let’s just imitate the real until we find a better one

Un bonsai de plusieurs centaines d’années dans les jardins de Happo-En à Shirogane.

L’immeuble en vague De Beers à Ginza imite la courbe du bonsai. Il s’agit seulement de mon interprétation pour ce billet, je ne connais pas les intentions de Jun Mitsui, l’architecte concepteur de cet édifice pour une grande marque de joaillerie. En visionant les photos que j’ai prise le mois dernier, j’y voyais une certaine ressemblance, où le building imite des formes et mouvements naturels. Si ce n’est pas la forme du bonsai de Happo-en, il s’agit peut être d’une vague du pacifique ou une distortion sismique plus douce au regard que celle du NC Building de Peter Eisenman.

Le titre intriguant de ce billet provient de Good Lies du groupe allemand the Notwist, une musique rock que j’écoute beaucoup ces derniers temps.

Depuis l’immeuble tubulaire de Tange

En passant rapidement à Ginza, je fais un détour vers le Shizuoka Press and Broadcasting Offices près de la station de Shimbashi. Je suis passé très souvent devant ce mini-immeuble mais à moto et sans prendre le temps de m’arrêter, d’en faire le tour et de le prendre en photo. Cet immeuble date de 1967, créé par Kenzo Tange un an après la structure brutaliste du centre Yamanashi Press and Broadcasting. Cette petite tour moderne en coin de rue se présente comme un arbre, avec son large cylindre sur lequel viennent se poser des boîtes contenant des bureaux. Cette ramification laisse penser que cet immeuble est à structure variable, évolutif avec possibilité de croissance organique, comme une plante, suivant l’idée du courant métaboliste.

archigram

Kenzo Tange avec son plan pour Tokyo de 1960 (photo à droite ci-dessus: la ville s’étend sur la baie de Tokyo, sur un axe central ramifié) a été une influence pour ce mouvement métaboliste, sans en faire directement partie. Le travail spéculatif des Métabolistes au Japon dans les années 1960 se croise avec celui du groupe anglais architectural d’avant-garde Archigram. Archigram prend son inspiration dans les nouvelles technologies pour créer des projets innovants et visionnaires, une réalité futuriste et expérimentale utopique, faite de villes nomades en forme de machines capables de se déplacer, des maisons capsules mobiles et interchangeables pouvant se greffer sur une tour de capsules, des mégastructures se branchant sur des réseaux tubulaires… Les Métabolistes et Archigram s’influencent mutuellement, on reconnait chez le métaboliste Kisho Kurokawa ce concept de capsules interchangeables empilées dans son Nakagin Capsule Tower. Je vois d’ailleurs dans le Shizuoka Press and Broadcasting Offices de Tange des similarités avec la mégastructure tubulaire d’Archigram, en image ci-dessus à gauche. Une différence entre ces deux courants cependant est que les idées d’Archigram sont restées au stade de concept, tandis que les métabolistes ont réalisés quelques immeubles, à moindre échelle, sans le grandiose des villes dans les airs ou sur la mer imaginées sur le papier ou en maquette.

neo-tokyo

Le groupe Archigram intégrait également dans leur vision fantastique une culture pop flirtant souvent avec le comics book, dans les illustrations qu’ils produisèrent de leur ensembles urbains. Au Japon, il aurait été passionant de retrouver les créations métabolistes sur support manga, avec mise en situation de leur visions utopiques. On se contentera de rendu 3D sur le site de 10plus1: le Joint Core System de Arata Isozaki et le Plan pour Tokyo 1960. Cela me fait d’ailleurs penser au manga Akira, c’est intéressant de voir que ce manga de Katsuhiro Otomo de 1988, reprend cette idée de Kenzo Tange de ville sur la baie de Tokyo (image provenant de Akira ci-dessus). La science fiction de Akira nous montre une ville nommée Neo Tokyo, construite sur la baie en 2019 suite à une explosion nucléaire sur la « vieille ville » de Tokyo en 1982. Cette vision apocalyptique est une image récurrente, que l’on rencontre également dans d’autres manga comme Neon Genesis Evangelion de Hideaki Anno où Tokyo renait plusieurs fois pour devenir Tokyo-3, ville retractable sous le sol, déplacée à Hakone. Tokyo y est une ville éphémère, condamnée à être détruite et reconstruite sans cesse, on doit peut être y voir des réminiscences du grand tremblement de terre de Tokyo en 1923, ou des bombes nucléaires sur le Japon à Hiroshima/Nagasaki.

rem

Alors que j’écris ces lignes et dans le même esprit de liaison culture pop et architecture, je découvre cette article amusant et intéressant de A Life Without Buildings sur les liens et influences possibles entre Star Wars et l’architecture. Sur l’image ci-dessus tiré du blog, l’auteur nous invite à imaginer les ressemblances entre le véhicule Sandcrawler et l’immeuble Casa da Música de Rem Koolhaas au Portugal, tout en nous indiquant qu’en réalité le Sandcrawler s’inspirait bien d’architecture, d’un hotel en Tunisie. Les trois articles suprenants à voir sur A Life Without Buildings sont les suivants: Rem Koolhaas, Tunisia, and Sandcrawlers, Otto Wagner and the Millenium Falcon et What’s Up With All The Death Stars?.

kikuake

Dans le même style, j’ai toujours pensé que le musée métaboliste Edo-Tokyo de Kiyonori Kikutake ressemblait au AT-AT Walker de Star Wars. L’inspiration de Kikutake vient en fait des toitures traditionnelles japonaises, mais il est bon de laisser parfois voguer son imagination.

Résonance musicale

Des ombres de vie naturelle dans le creux des formes abstraites et répétitives d’un immeuble à Akasaka.

Il y a de cela quelques semaines, on m’a contacté par email pour me proposer une collaboration musique/photographie. Le projet ne se lancera très certainement pas. Je ne pense pas répondre aux critères, n’étant pas un professionnel de la photographie et n’ayant pas la disponibilité nécessaire pour ce genre de projets. Toujours est-il que l’approche est intéressante et me parle beaucoup. Il compose et joue sa musique en s’inspirant d’oeuvres d’art, de photographies entre autres. J’étais assez touché qu’on puisse penser à mon travail photographique pour ce genre d’exercice de création musicale. D’autant plus que j’ai moi-même ce sentiment de rapprochement entre le visuel et le musical dans mon approche de la photographie et surtout sur mon travail de développement (numérique). C’est un aspect assez difficile à expliquer et qui ne se concrétise pas souvent d’une manière claire.

J’essaie de retransmettre dans mes compositions photographiques une force que je ressens dans la musique, pas celle que l’on écoute d’une oreille distraite sans engagement dans l’écoute, mais celle qui apporte une force émotionnelle dont on n’arrive pas à se dégager pendant plusieurs jours. C’est une fascination que j’essaie de représenter sans pourtant parvenir à égaler la puisssance de ma source d’inspiration.

Ma retranscription musicale se représente souvent par une accentuation des traits, des contrastes, des ombres ou l’ajout d’éléments perturbateurs. Dans mes créations, je recherche souvent à exprimer une dysharmonie, un déséquilibre que l’oeil mettra un peu de temps à intégrer, comme l’atmosphère calme perturbée par des nuages de guitares excentriques que l’on trouve parfois chez Sigur Rós ou comme une surface bruitiste sur laquelle vient se construire une mélodie chez Sonic Youth, ou comme toute musique expérimentale où l’oreille doit s’habituer, apprendre à repérer, ou construire à force d’écoute, des points d’harmonie.

J’affectionne cette dualité, que j’esssaie de retranscrire dans mes photographies en créant par exemple un parasitage, une introduction d’éléments perturbateurs (des traines noir et blancs, de zones d’ombres, …). Depuis quelques années, j’ai en tête cette interview de Adrian Thaws aka Tricky dans les Inrockuptibles. Il mentionait qu’il aimait parasiter ces morceaux de musique, les triturer après présentation d’une version claire et propre à sa maison de disque. Je ne sais pas s’il le faisait réellemment, mais c’est une approche qui m’a marqué: Partir d’une réalité claire et nette, sans effet de suprise, la triturer, modifier pour en faire sortir un nouvel équilibre.

L’envie d’écrire ce paralèle musique/composition photographique me vient en écoutant Magic Spells, de Crystal Castles, groupe canadien électro-expérimental, tirant leur nom d’un ancien jeu d’arcade. Les compositions lo-fi sont fortement imprégnées de sonorités expérimentales souvent dissonantes, presque parfois inaudibles, sur lesquelles se construisent des compositions mélodiques. Magic Spells est beaucoup plus calme et fascinant que les autres morceaux du groupe. La composition ci-dessus répresente l’architecture comme base froide, comme machine à vivre venant rentrer en résonance avec la mécanique répétitive d’une musique électronique. La mécanique est cependant vivante, faite d’imperfections et d’hésitations apparaissant par ci par là dans la mécanique sonore apparemement bien huilé. Je suis sensible aux notes volontairement faussées, aux dissonances, un faux ton qui ajoute un brin d’imprévu, de vie dans un ensemble pré-réglé. Ma dose d’imprévu dans la composition ci-dessus, ce sont les branchages, éléments de vie dans les creux de formes architecturales mécaniques et répétitives.

Quelques illustrations complémentaires: 1 2 3 4 5 6 7 8 9

dúalite

Descente vers un temple à Kamakura et un ciel se dégageant des nuages.

Alex me conseillait depuis quelques temps de me pencher sur la musique islandaise de Sigur Rós. Ma découverte commence par deux morceaux Glósóli et Sæglópur (video) chantés en islandais bien entendu. Je ne peux plus m’en séparer. Sur ces deux morceaux, j’aime cette musique douce et floue à tonalité mélancolique, à base de piano ou d’instruments à cordes, frappée soudainement par la brutalité des guitares. J’aime cette dualité, que je trouvais d’une manière différente et dans un style très différent chez Sonic Youth, où des fins filets de musique s’échappaient d’une texture complexe de guitares enmêlées.

En fait, c’est toujours cette dualité que j’essaie de représenter dans mes compositions urbano-végétales, où le brut, l’urbain, vient casser soudainement une harmonie naturelle.

Et pour revenir sur Sigur Rós, je vous conseille également Hijómalind et Hoppípolla.