Uso×2 (好×2 + 嘘×2), SLUMP de son dernier album (à priori ça devrait le faire), MAD du MAD EP avec Yohji Igarashi, Anima, Achilles tendon (アキレス腱), Otogi no Machi (御伽の街) et Kaeritai! (帰りたい!) sur l’album Anima, Nice Trip sur l’album Shiteki Ryokō (私的旅行), Onaji Yoru (同じ夜) et ShibuyaK de l’album Thank You Blue, et Suisei (水星) de son album DAOKO. On verra dans quelques semaines si tout va bien.

monsters deep inside

Le dimanche 5 Mai vers 9h30 du matin, je prends le train de la ligne Yamanote en direction de Kanda. Ma destination est Sotokanda (外神田) à quelques centaines de mètres de la station d’Akihabara se trouvant de l’autre côté de la grande avenue Chuo-Dori (中央通り). Je ne connais pas l’emplacement exact mais un événement doit s’y dérouler à 11h. Ayant largement assez de temps devant moi, je me décide à quitter la ligne Yamanote au niveau de la gare de Tokyo en sautant du train (au sens figuré), pour continuer ensuite à pieds jusqu’à Sotokanda. Je suis en fait descendu à la gare de Tokyo car j’avais également dans l’idée d’aller voir dans un des immeubles de Marunouchi une petite exposition qui se terminera dans les deux prochains jours. C’est une matinée qui s’annonce chargée mais j’aime particulièrement marcher dans Tokyo avec un ou plusieurs objectifs précis en tête. Je n’ai pas parcouru les rues de la gare de Tokyo jusqu’à Akihabara depuis longtemps et je choisis volontairement un chemin que je n’ai pas encore emprunté. On quitte d’abord rapidement les hauts immeubles de Marunouchi pour pénétrer à l’intérieur de Kanda après avoir traversé une passerelle piétonne prise en sandwich entre deux portions d’autoroutes. Après avoir traversé cette passerelle, j’aperçois la station service ENEOS de Nihonbashi Hongokucho (日本橋本石町) qui a la particularité d’avoir d’étranges panneaux solaires accrochés à une structure de tubes en acier. La structure semble précaire et provisoire mais je pense qu’elle au contraire là depuis longtemps. Je l’ai en fait déjà aperçu, très certainement en prenant le train dont la voie surélevée passe juste à côté. Sur la même rue, mon regard s’accroche à un bâtiment jaune de quelques étages. Il s’agit d’un établissement scolaire Benesse (ベネッセ 学童クラブ内神田) conçu par Taisei Design. L’aspect ludique de la façade avec des hublots de tailles variées est bien adapté pour un centre d’éducation pour enfants. Je rentre ensuite dans le quartier d’Akihabara en traversant la rivière Kanda par le pont Shohei (昌平橋). Je ne peux m’empêcher de prendre en photo un des trains de la ligne Sobu filant vers la station d’Ochanomizu. Ce point de vue est particulièrement photogénique car la ligne de train vient traverser la rivière Kanda sur un pont métallique qui semble bien léger. On sait qu’on approche d’Akihabara lorsqu’on aperçoit des voitures de sport Itasha (痛車) dessinées de personnages de manga. Les panneaux publicitaires de manga, jeux vidéos et autres maid café se font denses et bruyants dans les rues centrales d’Akihabara. Avant de rejoindre les rues de Sotokanda, je me rends compte que l’évènement que je devais y voir a changé de lieu et d’heure. Je ne suis pas venu pour rien car la promenade urbaine était agréable. Je n’ai par contre pas manqué l’exposition que je voulais absolument voir à Marunouchi.

La grande librairie Maruzen installée à plusieurs étages de l’immeuble Oazo de Marunouchi propose régulièrement des expositions intéressantes. J’y ai déjà vu les illustrations de Nakaki Pantz et j’ai manqué de peu celles de Takato Yamamoto. Cette fois-ci, on y montrait des illustrations de Zashiki Warashi (ざしきわらし), qui est un illustrateur né en 1987 à Fukuoka. Zashiki Warashi a fait un grand nombre d’expositions solo et travaille régulièrement sur des commissions. On sait peu de choses sur cet illustrateur et c’est d’ailleurs à peu près tout ce que j’ai pu découvrir à son sujet. Je ne suis même pas certain de savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Le nom utilisé par l’artiste ne m’aide pas beaucoup dans mes recherches car zashiki warashi (座敷童) fait plutôt référence à un type de créature surnaturelle japonaise, dite yōkai, qui est un esprit de la maison. On dit que l’arrivée d’un zashiki warashi dans une maison apporterait la bonne fortune tandis que son départ serait synonyme de déclin. L’exposition d’illustrations de Zashiki Warashi avait une durée assez courte, ne se déroulant que sur quelques jours jusqu’au 7 Mai 2024. Ses illustrations sont très pop colorées se composant de portraits de jeunes filles qui pourraient sortir d’un shōjo manga (少女漫画). Le détail qui m’intéresse beaucoup dans ses portraits, outre les expressions charmantes des protagonistes, est l’emploi d’objets technologiques futuristes proches du cyberpunk. Chaque personnage porte un ou plusieurs objets atypiques, ressemblant parfois à des casques audio ou autres protections. En voyant ces jeunes filles dessinées, je ne peux m’empêcher de penser qu’elles pourraient très bien être les petites sœurs de Kaneda dans le manga Akira. On y retrouve ce même attrait du cyberpunk, des couleurs vives (le rouge bien sûr pour Kaneda) et un certain esprit effronté qui transparaît dans les expressions de ces visages. L’exposition prenait pour titre Dandelion qui est également le titre du nouveau livre d’illustrations de Zashiki Warashi que j’ai bien sûr acheté. Avec toutes les couleurs de Dandelion dans mon sac, je reprends la route pour le nouveau point de rendez-vous de l’événement que j’étais venu voir.

Et musicalement parlant, je reviens vers le groupe rock alternatif à tendance math rock, Cö Shu Nie, avec leur premier album intitulé Pure, sorti en Décembre 2019 après une série de mini-albums sur labels indépendants. Je tombe tout à fait par hasard sur cet album dans les rayons du Disk Union de Shimo-Kitazawa et je n’hésite pas longtemps à m’en emparer. De cet album, je connaissais en fait déjà deux morceaux, asphyxia et Zettai Zetsumei (絶体絶命), qui sont deux des singles de l’album. J’en avais déjà parlé dans un précédent billet. Le morceau asphyxia est aussi beau qu’imprévisible et l’imprévisibilité qualifie très bien l’ensemble de cet album. Le troisième single de l’album, Bullet, en est un autre bon exemple même si je ne le trouve pas aussi bon que les deux autres singles. Il faut avoir une oreille attentive et ne pas être trop fatiguée pour apprécier cet album, car ça virevolte dans tous les sens, avec une dextérité qui parait aux premiers abords un peu déconcertante. Les sons incorporants guitares et claviers sont denses et compliqués. J’ai le sentiment que chaque écoute fait travailler mon cerveau pour le faire aller dans des endroits qu’il n’avait pas encore exploré. Un morceau comme le quatrième, scapegoat, peut d’abord paraitre excessif pour ces accords déséquilibrés mais devient après plusieurs écoutes un des plus intéressants de l’album. Les percussions de Ryōsuke Fujita (藤田亮介) y sont très présentes. Ce batteur ne sera présent dans le groupe que de 2018 à 2021, et Cö Shu Nie fonctionne actuellement avec deux membres permanents, à savoir Miku Nakamura (中村未来) au chant, guitare, claviers et Shunsuke Matsumoto (松本駿介) à la guitare basse. J’aime beaucoup la voix de Miku qui lui autorise des tonalités très variées. J’aime aussi beaucoup quand le groupe se pose un peu avec des morceaux plus lents comme iB, inertia ou gray qui conclut brillamment l’album. Dans l’ensemble, l’album démarre très puissamment et décélère progressivement jusqu’au final, avec au centre de l’album, un morceau au refrain assez étrange intitulé Psycho Pool ≒ Lego Pool (サイコプール≒レゴプール). Pure est assez unique, possédant une élégance et une interprétation de la beauté toute particulière. Il faut écouter avant tout le morceau asphyxia pour savoir si on peut accrocher à la musique de Cö Shu Nie, car il s’agit du morceau le plus beau et le plus inspiré que je connaisse du groupe. A vrai dire, j’ai un peu de mal à comprendre comment on peut avoir l’idée de composer un morceau aussi distordu et déséquilibré, qui atteint pourtant une beauté à la fois pure, monstrueuse et transcendante. Le CD de l’album contenait à l’intérieur un mediator de guitare marqué du nom du groupe. Est ce qu’on me suggérait de manière subliminale de racheter une guitare (même si je ne sais jouer aucuns airs connus)?

feeling toooo lazy

C’est peut être l’effet Golden Week, mais je me sens paresseux pour écrire de nouveaux billets sur ce blog, même si les photographies à montrer ne manquent pas, car nous sommes allés à différents endroits ces dernières semaines. J’ai en fait tellement de billets en brouillon en attente d’écriture que je ne sais pas par lequel commencer. Ces billets ont déjà des photos allouées et un titre provisoire mais il me reste les textes à écrire pour une douzaine d’entre eux, dont celui-ci. Nous sommes actuellement entrés dans une des deux meilleures périodes de l’année au Japon et l’envie de prendre des photos est très forte. Celles de ce billet sont relativement classiques, prises à Daikanyama, Ebisu et Shibuya. Sur l’avant-dernière photographie, je montre une nouvelle fois mais en contre-plongée l’unité d’appartements haut de gamme conçue par Toyo Ito à Shibuya Tokiwamatsu. J’ai également déjà montré le bâtiment rond couvert de bois de la première photographie. On y trouve actuellement un café et une galerie appelés Monkey Café & Gallery D.K.Y. Ce bâtiment a été conçu par Hiroshi Nakamura (中村拓志) & NAP et se nomme Sarugaku Cyclone. Les plaquettes de bois du haut du bâtiment subissent malheureusement l’usure du temps et ont perdu de leur fraîcheur d’origine. On peut voir un phénomène similaire sur certains bâtiments de Kengo Kuma, qui ne vieillissent pas très bien par rapport, par exemple, au béton de Tadao Ando.

Les petits tunnels de Biku et de Koshin sous la voie ferrée entre les gares d’Ebisu et de Shibuya sont souvent taggés en long et en large, puis nettoyés et re-taggés dans une boucle infinie qui n’est pas sans intérêt pour le photographe que je suis. Depuis quelques semaines, une grande fresque de l’artiste californien Barry McGee vient occuper un des murs du tunnel sur une surface de 16m de large sur 3.5m de long. L’art de Barry McGee combine des graphismes géométriques très riches en couleurs avec des dessins de portraits. Cette fresque vient s’inscrire dans un projet appelé Shibuya Arrow qui a été lancé en 2017 dans le but de diffuser des informations sur les sites d’évacuation temporaires et les itinéraires d’évacuation en cas de catastrophe tel qu’un tremblement de terre. En regardant bien les dessins de Barry McGee, j’ai quand même beaucoup de mal à y déceler des informations d’évacuation en cas de tremblement de terre. Toujours est-il que ces dessins viennent embellir un tunnel qui ne l’était pas et je suis curieux de voir apparaître soudainement d’autres œuvres de ce projet. Voici donc un nouveau sujet à suivre de près. Tout comme les toilettes publiques d’architectes dans Shibuya, j’imagine que la découverte de nouvelles fresques dans Shibuya créera de nouvelles vocations de guides pour les touristes venus de loin. Et comme je le mentionnais au début du billet, nous terminons la deuxième partie de la Golden Week, période pendant laquelle on voit apparaître aux quatre coins du pays des carpes colorées accrochées en haut de mâts et se laissant porter par les vents.

Lors du concert final de For Tracy Hyde, le 25 Mars 2023 dans la salle WWWX de Shibuya, Azusa Suga (管梓) nous avait fait part qu’il continuerait à composer pour son autre groupe April Blue (エイプリルブルー) mais également plus occasionnellement pour des groupes d’idoles alternatives. Je pensais à RAY pour lesquelles il a déjà composé un certain nombre de titres rock. J’ai appris à travers son fil Twitter qu’il compose également pour un autre groupe appelé airattic (エアラティック) que je ne connaissais pas. Le morceau Film Reel of Our Youth (フィルムリールを回して) est sorti il y a plus d’un d’un an, en Septembre 2022, mais je ne le découvre que maintenant. Dès les premiers accords de guitares, on reconnaît tout de suite les compositions d’Azusa Suga pour ses ambiances de rock indé au style Dream pop légèrement mélancolique. Le titre même du morceau m’évoque tout de suite For Tracy Hyde, ce qui me fait penser que ce morceau aurait très bien pu être chanté par Eureka si le groupe n’avait pas pris fin le 25 Mars 2023, d’autant plus qu’il s’agit de Mav, également un ancien de For Tracy Hyde, qui y joue de la basse. Le morceau est donc chanté à plusieurs voix, celles des cinq idoles alternatives d’airattic, à savoir Hinari Koizumi (小泉日菜莉), Nene Kagura (神楽寧々), Madoka Momose (百瀬円香), Honoka Sakuragi (桜木穂乃花) et Ami Mukai (向日葵海). La production du groupe, dirigée par un certain Shota Homma (本間翔太), nous indique que le nom de la formation provient des mots air (空気) et attic (屋根裏), mais je ne peux m’empêcher d’entendre phonétiquement le mot Erratique, qui ne caractérise pourtant pas la musique du groupe. Tout comme pour RAY, plusieurs compositeurs indépendants rock ou électro composent pour airattic. J’aime beaucoup le morceau Film Reel of Our Youth mais je lui préfère celui intitulé Lightning (閃光) sorti en Décembre 2022. Ce deuxième single a une approche complètement différente, beaucoup plus rapide et dynamique. On dirait un single de Nogizaka 46 qui serait passé en accéléré. Ce qui fonctionne très bien sur ce morceau, c’est le rythme vocal soutenue des filles du groupe tenant très bien la route et n’ayant pour le coup absolument rien d’erratique. La vitesse excessive du morceau a même quelque chose de ludique, tout comme leur chorégraphie, dans la pénombre d’un vieil hangar. Parmi les autres découvertes musicales récentes, je ne suis pas mécontent de revenir vers le beat électronique de type house music de tofubeats avec le morceau I CAN FEEL IT sur son nouvel EP NOBODY sorti le 26 Avril 2024. La vidéo du morceau est concentrée sur l’actrice et cascadeuse (notamment dans l’épisode de John Wick sorti en 2023), Saori Izawa (伊澤彩織) devant des claviers ou au volant d’un 4WD sur l’autoroute express de Tokyo intra-muros. Ce n’est pourtant pas elle qui chante sur ce morceau, car tofubeats utilise ici un software vocal appelé Synthetiser V doté d’intelligence artificielle. La voix auto-tunée qui en ressort a quelque de neutre et d’inorganique mais elle n’en reste pas moins expressive, ce qui est au final assez étonnant. Pour être très honnête, j’aurais préféré qu’il utilise une véritable voix, car ce ne sont pas les belles voix qui manquent dans le paysage musical japonais. Cette voix artificielle combinée aux beats plein de cascades de tofubeats rendent tout de même ce morceau extrêmement intéressant et accrocheur. Depuis qu’elle a signé sur une major, je trouve que les vidéos d’a子 gagnent en qualité. Son dernier single intitulé Lazy est sorti le 17 Avril 2024, date facile à retenir car c’était le même jour que la sortie du dernier single de Sheena Ringo. L’amateur que je suis des compositions et de la voix d’a子 n’est pas déçu par ce nouveau single qui continue vers des terrains musicaux qu’on lui connaît. J’ai un avis un peu partagé sur les derniers singles d’a子 car j’aimerais qu’elle explore des horizons un peu différents, mais j’ai en même temps le sentiment qu’elle a trouvé une ambiance qui lui convient et lui correspond, à mi-chemin entre rock indé et pop. Continuer sur cette voie lui permet en même temps de se construire une identité immédiatement reconnaissable. On est en tout cas très loin de s’ennuyer en écoutant ce nouveau single car a子 parvient à chaque fois à attraper notre attention avec un refrain bien vu. Le quatrième morceau de cette playlist me fait particulièrement plaisir à écouter car il s’agit du dernier single intitulé Yogensha (預言者) du groupe Tempalay sur leur cinquième album ((ika)) sorti le 1er Mai 2024. Tempalay est le groupe dans lequel AAAMYYY joue du clavier et assure les chœurs, avec Ryōto Ohara (小原綾斗), le chanteur, guitariste et compositeur du groupe, et Natsuki Fujimoto (藤本夏樹), le batteur. Sachant qu’AAAMYYY jouait dans ce groupe, j’ai eu à plusieurs reprises envie de découvrir Tempalay, sans être malheureusement très convaincu par le rock un peu psychédélique qui les caractérise. Je trouve par contre ce dernier single excellent, avec une bonne balance entre les voix d’AAAMYYY et de Ryōto Ohara. En fait j’adore quand AAAMYYY vient mélanger sa voix avec celle d’un autre chanteur car elle a une tonalité un peu différente, très légèrement rugueuse qui complète bien l’autre voix. Le single a une atmosphère très cool et on s’y sent bien. J’ai du coup très envie de découvrir cet album de Tempalay, car j’y retrouve assez clairement l’empreinte d’AAAMYYY.

beautifully scary & scarefully beautiful

Je n’ai pas lu en entier de manga du mangaka d’horreur Junji Itō (伊藤潤二), mais j’avais tout de même très envie d’aller voir l’exposition Enchantment (誘惑) qui lui est consacré en ce moment au Setagaya Literary Museum (世田谷文学館). L’exposition a ouvert ses portes le samedi 27 Avril et se déroulera jusqu’au 1 Septembre 2024. Allez savoir pourquoi, j’y suis même allé dès le premier jour, comme un fan que je ne suis pourtant pas. C’est en fait la première fois que je vais dans ce musée de Setagaya. Je voulais y aller depuis quelques temps et cette exhibition du maître Japonais de l’horreur dessinée était une bonne occasion. Depuis la station, il faut marcher une petite dizaine de minutes. Il n’est pas très difficile de trouver le chemin du musée. Il m’a suffit de suivre cette fille habillée de noir, avec le crâne à moitié rasé et une crinière rouge. Le motif dessinée de son t-shirt me semblait bien correspondre aux images que je peux imaginer de Junji Itō. Je suis en fait en train de lire son manga Tomie (富江) depuis un bon petit moment mais je le lis par petites doses, par chapitres. Tomie est une jeune fille très belle et manipulatrice, pouvant se multiplier et renaître. Elle ensorcelle les hommes au point où ils en deviennent fous et sont poussés au meurtre. Elle est même souvent victime car elle parvient à chaque fois à faire surgir le pire qui se cache dans le fin fond de l’être humain. Au fur et à mesure des histoires composant le manga de plus de 700 pages, elle est découpée en morceaux mais renaît toujours de parties d’elle même et vient sans relâche hanter son entourage jusqu’à la folie. L’histoire et les images sont effrayantes mais on a du mal à se détacher des pages car on n’ose pas imaginer quelle nouvelle atrocité Tomie manigance. En lisant le manga, on se dit en fait que Tomie est la personne qu’il ne vaut mieux pas avoir le malheur de connaître ou de croiser, et qu’il ne faut surtout pas l’inviter chez soi. On plaisantait avec Nicolas sur ce manga en ayant même peur de l’avoir chez soi et confronter le regard de Tomie sur la page de couverture.

Je suis loin d’être adepte des manga d’horreur mais il faut avouer que les images que construit Junji Itō sont particulièrement impressionnantes et imaginatives. Je conçois tout à fait qu’il ait de nombreux fans au Japon et à travers le monde. C’était d’ailleurs ma constatation au musée de Setagaya dès l’ouverture le matin, car la foule était présente sans qu’on se marche pourtant sur les pieds. L’espace était assez vaste et couvrait de nombreuses séries de l’auteur, que je découvrais à part Tomie que je connaissais déjà et qui nous accueillait dès la première partie de l’exposition. En voyant le beau visage et les grands yeux de Tomie, je me suis d’abord demandé si c’était une bonne idée d’entrer à l’intérieur. Mais je ne suis heureusement pas seul présent à cette exposition, ce qui me donne finalement le courage d’entrer. Je ferme quand même bien mon sac pour éviter que s’y glisse par erreur des cheveux de Tomie (ou un petit doigt). Une des raisons pour lesquelles j’ai commencé la lecture du manga Tomie était la passage de Junji Itō au festival Angoulême en 2023. J’avais vu malgré moi beaucoup d’images de cette exposition intitulée « Dans l’antre du délire« , sur mon fil Twitter, et elles m’ont finalement beaucoup intriguées. L’exposition à Setagaya montre un très grand nombre de planches originales de manga et des illustrations couleur. Des séries que je vois devant moi, je retiens celle intitulée Spirale (うずまき) que j’aimerais lire après avoir terminé Tomie (si j’y parviens un jour). Pour reprendre le titre de l’exposition, découvrir l’oeuvre de Junji Itō était un véritable ’enchantement’. On n’en sort étonnement pas oppressé, mais tout simplement heureux de vivre dans un monde rationnel où les monstres ne nous attendent pas à chaque coin de rue. En fait, on ne se sent pas oppressé car le tout reste fantastique et irréel. La boutique de l’exposition était prise d’assaut par les visiteurs. J’aurais voulu ramener quelques cartes postales mais la file d’attente était vraiment trop longue et j’ai fini par abandonner. Je reviendrais peut-être y faire un petit tour avant la fin de l’exposition. En revenant de l’exposition, je passe devant la sortie Sud de la grande station de Shinjuku, avec la musique d’Urbangarde dans les oreilles (Shinjuku Mon Amour).

Je mentionnais rapidement le groupe Urbangarde (アーバンギャルド) dans un billet précédent pour le morceau Shōjo Gannen (少女元年) en duo avec Atarashii Gakko! (新しい学校のリーダーズ), et j’ai eu très envie de découvrir d’autres morceaux du groupe. C’est assez compliqué de savoir par où commencer car le groupe a sorti de nombreux albums, mais les hasards de la découverte me font d’abord passer par l’album Shōwa 90 Nen (昭和九十年), sorti en 2015 qui doit correspondre à peu près à l’année 90 de l’ère Shōwa si celle-ci ne s’était pas arrêtée en 1989 pour laisser place à l’ère Heisei. On retrouve une certaine esthétique Shōwa dans le premier titre de l’album Kuchibiru Democracy (くちびるデモクラシー), mais dans une version mise au goût du jour. Ce titre de morceau, faisant référence à une démocratie des lèvres, est bien étrange. La grande majorité des visuels accompagnant les morceaux sont des plus étranges et décalés, tout comme les paroles faisant ici référence à des rouge-à-lèvres remplaçant les missiles. Les images guerrières peuvent au premier abord surprendre et faire un peu peur, comme l’image ci-dessus de Yōko Hamasaki pourtant un masque à gaz, mais elles sont sont à chaque détournées vers quelques choses d’autres, comme un combat pour espérer ne pas tuer les mots. Dans le genre « Faites l’amour et pas la guerre », il s’agit plutôt chez Urbangarde de prendre le temps de se maquiller plutôt que de faire la guerre. Le fondateur du groupe Temma Matsunaga se maquille d’ailleurs souvent, quand il ne porte pas des talons-hauts rouges comme sur la vidéo du morceau Akuma des Akuma (あくまで悪魔) de l’album Shōjo Fiction (少女フィクション) de 2018 que j’écoute également en partie. Les morceaux d’Urbangarde provoquent en moi une certaine addiction même s’ils sont pour sûr excessifs dans leurs compositions musicales et dans l’approche stylistique générale. Sur le morceau Akuma des Akuma, Yōko est vêtue d’un blanc immaculé comme une religieuse mais elle alterne souvent avec le rouge vif provocateur qu’on pourrait trouver sur un costume d’idole. Tout comme le sigle du groupe montrant un rond rouge ressemblant au drapeau japonais mais dont la couleur coule comme un maquillage en fin de soirée, on sent que toute l’approche d’Urbangarde est décalée. Yōko joue certes aux idoles mais son interprétation dans le contexte des vidéos et des paroles nous éloigne assez rapidement de l’ambiance lisse typique de ce monde là. Comme nous le rappelle le morceau Ungragra (アング・ラグラ) présent sur leur dernier album Metrospective (メトロスペクティブ), Urbangarde évolue plutôt dans un monde underground. Pour ce morceau, le groupe se fait accompagner par la troupe de théâtre Kyoshoku Shūdan Kaiten Hyakume (虚飾集団廻天百眼). Cette troupe, plus communément appelée Kaiten Hyakume, évolue également dans un univers underground, bien qu’ils préfèrent se qualifier comme étant upperground (アッパーグラウンド), jouant notamment des pièces basées sur des manga de Suehiro Maruo ou des œuvres de Shūji Terayama. Je trouve d’ailleurs que la vidéo du morceau Ungragra évoque assez clairement le film Pastoral: To Die in the Country (田園に死す) de Shūji Terayama, dont je parlais dans un billet précédent.

Le style musical des morceaux d’Urbangarde que j’ai pu écouter jusqu’à maintenant tiennent de la pop électronique soutenue et accrocheuse. Un peu comme pour la musique de Buck-Tick mais dans un style différent, on a affaire à une musique de genre (comme on peut avoir des films de genre) car l’empreinte stylistique du groupe est très forte et sans concession. L’approche musicale est souvent dense et sans retenue, comme par exemple la frénésie électronique et vocale du morceau Tokyo Kid (トーキョー・キッド). Ce morceau a une approche chaotique qui correspond bien à l’image de Tokyo. Le style du groupe est multiple et ils l’appellent eux-mêmes Tokyo Virginity Pop ou Trauma Techno Pop, si ça veut dire quelque chose. Plusieurs morceaux que j’écoute ont des envolées théâtrales comme Shinjuku Mon Amour (シンジュク・モナムール), en français dans le texte. Ce titre semble être une allusion au film d’avant-garde français Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, mais nous rappelle aussi que Temma Matsunaga, le moteur créatif du groupe écrivant les paroles et décidant de la direction artistique du groupe, a découvert Yōko Hamasaki alors qu’elle faisait des représentations de chansons françaises. Le terme Urbangarde lorsqu’il est prononcé en japonais ressemble d’ailleurs beaucoup au terme français avant-garde. Je n’ai par contre pas encore entendu de morceaux chantés en français (s’il y en a) par Yōko. Un point intéressant est que la compositrice et interprète londonienne d’adoption Yeule, dont je parle sur ce blog de chacun de ses albums, a commis un très bon remix du morceau Akuma des Akuma. Il est très réussi car très différent de l’original, tout en conservant une partie de sa trame et en y apportant les spécificités du son de Yeule. Voilà donc un rapprochement entre deux artistes qui est très intéressant, sans être complètement étonnant vu que Yeule et Urbangarde évoluent dans des milieux d’avant-garde, qui à défaut d’être similaire, semble tendre vers les mêmes aspirations. Parmi les autres morceaux que j’écoute beaucoup en ce moment dans ma petite playlist de garde urbaine, il y a Atashi Fiction (あたしフィクション), Femme Fata Fantasy (ふぁむふぁたファンタジー), Loveletter Moyu (ラブレター燃ゆ) et Coin Locker Babies (コインロッカーベイビーズ). Ce titre là me ramène à la noirceur du Shinjuku de Ryu Murakami dans son roman du même nom.

Et je promets que pour mon prochain billet je reviendrais vers la douceur bucolique et la délicatesse des fleurs de cerisiers (mais en accompagnant peut être quand même mon billet par le rock alternatif de Minori Nagashima).