une fin d’après-midi à Samukawa

Je voulais rendre visite au grand sanctuaire de Samukawa (寒川神社) depuis longtemps. J’ai toujours été un peu refroidi par son nom qui me donne à chaque l’image d’une rivière gelée dans laquelle il faudrait se débattre sans pouvoir en sortir. Cette image est certes un peu extrême et ne nous a pas empêché d’y aller en plein hiver. J’ai en fait été rassuré d’apprendre qu’il n’y avait pas de rivière appelée Samukawa à traverser avant d’atteindre le sanctuaire. Le sanctuaire de Samukawa est le plus important de l’ancienne province de Sagami et portait ainsi le titre d’Ichinomiya (一宮), qui correspond au plus haut rang des sanctuaires d’une province. Les origines du sanctuaire sont plutôt floues et les premières mentions de ce lieu apparaissent à la date de 846 dans le Shoku Nihon Kōki (続日本後紀), qui raconte l’histoire officielle du Japon. Une des raisons pour laquelle nous voulions visiter le sanctuaire de Samukawa en ce début d’année était de voir la structure lumineuse Nebuta empruntée à la préfecture d’Aomori. Depuis 2001, cette grande structure en papier illuminée est montrée sur la porte Shinmon (神門) du sanctuaire pendant la période allant du Nouvel An jusqu’au festival Setsubun ayant lieu en Février. Je n’avais jamais vu de décorations comparables sur un sanctuaire. À droite du hall principal du sanctuaire se trouve un étrange objet en forme de sphère métallique. Il s’agit d’une sphère armillaire, un ancien instrument d’observation astronomique modélisant la sphère céleste. On l’utilisait pour montrer le mouvement apparent des étoiles, du Soleil, en considérant la Terre comme le centre de l’Univers. Des dragons sont placés aux quatre coins de la sphère, suivant la légende selon laquelle les dragons soutiennent le ciel. Nous sommes arrivés au sanctuaire en fin d’après-midi et les lumières se sont allumées dès 16h, ce qui nous a permis d’apprécier la structure Nebuta illuminée.

En ordre d’apparition, Kushinada Hime (奇稲田姫), Nakisawa Megami (泣沢女神), Kukurihime no Mikoto (菊理媛命), Samukawahime no Mikoto (寒川比女命) et Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命). Les cinq images ci-dessus sont imaginaires et ont été créées par intelligence artificielle (IA). Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne seraient que pure coïncidence.

Pour confirmer ma première impression, il faisait en effet froid ce jour là à Samukawa. Il y avait une petite foule au sanctuaire, car il s’agissait d’un jour faste Taian (大安). J’aime bien regarder la foule tout en buvant tranquillement un verre d’amazake dans le froid. Il n’y a pas d’alcool dans l’amazake mais c’est parfois tout comme. Le goût légèrement acidulé est par contre inhabituel et deviendrait même addictif, même si ce n’est pas dans mon intention d’en boire plusieurs verres. On trouve un stand d’amazake dans le parc longeant le sanctuaire, près de la boutique de souvenirs et des petits restaurants yatai. Après avoir acheté un gobelet d’amazake chaud, je suis vite revenu dans la grande enceinte du sanctuaire, sur la place entre le hall et la grande porte Shinmon ornée de la structure de papier Nebuta. On est ici à l’abri du vent mais le froid y est tout de même hivernal.

A travers la grande porte du sanctuaire, apparaît soudainement une jeune fille aux cheveux d’or, portant un parasol pour se protéger des rayons du soleil. Elle est habillée d’une robe de froufrous noire et blanche assez ample, comme on peut en voir parfois dans les environs de la rue Takeshita à Harajuku. Sa coiffure avec des broches cubiques jaunes est très intriguante. Sa présence est en décalage avec la foule qui l’entoure, mais personne n’a l’air de la remarquer. Elle avance tranquillement, mais d’un pas assuré. Lorsqu’elle passe devant moi, elle a un sourire franc, un peu figé et détaché, qui donne l’impression qu’elle apprécie le moment présent sans se soucier des choses et des gens qui l’entourent. Elle s’approche ensuite du grand hall du sanctuaire pour effectuer une prière après avoir replié son parasol. Je l’observe dans ses mouvements lents et délicats. Elle se déplace ensuite vers un coin de la place interne au sanctuaire. Elle s’arrête soudainement, se retourne en regardant en direction de la porte Shinmon. Elle semble attendre quelqu’un en position immobile. Son visage innocent est rayonnant et la lumière du soleil vient faire briller ses cheveux d’or. Il est impossible de ne pas la remarquer car c’est un être lumineux dans l’enceinte du sanctuaire, mais personne ne semble y prêter attention.

Je me rends compte rapidement qu’elle n’est pas la seule personne étrange dans l’enceinte du sanctuaire. Étrange n’est peut-être pas le bon terme, mais disons que la présence de cette autre jeune fille habillée d’une robe assez similaire mais avec des cheveux d’une couleur rosée, a quelque chose d’irréel. Leurs styles sont relativement similaires, comme si elles étaient issues d’une même époque et d’un même lieu loin du Japon traditionnel. Je bois une nouvelle gorgée d’amazake tout en observant la scène. Je ressens maintenant une pointe inhabituelle d’épice dans ce breuvage. A chaque gorgée, j’ai l’impression de boire une boisson différente, pas complètement différente, mais subtilement différente. La fille à la robe noire et blanche et à la chevelure rosée ne bouge pas. Elle se tient debout dans un des coins de l’enceinte. Je distingue bien son visage qui est tourné dans ma direction, mais elle ne regarde pas vers moi. On a l’impression qu’elle attend également quelque chose ou quelqu’un. Cette attente a l’air de l’inquiéter si j’en crois l’expression de son visage. En fait, je comprends en la regardant de manière discrète et intermittente ce qui me paraît étrange dans son apparence. Elle ne semble pas être affectée par le froid ambiant. D’apparence, son visage n’est pas attaqué par la froideur de l’air, ce qui me paraît tout à fait étonnant. Il s’agit peut-être d’une divinité prenant une apparence humaine. Cette pensée soudaine me surprend moi-même et me fait même sourire. Il ne faudrait pas que je commence à voir des créatures fantastiques ou fantomatiques à tous les coins de rues. Je bois de nouveau une gorgée d’amazake en serrant bien le gobelet en papier dans mes mains pour me réchauffer, car cette fille aux cheveux rosés me donne soudainement froid. Je bois doucement par petites gorgées car terminer le gobelet trop vite veut dire que je n’aurais plus de source chaude pour me réchauffer les mains et plus d’excuses pour me poser debout ici dans l’enceinte du sanctuaire à chercher et observer des personnes atypiques.

A peine une minute plus tard, apparaît une nouvelle personne attirant mon attention. Elle porte une robe rouge et noire aux motifs en dentelles travaillées avec un diadème en collier et une veste en cuir légère. Ses cheveux sont mi-longs et d’une couleur rougeâtre. Elle me fait vaguement penser à une actrice mais je ne saurais pas dire qui. C’est peut-être sa manière de marcher avec une assurance et une détermination indéniable qui me fait penser qu’elle doit avoir l’habitude d’être regardée. Elle ne fait pourtant pas attention à ce qui l’entoure et marche droit devant elle vers le hall comme si elle était seule sur la grande place. La foule devant elle s’écarte comme par magie, ou on pourrait plutôt dire que le rythme de ses pas lui permet de passer entre les mailles de la foule avec une justesse qui m’impressionne. C’est comme si ses mouvements avaient été précisément prévus, calculés au millimètre, pour éviter les gens devant elle. Son style vestimentaire ressemble à celui des deux autres. J’en viens à me demander si ce sanctuaire n’est pas utilisé comme décor dans un manga populaire, un anime ou peut-être même un film, et que ces trois jeunes filles y viennent habillées comme les personnages de ce supposé manga pour se mettre en quelque sorte en situation. J’aurais envie de demander autour de moi mais personne ne porte une attention quelconque à ces trois filles en costumes. Il n’y avait pas non plus d’écriteau ou d’affiche dans le sanctuaire indiquant une éventuelle utilisation de ce lieu pour un film ou comme décor dans un manga. Les temples et sanctuaires ne cachent en général pas ce genre de informations qui attirent les visiteurs. En me renseignant sur le sanctuaire de Samukawa avant de venir, je n’avais pas non plus lu de mentions à ce sujet. J’avais par contre lu au sujet de l’histoire du sanctuaire, en apprenant que les divinités qui y sont vénérées sont les kamis Samukawa-hiko no mikoto (寒川比古命) et Samukawa-hime no mikoto (寒川比女命), les incarnations masculine et féminine respectivement d’un couple nommé Samukawa Daimyōjin (寒川大明神). Il reste pourtant beaucoup de mystères autour de ces deux divinités, car elles ne sont pas mentionnées dans les textes anciens du Kojiki ou du Nihonshoki. On dit qu’il s’agirait de souverains du début de l’histoire du Japon, mais les détails restent grandement inconnus. Il existe également diverses théories concernant la divinité réellement consacrée au sanctuaire de Samukawa. On évoque divers noms de divinités et de princesses comme Kushinada Hime (奇稲田姫), Nakisawa Megami (泣沢女神) et Kukurihime no Mikoto (菊理媛命). Alors que je me remémore ces théories lues sur internet, il me vient une évidence. Il me semble maintenant évident que les princesses divines des livres anciens se sont données rendez-vous aujourd’hui, jour faste Taian, dans l’enceinte du sanctuaire Samukawa.

Au moment exact de mon éclair de clairvoyance, un autre éclair détone dans le ciel. Le ciel s’est couvert au dessus du sanctuaire. Des nuages épais se sont développés sans que je m’en rende compte, trop occupé à mes réflexions. On distingue dans les nuages des formes longues et sinueuses comme des serpents. On regardant un peu mieux, ce sont plutôt des dragons aux formes floues et mouvantes qui s’entremêlent. Une gueule apparaît parfois puis replonge dans les volumes nuageux. Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à présent mais la sphère armillaire portée par les quatre dragons s’est mise à tourner sur elle-même, à la recherche d’un nouvel équilibre. On distingue trois dragons dans les nuages mais il manque le quatrième pour que l’équilibre céleste ne soit pas perturbé. Je bois sans réfléchir une nouvelle gorgée d’amazake, qui a maintenant un parfum de saké, comme pour marquer le démarrage d’une nouvelle étape. Il n’y a pas de doutes, la jeune fille aux cheveux d’or est Kushinada Hime (奇稲田姫), celle au visage triste et aux cheveux rosés est certainement Nakisawa Megami (泣沢女神). L’assurance de la fille habillée de rouge me fait penser qu’il doit s’agir de Kukurihime no Mikoto (菊理媛命). Mais où sont Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命) et Samukawahime no Mikoto (寒川比女命), les véritables divinités du sanctuaire? Je n’en ai aucune idée. Je regarde autour de moi mais je ne vois personne qui pourrait correspondre de près ou de loin à l’image tout à fait arbitraire que je me donne de ces divinités. Elles doivent forcément avoir une personnalité forte pour pouvoir nous protéger contre les mauvais esprits de toutes sortes. Mais les vents célestes continuent à souffler, générés par les mouvements continus des dragons dans le ciel, dans des bruits sourds et incessants. Les trois princesses, qui avaient jusqu’à maintenant des visages angéliques, ont entamé une transformation d’apparence stupéfiante, conditionnée par les forces célestes qui les entourent et les submergent. Leurs visages se déforment en un rictus effrayant qui fait froid dans le dos. Elles ressemblent maintenant à des monstres, qui me fascinent plus qu’ils m’effraient. Je regarde ces événements extraordinaires d’une manière sereine. Je suis de toute façon comme paralysé sur place, sans trouver la force ou même la volonté de faire quelque mouvement que ce soit. Les vents tournoyant font maintenant voler la poussière et le ciel s’est beaucoup assombri. La foule s’est déjà dissipée. Je suis seul à être témoin de ce déchaînement des éléments. La sphère armillaire semble tourner de plus en plus vite sur elle-même dans un bruit fracassant. La tornade au dessus du sanctuaire est violente et bruyante. Elle pourrait tout emporter si elle continuait de cette manière. Le point de saturation est proche. Je le sens maintenant très fortement même si j’ai du mal à saisir les enjeux de ce débordement. Je me tiens fermement d’une main à la rambarde derrière moi, mais les vents ne me bousculent pas vraiment, comme si j’étais préservé pour pouvoir être témoin de ce qui se passe. Les trois divinités devenues monstrueuses se tiennent maintenant figées regardant en direction de la grande porte Shinmon. Elles semblent attendre l’apparition d’une force plus grande qu’elles. Malgré leur apparence nouvelle, je ne ressens aucune animosité entre elles. Ce que je suis en train de voir n’annonce peut-être pas une bataille mais s’avère plutôt être une procession pour l’arrivée prochaine du couple Samukawa Daimyōjin. Il ne me reste plus beaucoup d’amazake dans mon gobelet mais je me retiens de boire ce qui reste, car je veux connaître la suite de cette histoire. J’ai compris qu’il s’agissait d’un révélateur m’ouvrant une porte vers ce monde divin et céleste.

Samukawahime no Mikoto (寒川比女命) entre finalement en scène suivie de Samukawahiko no Mikoto (寒川比古命). Ils marchent l’un à la suite de l’autre d’un pas décidé et rapide, dissipant rapidement les nuages et les bourrasques qui avaient perturbé le sanctuaire. Les trois autres princesses ayant retrouvées leur apparence initiale s’inclinent à leur passage. Je fais de même sans réfléchir. La place devant le grand hall du sanctuaire est vide. La sphère armillaire a freiné son mouvement jusqu’à l’arrêt apparent indiquant un équilibre retrouvé. Les cinq divinités sont maintenant alignées devant le sanctuaire avec le couple Samukawa Daimyōjin au centre. Elles montent les quelques marches de bois puis disparaissent dans la pénombre comme si elles n’avaient jamais vraiment existé. Je bois la dernière gorgée de l’amazake qui restait dans mon gobelet. A ce moment précis, on m’appelle soudainement et je reprends mes esprits. Je semble être le seul à avoir été témoin de cette procession extraordinaire. Enfin, je n’en suis pas sûr car de l’autre côté de la place du sanctuaire, une fille habillée de noir me regarde avec insistance comme si elle comprenait ce que je venais de voir. Elle ressemble beaucoup à Kei, mais je n’en suis pas certain car elle se trouve un peu loin de moi. Je me résonne en me disant que ça ne doit pas être Kei car je n’ai pas encore écrit cette partie de son histoire. A moins qu’elle ne vive maintenant en dehors de mon histoire, vu que je mets beaucoup trop de temps à l’écrire. C’est peut-être même elle qui écrit mon histoire. Cette idée me donne froid dans le dos dans un premier temps. Elle disparaît à son tour me laissant seul avec mon histoire dont j’ai maintenant du mal à percevoir les contours.

Kei se reveille progressivement au son de l’introduction vaporeuse d’une musique Dream Pop émanant des écouteurs de son iPhone. Elle s’était endormie en écoutant une longue émission musicale de la radio anglaise NTS, consacrée au Shoegaze sous toutes ses formes. Dans son rêve, qui n’en était peut-être pas un, les nuages de guitares entremêlées du Shoegaze venaient ajouter une ambiance musicale dramatique à la tourmente qui se déroulait devant ses yeux dans le ciel au dessus du grand sanctuaire de Samukawa.

J’écoute aussi beaucoup, en boucle même dirais-je, deux émissions consacrées au Shoegaze sur NTS Radio. L’une s’intitule NTS Guide to Shoegaze 2K24 et l’autre Liquid Mirror with Olive Kimoto – On the Edges of Shoegaze. Il s’agit en fait de longues playlists de plus d’une heure chacune contenant des morceaux d’inspirations Shoegaze, sous différentes formes incluant la Dream Pop. Je ne connais pas la plupart des groupes présents sur ces deux playlists, à part deux (Slowdive et Yeule) et je suis complètement épaté par la qualité fabuleuse de la sélection. On parle ici de groupes indépendants, très loin du mainstream et par moment très proches de la recherche expérimentale de sons. La constante est une certaine forme de brouillard sonore typique du Shoegaze, mais ça serait très réducteur de se limiter à ce type d’images. On ressent l’influence de MBV sur les sons de guitares instables de certains groupes de ses deux sélections. Ils savent pourtant se réorienter vers d’autres directions en cours de morceau. La musicienne, DJ et artiste multimédia Olive (美真 | みどり) Kimoto présente une des deux émissions, celle intitulée Liquid Mirror. Cette émission est diffusée une fois par mois et va certainement faire partie de mes nouvelles habitudes d’écoute. La confusion et le flou musical du Shoegaze m’a en grande partie inspirée l’histoire ci-dessus, car j’écoutais ces deux playlists pendant l’écriture de certains passages.

NTS nous parle d’un revival du Shoegaze et je suis tout ouïe. J’ai tout de même le sentiment que le style Shoegaze a toujours été présent sans discontinuer au Japon. C’est même très intéressant de voir que Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) s’y met également pour le nouveau single intitulé Spark de son projet SUSU(好芻) avec Kanji Yamamoto (山本幹宗). J’ai suivi les différentes directions prises par ce projet et cette incursion dans le monde vaporeux du Shoegaze est vraiment étonnante et enthousiasmante. Le compositeur et guitariste Kanji Yamamoto est également guitariste d’appoint du groupe Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ) de Kazunobu Mineta (峯田和伸) que j’aurais le grand plaisir de voir sur scène le 9 Mai avec Hitsuji Bungaku (羊文学), si tout va bien. La composition du groupe qui a enregistré le morceau Spark avec Ikkyu Nakajima et Kanji Yamamoto est très intéressante. Kentaro Nakao (中尾憲太郎) y joue de la basse et Ahito Inazawa (アヒト・イナザワ) est à la batterie. Ils sont tous les deux anciens membres du groupe Number Girl. Il s’agit d’une belle équipée et ça ne pouvait donner qu’un très bon morceau pour SUSU. Avant d’écouter les émissions radio de NTS, j’avais en fait déjà noté une renaissance du Shoegaze à travers quelques jeunes groupes découverts récemment comme Retriever avec leur EP Attic Ocean. Lorsque j’ai vu pour la première fois la vidéo du single Lilies and Sea tournée dans le centre de Shibuya, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un groupe japonais. En fait non, Retriever est un jeune groupe allemand originaire de Düsseldorf. Ce morceau est très beau tout comme les autres quatre titres composant le EP. En écoutant ces morceaux, j’ai tout de suite remarqué l’influence de Slowdive, et je n’ai ensuite pas été étonné d’apprendre que Simon Scott de Slowdive était en charge du mastering. Le EP Attic Ocean dans son ensemble est une petite pépite Shoegaze nous noyant pendant une petite vingtaine de minutes dans des mondes sonores oniriques et nostalgiques. On s’éloigne ensuite un peu du Shoegaze mais on reste dans le rock alternatif avec une excellente découverte du groupe Anglais English Teacher. J’ai entendu pour la première fois le morceau intitulé The World Biggest Paving Slab sur la radio J-Wave et j’ai tout de suite accroché au style vocal un brin provocateur de la chanteuse Lily Fontaine. « I am the world’s biggest paving slab So watch your fucking feet » nous dit-elle dans le refrain. Ce morceau est tiré de leur premier album This could be Texas sorti le 12 Avril 2024.

目が眩むほど光る dimension おやすみ異世界

Je n’avais pas pris de photos depuis le 38ème étage de la tour de Yebisu Garden Place depuis très longtemps. En prenant les photographies ci-dessus, j’avais en tête celles prises il y a plus de 15 ans sous le titre Pattern Recognition. Les vitrages de la tour viennent refléter la ville comme des miroirs et m’avaient donné cette impression d’être un mécanisme de reconnaissance automatique de motifs. Un des points d’observation aménagés du haut de la tour donne une vue en direction de Roppongi, Akasaka et la Tour de Tokyo. Près des ascenseurs, les grandes baies vitrées en angle sont plus intéressantes, car elles permettent à certains endroits cet effet de miroir. Ce point de vue nous montre Shibuya puis Shinjuku au loin. Nous avons déjeuné dans cette tour pour un anniversaire. L’emplacement de notre table nous donnait une autre vue encore.

De gauche à droite: 嚩ᴴᴬᴷᵁ, cyber milk ちゃん, MANON, nyamura et devant KAMIYA, pour le singe GALFY4 produit par Masayoshi Iimori (マサヨシイイモリ).

J’aime faire des grands écarts musicaux en ce moment car ce qui va suivre est très différent de la musique que j’évoquais dans les deux derniers billets. Je reviens en fait très volontiers vers les atmosphères intenses et souvent maximalistes de l’hyper-pop japonaise. Une première excellente découverte est le single GALFY4 de KAMIYA avec plusieurs autres interprètes dont 嚩ᴴᴬᴷᵁ, MANON, nyamura et cyber milk ちゃん. Je suis arrivé sur ce morceau en faisant des recherches sur YouTube de collaborations musicales de 嚩ᴴᴬᴷᵁ avec d’autres artistes de ce même univers électronique et pop excentrique. Sur le morceau GALFY4, les cinq interprètes se relaient au chant en commençant et terminant par KAMIYA qui est l’artiste menant le morceau dans son ensemble. Elle est suivie de cyber milk ちゃん, nyamura, 嚩ᴴᴬᴷᵁ et MANON. La production du morceau est assurée par Masayoshi Iimori (マサヨシイイモリ), dont j’ai déjà plusieurs fois parlé sur Made in Tokyo pour sa participation à certains morceaux de 4s4ki. Il apporte sur ce morceau des sons influencés par l’Euro Beat avec toute l’extravagance sonore de l’Hyper Pop. J’adore la manière par laquelle il vient ajouter un rythme un peu haché qui agit comme un révélateur sur la voix neutre et détachée de cyber milk ちゃん. nyamura continue ensuite avec un ton de voix un peu similaire mais avec un auto-tune renforcé qui donne des effets intéressants sur certaines fins de ses phrases. On reconnaît ensuite immédiatement la voix de 嚩ᴴᴬᴷᵁ qui poursuit ensuite brillamment le morceau en se fondant assez bien avec le style de voix de nyamura. On trouve une certaine constante qui se casse par l’intervention beaucoup plus agressive de MANON. Je ne me lasse pas de ce morceau que j’ai écouté des dizaines de fois.

Le single GALFY4 me pousse même à écouter quelques autres morceaux de cette formation, en démarrant par cyber milk ちゃん, dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à maintenant. J’écoute son single intitulé Sunkissed sorti en Juin 2024. Sa voix éthérée est très particulière car extrêmement modifiée et donne une impression d’être en dehors de toute réalité. Le rythme du morceau riche en basse sourde est assez lent, mais son phrasé est rapide et continu composé de successions de rimes. Cette atmosphère sonore m’attire beaucoup. J’y trouve quelque chose d’estival comme le suggère le titre du morceau et la vidéo qui l’accompagne, tournée au bord de l’océan. Je me tourne ensuite vers la musique de nyamura avec son dernier morceau When the Linalia Blooms (リナリアが咲いて) sorti le 1er Février 2025. Le personnage de la couverture du single me rappelle un peu les princesses du manga Ah My Goddess! (ああっ女神さまっ) dont j’avais vu certaines OVA (Original Video Animation) au début des années 1990 sur une cassette VHS qui se copiait de personne en personne car les OVAs n’étaient pas aussi disponibles à l’époque qu’elles le sont actuellement. Le morceau When the Linalia Blooms est basé sur les sons d’une guitare acoustique sur lesquels vient se poser la voix de nyamura pleine d’ondulations vocales. Une constante de tous ses morceaux est l’utilisation de l’auto-tune qui vient lisser les voix mais n’enlève rien à la beauté des morceaux. Il faut dire que cet auto-tune n’est pas exagéré et parfois même assez subtil. Il vient même contribuer à une atmosphère onirique comme sur son très beau morceau you are my curse sorti en Juin 2023. Ces deux morceaux de nyamura sont magnifiques. Dans un style assez similaire à celui de nyamura, j’écoute également le très beau Kill Me With a Lie (嘘で殺して⋆。˚✩) d’angelize, dont je ne sais pratiquement rien. Le rythme devient plus agressif avec deux morceaux de la franco-japonaise MANON. Je connais son premier morceau xxFANCYPOOLxx, tiré de son premier album Teenage Diary sorti en Juillet 2018, depuis longtemps, peut-être même depuis sa sortie. Elle avait 15 ans à cette époque et ce morceau de hip-hop léger évoque des épisodes de la vie quotidienne d’une jeune icône en devenir de la jeunesse japonaise. Le morceau sample le titre Lolita Ya Ya de Nelson Riddle tiré de la musique du film Lolita de Stanley Kubrick. Il possède une certaine drôlerie contagieuse et représente bien le brin de folie qui circule dans la musique de MANON. J’écoute également son dernier single intitulé Nobody Like きゅん sorti le 19 Décembre 2024, qui a une approche rock assez déstructurée. Ses morceaux ont une qualité underground et une grande liberté qui me plaisent beaucoup, comme l’excellent L.M.S.N (pour Let’s Make Some Noise) avec Kyunchi sorti en 2023. Le morceau démarre par un beat sourd comme si on pénétrait dans un club en sous-sol en pleine nuit. Le hip-hop qui vient accompagner ce beat très marqué est très accrocheur se laisse ensuite emporter par des sons techno jusqu’au slogan Let’s Make Some Noise servant de refrain et d’hymne pour le dance floor. Je reviens ensuite sur le EP Imaginary Friend de 嚩ᴴᴬᴷᵁ que j’avais précédemment évoqué car j’ai beaucoup écouté son dernier morceau intitulé 489. J’écoute maintenant beaucoup le EP en entier et il me donne encore une fois l’impression d’entrer dans un tout autre monde. Il faut bien sûr accrocher à la voix très modifié et aiguë à la limite du kawaiisme de Haku. Le contraste entre sa voix et l’électronique hyper-pop est vraiment prenant et est pour moi tout à fait fascinant. Le quatrième morceau OYASUMI (おやすみ), produit par KOTONOHOUSE, est un très bon exemple de ce contraste commençant doucement avec une voix presque chuchotée qui vient se crasher peu après avec une composition électronique particulièrement brutale. J’aime beaucoup cet EP mais je me dis qu’il n’est peut-être pas facile d’accès pour les néophytes de ce type d’atmosphère (comme un certain nombre de morceaux de cette sélection d’ailleurs).

Je n’écoute pas beaucoup de musique K-Pop mais je reste curieux des sorties du groupe aespa (에스파), depuis Supernova et Whiplash. Le single hot mess n’est pas le plus récent du groupe mais il attire mon attention car il est en partie chanté en japonais. Rappelons que l’une des quatre membres du groupe, Gisele, est japonaise même si son nom de scène ne le suggère pas vraiment. Il y a une dynamique particulièrement soutenue dans ce morceau. Mais même si le morceau est en partie chanté en japonais, il conserve la plupart des codes de la K-Pop. La raison pour laquelle j’aime certains morceaux d’aespa par rapport à ceux d’autres groupes K-Pop reste pour moi un peu mystérieux. Je pense que la combinaison de leurs quatre voix fonctionne très bien, et leur interprétation de Supernova pour The First Take ne contredira pas cela. La vidéo de hot mess a également une inspiration japonaise. Sur certaines scènes de la vidéo, les quatre membres du groupe viennent envahir la ville comme des Eva ou des Anges de Néon Genesis Evangelion. Elles n’écrasent heureusement pas tout sur leur passage. J’écoute également le morceau RulerxRuler du duo REIRIE dont la vidéo a également la particularité de les montrer envahissant Tokyo, le grand carrefour de Shibuya pour être précis. Le single RulerxRuler est plus proche d’un morceau d’idole mais passé à l’accélérateur, avec un rythme exagérément poussé à l’excès, ce qui rend le morceau très interessant, voire même addictif. J’aime beaucoup la dynamique du morceau qui bouscule tout sur son passage. Il y a une agressivité certaine dans cette musique, en décalage assez net avec les morceaux classiques d’idoles, qu’elles ne sont à priori plus.

Pour terminer cette sélection qui était d’abord pour moi assez disruptive mais qui entre maintenant dans ma zone de confort à force d’écoutes après des journées difficiles, je reviens vers le hip-hop japonais avec un morceau assez décapant intitulé Boss Bitch par la rappeuse 7 (ナナ). J’adore sa voix très convaincante qui possède une certaine nonchalance tout en étant très maîtrisée. Son flot sans interruptions s’impose immédiatement pour un hip-hop dont on a ensuite du mal à se detacher tant son rythme nous reste en tête. Il s’agit du deuxième morceau du EP intitulé 7 sorti en Novembre 2023. 7 a 24 ans et est originaire de la préfecture de Wakayama. Elle est devenue rappeuse après avoir vu un concert d’Awich qui a joué comme un électrochoc alors qu’elle vivait en Neet (ニートpour Not in Education, Employment, or Training) à cette époque de sa vie (comme nyamura d’ailleurs). Je trouve qu’on reconnait tout de suite cette inspiration d’Awich dans le morceau Boss Bitch. Avant de découvrir ce morceau, les algorithmes de YouTube, qui me recommandent assez souvent ce que j’ai envie d’écouter, m’ont amené vers le morceau PARALLEL (パラレル) produit par Chaki Zuku et interprété par Liza, une autre jeune rappeuse japonaise de 23 ans née en Russie. Ce morceau est un duo de Liza (à ne pas confondre avec LiSA) avec 7. Il a un certain humour dans ce morceau qui est malheureusement très court, faisant moins de deux minutes. Voici encore une fois de nombreuses nouvelles pistes musicales qui s’ouvrent à moi.

ダン・レ・ヌアージュ

Depuis le haut de la colline qui démarre à l’arrière du lycée et devant le petit musée d’art japonais, la pente de la rue est d’abord douce. Elle s’affirme un peu plus vers le bas mais il ne me sera peut-être pas nécessaire d’aller jusque là. Je ne cours pas souvent mais j’ai tout de même des chaussures de course légères qui ont une bonne adhérence sur l’asphalt. L’air est frais, idéal pour une sortie matinale. La rue est vide et personne ne pourra se mettre en travers de ma course, ce qui s’avéra primordial à mi-chemin lorsque mon enjambée de détachera du sol. La lumière est éblouissante. Je ne vois pas grand chose devant moi mais je connais cette rue par cœur. Mon iPod est dans ma poche refermée. J’ai mis la musique en route et il ne me reste plus qu’à enclencher la machine, avec une légère appréhension qui vient s’effacer derrière une excitation certaine bien qu’infime. Il ne me reste plus qu’à engager le premier pas, puis le deuxième et le troisième. Je gagne progressivement en vitesse en longeant les barrières de protection piétonne. L’effort des tous premiers instants s’estompe au fur et à mesure que la machine engage tous ses automatismes musculaires. Je ne contrôle plus mon pas de course qui s’accélère de plus en plus. Au premier petit carrefour, je commence à décrocher un pied du sol. Juste avant que la pente ne se fasse plus abrupte, je frappe l’asphalt une dernière fois avant de me décrocher complètement, léger comme une plume qui se laisse maintenant entraîner en hauteur par un vent ascendant. L’ascension est douce par rapport à la course qui a été nécessaire pour y arriver. Les nuages m’entourent et me caressent délicatement le visage. Ils rendent flou le contour des choses. Des petits éclats de lumière traversent parfois ces mailles nuageuses et guident mes mouvements. Il fait frais ici mais mon cœur s’est déjà réchauffé. Certaines musiques demandent parfois ces états d’être pour être pleinement appréciées.

On se sent à chaque fois un peu plus léger lorsqu’on écoute les morceaux d’Ichiko Aoba (青葉市子). Je me dis parfois que sa musique est trop belle pour ce monde terrestre. Vit elle dans un monde parallèle ou arrive t’elle tout simplement à se décrocher du sol comme le suggère la couverture de son dernier morceau SONAR, à la beauté mélancolique difficilement descriptible. Ce morceau sera présent sur son prochain album intitulé Luminescent Creatures qui sortira le 28 Février 2025. Le morceau Luciférine, que j’écoute également juste après, sera également sur ce nouvel album. Tout comme SONAR, ce morceau est beau à en pleurer, mais il s’en dégage pourtant une joie infime et délicate. Il y a une grâce dans son chant et dans la musique qui l’accompagne qui nous pousse à nous poser quelques instants pour écouter, en essayant de s’élever avec elle. Ces morceaux ont une orchestration plus étendue que sur ses premiers albums principalement accompagnés à la guitare acoustique. Sa voix n’en reste pas moins omniprésente et sa fragilité continue à posséder une force qui nous ferait nous envoler vers d’autres horizons.

街の声は届かない

Hatsune Miku (初音ミク) observe le carrefour de Shibuya avec ses grands yeux mais n’entend pas la foule qui grouille à travers les vitrages du magasin Tsutaya où elle se trouve prisonnière. J’aime me promener régulièrement dans les rues encombrées de Shibuya car on y voit régulièrement ce genre de grandes affiches prenant d’assaut toute notre attention visuelle. La photographie que je préfère de ce billet est la dernière montrant un étrange halo lumineux. Il m’a d’abord surpris avant que je comprenne de quoi il s’agissait. J’ai bien sûr tout de suite pensé à la présence d’un esprit qui aurait voulu communiquer avec moi de manière visuelle, mais je me suis rendu compte qu’il s’agissait tout simplement de la réflection de la lumière du soleil dans un miroir routier de forme arrondie. Ce petit effet de lumière inattendu contribue en tout cas à la poésie urbaine que je recherche en marchant sans cesse dans les rues de Tokyo.

Hitsuji Bungaku (羊文学) vient de sortir un excellent nouveau single intitulé Koe (声), qui confirme encore une fois tout le bien et le respect que j’ai envers ce groupe, qui continue à tracer sa route en poursuivant son style sans se faire perturber par les influences du moment. Le morceau commence doucement par des accords de guitare acoustique accompagnés par la voix de Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) qui transmet comme toujours une tension palpable. La vidéo où l’on voit Moeka assise dans l’habitacle fermé d’une voiture étrangère est très belle. Elle transmet un sentiment d’isolation où les voix de la ville qui l’entoure sont inaudibles. Cette voiture est une superbe Mustang noire, ce qui m’a beaucoup surpris et même un peu amusé car j’avais justement eu l’idée d’utiliser une Mustang noire pour les images de la série photographique imaginaire entourant le groupe Lunar Waves dans mon billet « dans une réalité parallèle proche du chaos« . A noter que j’avais créé ces images avec la Mustang noire et publié ce billet avant la sortie de la vidéo du single Koe de Hitsuji Bungaku, ce qui constitue une coïncidence très intéressante voire un peu troublante. Hitsuji Bingaku a annoncé il y a quelques jours un nouveau concert au début du mois de Mai 2025 dans la salle Toyosu Pit avec le groupe Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ), dont j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog. Ce concert s’intitule Japon Vol.1 Hitsuji Bungaku x Ging Nang Boyz (じゃぽんVol.1 羊文学x銀杏BOYZ) et fête l’anniversaire des dix ans de la salle, que je connais d’ailleurs déjà pour y avoir vu le groupe Tricot pour la première fois. J’ai tenté ma chance pour obtenir un billet mais il me faudra attendre le résultat de la loterie qui devrait tomber dans quelques jours. J’ai fait ma demande de billet dans les dix minutes qui suivaient l’ouverture de la billetterie, mais j’imagine que les places vont être difficiles à obtenir vu le succès de Hitsuji Bungaku. Le single Koe se trouve par exemple en deuxième position du classement hebdomadaire Tokio Hot 100, et sert de thème pour un drama télévisé intitulé 119 Emergency Call (119エマージェンシーコール). Bien qu’ils soient pleinement rock, la perspective de voir des groupes aussi opposés que Hitsuji Bingaku et Ging Nang Boyz m’attire en tout cas beaucoup.

Je découvre ensuite le groupe downy (ダウニー), qui n’a rien à voir avec une marque de shampoing, car il s’agit d’un groupe post-rock japonais. La formation se compose de six membres: Robin Aoki (青木ロビン) au chant et à la guitare, Yutaka Aoki (青木裕) également à la guitare, Kazuhiro Nakamata (仲俣和宏) à la basse, Takahiko Akiyama (秋山隆彦) à la batterie, SUNNOVA (サンノバ) aux claviers et samplers et finalement le producteur d’images et VJ Zakuro (柘榴). Le morceau intitulé Eclipse (日蝕), que je découvre, ressemble à une longue complainte. Robin Aoki répète les mots Hazeru yōna Rasen (爆ぜる様な螺旋), signifiant « Spirale explosive », d’une manière obsessionnelle comme s’il était possédé par cette spirale à laquelle il fait référence. La vidéo contribue au sentiment très étrange qui entoure ce morceau tout à fait fascinant. J’apprends que le groupe apporte beaucoup d’importance aux images, ce que l’on comprend bien par la présence permanente d’un producteur d’images au sein du groupe. Celles-ci ont été construites avec l’assistance de intelligence artificielle, ce qui se remarque très vite car les transformations d’images ne sont pas naturelles. Je comprends tout à fait l’intérêt de l’intelligence artificielle quand il s’agit de concevoir des vidéos que l’on aurait beaucoup de mal à créer de manière « artisanale ». Il faut une évidente inspiration pour pouvoir guider l’IA vers ce genre de compositions d’images. Je pense que les débats sur l’utilisation de l’IA ne se posent plus vraiment lorsqu’on crée ce genre d’images qu’on ne pas l’habitude de voir.

J’avais parlé du groupe Hakubi dans un billet récent et c’est un vrai plaisir de les retrouver sur un autre très bon single intitulé Another World (もう一つの世界) (Alt ver.). Le morceau Another World a une composition rock puissante en guitare assez classique, mais immédiatement convaincante. On y retrouve toujours cette passion que la chanteuse Katagiri (片桐) arrive merveilleusement bien à nous transmettre par son chant. Elle s’engage complètement dans son interprétation et ce genre d’implication sans retenue me plait toujours beaucoup. La vidéo remplie de neige est de saison car les tempêtes de neige sont annoncées sur une bonne partie du Japon. La vidéo a été tournée à Shibetsu (士別) à Hokkaido sur une colline appelée Hitsuji to Kumo no Oka (羊と雲の丘). Je me dis que cet endroit aurait été également idéal pour une vidéo de Hitsuji Bungaku.

Le morceau Spica par Suichu Spica (水中スピカ) est une autre belle découverte rock. Suichu Spica est un groupe de math rock originaire de Kyoto mais actuellement basé à Tokyo. Il se compose de quatre membres: Chiai (千愛) au chant et à la guitare, Takehisa Noguchi (野口岳寿) à la guitare, Jun Uchida (内田潤) à la basse et Ryoichi Ohashi (大橋諒一) à la batterie. Ce long morceau, sorti en Décembre 2024, nous transporte pendant plus de 7 minutes vers d’autres horizons. L’approche très mélodique du chant de Chiai se mélange vraiment bien avec l’instrumentation math rock. Cette association un peu typique d’une mouvance pop avec un morceau qui pourrait très bien être instrumental est vraiment exquise. C’est un morceau superbe en touts points, tout comme peut l’être la vidéo tournée dans une forêt profonde. Pour terminer, je retrouve le groupe Yuragi (揺らぎ) dont j’ai souvent parlé sur ces pages et qui est pour moi une valeur dans le petit monde du rock japonais à tendance Dream pop et Shoegaze. Miraco chante en anglais sur le morceau Our, extrait de leur troisième album In Your Languages. Le rythme de la batterie et des guitares est très marqué donnant une certaine tension qui est contrebalancée par la voix de Miraco qui dégage une mélancolie touchante. Et quand le rythme s’apaise, on est accompagné par une guitare acoustique qui nous apporte un peu de répit avant un déchaînement de guitares proche des sons alternatifs américains des 90s. Que de superbes morceaux dans cette série musicale rock!

midnight lifeline

J’avoue prendre un certain plaisir à brouiller mes propres photographies comme si ça contribuait à brouiller les pistes. Les pistes me semblent cependant déjà assez brouillées pour ne pas en rajouter, mais continuons encore un peu avant de revenir vers des séries photographiques plus posées. Ça commençait pourtant assez bien avec une première photographie de nuit prise dans une petite rue qui serpente du quartier de Sakuragaokachō (桜丘町), mais la caméra dérape et m’échappe des mains plusieurs fois rendant les images résultantes floues. J’ai l’impression que mon appareil photo se rebelle contre ma propre volonté quand il souhaite montrer une vision que je n’avais pas initialement. Alors, je lui laisse la voie libre, je le laisse prendre les commandes en lui donnant le défi de capturer des lumières interessantes. Le résultat peut être imprévisible et mérite ensuite des sessions curatives. Difficile parfois de savoir précisément ce qu’il a souhaité me montrer ou plutôt me signifier, mais force est de constater que je dois parfois lui faire confiance pour éviter de me laisser emprisonner dans le cadre rigide d’une photographie classique. Parmi les quelques photographies, certains auront peut-être reconnu le monstre robotisé du Aoyama Technical College par l’architecte Makoto Sei Watanabe. Je pourrais même aller jusqu’à penser qu’il s’agit de la meilleure photographie que j’ai pu prendre de l’édifice, mais je me raviserais rapidement avant même d’avoir terminé ma phrase. Et il y a également une voiture noire vintage dont je ne reconnais pas le modèle mais qui porte le numéro 417 et qui avait directement inspiré la session photographique imaginaire du billet « dans une réalité parallèle proche du chaos« .

De haut en bas, des extraits des vidéos des morceaux Faint Light de duo REIRIE, Love&Pop (ラブ&ポップ) du groupe Haze (ヘイズ), Mero Mero Cancel ♡x♡ Kaiwai (めろめろキャンセル♡x♡界隈) du duo Akuma no Kiss (悪魔のキッス), Silly Garden de REIRIE et Anti Piracy Screen du collectif mené par Cafune avec Sasuke Haraguchi (原口沙輔), 嚩ᴴᴬᴷᵁ, e5 et utumiyqcom.

Dans ma playlist, il y a quelques morceaux que j’écoute de manière quasi systématique et ceux qui suivent en font partie. Je découvre d’abord l’excellent single Faint Light du duo REIRIE. Le groupe se compose de Rei Kuromiya (黒宮れい), originaire de Saitama, et de Rie Kaneko (金子理江), originaire de Tokyo, toutes les deux ex-idoles d’un groupe nommé Ladybaby qui se catégorise dans le style kawaii metal. Elles faisaient partie des premières formations de ce groupe qui en est actuellement à sa 4ème formation. La première formation en trio de Ladybaby avait la particularité d’avoir comme troisième membre un australien cascadeur, catcheur et chanteur nommé Richard Magarey. Il se faisait appeler Ladybeard (レディビアード) et chantait en robe de Lolita à froufrous mais avec une barbe bien taillée. On ne pouvait pas ne pas remarquer cet étrange et atypique trio, mais je n’ai jamais eu envie d’écouter ce que ça donnait. Je découvre en fait ce morceau Faint Light sans avoir toutes ses informations préalables, qui auraient pu influencer dans le mauvais sens mes premières impressions. Cela aurait été dommage vu la qualité de ce single mélangeant les genres avec des premiers accords rock se transformant rapidement vers une pop électronique avec des petits brins de kawaiisme. Elles chantent principalement en japonais mais avec quelques inclusions de mots anglais prononcés avec un accent tellement prononcé qu’il devient un des points d’interêt du morceau. Ce single est vraiment très réussi. Je retrouve ensuite le groupe Haze (ヘイズ) mené par Katy Kashii (香椎かてぃ) avec un single intitulé Love&Pop (ラブ&ポップ). Il ne me semble pas avoir précédemment remarqué que Katy avait ce petit quelque chose d’AiNA The End dans sa voix, qui décroche légèrement en fin de phrases comme si sa voix arrivait à un palier de saturation. Le morceau déborde d’énergie avec toujours cette rugosité dans l’exécution. Cela rend ce rock à l’énergie pop très authentique, ce qui n’est pas forcément acquis d’avance connaissant la proximité de Katy Kashii avec le monde des idoles, quoique alternatives. Katy faisait en effet précédemment partie du groupe d’idoles alternatives ZOC fondé par Seiko Ōmori (大森靖子), tout comme Kanano Senritsu (戦慄かなの). Je ne connais pas la raison de leur départ de ZOC mais je peux assez facilement imaginer qu’elles étaient toutes les deux très difficiles à gérer, connaissant d’autant plus le tempérament parfois éruptif de Seiko Ōmori. Après leur départ de ZOC, Katy Kashii et Kanano Senritsu ont créé un duo nommé Akuma no Kiss (悪魔のキッス), dont je découvre soudainement un single qui me plaît énormément, bien que très éloigné de mes écoutes habituelles. Ce morceau s’intitule Mero Mero Cancel ♡x♡ Kaiwai (めろめろキャンセル♡x♡界隈) et il a également une énergie assez folle. Katy et Kanano n’ont apparemment pas quitté ZOC en mauvais terme car le morceau a été composé et ecrit par Seiko Oomori. On y reconnaît le kawaiisme décalé, carrément foutraque comme le montre très bien la vidéo. J’aime beaucoup la manière dont leurs voix aux tons très différents s’additionnent sur la grande majorité du morceau, Kanano avec une voix aiguë et Katy avec une voix plus grave et rugueuse. L’excentricité générale du morceau fait qu’on aurait très bien imaginer Seiko Ōmori le chanter. Akuma no Kiss a sorti en tout neuf singles et celui-ci, sorti le 30 Octobre 2024, est le dernier en date. Je n’ai malheureusement pas trouvé de points d’accroche sur leurs autres morceaux du duo. Revenons encore un peu vers l’autre duo REIRIE dont je parlais un peu plus haut, car parmi les neuf singles qu’elles ont sorti, j’aime aussi vraiment beaucoup celui intitulé Silly Garden. Le style est assez difficile à définir mais se base sur une pop électronique avec un beat excessif et certaines distorsions de voix qui rendent l’ensemble assez disruptif. Il y a toujours ce kawaiisme sous-jacent mais qui est volontairement mis à mal par un rythme très agressif. J’aime vraiment beaucoup ce type de distorsion des genres qui rend ce single très intéressant et novateur. Je pense que tous les morceaux de cette petite playlist ont cette composante disruptive.

Pour ceux qui me suivent toujours jusqu’ici, continuons encore dans la demesure électronique avec un morceau intitulé Anti Piracy Screen, produit par Sasuke Haraguchi (原口沙輔), en collaboration avec trois artistes 嚩ᴴᴬᴷᵁ, e5 et utumiyqcom, le tout sur une compilation hyper pop intitulée NOVA par un curateur virtuel nommé Cafune. Tout ceci peut paraître très compliqué mais ce morceau attire d’abord mon attention car je suis 嚩ᴴᴬᴷᵁ depuis que j’ai découvert son single 489 sur son premier EP Imaginary Friend, dont je parlais dans un billet précédent. Le morceau Anti Piracy Screen part dans plusieurs directions et peut être très facilement désorientant, mais ça n’enlève rien à l’imaginativité débordante qu’on trouve dans les sons se percutant mais laissant tout de même place à des voix qui s’adoucissent par moment, souvent par intervention de l’autotune. Le morceau maintient sa complexité tout le long de ses trois minutes et demi mais la logique se révèle après quelques écoutes. L’abrasivité sonore se ressent moins sur le single Traveling Night de 嚩ᴴᴬᴷᵁ que j’écoute ensuite, qui a une approche angélique cachant des petits démons. Ce single est plus proche des morceaux du EP Imaginary Friend que j’écoute maintenant dans son intégralité et dont je parlerais certainement un peu plus tard. Et quand on parle de déstructuration sonore hyper pop, j’ai toujours envie de revenir écouter 4s4ki qui vient justement de sortir un nouvel EP intitulé Jiai equal Jiai (慈愛equal自愛) le 4 Décembre 2024. De cet EP, j’écoute le premier morceau Hymn to the Ego (自我讃歌), qui ne dépareillera pas dans la discographie de 4s4ki, mais c’est également ce genre de morceaux que je viens rechercher dans sa musique. Son empreinte musicale est très forte et je trouve qu’elle fait toujours partie des forces d’avant-garde des artistes électroniques japonais.