CAPSULE A906 et l’image d’un futur lointain

Je suis allé plusieurs fois voir de près la tour Nakagin Capsule Tower (中銀カプセルタワービル) de l’architecte Kisho Kurokawa (黒川紀章), œuvre architecturale emblématique du mouvement métaboliste japonais, avant sa destruction malheureuse. Je n’étais par contre jamais entré à l’intérieur d’une capsule. Pendant les dernières années avant sa destruction, certains tours opérateurs indépendants proposaient des visites de la tour Nakagin et d’une ou de plusieurs capsules in-situ, mais le timing ne m’avait jamais permis d’y aller. Je le regrette un peu maintenant, mais je me rattrape en quelque sorte cette fois-ci en visitant deux des capsules de la tour présentes dans la galerie SHUTL à Tsukiji, près d’Higashi-Ginza. Au moment de la destruction de la tour Nakagin, on sait que certaines capsules ont été extraites en vue d’une utilisation ultérieure. La finalité de la mise en place de deux capsules dans cette galerie n’est pas très claire. L’espace était ouvert aux visiteurs pendant seulement deux jours, le Samedi 7 et Dimanche 8 Octobre 2023. Je comprends que cette galerie deviendra ensuite un espace créatif, conservant les deux capsules en son enceinte. Il sera en fait possible de louer cet espace, comme une galerie d’art, pour des expositions, des lectures ou projections de films, des interviews, entre autres. La première exposition démarrant le 13 Octobre serait en lien avec les idées du mouvement des Métabolistes. J’ai eu vent de cette ouverture temporaire de deux jours grâce au compte Instagram de l’amatrice d’architecture et guide tokyoïte Haruka Soga, qui en parlait donc sur son compte. Vu l’importance de Nakagin pour l’histoire de l’architecture japonaise et l’espace que j’imaginais à raison très réduit des capsules et de la galerie, je me suis dis qu’il fallait mieux y aller en avance. L’espace ouvrant à 13h, je m’y suis donc rendu une heure avant, vers midi. Une vingtaine de personnes étaient déjà sur place à attendre à l’entrée de la galerie, mais les membres du staff ont rapidement décidé de donner des tickets d’entrée par heure pour éviter une longue file d’attente dans la rue de la galerie. Mon petit ticket en poche, j’en ai profité pour faire un tour du quartier en passant visiter une nouvelle fois l’intérieur du grand temple Tsukiji Honganji puis en passant devant le théâtre Kabukiza avant de m’enfoncer dans les rues d’Higashi-Ginza. L’heure a passé assez vite et me revoilà devant la galerie dix minutes avant l’ouverture.

Deux capsules étaient accessibles à la visite, une capsule originale appelée CAPSULE A – A906 et une autre nommée CAPSULE B – A1006 qui n’était en fait qu’un squelette de la capsule montrant sa structure métallique. La capsule originale est bien entendu la plus intéressante car elle a été restaurée comme à l’origine avec son large lit prenant pratiquement tout l’espace des 8.5 m2 habitables de la capsule. On retrouve donc devant le lit, l’emblématique large hublot avec son rideau à ouverture circulaire et l’équipement audio-vidéo d’un autre temps: le lecteur à bandes, la petite télévision cathodique et le vieux téléphone. La sobriété de l’espace de couleur blanchâtre et le design général évoque l’image d’un futur imaginée à une époque désormais bien lointaine. L’espace est tellement exiguë qu’on a un peu de mal à y tenir à deux personnes. Les toilettes et la salle de bain en un bloc sont plus communes, car on en trouve encore maintenant dans certains hôtels bon-marchés. J’imagine assez bien cet espace être utilisé pour des interviews d’artistes ou de personnalités. Le squelette de la capsule B est moins intéressant à la visite. On imagine qu’il va être utilisé pour y afficher des œuvres artistiques lors de futures expositions. J’aurais voulu passer un peu plus de temps à l’intérieur de la capsule originale, mais les visites sont chronométrées. Je me doute bien que visiter une capsule dans la tour Nakagin d’origine devait être beaucoup plus intéressant. Il s’agit en tout cas d’une petite consolation que j’ai tout de même beaucoup apprécié. Je montre quelques photos supplémentaires de cette visite sur mon compte Instagram.

Il y a quelques semaines, je suis allé voir l’exposition de l’artiste Minoru Nomata (野又穫) à la galerie d’art de Tokyo Opera City, près de Shinjuku. Cette exposition solo de Minoru Nomata s’intitulait Continuum et se déroulait du 6 Juillet au 24 Septembre 2023. J’en suis ressorti enchanté. Ces peintures montrent des structures architecturales mystérieuses, que l’on aurait du mal à dater comme si elles provenaient d’un futur déjà passé. Regarder ces peintures est ludique car on peut du regard marcher à l’intérieur, en emprunter les marches des escaliers et des échelles. On devine certaines propriétés aéronautiques à ces structures mais leurs fonctions et leur significations laissent interrogatifs. Quel est le sens de ces grandes voiles de bateaux posées sur un bâtiment accroché fermement au sol, ou ces ballons qui ne demanderaient qu’à s’envoler mais qui restent prisonniers attachés à un socle sur la terre ferme? Nomata nous montre également d’étranges sphères de taille gigantesque abritant dans leur centre un microcosme végétal, comme si elles voulaient protéger cette végétation d’un milieu extérieur hostile. Mais les peintures de Nomata mettent pourtant en scène des créations humaines dans leur contexte naturel dans une cohabitation paisible. Les structures délicates ne semblent pas êtres ébranlées par les éléments. La peinture intitulée Babel est l’une des plus impressionnantes par sa taille et son souci du détail. A quoi peut ressembler la vie dans une structure écrasante telle que celle-ci? Cette structure est pourtant très lumineuse. Il serait peut être même très agréable de marcher sur ces longs escaliers en hauteur rafraichit par un vent qui ne peut venir que de la mer. Des images nous viennent forcément en tête en regardant ces structures, et j’en viens même à souhaiter qu’un illustrateur de manga réutilise cet univers pour un film d’animation. Je pense rapidement à Tsutomu Nihei (弐瓶 勉) bien que son oeuvre soit beaucoup plus sombre.

いけないリボンロック

Lors de ma visite récente de l’exposition du What Museum à Toyosu, j’avais repéré le flyer d’une autre exposition, celle du photographe Itaru Hirama (平間至). Son exposition intitulée Photo Songs (写真のうた) se déroule du 8 Juillet au 23 Août 2023 dans le Hall B au neuvième étage de la tour Hikarie à Shibuya (渋谷ヒカリエ9F ヒカリエホール ホールB), dans un espace apparemment affilié à Bunkamura. La photographie du flyer montre le musicien rock Kiyoshiro Imawano (忌野清志郎) penché excessivement en avant sur son micro. La dynamique de cette photographie et l’accoutrement fantaisiste d’Imawano m’ont attiré. Il était leader du groupe RC Succession (RC voulant dire Remainders of the Clover, car Clover était le nom du premier groupe d’Imawano), mort d’un cancer en 2009. Je ne connais pas très bien ce groupe et ce musicien qui sont pourtant légendaires au Japon. Même sans connaître la musique du groupe RC Succession, à part peut-être quelques morceaux très renommés, je reconnais tout de même très facilement la voix tellement particulièrement de Kiyoshiro Imawano. En fait, je connais tout de même le morceau Ikenai Rouge Magic (い・け・な・いルージュマジック) qui est une collaboration de Kiyoshiro Imawano avec Ryuchi Sakamoto, et qui est repassée quelques fois à la radio à la mort de Ryuchi Sakamoto.

Itaru Hirama est principalement connu pour ses photographies de musiciens et de groupes japonais, particulièrement lorsqu’ils ont une tendance et un esprit rock. Il a hérité de son père le studio photo familial installé à Shiogama, dans la prefecture de Miyagi, mais les poses fixes de gens que l’on prend en général en photo dans ce genre de studio photo ne l’intéressait pas beaucoup et il s’est attaché à explorer la capture du mouvement dans ses photographies. Il entend opérer dans son approche photographique un rapprochement avec l’excitation et l’esprit de libération que l’on peut retrouver dans la musique punk rock. On ressent particulièrement bien ce rapprochement lorsqu’Itaru Hirama photographie des groupes comme The blue hearts, Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ) et son leader Kazunobu Mineta (峯田和伸), Kenichi Asai (浅井健一) et Blankey Jet City, ou encore l’acteur Tadanobu Asano (浅野忠信) dont les cheveux longs hirsutes de l’époque lui donnait un look sauvage. Cette exposition était pour moi d’autant plus intéressante qu’elle aborde un sujet qui me tient à cœur, celui de la manière dont la musique vient s’infiltrer dans le style photographique. La relation musicale dans mes photographies est une idée que j’ai en tête depuis de très nombreuses années, à mon simple niveau amateur. Dans cette exposition, j’ai aussi énormément apprécié le fait qu’Itaru Hirama photographie de nombreux groupes et artistes que j’apprécie, avec parfois des associations étonnantes. Le groupe Clammbon (クラムボン) est par exemple pris en photo avec Ling toshite sigure (凛として時雨). Le groupe Ling toshite sigure apparaît également seul sur d’autres photographies, tout comme la chanteuse Ikuko Harada (原田郁子) de Clammbon. Un grand nombre des photographies montrées lors de l’exposition ont été réutilisées pour les campagnes publicitaires de Tower Records, No Music No Life, dont je parle assez régulièrement sur ce blog, mais également pour des magazines musicaux japonais et quelques fois pour le gratuit Kaze to Rock (風とロック) au sujet duquel j’avais été voir une exposition dernièrement dans la galerie du Department Store PARCO. Entre cette exposition récente à PARCO et celle du photographe Itaru Hirama, c’est intéressant de voir cet engouement récent à montrer ces années rock du début 2000. On ne pouvait pas prendre de photos à l’intérieur de la plupart des salles d’exposition, ce qui assez dommage. Je me contente donc de montrer certaines affiches pour Tower Records regroupées au début de l’exposition. Itaru Hirama a pris en photo à plusieurs reprises le groupes Yellow Magic Orchestra et ses trois illustres membres à savoir Haruomi Hosono (細野晴臣), Ryuichi Sakamoto (坂本龍一) et Yukihiro Takahashi (高橋幸宏). Après la disparition récente cette année de Ryuichi Sakamoto et de Yukihiro Takahashi, ces quelques photos, dont certaines assez humoristiques, prennent une valeur toute particulière. Je vois aussi que la photo, pour la campagne No Music No Life, montrant Jane Birkin avec le chanteur et compositeur Yōsui Inoue (井上陽水), dont je parlais très récemment, a été prise par Itaru Hirama. L’exposition nous montre une autre photo des deux artistes. J’aime aussi ces photos montrant Quruli et son leader Shigeru Kishida (岸田繁), Aimyon, les idoles de Speed et UA, entre autres. Itaru Hirama a également pris beaucoup de photographies de couvertures d’albums et de singles. Deux murs de l’exposition montraient des CDs. J’étais particulièrement attiré par celui montrant les singles en CD 8cm au format en long. Je vois notamment que le photographe a pris Rie Tomosaka (ともさかりえ) en photo pour le single Cappuccino (celui écrit et composé par Sheena RIngo). La dernière partie de l’exposition montre des photographies d’inconnus prises dans son studio. La mise en scène y est souvent intéressante mais je pense que les visiteurs étaient plutôt là pour voir des photographies d’artistes. Celle de Kiyoshiro Imawano reprise sur le poster de l’exposition reste une des plus réussies.

Comme je l’indiquais dans mon billet précédent, j’écoute maintenant le dernier album Akaboshi Aoboshi (赤星青星) de Kayoko Yoshizawa (吉澤嘉代子), sorti en 2021. J’évoquais déjà la photographie de couverture de l’album réalisée par le directeur artistique Hitoki Naruo (鳴尾仁希). Les morceaux de cet album s’accordent bien à la délicatesse de cette image qui n’est pourtant pas absente d’une certaine force. Le chant de Kayoko Yoshizawa est très maîtrisé et sa voix très complète. On a très souvent envie de revenir vers des morceaux de l’album pour certains effets de voix et certaines manières de chanter qu’elle utilise, comme par exemple sur le morceau Jelly no Koibito (ゼリーの恋人). L’ensemble de l’album est plutôt apaisé, même si les guitares pointent régulièrement leur cordes dans les détours. Elles sont particulièrement présentes sur le troisième morceau morceau intitulé Gumi (グミ), qui est également un de mes préférés. C’est un morceau très accrocheur tout comme celui intitulé Service Area (サービスエリア) qui le précède. Il y a un morceau aux ambiances rétro que j’ai tout de suite beaucoup aimé, le septième intitulé Redial (リダイヤル), d’autres plus pop comme celui intitulé Oni (鬼). Mes préférés restent ceux qui possèdent une délicatesse musicale certaine comme Ryūsei (流星). Cet album s’éloigne de la musique rock que j’écoutais ces derniers temps et ça fait du bien de divaguer vers d’autres horizons un peu plus inhabituelles.

le cha-cha-cha de l’art à Toyosu

Dans ma liste des expositions que je souhaitais voir, il y avait celle intitulée ART de Cha Cha Cha (ART de チャチャチャ) qui se déroule du 28 Avril au 27 Août 2023 au WHAT Museum opéré par Terrada à Toyosu (豊洲). A travers 40 œuvres par 33 artistes tirées de la collection privée de Ryutaro Takahashi (高橋龍太郎), cette exposition entend explorer l’ADN de l’art contemporain japonais (日本現代アートのDNAを探る). Ryutaro Takahashi est psychiatre mais également un important collectionneur d’art contemporain. Sa collection commencée en 1997 comprendrait plus de 3000 œuvres. On nous en présentait seulement 40 dans l’espace d’exposition de deux étages du musée, ce qui peut paraître un peu limité, mais certaines pièces sont vraiment imposantes. Il y a beaucoup de grands noms dans sa collection et un certain nombre d’artistes que j’aime beaucoup et que j’ai déjà vu en exposition dans le passé. Il s’agissait donc pour moi d’une bonne rétrospective de l’art contemporain japonais que j’apprécie. On pouvait prendre la quasi totalité des œuvres en photo, ce qui devient petit à petit la norme dans les musées et galeries japonais. On préférerait parfois ne pas pouvoir prendre les œuvres en photo pour éviter de se concentrer sur son smartphone plutôt que sur l’art qu’on a devant nous. L’un n’empêche pas l’autre ceci étant dit.

Une des œuvres les plus impressionnantes de l’exposition était cette large tête de mort entourée de cerfs et de daims dessinés à l’encre japonaise avec des feuilles d’or sur quatre panneaux coulissants (fusuma) par l’artiste Tomoko Konoike (鴻池朋子). Cette imposante tête de mort est tellement marquante qu’elle justifie à elle seule de venir voir l’exposition. Je me suis en fait décidé à aller voir cette exposition après l’avoir vu en photo sur Instagram. De cette artiste, j’avais déjà vu son illustration géante de hibou recouvrant une partie du rocher du Kadokawa Culture Museum conçu par Kengo Kuma.

Hisashi Tenmyouya (天明屋尚) mélange l’imagerie japonaise traditionnelle avec des objets et machines contemporaines voire futuristes. Cette œuvre intitulée Robot Myouou est fidèle à l’image que j’avais des illustrations de Hisashi Tenmyouya. J’ai découvert cet artiste il y a quelques années dans un excellent livre intitulé Basara distribué par la galerie d’art Mizuma dont il fait partie. Sur la droite, il s’agit d’une peinture de l’artiste Erina Matsui (松井えり菜). J’avais déjà vu ses visages étranges, parfois dédoublés, lors de la 19ème édition de l’exposition DOMANI: The Art of Tomorrow au National Art Center Tokyo (NACT) en 2016.

Lors de cette même exposition DOMANI, j’avais également découvert l’art de Tomiyuki Kaneko (金子富之) dont les dragons et autres divinités fantastiques m’avaient beaucoup impressionnés. Je garde d’ailleurs depuis de nombreuses années une photo d’une de ses œuvres en fond d’écran de mon iPad. La fresque que j’avais vu à DOMANI en 2016 était beaucoup plus imposante, mais le dragon présent dans cette exposition n’en reste pas moins fascinant.

Mikiko Kumazawa (熊澤未来子) est également membre de la galerie Mizuma. Cette grande illustration au crayon intitulée Erosion est remplie de détails qui nous feraient perdre la tête. Il y a une densité graphique qui correspond bien à l’urbanisme des villes avalant ses habitants comme un monstre. Cette œuvre est vraiment superbe. Manabu Ikeda de la même galerie créé également ce genre de fresques bourrées de détails où les objets et les êtres se mélangent dans une sorte de confusion générale. Je m’attendais à voir une œuvre de Manabu Ikeda dans cette collection mais il n’y en avait malheureusement pas.

Dans la même salle, on trouve un étrange coq sculpté et peint créé par Hiroki Tashiro (田代裕基) et appelé Entenka (炎天華). Il est très réaliste bien que de grande taille. Il s’impose dans la salle comme une sorte de dieu animal. Dans la salle juste à côté, la réplique d’une pagode par Takahiro Iwasaki (岩崎貴宏) est accrochée au plafond et donne l’impression de montrer sa propre réflection. Ce modèle en cyprès japonais s’appelle Reflection Model (before the fire). Le sous-titre « avant l’incendie » nous fait comprendre qu’il s’agit du Pavillon d’Or à Kyoto. Je l’avais en fait déjà vu récemment au Mori Art Museum en haut de Roppongi Hills, mais je ne souviens plus de quelle exposition il s’agissait exactement.

Akira Yamaguchi (山口晃) est un autre artiste mélangeant des images traditionnelles proches de l’ukiyo-e avec des éléments actuels d’urbanisme. Comme on peut le voir sur la peinture intitulée People making things (2001) montrée dans l’exposition, ce mélange se fait par petites touches au point où l’anachronisme ne saute pas forcément immédiatement aux yeux. Le traitement graphique assure une intégration toute naturelle de ces éléments futuristes ayant garder une forte marque passée.

Beaucoup d’autres artistes reconnus couvrant des domaines artistiques variés, comme le photographe Hiroshi Sugimoto, Tadanori Yokoo, Lee Ufan, Yasumasa Morimura entre autres, sont présentés dans cette exposition. Je l’ai tout de même trouver un peu courte pour le prix d’entrée (1500 Yens). L’inflation se fait également ressentir sur les billets d’entrée aux musées. Une fois la visite terminée, j’ai repris mon vélo en direction des autres galeries situées à l’intérieur des anciens entrepôts Terrada, de l’autre côté du canal. C’est la deuxième fois que je visite cet ensemble de galeries sur plusieurs étages. Il faut savoir ce qu’on veut voir à l’avance car le monte-charge servant d’ascenseur est d’une lenteur pouvant décourager les visiteurs. Je me contenterais cette fois-ci des deux premiers étages dont sont extraites les quelques photographies ci-dessus.

fleurs imposées

Le thème central des photographies de ce billet est celui des fleurs qui agrémentent de différentes manières les rues que je parcours ce jour là. Je n’ai pas spécifiquement choisi de prendre des photos suivant cette thématique mais elles se sont imposées à moi de manière tout à fait inconsciente et sans une volonté forte de ma part. C’est un sujet de réflexion intéressant de se demander si les photographies s’imposent à nous ou si on agit de notre propre gré. La plupart des photographies que je prends et montre sur ce blog s’imposent à moi, car je pars souvent marcher dans les rues de Tokyo sans avoir une idée précise en tête des photographies que je vais prendre, à part quand mon but est de prendre un bâtiment particulier en photo. Les photographies ci-dessus sont principalement prises dans les environs de Nishi-Azabu, sauf la dernière photographie montrant une illustration murale de Shun Sudo. Elle est cachée, car le mur sur lequel elle est dessinée n’est pas visible depuis le grand axe de l’avenue Meiji reliant Shibuya à Shinjuku.

Les fleurs sont également un motif que l’on retrouve dans l’art de Makoto Egashira (江頭誠). Je suis allé voir une petite exposition de l’artiste, intitulée Shikakui Hanazono (四角い花園), qui se déroulait à la galerie d’art HPGRP Gallery Tokyo à Minami Aoyama du 16 Juin au 17 Juillet 2023. L’artiste était présent à mon passage. Il découpait dans des grandes couvertures fleuries des motifs qu’il ajoutera ensuite à son œuvre unique présente dans la galerie, un corbillard japonais entièrement recouvert de ses motifs. Ces couvertures florales de style occidental sont assez courantes dans les foyers japonais même si elles sont maintenant démodés depuis longtemps. Elles ont l’avantage d’être très chaudes, placées au dessus du futon. Dans le Japon d’après-guerre, ce produit de literie aux motifs de roses de style rococo avait apparemment une image de luxe. Makoto Egashira les découpe soigneusement et colle les motifs floraux sur divers objets. Ici, il s’agit d’un corbillard japonais basé sur une Lincoln Continental. On ne voit plus depuis longtemps à Tokyo ce genre de corbillard combinant une base de voiture américaine avec une partie arrière ressemblant à un hall de temple. J’imagine qu’on doit toujours trouver ce genre de voitures funéraires dans les campagnes japonaises reculées. Ce n’est pas la première fois que je voyais des œuvres d’art de Makoto Egashira. On retrouvait par exemple cette même voiture dans le court film Kaguya by Gucci à l’esthétique remarquable. Ce film, dont j’ai déjà parlé, a été réalisé par Makoto Nagahisa avec Hikari Mitsushima, Aoi Yamada et Eita Nagayama. On retrouvait également certains objets de l’artiste dans la vidéo du morceau My Lovely Ghost de YUKI, dont j’avais également déjà parlé sur ce blog.

Continuons en musique avec un très beau morceau de Kayoko Yoshizawa (吉澤嘉代子) intitulé Kōrigashi (氷菓子) qui est le thème musical du film Ice Cream Fever (アイスクリームフィーバー), réalisé par Tetsuya Chihara (千原 徹也). Le film est sorti le 14 Juillet 2023. Il est tiré d’un roman de Mieko Kawakami (川上未映子) intitulé Ice Cream Fever (アイスクリーム熱) et publié en 2011. Savoir que ce film est tiré d’un livre de Mieko Kawakami m’a fait chercher dans ma petite bibliothèque car je pensais l’avoir déjà lu. En fait, j’avais lu un autre de ses romans sorti quelques années plus tard en 2013, qui s’intitule Ms Ice Sandwich (ミス・アイスサンドイッチ). A l’affiche du film, on pourra voir Riho Yoshioka (吉岡里帆), Marika Matsumoto (松本まりか), Serina Motola (モトーラ世理奈) et Utaha (詩羽) de Wednesday Campanella, ce qui m’a légèrement surpris. En fait, j’avais vu la vidéo de Kōrigashi avant de savoir que ce morceau était le thème d’un film et j’ai été surpris d’y voir jouer Riho Yoshioka et Utaha. Les images de la vidéo, également réalisée par Tetsuya Chihara, doivent être en grande partie empruntées au film. La qualité de ce morceau m’a poussé à commencer l’écoute de son dernier album Akaboshi Aoboshi (赤星青星) sorti en 2021. Au moment de la sortie de cet album, j’avais été attiré par la beauté de sa couverture réalisée par le directeur artistique Hitoki Naruo (鳴尾仁希), mais je n’avais pas été jusqu’à l’écoute. Je me rattrape seulement maintenant.

Ɩɛ ɖéʂơཞɖཞɛ ơཞɠąŋıʂé ɖɛ ʂɧıɱơƙıɬą

Je prends beaucoup moins de photographies ces derniers temps et je n’ai même aucun billet en attente de publication dans mes brouillons, à part bien sûr celui que je suis en train d’écrire. Je marche en fait souvent aux mêmes endroits en ce moment et l’inspiration pour saisir en photo de nouvelles choses que je n’ai pas encore montré se fait plus rare. Dans ces cas là en général, je change d’objectif photo et je me décide à regarder les détails plutôt que les grands ensembles. La motivation me manque en fait comme si la machine s’était assoupie soudainement à l’approche de la période estivale. Je réfléchis tous les ans à la manière d’aborder l’été et je pensais même sérieusement à faire une longue pause estivale. Jusqu’au week-end dernier qui a été un peu plus propice aux photos.

Je me suis d’abord dirigé vers Shimo-Kitazawa pour aller voir l’exposition de l’illustrateur Wataboku qui se déroulait du Vendredi 9 Juin au Samedi 24 Juin 2023. J’y suis allé comme souvent au dernier moment, le dernier jour donc. L’exposition intitulée Manzoku dekiru kana (満足できるかな) prenait place dans un café nommé Candle Cafe & Laboratory △ll. Le café n’est pas très loin de la station mais situé à l’étage d’un petit immeuble dans une rue un peu à l’écart. La porte d’entrée en bois du café est antique et je me suis d’abord demandé comment l’ouvrir. Un autre visiteur est heureusement arrivé en même temps que moi et on s’est posé tous les deux la question de comment ouvrir cette maudite porte. Jusqu’à ce que la gérante (je suppose) du café vienne nous ouvrir. La petite salle d’exposition se trouve au fond du café qui ressemble en fait beaucoup plus à un bar. Je pensais que la salle d’exposition serait plus grande mais il s’agit en fait d’un petit espace composé de grandes plaques de bois contreplaquées sur lesquelles Wataboku a dessiné plusieurs versions de son personnage féminin fétiche. On apprend que le modèle des dessins est surnommée Aopi (あおぴ) et qu’elle est même venue poser à côté de son personnage. J’adore toujours la qualité des expressions des dessins de Wataboku, et on peut très bien comprendre que le modèle réel a dû bien l’inspirer. L’illustrateur n’était malheureusement pas présent à mon passage et il est apparemment passé plus tard pendant cette même journée. Je l’avais vu la dernière fois à l’exposition de Jingūnmae et il m’avait signé une carte postale à cette occasion. On ne pouvait passer que peu de temps devant les illustrations vu la taille de l’espace, mais c’était suffisant pour imprimer ces images dans ma tête.

Je continue ensuite à marcher dans les rues de Shimo-Kitazawa jusqu’au Disk Union, qui est devenu pour moi un passage obligé, même si je n’y ai rien trouvé de suffisamment intéressant cette fois-ci. En me dirigeant vers le magasin de disques depuis la station, je passe devant un autre nommé 45REVOLUTION spécialisé dans la musique punk rock. Je n’y suis en fait jamais entré vue la petite taille de l’endroit et mon intérêt limité pour le genre. Ce magasin se trouve dans la même rue étroite que la salle de concerts underground Shelter, que l’on voit régulièrement dans la série animée Bocchi The Rock (ぼっち・ざ・ろっく!). Sur la devanture du magasin au désordre organisé Village Vanguard, on trouve toujours des affichettes de cette série. J’ai fini de regarder les 12 épisodes de la première saison disponible sur Netflix et j’ai beaucoup aimé. Cette série évoquant les débuts d’un groupe de rock indépendant contient plein de petits détails intéressants sur les coulisses de la scène rock indé japonaise, en plus d’être très souvent drôle. Les morceaux que joue le groupe, appelé Kessoku Band (結束バンド) dans la série, sont d’ailleurs plutôt bons, les morceaux Hikari no Naka he (光の中へ) et Wasurete Yaranai (忘れてやらない) par exemple, et sont même sortis en CD. Ceci ne gâche en rien le plaisir de suivre les aventures des quatre filles du groupe, aux tempéraments très différents. Je pense que cette série a dû inspirer la jeunesse à se lancer dans l’apprentissage de la guitare (Fender vend tellement bien qu’un magasin a ouvert récemment à Harajuku). J’aimerais aussi ré-acheter une guitare même si je ne sais jouer aucun air connu et mon style autodidacte est complètement expérimental. Je me suis par contre acheté récemment un petit clavier USB Akai LPK25, que j’ai connecté à l’application Logic tournant sur l’iMac. J’avais acheté cette application musicale il y a plusieurs années sans pourtant en maîtriser les rouages. Avoir ce petit clavier permet de générer toutes sortes de sons à partir des vastes librairies sonores de Logic. Même si je n’atteins pas pour l’instant le stade de la composition, j’apprécie tout de même énormément jouer avec les sons. Ce modèle de clavier est utilisé par Utada Hikaru lorsqu’elle voyage et ça m’a décidé à l’acheter (j’y pensais depuis quelques temps déjà). Peut être que l’inspiration pour créer de nouveaux morceaux électroniques me reviendra progressivement.

Ma marche à pieds me fait ensuite revenir vers Daikanyama. Je n’avais pas vraiment remarqué que la construction de la nouvelle résidence située à côté de la tour Address avait progressé aussi vite. On ne sera pas complètement surpris d’apprendre que l’on doit le design de cette résidence Forestgate Daikanyama à l’architecte Kengo Kuma, qui, je trouve, envahit le paysage architectural japonais ces dernières années. Mais son design constamment basé sur l’utilisation du bois me convient plutôt bien, donc je mettrais pour l’instant de côté toute critique éventuelle qui pourrait me venir à l’esprit.

Entendre soudainement la voix de YUKI sur le morceau Koi ha Eien (恋は永遠) de l’album Ne- Minna Daisuki Dayo (ねえみんな大好きだよ) de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ) dont je parlais récemment m’a donné l’envie irrésistible de me lancer dans l’écoute d’un album entier du groupe Judy and Mary (ジュディ・アンド・マリー) par lequel elle a fait ses débuts. Je commence avec leur quatrième album intitulé The Power Source, sorti le 26 Mars 1997. C’est leur album le plus connu car c’est celui qui s’est le mieux vendu. Judy and Mary est un groupe rock oscillant entre la pop et le punk, ce qui paraître être un grand écart, mais qui correspond assez bien à l’ambiance musicale de cet album mélangeant des sons de guitares noisy, torturés et distordant et le chant pop non conventionnel de YUKI. Le groupe a fait ses débuts en 1992 et s’est dissolu en 2001 après 7 albums et au moins 3 compilations. YUKI s’est ensuite lancée dans la carrière solo prolifique qu’on lui connaît maintenant. A l’époque de Judy and Mary, elle s’appelait encore Yuki Isoya (磯谷有希). Elle est originaire de Hakodate à Hokkaidō. Le groupe est par contre identifié comme étant originaire de Kanagawa. Il se compose également du guitariste Takuya Asanuma (浅沼拓也), du bassiste Yoshihito Onda (恩田快人) et du batteur Kohta Igarashi (五十嵐公太). Le nom du groupe interpelle car on pourrait d’abord penser qu’il s’agit d’un duo composé de deux chanteuses « Judy » et « Mary ». Il fait en fait référence aux deux facettes d’une même fille, à la fois vive et positive (« Judy ») et plus tordue et négative (« Mary »). On imagine tout à fait YUKI jouer le rôle légèrement schizophrène de ce double personnage, qui correspond d’une certaine manière assez bien aux deux facettes de la musique du groupe. De Judy and Mary, je connais déjà leurs morceaux les plus connus qu’on entend parfois dans les émissions télévisées musicales qui font des rétrospectives récurrentes sur la J-Pop de l’ère Heisei. Sur cet album, le morceau le plus connu Sobakasu (そばかす). C’est un bon morceau sans forcément être mon préféré de l’album, peut-être parce je le connais déjà assez bien depuis très longtemps. Ce style musical rock très dynamique et partant un peu dans tous les sens me rappelle mes toutes premières années à Tokyo, comme s’il s’agissait d’une machine à remonter dans le temps vers ces années insouciantes où j’avais tout juste vingt ans. On trouve cette atmosphère tout à fait rafraîchissante dans les morceaux de Judy and Mary et dans la manière de chanter de Yuki Isoya en particulier. Et je me trouve maintenant à écouter sans arrêt cet album, comme si j’avais découvert une petite pépite que je ne peux pas quitter du regard. La liberté de ton et l’énergie contagieuse sur un morceau comme Happy? sont irrésistibles. Dans les morceaux que j’apprécie particulièrement, il y a aussi le premier Birthday Song et surtout le deuxième Lovely Baby. L’album part de temps en temps vers des pistes beaucoup plus axées pop comme Kijura 12go (くじら12号) ou Classic (クラシック), qui ne sont pas moins réussis. Kijura 12go est d’ailleurs particulièrement accrocheur et me semble même très bien adapté à un début d’été. L’album se termine sur le morceau The Great Escape qui retourne vers des sons de guitare plus noisy. Cet album est pour moi une tres belle surprise, certes un peu tardive, et j’ai maintenant la très ferme intention de découvrir les autres albums studio. La liste des albums à découvrir ne fait décidément que de s’allonger et c’est une très bonne nouvelle.