capsules urbaines

Je recherche beaucoup en ce moment à faire contraster le décor urbain avec les couleurs de la végétation qui s’en dégagent soudainement, sans prévenir. Sur cette série photographique, le rouge végétal l’emporte haut la main sur le reste du paysage urbain, même la maison individuelle futuriste R・Torso・C de l’Atelier Tekuto sur la première photographie a du mal à rivaliser avec la force de cette couleur rouge. En insérant une photographie de la rivière de Shibuya, je m’amuse ensuite à soumettre ces formes et couleurs végétales à la rudesse grise du béton. L’architecture aux formes lisses et angles nets des première et dernière photographies agissent comme à cadre destiné à contenir et à amortir cet extrait de ville. Dans mon esprit, j’aime régulièrement concevoir mes billets comme des petites capsules urbaines suivant une logique définie de composition. Ces capsules s’apparenteraient à des salles d’un ensemble architectural beaucoup plus vaste, lui même représentant une réalité parallèle à celle de la Ville. Lire le manga Blame! de Tsutomu Nihei me fait réfléchir à ma vision de la Ville.

Dans les commentaires d’un billet précédent intitulé ‘walk as you mean to go on’, Nicolas me conseille la lecture du manga Blame! (ブラム!) de Tsutomu Nihei. Je ne connaissais pas ce manga de science fiction dont le premier épisode date de 1998, mais j’avais par contre vu de cet auteur l’anime Knights of Sidonia que j’avais beaucoup aimé à l’époque. Knights of Sidonia ressemble un peu à Neon Genesis Evangelion car, de manière similaire, des formes extraterrestres attaquent inlassablement une communauté qui essaie tant bien que mal de se défendre. Ce que j’aimais par dessus tout dans Knights of Sidonia, c’était la représentation très inspirée d’une ville verticale intégrée à un vaisseau spatial. On retrouve cette même complexité urbaine sur le manga Blame!, sauf que la représentation de la ville y est beaucoup plus chaotique.

Dans Blame!, Tsutomu Nihei nous montre un monde ultra-futuriste où les technologies cyberpunk se mélangent à d’immenses constructions de béton et de métal sombres et cauchemardesques. Un personnage solitaire, Killy, dont on ne sait que peu de choses, évolue entre les différents niveaux de cette gigantesque ville verticale. La ville est composée de strates séparées par des megastructures quasi indestructibles jouant le rôle de système d’isolation entre les différents niveaux de la ville. La ville que l’on parcourt dans Blame! prend ses fondations sur Terre et a ensuite grandi sans contrôle humain sur des dizaines de milliers de kilomètres pendant plus d’un millénaire. La ville est progressivement construite par des machines automatiques appelées bâtisseurs qui l’étendent à l’infini jusqu’à l’emballement et le chaos. L’univers de cette ville est sombre et crasseux, souvent vertigineux le long des longues parois donnant sur le vide, et viscéral quand les tubes de toute sorte s’entremêlent comme s’ils se connectaient à des organes. La ville est labyrinthique tout comme l’histoire qui y est relatée. On se perd dans ces lieux en suivant les traces de Killy comme on se perd dans l’histoire qui est particulièrement et volontairement complexe à comprendre. Le manga n’est pas facile d’accès du fait du nombre restreint de dialogues et d’explications sur les événements qui viennent interrompre le parcours des personnages. Cela pourrait avoir un aspect un peu frustrant, mais on apprend vite en parcourant les pages du manga qu’il s’agit ici plutôt de s’imprégner de l’ambiance des lieux et de vivre cette lecture comme une expérience. Il est difficile d’avoir des explications rationnelles à tout ce qui surgit, se transforme, disparaît soudainement pour réapparaître plus tard dans d’autres lieux. Pour sûr, ce manga ne s’adresse pas à tous, mais, en ce qui me concerne, j’ai tout de suite été impressionné par les détails et la spatialité de cette architecture gigantesque. D’une certaine manière, je suis même rassuré de savoir que Tsutomu Nihei a fait des études d’architecture avant de devenir mangaka, tant il maîtrise la conception des espaces.

L’univers post-apocalyptique de cette ville est mystérieux et on apprend sa genèse que par bribes d’informations très incomplètes. Killy, aidé dans son parcours par une scientifique appelée Cibo (ou Shibo), recherche des humains porteurs du terminal génétique. On apprend que les humains avaient autrefois contrôle sur l’évolution de cette ville en s’y connectant à travers ces terminaux génétiques, mais qu’une contamination leur à fait perdre ce contrôle, laissant la ville en proie aux machines bâtisseuses inarrêtables et aux créatures cybernétiques appelées Sauvegardes (ou Contre-Mesures ou Safeguards selon les traductions). Killy et Cibo ont pour objectif de rendre à l’humain cette capacité de se connecter avec la ville, afin d’en arrêter son expansion folle, de stopper les actions destructrices des Sauvegardes et de redonner à cette ville un fonctionnement normal. Le périple de Killy et Cibo est ponctué de nombreux combats contre ces Sauvegardes qui cherchent inlassablement à exterminer les humains. Killy est humain mais possède des capacités cybernétiques et une arme très puissante, un Émetteur de Rayon Gravitationnel (Gravitational Beam Emitter), dotée d’une technologie rare et donc convoitée. Cette arme est un de ses plus précieux alliés contre les Sauvegardes et autres créatures hostiles car ses effets sont dévastateurs.

Dans ces mondes obscures, vivent des tribus plus ou moins étranges ou hostiles qui viendront croiser le chemin de Killy. Dans les premiers volumes de l’histoire, il traversera le village des electro-pêcheurs (ou électro-harponneurs), un regroupement humain vivant retranché et précairement dans une partie de la ville et ne sachant que peu de choses sur leur histoire ou leur environnement. Ils ont connaissance de légendes sur un monde ancien mais peu de certitudes. Les nombreuses rencontres que fait Killy sur son parcours n’aident en fait pas beaucoup le lecteur à comprendre l’origine de cette ville, et viennent même complexifier l’ensemble. Une autre forme vivante appelée Silicié (ou Créature de Silicium) vient plus tard empêcher la progression de Killy et Cibo dans leur recherche. Ce sont des cyborgs de couleur noire aux formes étranges parfois grotesques et élancées, luttant d’abord pour leur survie en détruisant toute forme humaine. Un peu plus loin encore, un personnage aux allures féminines appelé Sanakan, représentante haut placée des troupes de Sauvegardes possédant également un Émetteur de Rayon Gravitationnel, essaiera aussi de leur barrer la route. D’autres personnages comme l’intelligence artificielle Mensab (ou Main-serv) et son gardien Seu, ou l’ancien Sauvegarde spécial reconverti Dhomochevsky et son compagnon Iko, essaieront plutôt de les aider dans leur quête d’un porteur de terminal génétique. L’histoire se complexifie encore quand on nous indique que ce terminal permet de se connecter à une Résosphère (ou Netsphere) qui semble être un monde parallèle à la réalité basique où le temps et l’espace fonctionnent différemment.

Il faut s’accrocher entre tous ces concepts mais on apprend vite à lâcher prise et à se laisser entrainer dans cet univers plutôt que d’essayer d’en comprendre les moindres détails. Et cet univers est fabuleux, que ça soit pour l’aspect grandiose et le détail extrême des lieux, que pour la qualité graphique et l’élégance des personnages que l’on y croise. En fait, cette densité nous fait penser que ce monde est beaucoup plus vaste et réfléchi que ce que l’auteur nous montre dans les pages du Manga. De nombreux termes font référence au monde digital et informatique comme le nom des personnages Mensab (Main-Serv autrement dit ’Serveur Principal’) ou Seu (software de l’IBM AS/400), le Silicium qu’on retrouve dans les composants électroniques, la Résosphère comme représentation du cyberspace, les Contre-Mesures qui essaient d’éliminer les humains contaminés comme des virus informatiques, les règles d’accès à la Résosphère qui ressemblent à une gestion d’accès d’un système d’exploitation informatique. La frontière entre le monde très physique de cette ville titanesque et le monde digital où des entités se téléportent devient de plus en plus flou au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire. En fait, la densité de ce monde et les références au monde digital (par exemple, les intelligences artificielles) ne sont pas si éloignées que ça des mondes de Masamune Shirow sur Ghost in the Shell. L’ambiance graphique est cependant plus proche de celle de H.R. Giger dont Tsutomu Nihei dit être influencé. Intéressante coïncidence, Je suis justement en train de revoir tous les films Alien suite au billet que je mentionnais plus haut, et j’ai déjà vu les quatre premiers de la série. Me reste à revoir les films plus récents de la série Prometheus. Tsutomu Nihei revendique également un attrait pour la bande dessinée franco-belge d’auteurs comme Enki Bilal ou Moebius. Je sens que je vais bientôt ressortir de ma bibliothèque la trilogie Nikopol et le gros volume de l’Incal.

Suite à la lecture des six volumes du manga Blame!, je regarde le film d’animation éponyme réalisé par Hiroyuki Seshita sur Netflix. Le film est graphiquement très fidèle mais ne va pas aussi loin que le manga dans la représentation de la grandeur des espaces. L’histoire reste beaucoup plus abordable que le manga car elle se limite au deuxième volume quand Killy rencontre Zuru et le village des electro-pêcheurs, et qu’il tente avec Cibo une connexion à la Résosphère à travers un terminal synthétique récupéré dans l’ancienne entreprise Toha Heavy Industries. On ne retrouve pas non plus dans le film d’animation la folie graphique que l’on peut voir dans le manga, notamment dans le dessin de certains personnages. Mais, le film est tout de même très beau visuellement et constitue un complément intéressant et même instructif sur l’univers du manga.

how to repeat Tokyo endlessly (λ)

Les cinq photographies de ce nouvel épisode de ma série sur Tokyo en répétition sont toutes prises dans un espace très limité sur l’avenue Aoyama, autour de l’université des Nations Unis, notamment à la grande librairie Aoyama Book Center se trouvant à proximité. Elle est située au sous-sol, un peu à l’écart de l’avenue et n’est donc pas évidente à trouver, malgré sa grande taille. Comme ça faisait des années que je n’y étais pas allé, j’en avais même oublié son existence. je pense y revenir un peu plus souvent vu le très grand nombre de livres de photographie et d’architecture que l’on peut y trouver. Sur une des vitrines de la librairie, on y montre des photographies de Yoshiyuki Okuyama à l’occasion de la sortie d’un recueil de photographies appelé Girl. Le nom de ce photographe me dit quelque chose quand je l’aperçois sur cette vitrine. Ces photographies très granuleuses et à peine déchiffrables que je vois sur la vitrine m’attirent beaucoup. Elles me donnent soudainement l’envie de photographier différemment, comme cette tentative de ‘double photographie’ à travers le filtre de l’iPhone. J’essaie en quelque sorte de matérialiser une crainte qui me gagne soudainement, celle que les smartphones finiront un jour par produire une qualité photographique supérieure à celle des appareils reflex. L’ultra-instantané des smartphones, permettant à la fois de prendre une photo et de la publier immédiatement sur les réseaux sociaux, enlève tout temps de reflexion car il faut avant tout publier avant les autres. Cette étape d’immédiateté réduit le temps d’une réflexion salutaire, et c’est personnellement cette étape de réflexion que je préfère dans mon approche photographique et de blogging.

En entrant à l’intérieur de la librairie, on peut découvrir plusieurs photobooks de Yoshiyuki Okuyama et notamment un que je reconnais pour avoir gardé une photographie découpée et collée sur une des pages d’un de mes bloc-notes papier. J’avais donc reconnu le nom de Okuyama en raison de cette photographie conservée dans mon bloc-notes. J’aime beaucoup son style, jouant parfois avec l’absurde ou les altérations d’images. On peut voir un grand nombre de ses photographies sur son site internet, certaines sont commerciales, par exemple des couvertures d’albums comme ceux de Quruli ou Never Young Beach. On peut également voir sur le site des extraits des photobooks dont celui bizarrement intitulé Bacon Ice Cream qui m’a l’air d’être un des plus intéressants.

Un peu plus loin dans la librairie, un magazine grand format est posé à plat avec une très belle photographie de Kiko Mizuhara. Je ne connais pas ce magazine appelé Sneeze. Cette photo de couverture est prise par le photographe japonais Takashi Homma. Je ne possède aucun livre de photographies de Takashi Homma, mais je garde toujours en tête un de ses photobooks intitulé Tokyo and my daughter dans lequel il mélange des photographies de Tokyo et notamment d’architecture, et d’autres photographies beaucoup plus intimes, de sa fille. Ce mélange des genres m’avait inspiré sur quelques billets en mai et juin 2011, comme ceux intitulés sun/moon, from an empty road 1 et 2, fixed, なん階立て et ルーフまで行ける. Sur le modèle de Takashi Homma, je tentais de mélanger également des photographies de mon fils avec des scènes de rues ou d’architecture. J’ai en fait déjà feuilleté ce livre Tokyo and my daughter plusieurs fois dans des librairies, et je le garde toujours en tête comme modèle, car j’aime aussi beaucoup mélanger les genres. Je devrais certainement l’acheter un jour.

○○○と言えば

Le building Tokyu de la station de Shibuya montre en ce moment sur sa façade une étrange photographie en noir et blanc d’un visage marqué du mot « wack » avec un sigle ressemblant à celui de MacDonald à l’envers. Il s’agit en fait d’une affiche promotionnelle pour l’agence Wack fondée par Junnosuke Watanabe spécialisée dans les idoles alternatives, notamment, dans les plus connues, BiS et le groupe sœur BiSH. On peut dire un peu sarcastiquement que la signification du nom en anglais de cette agence ainsi que l’utilisation d’un sigle proche de celui d’une chaîne de fast food donnent une bonne idée de la qualité générale de la production musicale de cette agence. Pour être tout à fait honnête, j’avais quand même apprécié un morceau du groupe BiSH l’année dernière, mais je constate tout de même que l’imagerie accompagnant les groupes n’est pas toujours du meilleur goût. J’aime par contre assez cette affiche géante dominant le carrefour de Shibuya, accompagnée d’un barcode nous amenant sur les pages du site internet de Wack. Les autres photographies du billet se déroulent également en plein centre de Shibuya au milieu de la foule qui traverse sans cesse le carrefour, dans un flot continu qui n’en finit pas de couler entre les deux rives.

Quand Burial sort un nouvel EP, je me précipite en général pour l’acheter sur iTunes ou Bandcamp, car je sais à quoi m’attendre. Je sais que l’ambiance y sera sombre et underground, assez désespérée mais surtout très forte émotionnellement. Le son est immédiatement reconnaissable, comme s’il était joué au troisième sous-sol d’un club mal éclairé. Cette musique est pleine d’aspérités. Les voix répétitives nous parlent ici d’un amour contrarié. Les paroles « I want you, why don’t you want me / You can’t lie, I see it in your eyes » se répètent sans cesse et constituent la trame principale du premier morceau intitulé Claustro. Le deuxième morceau State Forest revient vers l’ambient pur que l’on avait découvert pour la première fois sur le EP Subtemple / Beachfires. Ce morceau semble être la suite des morceaux précédents tant l’ambiance est ressemblante. Ce morceau ne se compose que de nappes sonores semblant prendre écho dans une bâtisse monumentale comme une cathédrale. Il n’y aucune percussion et de ce fait la construction du morceau reste très floue. Le premier morceau Claustro s’inscrit également directement dans la lignée des EPs précédents, ne serait ce que pour les craquements sonores et les incursions de voix délimitant les parties à l’intérieur d’un même morceau. Malgré cette grande continuité de style, Burial introduit tout de même des nouveautés au compte-gouttes, comme la partie finale de Claustro se transformant soudainement en euro-dance. En fait, Burial peut s’aventurer vers d’autres domaines musicaux, à la limite du démodé par moment, mais ces incursions sont toujours très mesurées et parfaitement intégrées à l’ensemble. De ce fait, ces changements inattendus de style ne font que renforcer la qualité d’ensemble du morceau. Les morceaux de Burial ressemblent un peu à des prises de sons directes dans les rues ou dans les clubs. C’est un peu comme s’il capturait ces sons tels qu’on les entend à différents endroits, pour ensuite les mélanger habilement pour constituer une ambiance hybride.

Il y a quelques mois de cela, on m’a contacté pour me demander si une de mes photographies pouvait être utilisée pour le numéro 29 du magazine Gradhiva publié par le musée du Quai Branly. Il s’agit en fait d’une composition photographique que j’avais créé il y a plusieurs années représentant une figure féminine dont le visage était caché pour une structure de nuages. Il s’agit de la deuxième photographie sur le billet Structure and clouds publié en avril 2011. J’ai bien volontiers accepté d’autoriser ma photographie à être publiée sur une des pages du magazine, et j’ai demandé, comme à chaque fois qu’on me demande une photographie pour une publication, de m’envoyer un exemplaire du numéro en question, ce à quoi on m’a répondu positivement. Le numéro 29 intitulé Estrangemental de cette revue d’anthropologie et d’histoire des arts est sorti à la fin du mois de mai et depuis, je surveille ma boîte aux lettres. Mais la revue n’arrive toujours dans notre boîte aux lettres. La revue s’est peut être perdue en route? Du moins, elle ne s’est pas perdue en route pour un artiste japonais ayant lui aussi contribué à la revue en fournissant quelques photographies de sa création. Il fournit certes beaucoup plus de photographies que moi, donc je me dis qu’il a peut être reçu son exemplaire en priorité. Toujours est-il que, pour chaque publication de mes photographies dans le passé sur d’autres magazines ou livres, on m’a toujours systématiquement envoyé un exemplaire. Est ce que le musée du Quai Branly n’est pas en mesure de bien gérer la distribution pour les contributeurs au magazine ? Je décide donc de recontacter la personne qui m’avait fait la demande de la photographie et on m’indique qu’il y a certainement eu un problème car d’autres artistes au Japon ont reçu leurs exemplaires. J’avais en effet noté ce problème. Une semaine plus tard, ne voyant toujours rien arriver dans ma boîte aux lettres, je recontacte la personne, sans réponse de sa part après plusieurs jours. Je ne suis étonnamment pas surpris et c’est bien dommage car j’ai quand même fait l’effort de fournir gracieusement dans un court délai une de mes photographies qui apparaîtra au final dans un magazine payant (20 Euros pour la version papier et 4 Euros par article). Si par le plus grand des hasards, quelqu’un allait faire un tour du côté du musée du Quai Branly, je serais très curieux qu’on m’envoie une photographie des pages où se trouve la photographie en question, histoire de voir ce que ça donne dans le magazine. Ceci étant dit, j’espère que je me trompe et je ne désespère pas de recevoir un exemplaire chez moi dans les jours qui viennent. Mon espoir s’amenuise pourtant de jour en jour.

Comme je n’aime pas beaucoup terminer un billet sur une note négative, je voudrais mentionner le morceau Killer Tune Kills Me du groupe japonais Kirinji avec en invitée au chant YonYon. L’ambiance y est très clairement neo City Pop (le genre City Pop étant populaire au Japon dans les années 80), avec comme particularité la présence de cette chanteuse YonYon qui doit être coréenne vu les quelques paroles chantées dans cette langue et les passages en japonais avec un léger accent. J’adore tout simplement ce morceau, je pense que ça doit être dû à certaines sonorités musicales qui m’attirent dans ce morceau. Toujours est-il que je l’écoute en boucle et j’ai toujours un peu de mal à arrêter de l’écouter. Je ne suis pas fan de City Pop, loin de là, mais certains morceaux opèrent chez moi comme un phénomène d’addiction. Je me demande si j’y vois là une nostalgie inconsciente. Bien que le morceau vient tout juste de sortir, je dois y trouver une certaine familiarité.

revenir vers le futur

La timeline de mes billets est un peu discontinue en ce moment car je ne veux pas montrer qu’une continuité de photographies de sakura, alors j’alterne avec un peu d’architecture. Je reviens à Ōokayama sur le campus du Tokyo Institute of Technology. A proximité de la bibliothèque en apesanteur que je montrais dans un billet précédent, se trouve un autre bâtiment assez emblématique, le Centennial Hall of the Tokyo Institute of Technology par l’architecte Kazuo Shinohara. Ce bâtiment futuriste date de 1987. Il a été construit pour célébrer le centenaire de l’institution. C’est un bâtiment iconique très particulier, dont le design est sensé exprimer l’anarchie progressive que l’architecte a pu voir à l’ouvrage dans la manière par laquelle la ville de Tokyo s’est développée. Ce building, situé à l’entrée du campus et facilement visible depuis la gare, est utilisé comme musée de la technologie et comporte également des salles de séminaires et de conférence. La particularité du building est bien sûr cet immense demi-cylindre d’acier de 44 mètres de long, posé au dernier étage. D’un côté, le demi-cylindre pointe sur la station de train de Ōokayama, qui est aussi assez particulière. Cette station est en même temps un hôpital. Ce Tokyu Hospital at the Ōokayama station date de 2007 et est conçu par les mêmes architectes que Tokyo Institute of Technology Library, à savoir Yasuda Koichi Laboratory + Yasuda Atelier. La particularité du bâtiment est qu’il est conçu pour être envahi par la végétation. Je ne suis pas certain que cette idée initiale soit bien mise à l’oeuvre car en regardant cet hôpital après plus de 10 années d’existence, la végétation n’a pas beaucoup progressé sur les façades. J’imagine que l’entretien de ce genre de revêtement de surface vivant n’est pas simple à assurer. Dans les rues de Tokyo, on voit parfois des maisons ou des petits immeubles volontairement ou involontairement recouverts de morceaux de nature donnant l’effet d’un petit bosquet en pleine ville.

La librairie Kinokuniya au rez-de-chaussée du Department Store Seibu de Shibuya, comprend un petit espace d’exposition, souvent dédié à l’univers du manga. Je ne visite pas souvent cet espace, mais je suis attiré cette fois-ci par les images de Neon Genesis Evangelion, série animée que je suivais il y a longtemps en France, sur je ne sais quelle chaine satellite (il me semble, ma mémoire me fait défaut). C’est avec un certain plaisir que je retrouve affiché Ayanami Rei 綾波レイ et quelques autres personnages de Evangelion. De la série Evangelion, j’aimais cette histoire futuriste et mystique, les relations compliquées des personnages, le design élancé des robots Eva, le graphisme des personnages et des lieux et surtout l’urbanisme modulable de la ville réagissant aux menaces extérieures. Alors que j’avais un intérêt pour les manga quand je vivais en France, il a complètement disparu à mon arrivée à Tokyo. A l’époque, avant d’arriver à Tokyo, je pensais que l’imagerie manga serait beaucoup plus présente dans la vie quotidienne japonaise, mais c’était loin d’être le cas. Cela change maintenant avec la volonté du pays de montrer le “Cool Japan”. Après mon arrivée à Tokyo, je me suis assez vite désintéressé de l’univers manga. J’ai tout de même découvert plus tard, par hasard, des séries qui m’ont interpellé comme Knights of Sidonia (シドニアの騎士), reprenant une histoire assez similaire à Evangelion. J’aimais beaucoup l’espace urbain compliqué de la ville montrée dans cette série. J’ai un faible pour les représentations futuristes de ville. J’ai un très vague souvenir d’un film d’animation de la série Macross où on voyait les personnages évoluer dans un espace urbain compact, dans l’espace. Des morceaux d’images imprécises me reviennent en tête. Il faudrait un jour que je trouve le courage d’écrire ici sur la représentation de la ville dans quelques manga emblématiques. Ces derniers temps, je me mets à relire quelques manga. Après la lecture de Dōmu de Katsuhiro Ōtomo, je viens de terminer les 11 volumes de Mother Sarah du même Ōtomo associé à Takumi Nagayasu. Je me mets maintenant à lire le manga cyberpunk Ghost in the Shell 1.5 Human Error Processor de Masamune Shirow. J’adore Ghost in the Shell, mais je n’avais jamais eu la présence d’esprit de lire les volumes 1.5 et 2. J’essaie de corriger ces quelques manquements culturels.

rêve d’enfant

Cette maison de béton et de verre aperçue en direction de Yebisu Garden Place, non loin de la voie ferrée, est intéressante pour ses surfaces extérieures en damier. Lorsque l’on prend la façade principale en photo, les voitures des trois maisons individuelles placées juste à l’opposé se reflètent exactement dans chacune des plaques de verre teinté. On dirait un jeu pour enfants. Je découvrirais plus tard au hasard de mes recherches sur Internet que cette maison s’appelle N HOUSE par l’architecte Manabu Chiba (2013). Pour le bâtiment blanc de la dernière photographie, par exemple, je n’identifie que maintenant qu’il s’agit de T-Office par l’architecte Satoko Shinohara de Spatial Design Studio, alors que je recherchais des références sur House in a plum grove, dont je parlais auparavant. J’adore explorer les listes comme celle-ci construite par des enthousiastes d’architecture japonaise, car elles me permettent très souvent de mettre des noms d’architectes sur des bâtiments que j’ai déjà vu et pris en photo dans le passé. Les adresses ne sont bien sûr pas indiquées, mais le nom de l’arrondissement est parfois mentionné. Vu la taille des arrondissements, il est très difficile de trouver sur Google Maps une maison avec la seule indication de l’arrondissement. L’association d’un nom d’arrondissement et d’une photographie extérieure d’ensemble de la maison permet parfois de découvrir où elle se trouve, mais c’est au prix d’un travail minutieux de recherche sur Google Maps et ça n’aboutit que rarement. J’ai par exemple recherché plusieurs fois les bâtiments suivants: White Base de Architecton / Akira Yoneda, Mosaic House de TNA / Makoto Takei & Chie Nabeshima) ou encore On the cherry blossom house de Junichi Sampei / ALX, sans succès malheureusement à chaque tentative. J’envoie donc une bouteille à la mer ici au cas où un lecteur de ce blog aurait ces précieuses indications (ou d’autres lieux intéressants que je n’aurais pas encore photographié). L’avant dernière photographie de cette série montre l’auto-école Hinomaru dont l’énorme boule, rouge d’ordinaire, a été repeinte en blanc en vue des Jeux Olympiques de 2020. On voit de plus en plus d’affichages de ce style alors que les Jeux approchent petit à petit, mais rarement de cette taille.

La dernière image de la série, le bâtiment T-Office dont je parlais plus haut, entre étrangement en symétrie avec l’image extraite du manga Dōmu, rêve d’enfants, de Katsuhiro Ōtomo que je viens de finir de lire. Les immeubles sont de taille et de standing bien différents mais la ressemblance de forme et de perspective m’interpellent. Les illustrations de Akira vues dernièrement à Shibuya devant le Department Store PARCO en re-construction m’ont certainement poussé inconsciemment à revenir vers l’oeuvre de Katsuhiro Ōtomo. Je ne connaissais pas du tout Dōmu, sorti en livre au Japon en 1983, après une parution initiale en série dans un magazine manga dès 1980. Dōmu précède Akira dans la bibliographie de l’auteur. Sans atteindre les hauteurs épiques de Akira, on retrouve quelques éléments similaires comme la force psychique de certains personnages, une petite fille et un vieillard. L’histoire démarre sur une intrigue policière. Une investigation se met en place alors que plusieurs suicides inexpliqués ont lieux dans un même complexe d’immeubles de logements. L’histoire prendra ensuite des allures fantastiques, en mélangeant les personnages bizarres et à problème, les disparitions mystérieuses et autres phénomènes anormaux. L’arrivée de la petite Etsuko viendra perturber les événements affreux de la barre d’immeubles. Alors que les adultes, la police d’investigation, semble piétiner sur ces affaires, ce sont les enfants qui prennent le relai et viennent dénouer cette histoire.

On reconnaît dans Dōmu quelques prémices du Akira qui va suivre et le même style graphique bien qu’on soit ici dans le monde présent emprunt de beaucoup de réalisme. D’ailleurs, la barre d’immeuble de l’histoire qui a inspiré Ōtomo est celle du complexe Takashima Daira construit dans les années 1970 dans l’arrondissement de Itabashi au Nord de Tokyo. Ci-dessus est une photographie d’une partie des immeubles, que j’emprunte pour illustrer mon propos, avec un lien vers la page d’origine. Au sujet de ce complexe, Ōtomo disait la chose suivante:

I had the idea for the basic plot [of Dōmu], but I had difficulty in deciding where to set the story. One day I read a newspaper and a small article caught my eye. It said that at the Takashina-Daira Estates (a huge public housing project complex on the outskirts of Tokyo) dozens of people killed themselves each year by jumping from the buildings. I suddenly realized that there was setting for Dōmu…

L’histoire et son environnement prennent leur source dans des faits réels, et ce réalisme des lieux montrées m’a toujours marqué chez Katsuhiro Ōtomo. Toujours dans la préface de Dōmu, une autre citation m’interpelle pour le souci de l’auteur a montrer les lieux tels qu’ils sont, sans artifices inutiles, sans supercheries et c’est moi qui rajoute, sans filtres embellissants. C’est interessant de penser à ce souci de réalisme dans l’approche pourtant futuriste qu’il suivra pour Akira.

My interest in illustrating is a matter of seeing the people and things around me and not a matter of longing to see beautiful scenery. More than the picturesque, I love those places alive and sweltering with humanity… Some time ago, I tried very hard to arrange three rocks as naturally as possible, but no matter where I placed them, I couldn’t succeed. Maybe it’s my fascination with that which lacks artificiality. At any rate, nature doesn’t aim at pleasing an audience, and that fascinates me …

Je ne lis pratiquement plus de manga depuis au moins une vingtaine d’années mais c’est fantastique de se replonger maintenant dans l’oeuvre de Katsuhiro Ōtomo, qui m’avait fait tant rêver quand j’étais adolescent. Je m’étais tout de même replongé dans les six tomes de Akira l’année dernière et j’ai maintenant envie d’en lire un peu plus. Je vais peut être relire la série Mother Sarah que je ne suis pas sûr d’avoir lu en entier à l’époque.