parcourir la forêt sacrée de Kashima Jingū

Nous nous éloignons de Tokyo le temps d’une journée pour aller dans la préfecture d’Ibaraki, la préfecture la moins populaire niveau tourisme de tout le Japon. Elle se place régulièrement à la dernière place des destinations touristiques du pays même s’il y a de belles choses à y voir, comme les plages le soir que je montrais dans le 2000ème billet de ce blog ou le grand sanctuaire Kashima Jingū (鹿島神宮). On ne connait pas l’âge exact de ce grand sanctuaire, mais la légende dit que sa fondation daterait de l’an 660 avant JC. C’est un des plus grands sanctuaires du Kantō. La divinité de la mythologie japonaise qui est vénéré à Kashima Jingū est le Dieu Tonnerre Takemikazuchi-no-Mikoto qui est également connu sous le nom de Kashima-no-kami. Kashima Jingū fait partie du groupe de sanctuaires du Japon appelé chokusaisha recevant de manière régulière la visite d’un envoyé spécial de l’Empereur lors de festivités importantes, au même titre que Meiji Jingū (明治神宮) à Tokyo ou Izumo Taisha (出雲大社) dans la préfecture de Shimane. Tout comme Ise Jingū (伊勢神宮), le sanctuaire de Kashima Jingū était apparemment démoli et reconstruit tous les 20 ans, mais cette pratique a disparu au 15ème siècle. Il est situé à l’intérieur d’une vaste forêt sacrée. Une allée d’environ 300 mètres appelée Okusandō (奥参道) nous amène du bâtiment principal Honden abritant la divinité Takemikazuchi jusqu’au fond de la forêt où se trouve le petit sanctuaire Okumiya (奥宮) dédié à Ieyasu Tokugawa en l’honneur de sa victoire lors de la grande bataille de Sekigahara. Okumiya était malheureusement en cours de rénovation. Nous pouvions tout de même faire une visite avec un guide nous expliquant le minutieux travail de rénovation de la toiture. C’est la deuxième fois récemment que nous pouvions voir de près le travail de rénovation des toitures d’établissements religieux. Nous avions récemment visité le monastère bouddhiste Enryaku-ji (延暦寺) au Mont Hiei près du lac Biwa, dont le hall principal Konpon-chūdō était également en rénovation tout en restant accessible aux visiteurs.

Un peu plus au fond de la forêt sacrée, bien derrière le sanctuaire Okumiya, une autre allée forestière nous amène vers un petit enclos à l’intérieur de lequel une pierre est posée. Cette pierre se nomme kaname ishi (要石) ou pierre de voûte. Le légende dit que cette pierre retient sous le sol la tête du poisson-chat Namazu (鯰), un poisson géant très turbulent dans les mouvements seraient à l’origine des tremblements de terre affectant régulièrement le Japon. Seul le Dieu Takemikazuchi serait en mesure de maintenir en place Namazu avec sa longue épée conservée comme relique dans le sanctuaire. Mais comme on le sait très bien, il arrive parfois que le poisson-chat échappe à l’attention des dieux et vient causer des séismes dans tout le pays. On dit aussi que le poisson-chat est sensible aux signes précédents un tremblement de terre. Il est également utilisé en dessin sur les pancartes autoroutières pour indiquer les routes fermées et réservées pour les urgences, en cas de tremblements de terre importants.

Des cerfs apprivoisés, considérés comme les messagers du Dieu Takemikazuchi, vivent dans l’enceinte du sanctuaire Kashima Jingū mais il ne sont malheureusement pas laissés en liberté comme à Nara. On peut les trouver dans un enclos à mi-chemin de l’allée Okusandō. De notre visite du sanctuaire Kashima Jingū, je garde en tête cette vaste allée de terre Okusandō, ombragée par des arbres géants. Il faut y marcher doucement, prendre son temps et apprécier la lumière qui essaie de se frayer un chemin jusqu’au sol de terre. Nous y sommes allés dans l’après midi avant 4h mais le soleil commençait déjà à baisser. En marchant sur Okusandō en direction de la grande porte rouge Rōmon (楼門) faisant environ 13 mètres de haut, ce soleil nous éblouissait tellement qu’on avait du mal à voir devant soi.

時が来た今

Les quelques photographies ci-dessus ont été prises au bord de l’océan pacifique sur la plage d’Oritsu dans le préfecture d’Ibaraki. Le soleil se couche de l’autre côté mais les couleurs légères qui se révèlent au dessus de l’horizon et en réflection sur les vagues nous paralysent pendant quelques instants. Depuis la plage, on aperçoit sur notre droite en direction de Chiba un groupe d’éoliennes qui prennent le vent. La longue plage de sable est entrecoupée de manière régulière par des digues faites de blocs et de tripods de béton qui viennent découper les vagues. Il est interdit de marcher sur ces blocs. On s’en approche quand même un peu car il ne semble pas y avoir de danger imminent.

Ce billet est le 2000ème que j’écris sur Made in Tokyo. Ce blog approche de ses 19 années d’existence mais le nombre de billets que j’ai écrit prend pour moi plus de signification que le nombre des années passées. J’aimerais avoir une idée du nombre d’heures passées à écrire ces billets. Je parle d’écriture plutôt que de photographies car c’est l’écriture des textes qui me consomme le plus de temps. Enfin, c’est l’impression que j’en ai. Disons que l’écriture des textes demande un effort, par rapport au développement des photographies numériques. L’effort est d’initier l’écriture, d’écrire les premiers mots et les premières phrases et de faire les quelques recherches préalables. Une fois la machine lancée, un texte de billet s’écrit assez rapidement, surtout quand je me laisse embarquer volontairement dans mes propres divagations. Cet espace personnel m’y autorise.

J’aimerais aussi avoir une idée du nombre de mots que j’ai pu écrire sur ce blog. Les billets au tout début de Made in Tokyo étaient courts et sans beaucoup de recherches, alors que les billets que j’écris depuis de nombreuses années maintenant sont beaucoup plus longs et développés. J’aime bien comparer ce blog à une forêt dense où on pourrait facilement se perdre. Mon intention de ne pas créer de table des matières très explicite est toujours intacte. Je préfère écrire au fur et à mesure sans regrouper mes billets et en mélangeant différents sujets dans un même billet. Il y a bien les catégories inscrites en haut des billets qui sont sensées permettre une organisation du contenu, mais elles sont désormais beaucoup trop vagues et je dirais même inutiles car la plupart des billets que j’écris sont systématiquement taggés dans les catégories ‘Tokyo’, ‘Architecture’ et ‘Musiques’. Je préfère faire des liens entre mes billets, vers des billets plus anciens. La plupart des billets que j’écris ont un ou plusieurs liens vers des billets précédents. Se forme ainsi un réseau de liens internes qui permettent de se déplacer entre les billets comme dans un labyrinthe ou comme dans une forêt dense où tous les arbres se ressemblent mais sont pourtant bien uniques. Je parle souvent de liens au sujet de la musique que j’écoute et apprécie. Je suis fasciné par cette idée de liens entre les choses, le musubi (結び). Les coïncidences sont aussi à mon avis des formes de liens.

J’ai toujours entre 40 et 50 visites par jour, mais j’ai toujours beaucoup de mal à connaître mes lecteurs. C’était beaucoup plus clair pour moi dans les premières années du blog car les lecteurs se manifestaient beaucoup à cette époque où les réseaux sociaux n’existaient pas encore ou n’en étaient qu’à leurs débuts. Je sais que les billets parlant uniquement d’architecture sont régulièrement recherchés, notamment ceux sur Sou Fujimoto, Kazuyo Sejima, Ryue Nishizawa, SANAA ou Tadao Ando, ce qui me fait dire que les amateurs d’architecture ou les étudiants en architecture sont toujours une partie importante des lecteurs. J’y pense toujours lorsque j’écris mes billets sur l’architecture tokyoïte. Mais je ne suis pas architecte, ni photographe d’ailleurs, ni spécialiste de musique ou d’art contemporain. Je n’ai pas d’autorité particulière à part le fait d’avoir écrit 2000 billets sur ces sujets. J’aimerais en tout cas avoir une meilleure idée de qui sont les visiteurs réguliers de Made in Tokyo. J’avais mis en place il n’y a pas très longtemps une enquête qui ne m’a apporté qu’une vingtaine de réponses, mais je l’ai malheureusement désactivé après le premier spam. Je sais qu’il y a aussi quelques lecteurs de très longue date qui ont dû lire les billets petit à petit au rythme des publications. Je m’amuse parfois à imaginer un nouveau lecteur qui, s’il apprécie mes billets, se lancerait dans leur lecture complète. J’ai du mal à imaginer le temps qui serait nécessaire pour lire et regarder tous les billets de Made in Tokyo. Ce nouveau lecteur hypothétique se rendrait certainement compte que je me répète souvent. Je me relis de temps en temps quand je manque d’inspiration. Je prends par exemple un mois au hasard dans les archives et je relis quelques anciens billets avec une certaine nostalgie. J’avais une nostalgie des années vécues en France, je l’ai toujours, mais je développe maintenant une nostalgie de mes années vécues à Tokyo. C’est un sentiment que je chérie et les 2000 billets de ce modeste blog contribuent au moins à cela.

Les images de ce billet s’accompagnent dans mes oreilles par les trois nouveaux morceaux de la compositrice de musique électronique et interprète Noah sur son EP intitulé Etoile. Ces trois morceaux sont d’une grande délicatesse et la subtilité de l’ensemble me plait vraiment beaucoup, notamment la balance parfaite entre les instruments classiques comme le piano et les sons électroniques. L’ambiance est assez différente de l’atmosphère urbaine de son album précédent Thirty dont j’avais également parlé dans un billet sur ce blog, mais on y trouve toujours cette impression d’écouter la représentation sonore d’un rêve éveillé. Cette expression n’est pas la mienne car elle est mentionnée sur la page Bandcamp de l’excellent label Flau qui distribue la musique de Noah (entre autres excellentes musiques). Toujours est il que l’impression vaporeuse qui pourrait être celle d’un rêve est bien présente dans cette musique dans la manière de chanter de Noah et dans le léger décalage de la partition musicale. Cette musique accompagne également très bien la légère nostalgie que j’évoque dans le paragraphe précédent.

vues sur les chutes de Fukuroda

Cette série de photographies datent déjà d’il y a plus d’un mois. Elles ont été prises lors d’une petite excursion en voiture vers les chutes de Fukuroda dans la préfecture d’Ibaraki, à 140kms du centre de Tokyo. Il nous a fallu 2 heures et demi à l’allé et un peu plus de 3 heures et demi au retour, ce qui est relativement correct pour une journée de week-end. Les chutes d’eau de Fukuroda étaient plus grandes que ce que j’imaginais mais pas aussi puissantes que la tombée d’eau de la cascade Kegon près de Nikkō dans la préfecture voisine. Il y avait peu de personnes sur place ce qui était une bonne nouvelle, mais il y avait quand même une petite attente nécessaire pour emprunter l’ascenseur qui nous donne un point de vue en hauteur sur la cascade. Le naturel du lieu s’accompagne d’infrastructure de béton qu’on prend soin de ne pas prendre en photo pour les oublier. L’ascenseur étant creusé dans la falaise en face de la cascade, il reste tout de même assez discret.