Entrée d’un immeuble de logements au bord de Daikanyama.
Je reçois par courrier il y a deux jours environ un exemplaire de Etudes de Communication numéro 31 – Espaces urbains, Espaces publics, Paroles et interprétations des habitants. Julia Bonaccorsi, Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paris 12, y publie une recherche sur l’habitant et l’espace urbain, et plus précisément sur le devenir habitant, médiations de la ville dans les blogs d’expatriés au Japon. Bien que techniquement je ne sois pas expatrié, j’étais assez content d’apprendre que mon blog et ma façon de représenter la ville fasse partie de cette recherche et publication universitaire. C’est quand même pas commun de se faire étudier, mais j’avoue que j’adore avoir ce genre de point de vue extérieur.
En 35 pages, cette recherche aborde la question de la représentation de la ville intime (soi et la ville) et extérieure (la ville autour de soi) à travers le regard de douze auteurs de blogs devenus habitants à Tokyo. L’analyse des blogs révèle comment les bloggers tokyoites sélectionnés affirment une manière de s’approprier et de vivre la ville, révèlent l’espace urbain comme objet de connaissance à partager, mais aussi comme un espace théorique et abstrait.
La publication présente plusieurs modèles d’appropriation de la ville. Tout d’abord, le modèle de l’habitant in situ où la pratique de la ville s’effectue en dehors du blog. Le carnettiste Pipo au Japon est pris comme exemple, il croque la ville in situ et retranscrit cette expérience de la ville sous forme de croquis tel quel sur son blog. Un autre modèle est celui de la ville utilisée comme un espace de création. L’auteur de l’étude utilise le terme de « joueurs » et Made in Tokyo rentre dans cette catégorie. Je me permets de reproduire le texte qui me concerne ci-dessous. Un troisième modèle est celui de la ville en mouvement, pratiqué par Tokyo. La pratique physique de la ville sert l’introspection et la réflexion. Finalement, un dernier modèle présenté est celui des chroniqueurs avec la ville comme constellation événementielle. L’écriture de la ville suit les évenements de la vie quotidienne, familiale ou professionnelle comme chez OUGL, Ghismo au Japon ou Itadakimasu. Dans le corpus de blogs pris en exemple, on trouve également Ah, itten, torimashita, ne!, Candyland etc…
Ci-dessus, je retranscris les 3 pages du texte de Julia Bonaccorsi qui me concerne plus précisément. Le texte complet est censé être sur le site de l’Université de Lille 3 mais le lien de fonctionne pas (à priori il devrait devenir disponible plus tard…).
La ville comme espace de création : les joueurs
Le second modèle implique un investissement de la ville comme support de création et d’expression. Il est minoritaire dans le corpus et souvent délégué à une galerie photo reliée au blog (Itadakimasu, Le Japon.fr).
Dans Made in Tokyo, la photographie est le registre iconographique principal : deux galeries complètent le weblog (l’une d’elle est privée). Depuis son ouverture en 2003, le blog change sensiblement pour devenir plus narratif (récit de promenades urbaines, commentaire des photographies), et se recentrer sur la passion de l’auteur pour l’architecture:
Même en passant par des rues empruntées des dizaines de fois, j’y trouve un potentiel photographique.
Made in Tokyo, 15/02/07, Post : A Day in Tokyo
Les photographies de tours, d’immeubles de coins de rue, de magasins sont toujours informées (architecte, histoire) mais aussi resituées dans la pratique de la ville.
On pourrait dire que c’est une composition très dans l’esprit de Made in Tokyo, une vision fantomatique sur un décor urbain avec un format à la verticale, à la façon de quelques autres compostions précédentes comme City Lights. J’aime de plus en plus le format vertical, avec toujours dans l’idée de faire une fresque de plusieurs pages de long.
Made in Tokyo, 20/07/06, Post : Spirit Shown
L’auteur affirme son identité créative et éditoriale par le rappel du nom de son blog « très dans l’esprit Made in Tokyo ». Les techniques de prise en vue et de retouche photographique qu’il maîtrise de mieux en mieux au fil des années sont présentées de manière surplombante « à la façon de quelques autres compositions précédentes ».
Parmi ces compositions, on peut souligner deux « genres » : la composition « urbano-végétale » où l’auteur associe un décor urbain à des plantes, comme des îles futuristes flottant dans le vide (Figure 5);
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Figure 5 :« Ci-dessus, la huitième composition urbano-végétale, une des séries que je préfère et que je souhaite faire grandir dans le temps. Un bastion de nature survole la ville au plus près, ici au dessus de Kichijoji, et entraîne avec lui quelques éléments de décor urbain, des vieux immeubles en cours d’envahissement. »
Made in Tokyo, 25/11/07, Post : Urbano-végétal (8) |
l’investissement graphique de murs nus (utilisation d’un logiciel de retouche d’image) (Figure 6).
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Figure 6 : « Je me suis lancé dans un travail de re-décoration murale extérieure de cette maison de coiffure de Fujisawa, sans consulter les propriétaires. Souvenez-vous, j’avais déjà décoré un mur à Daikanyama. »
Made in Tokyo, 19/10/06, Post : Hair House Re-worked |
Ces compositions graphiques sont effectuées en retrait de l’espace urbain (à l’inverse de Pipo qui dessine dans la ville) et jouent à inventer une nouvelle ville : l’auteur affirme par le biais du blog ses compétences techniques et créatives. L’espace urbain est là un terrain de jeu dont l’appropriation se fait à distance, l’espace éditorial du blog servant directement cette réécriture : « J’aime de plus en plus le format vertical, avec toujours dans l’idée de faire une fresque de plusieurs pages de long. » Le photomontage est pleinement lié aux potentialités éditoriales du blog.