laisser le béton

« Dis moi, tu connais Blockbusters? »
« Non, c’est quoi au juste? »
« C’est une émission de radio sur France Inter. Regardes, je te montre sur mon iPhone, il y a une appli qui permet d’y accéder facilement. Ça parle de culture pop des années 80 et 90. »
« Ah ouais, génial mais c’est en français, j’y comprends rien, laisses béton ».

J’écoute en ce moment assidûment le podcast Blockbusters de France Inter animé par Frédéric Sigrist, consacré à la culture pop de divers horizons. Cette émission me parle beaucoup car l’animateur a le même âge que moi et les thèmes qu’il sélectionne sont par conséquent très proches de ma propre culture pop. J’ai commencé à enchaîner les épisodes quand je me suis rendu compte en fouillant dans les archives qu’on y parlait du film Les Goonies (1985) réalisé par Richard Donner d’après une histoire écrite par Steven Spielberg. En écoutant cette émission, je me suis remémoré la première fois où j’ai vu le film, et ce souvenir reste encore très clair dans a mémoire. C’était une diffusion un vendredi soir sur Canal+ alors qu’un ami de la famille nous avait prêté son décodeur pendant ses vacances. Ma sœur et moi avions tellement aimé le film qu’on l’avait regardé dès le jour suivant pour une rediffusion. Une autre émission du podcast couvre la série Twin Peaks (1990-91). Je l’ai découvert bien après sa sortie alors que je vivais déjà à Tokyo. J’étais déjà amateur du cinéma de David Lynch après avoir été choqué par Lost Highway (1997) au cinéma, mais je n’ai acheté les DVDs des deux saisons de Twin Peaks que bien plus tard. Je me souviens avoir dévoré cette série avec Mari. On était tous les deux accrochés à l’ambiance si particulière de cette petite ville fictive de l’Etat de Washington. La troisième saison sortie beaucoup plus tard en 2017 était un autre choc. Cette émission Blockbusters m’a ensuite donné envie de revoir Lost Highway que j’ai en DVD à la maison. Une autre émission parle de la série culte Seinfeld (1989-1998), que l’on a découvert en France sur la chaîne Canal Jimmy disponible à l’époque par abonnement satellite. Canal Jimmy nous avait fait découvrir un grand nombre de séries américaines, car Friends (1994-2004) y passait également. Je me souviens également de la série Spin City (1997-2003) avec l’acteur Michael J.Fox en chef de cabinet du maire de New York. Mais Seinfeld avait vraiment un humour particulier où un épisode pouvait se construire sur un rien, comme par exemple un homme portant une cape en pleine rue. Blockbusters parle bien évidemment de manga et de films d’animation avec l’incontournable Neon Genesis Evangelion dont j’avais vu les épisodes lors de leur première diffusion en France sur Canal+ en 1998. Les manga et anime n’avaient pas encore la popularité actuelle. Dans Blockbusters, on nous parle également du manga sombre Gunnm de Yukito Kishiro que j’avais suivi dès le premier tome sorti chez Glenat en 1995. Je garde cette série de manga précieusement. C’est amusant de voir abordé dans ce podcast une bonne partie des films et séries qui ont marqué pour moi la deuxième partie des années 1980 et les années 1990. On y parle par exemple d’Arnold Schwarzenegger. J’ai eu ma période de films d’action basiques pendant mon adolescence que j’avais démarré avec Commando (1985), puis Predator (1987) bien avant Terminator 2 (1991), Total Recall (1990) et True Lies (1994). L’Arme Fatale (1987), bien entendu couvert dans ce podcast, avait également été marquant. J’avais commencé la série par le deuxième épisode (1989) vu sur Canal+, en adorant tout de suite l’ambiance mélangeant une noirceur certaine avec l’humour du buddy movie, le tout accompagné par un saxophone particulièrement marquant. On y parle beaucoup d’anime avec le monde de Rumiko Takahashi (Ranma 1/2, Ramu, entre autres) et bien sûr celui d’Hayao Miyazaki pour lequel une émission de 5h est consacrée ainsi qu’une autre sur les deux chefs d’oeuvres que sont Princesse Mononoke et Le voyage de Chihiro. Bon, il y a bien des sujets d’émissions plus récents qui ne me parlent pas du tout comme Taylor Swift, Aya Nakamura ou Orelsan, mais dans l’ensemble j’y trouve une correspondance assez bluffante avec ma propre culture pop. Le podcast évoque aussi souvent les jeux vidéos, mais c’est un domaine que je connais moins à part quand il s’agit de franchises historiques comme celles des jeux de combat Street Fighter ou Tekken, ou le fabuleux Prince of Persia qui avait été pour moi une révélation sur sa version Super Famicom (j’y jouais en version import japonais). Les musiques de ce jeu me restent encore maintenant gravées en tête tant j’y pu y jouer en répétant des dizaines et des dizaines de fois les mêmes mouvements. Le jeu était difficile mais extrêmement immersif. Je ne joue plus beaucoup aux jeux vidéos à part ceux emblématiques sur la Nintendo Switch (les derniers Zelda, Super Mario et Mario Kart), mais j’ai toujours regretté d’avoir loupé le coche de Nier Automata. Ce podcast me permet également de remplir quelques lacunes culturelles. Mais ce que j’apprécie particulièrement sur ce podcast est le ton de Frédéric Sigrist et de ses invités qui ne se veulent pas savants et démontrent une véritable passion pour leurs sujets. On n’essaie pas non plus de nous faire croire que la culture pop était mieux avant. La qualité de séries actuelles comme The Gentlemen de Guy Ritchie que je regarde en ce moment sur Netflix me fait dire que des nouvelles oeuvres cultes sont en train d’être diffusées en ce moment.

Outre le podcast ci-dessus, Nicolas me conseille également l’écoute du dernier single Bite you du jeune groupe muque, dont j’avais déjà parlé du single 456 sorti en Octobre 2023. Je n’avais pas vraiment poursuivi la découverte de la musique du groupe mais ce dernier morceau sorti le 26 Mars 2024 sur le label A.S.A.B. m’y ramène gentiment. Dès les premières cordes, on se laisse accrocher par le rythme du morceau, oscillant toujours entre l’approche rock et un beat pop très prononcé. Le groupe a cette capacité à créer des morceaux à la qualité pop immédiate, qui devraient les amener sur les ondes du mainstream un jour ou l’autre. D’autant plus que la voix d’Asakura est très affirmée et versatile, notamment dans un petit passage parlé au milieu du morceau qui fonctionne très bien.

Je ne sais plus par quel détour j’ai découvert l’excellent morceau Luv Myself de Kvi Baba avec AKLO & KEIJU, oscillant brillamment entre le hip-hop et la pop. En fait, depuis que j’ai écouté le morceau run away qu’AAAMYYY a chanté avec KEIJU lors de son concert Option C du 7 Mars 2024, j’ai l’envie de découvrir d’autres musiques sur lesquelles KEIJU intervient car j’aime beaucoup sa voix. Je ne connaissais pas le jeune rappeur et compositeur Kvi Baba originaire d’Osaka, qui mène ce morceau avec les deux autres rappeurs AKLO et KEIJU. Je ne connaissais AKLO qu’à travers le morceau RGTO, sur son album The Arrival de 2014, sur lequel il fait intervenir d’autres rappeurs: SALU, H.TEFLON et K DUB SHINE. La vidéo de ce morceau mentionne dans les remerciements T-Pablow et BAD HOP, et là s’ouvre une nouvelle porte vers un hip-hop japonais beaucoup plus badass (si vous me permettez l’expression).

BAD HOP est un collectif originaire du quartier d’Ikegami à Kawasaki et se compose de huit rappeurs: T-Pablow, YZERR, Tiji Jojo, Benjazzy, Yellow Pato, Bark, G-K.I.D et Vingo. J’écoute leur dernier album éponyme sorti en Février 2024 que je trouve excellent, notamment les deux morceaux Ikegami Boyz et Final Round. Je suis très loin d’être spécialiste du monde du hip-hop, mais je trouve que l’ambiance est proche du gangsta américain dans son approche musicale et dans les thèmes abordés. Le flot vocal et l’alternance des voix des rappeurs sont remarquables, par exemple, la manière mécanique par laquelle YZERR prononce les paroles « Knock out, Knock out, Knock out, Knock out床にKnock out » qui sonnent comme une série de coups de poing qui mettent à terre. Tous les morceaux ne sont pourtant pas tous sombres, comme Last Party Never EndSupercar2 mettant en avant la voix plus haut perchée de Toji Jojo qui apporte une alternative intéressante aux voix de tonalité plus grave de la plupart des autres membres du collectif. Du quartier industriel d’Ikegami à Kawasaki, la crew BAD HOP a gravi les échelons jusqu’au Tokyo Dome pour un concert le 19 Février 2024, qui est représenté par le premier morceau de l’album Tokyo Dome Cypher. BAD HOP a déjà sorti au moins cinq albums depuis 2014 et ce ne sont donc pas des nouveaux arrivants. Leur ascension jusqu’au Tokyo Dome démontre une popularité certaine auprès des amateurs de Hip-hop. A parmi les nombreuses collaborations de BAD HOP, j’y retrouve le nom de KEIJU sur certains morceaux. Une porte ouvre, je vais y entrer tranquillement sans faire de bruit.

君ならきっと大丈夫さ

L’étroit building de neuf étages sur les deux premières photographies se nomme Jimbochō SFI (神保町SFI) et se trouve comme son nom l’indique dans le quartier de Jimbochō. Il a été conçu par Nikken Sekkei en collaboration avec la société SEO Inc. établie en 1935 à Takaoka dans la préfecture de Toyama et spécialisée dans la fabrication de chaînes métalliques qui conduisent l’eau de pluie des toits vers un bassin au sol. On peut voir régulièrement ce genre de « rain chains » dans les temples ou dans certaines architectures plus modernes comme sur le Co-Op Kyosai Plaza, également conçu par Nikken Sekkei, à Kitasando. C’est un building que j’aime régulièrement prendre en photo. Sur le building Jimbochō SFI, SEO Inc. a conçu la façade très particulière composée d’une multitude de cylindres dans le but d’améliorer la performance environnementale du bâtiment. Cette façade dessinée pour conserver l’énergie se nomme Envi-lope01. Cette membrane ou enveloppe, posée au dessus de la surface du bâtiment se compose de cylindres de 180mm de diamètre de trois formats différents reliés entre eux sur une même ligne verticale par deux câbles métalliques permettant d’ajuster l’orientation des cylindres notamment dans les parties courbes du building. La profondeur des cylindres vient contrôler l’intensité lumineuse à laquelle est soumise le bâtiment en bloquant les champs lumineux obliques et en réduisant ainsi la température totale du building, tout en préservant sa ventilation frontale. J’ai pris ces quelques photographies à Jimbochō alors que j’espérais y voir courir les marathoniens de Tokyo pour le marathon du 3 Mars 2024. Je suis malheureusement arrivé un peu trop tard et la course était déjà terminée à cet endroit. J’ai donc marché à toute vitesse, sans rattraper les coureurs, jusqu’à la station de Tokyo pour y voir quelques athlètes terminer leur course. Je me dis tous les ans en regardant le marathon que je devrais me donner un an pour m’entrainer et participer à celui de l’année prochaine, mais une réflexion rapide me dit que je n’aurais jamais la volonté nécessaire pour ce genre de choses.

J’écoute en ce moment quelques morceaux de rock indé du groupe Yonige (よにげ) dont j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog. Yonige est originaire d’Osaka et a été formé par Arisa Ushimaru (牛丸ありさ), qui chante et est guitariste, et par Gokkin (ごっきん) qui joue de la basse et assure les chœurs. Le groupe se compose actuellement de quatre membres. De leur nouvel album Empire sorti en Janvier 2024, j’écoute trois morceaux dont deux possèdent déjà une vidéo officielle: Kamisama to Boku (神様と僕) et walk walk. Le troisième morceau que j’écoute est le premier de l’album: Super Express. Le rock de Yonige est sans artifice avec un brin de mélancolie, mais n’exclut pas un certain humour retranscri à travers les vidéos. Les vidéos accompagnant Kamisama to Boku et walk walk sont en fait liées. La première pour Kamisama to Boku démarre par la mise en scène d’une réunion avec le manager du groupe qui leur demande de faire plus énergique et entrainant pour pouvoir espérer attirer les foules et avoir un gros succès. On ressent que le monologue interminable du manager est insupportable pour le groupe, mais tous acquiescent sans rien dire en attendant que ça passe. On leur confie un sous-fifre incompétent qui sera en charge de la vidéo du nouveau morceau. Le budget étant limité, le groupe se retrouve à tout faire par eux même, porter les instruments jusqu’au lieu de tournage improvisé, puis se filmer ensuite soi-même. A ce moment là démarre la vidéo de walk walk, avec pleins de petits désagréments qui compliquent la vie du groupe. Malgré tout cela, tout le monde reste serein. On retrouve en quelque sorte cette sérénité dans la musique de Yonige, mais les morceaux sont pourtant très accrocheurs. Arisa Ushimaru n’hésite pas a poussé sa voix et les guitares sont très présentes. J’adore ce son rock indé qu’elles maitrisent extrêmement bien sans pourtant révolutionner le genre, mais le rock indé n’entend pas apporter des révolutions, simplement faire des bons morceaux et c’est bien suffisant.

Yonige et leur dernier album Empire étaient d’ailleurs mis en avant au Tsutaya de Daikanyama, aux rayons musiques à l’étage d’un des trois bâtiments du grand magasin multimédia. On y vend d’ailleurs de moins en moins de CDs, toujours au profit des vinyles. Je devrais passer plus régulièrement devant ces panneaux d’affichage, pour voir quelles sont les recommandations du moment. Je me souviens y avoir vu afficher une présentation de l’album Windswept Adan (アダンの風) d’Aoba Ichiko (青葉市子), bien avant que je l’écoute pour la première fois (rien que le fait d’évoquer cet album me donne envie d’écouter le morceau Porcelain). Les affichages du Tsutaya montre la vidéo de Kamisama to Boku (神様と僕), dont est extrait la vidéo ci-dessus, et les dates de la tournée du groupe. Je ne connais pas encore assez bien la musique de Yonige pour être tenté de les voir live, mais un morceau comme walk walk doit certainement très bien donner en concert.

Toujours dans le même Tsutaya de Daikanyama, j’ai l’impression que l’espace consacré aux expositions artistiques a augmenté progressivement au fur et à mesure des années, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. L’exposition ILLUSTRATION 2024, qui avait lieu du 23 Février au 17 Mars 2024 commémorait le dixième anniversaire de la série de livres ILLUSTRATION, qui est un catalogue annuel représentant l’état actuel de l’illustration au Japon. A cette occasion, étaient exposées quelques illustrations de sept artistes sélectionnés présents dans la dernière édition du livre ILLUSTRATION. Il s’agissait d’une toute petite exposition mais j’ai eu le plaisir d’y voir deux illustrations de NAKAKI PANTZ (ナカキパンツ), les deux visages féminins ci-dessus. Son style graphique est immédiatement reconnaissable. Je vois qu’elle continue à dessiner les pochettes pour les musiciens de MAISONDes et, dernièrement, on peut également voir ses illustrations sur une publicité Nissin Cup Noodles. Nissin s’est associé depuis longtemps avec des artistes graphiques de renom ou en devenir. Une des campagnes les plus connues était celle intitulé Freedom par Katsuhiro Ōtomo. Ces publicités sont assez souvent décalées et j’avais déjà évoqué tout cela dans un billet précédent. Parmi les sept artistes présentés, on trouve également l’illustratrice AKI AKANE (秋赤音) que j’avais déjà évoqué ici pour avoir vu une de ses expositions chez le libraire Komiyama Tokyo à Jimbochō. En repassant d’ailleurs par Jimbochō, je suis monté aux étages de cette librairie et j’ai constaté qu’on y montrait toujours des illustrations d’AKI AKANE. J’ai hésité à acheter son livre d’illustrations, car je ne pense pas apprécier la totalité de ses dessins, mais l’approche très pop de l’illustration montrée sur la photo de droite ci-dessus est vraiment magnifique. J’aime aussi beaucoup son approche graphique sur l’illustration de gauche, utilisant des ossements comme ornements vestimentaires.

gentle monster & artificial vampire

Les deux premières photographies de ce billet sont prises dans le parc central de Nishi-Shinjuku. Les plus attentifs auront remarqué que j’ai déjà pris et montré exactement la même photographie de la ligne de ciel de Nishi-Shinjuku depuis le parc. J’aime m’asseoir à cet endroit du parc sur un des longs bancs de bois posés sur le béton formant des escaliers. C’était un Samedi juste avant le marathon de Tokyo du Dimanche et des préparatifs étaient déjà en cours. Je le mentionnais déjà dans un billet précédent mais je me suis assis à cet endroit pendant environ une heure pour écouter pour la première fois en entier l’album 0 d’Ichiko Aoba. Un pigeon m’a accompagné pendant toute la durée de l’écoute en me regardant par moment l’air de rien. Il était intéressé par le scone anglais que je grignotais en buvant tranquillement mon café trop chaud. Comme on dit en japonais, j’ai une langue de chat (猫舌) et je préfère attendre un peu avant de boire chaud.

La troisième photographie est une affiche publicitaire pour une marque de lunettes design appelée Gentle Monster. Je prends cette photo car ce nom étrange associé à l’actrice Nana Komatsu (小松菜奈) m’intrigue beaucoup. J’ai également eu envie de prendre cette photographie car je voulais mentionner ici le film The Last 10 years (余命10年) du réalisateur Michihito Fujii (藤井道人) dans lequel Nana Komatsu est l’actrice principale. Elle joue le rôle d’une jeune fille de 20 ans, Matsuri Takabayashi, atteinte d’une maladie incurable ne lui laissant que dix années à vivre. Le film est basé sur une histoire vraie. Matsuri accepte son sort non sans difficultés et essaie volontairement de ne pas trop s’accrocher aux personnes qui l’entourent, sauf bien sûr à sa famille dont elle est proche. Sa grande sœur est jouée par la toujours merveilleuse Haru Kuroki (黒木華). Mais la rencontre de Kazuto Manabe, joué par Kentaro Sakaguchi (坂口健太郎), lors d’une réunion d’anciens élèves vient perturber sa vie. Kazuto a des tendances suicidaires et Matsuri, qui va pourtant bientôt mourir, jouera un rôle important pour lui redonner le goût à la vie. Il s’agit d’une histoire d’amour, en grande partie platonique, mais elle m’a beaucoup touché. Je suis sensible à ce genre d’histoire quand elles sont magnifiquement jouées comme c’est le cas ici, avec beaucoup de retenue et de nuances. Il y a bien quelques effets de scénario nous poussant à avoir les larmes aux yeux, mais je ne refuse pas à être entraîné malgré moi par un film vers ce genre de terrains sensibles.

J’aime bien de temps en temps jeter une oreille à la musique de Cö Shu Nie car j’y découvre régulièrement des petites merveilles. Cette fois-ci, cette petite merveille est un nouveau morceau sorti le 13 Mars 2024 intitulé Artificial Vampire. Dès la première écoute, j’ai été attiré par une petite phrase interrogative des paroles nous demandant à répétions « Gokigen ikaga? Chōshi ha dou? » (ご機嫌いかが?調子はどう?) qui est deux façons de demander comment quelqu’un va. Le rythme assez ludique par lequel Miku Nakamura (中村未来) prononce ces paroles me plait tout de suite beaucoup, et la composition musicale aux apparences faussement simples se révèle en fait subtilement variante toute en restant naturellement fluide. Cö Shu Nie nous habitue à une construction atypique de ces morceaux qui se ressent moins directement sur Artificial Vampire, mais n’en reste pas moins présente. Le morceau Burn The Fire est en comparaison beaucoup plus déconstruit et pour l’occasion beaucoup plus agressif dans son approche rock. Ce single est sorti il y a quelques mois, en Novembre 2023. La vidéo est assez étrange avec ses faux masques à oxygène et ses drôles de créatures drapées. Le groupe est enfermé dans des sous-sols sombres mais l’ambiance n’est pourtant pas anxiogène car le son rock qu’il dégage et la voix affirmée de Miku l’emportent sur tout ce qui les entourent. Comme pour Artificial Vampire, la vidéo de Burn The Fire a été réalisée par Kaz Skellington, qui est un rapper et vidéographe basé à Tokyo. Dans les paroles du single Artificial Vampire, Miku nous chante que même si elle nous mord, on ne s’en rendra pas compte (噛みついても気づかないものね), ce que j’imagine être une disposition tout à fait idéale pour un vampire. Ceci me donne une bonne transition avec l’art graphique qui suit.

L’art graphique de Takato Yamamoto (山本タカト) est tout à fait fascinant. J’avais déjà mentionné brièvement dans un billet précédent la découverte de cet artiste illustrateur et j’avais ensuite rapidement commandé son livre d’illustrations intitulé Japonesthéthique, aux Editions Treville, qui est une sorte de rétrospective de son œuvre. Les illustrations y sont magnifiques, souvent tintées d’une pointe d’épouvante. Elles n’en restent pas moins delicates et sensibles. Les personnages sont souvent androgynes et ont le regard distant, difficile à saisir, car ils sont déjà d’un autre monde. On leur devine à la fois une grande sensibilité et une force incontrôlable. On y trouve beaucoup de vampires, de présences fantomatique sorties de légendes et croyances ancestrales, de crânes squelettiques qui ne semblent pourtant pas être effrayants pour les figures humaines qu’ils côtoient. Le style graphique de Takato Yamamoto combine des éléments japonais d’ukyo-e, avec du symbolisme gothique et des influences de l’art européen, en particulier du mouvement Esthétisme européen du 19ème siècle. Son style combinant tous ces éléments prend le nom d’Esthétisme Heisei (Heisei Aestheticism), pour indiquer un mélange d’influence européenne avec une version moderne de l’art traditionnel japonais. Il y a quelque de tout à fait remarquable dans cette approche graphique, une finesse exquise qui nous attire vers ces images alors qu’on ne voudrait pas les voir. Le 23 Février 2024, je suis allé voir la petite exposition intitulée Dreaming Skull de Takato Yamamoto qui se déroulait dans la galerie d’art Span Art à Kyobashi. Cette exposition démarrait ce jour là et s’est terminée le 10 Mars 2024. On pouvait y voir quelques unes de ses œuvres et un coin de la galerie vendait des livres d’illustrations et des cartes postales. Je n’ai pu m’empêcher d’acheter un autre livre, celui intitulé Coffin of a Chimera (キマイラの柩), dans une nouvelle édition à la couverture noire, signée par l’artiste. Le style de cet ouvrage est dans le même esprit tout à fait unique de Japonesthétique, sauf que je le trouve plus viscéral. Les chimères du titre ont des visages humains qui se mélangent à des ossatures distordues. On nous laisse voir les entrailles des chimères, ce qui pourrait nous repousser le regard, mais l’approche esthétisante de Takato Yamamoto rend ses monstres aux formes indéfinies tout à fait séduisantes. L’art de Takato Yamamoto repose sur un équilibre subtil entre beauté esthétique et représentation effrayante qui peut parfois paraître repoussante. Cette dualité est tout à fait fascinante et donne envie d’explorer un peu plus ce monde emprunt de romantisme gothique. Lors de la petite exposition à Kyobashi, je n’étais d’ailleurs pas vraiment surpris d’y voir parmi les visiteurs une proportion féminine importante.

Pour continuer ce billet sur une atmosphère gothique, écoutons maintenant le morceau SACRIFICE d’Atsushi Sakurai (櫻井敦司). Sakurai était le chanteur et parolier du groupe Buck-Tick jusqu’à son dernier souffle le 19 Octobre 2023. Ce titre est extrait de son unique album solo Ai no Wakusei (愛の惑星) sorti en 2004, mais je ne le découvre que maintenant car il n’a été publié sur YouTube avec sa vidéo que récemment, en Décembre 2023, deux mois après sa mort soudaine d’une hémorragie cérébrale. Je n’ai pas encore terminé d’écouter la discographie entière de Buck-Tick mais j’y reviens régulièrement quand l’envie me prend. Ce morceau n’est pas fondamentalement différent de ceux de Buck-Tick car la voix de Sakurai est tellement remarquable qu’on a beaucoup de mal à la dissocier du groupe. Il n’empêche que ce morceau est très bon et aurait très bien pu figurer comme single sur un album de Buck-Tick. Il s’agit en tout cas d’une belle découverte inattendue. L’émission musicale du Dimanche soir KanJam a diffusé il y a plusieurs semaines un épisode consacré exclusivement à Buck-Tick mais les membres restants n’étaient sans grande surprise pas présents. Il en ressortait que le groupe, à travers la voix du guitariste et compositeur Hisashi Imai (今井 寿), n’a pas l’intention d’arrêter ses activités. C’est pour moi une surprise car j’ai un peu de mal à imaginer le groupe sans la figure charismatique d’Atsushi Sakurai. Et pour faire le lien avec le thème qui sert de fils rouge à ce billet, je n’aurais pas beaucoup de difficulté à imaginer Atsushi Sakurai en vampire car il avait la noirceur profonde qui convient à ce genre de personnage.

Et au final, je vous laisse deviner qui est le gentle monster du titre de ce billet. Je pense personnellement au pigeon de la deuxième photo pour la pression psychologique qu’il a exercé sur moi pour que je lui cède quelques miettes de ma pâtisserie anglaise.

AAAMYYY / Option C

Comme c’est le cas pour la grande majorité des concerts auxquels j’ai assisté jusqu’à maintenant, j’avais réservé ma place pour le concert d’AAAMYYY depuis plus de trois mois. Si je ne me trompe pas, elle n’avait pas fait de concert en solo, en Oneman Live comme on dit, depuis celui au Billboard de Yokohama en Juillet 2023. Le concert auquel j’ai assisté prenait le nom Option C et se déroulait dans la salle Spotify O-East à Shibuya le Jeudi 7 Mars 2024 à partir de 19h. Je connaissais cette salle située dans les dédales de Dogenzaka, près du Club Asia, mais je n’y étais jamais entré. Elle a une capacité d’environ 1300 personnes debout et devait être à peu près pleine. Il s’agissait d’une date unique à Shibuya, et pas d’une tournée accompagnant la sortie d’un nouveau disque. Comme AAAMYYY n’a pas sorti de nouvel album ou EP depuis son dernier EP ECHO CHAMBER sorti en 2022, je ne savais pas trop à quoi m’attendre au niveau de la setlist. J’aime particulièrement les jours et les heures qui précèdent un concert, mélangeant une excitation certaine avec une petite pointe d’appréhension. Je ressens toujours le besoin de me préparer en réécoutant les albums et morceaux de l’artiste ou du groupe que je vais voir, histoire de bien s’imprégner de l’atmosphère avant le concert. AAAMYYY a sorti deux albums, son premier album Body sorti en 2019 et le deuxième album Annihilation sorti en 2021, et quatre EPs, Weekend EP sorti en 2017 et Maborosi EP sorti en 2018 (regroupés ensuite sous le nom Maborosi Weekend) puis Etcetra EP en 2018 et ECHO CHAMBER en 2022. J’ai réécouté son dernier EP ECHO CHAMBER et son premier Maborosi Weekend, et quelques morceaux de l’album Annihilation pour me remettre dans le bain. C’était une bonne pioche car elle a interprété sur scène tous les morceaux d’ECHO CHAMBER et quelques morceaux seulement de Maborosi Weekend et Annihilation. J’étais en fait assez loin de me douter que plus de la moitié des morceaux de la setlist du concert n’étaient pas présents sur ses propres albums, mais provenaient d’albums d’autres artistes avec qui elle avait collaboré jusqu’à maintenant. Je savais qu’AAAMYYY avait participé à beaucoup de morceaux d’autres artistes, sans tous les connaître. Un grand nombre de ces artistes étaient invités pour ce concert. AAAMYYY nous révèle pendant le concert que le concept est d’interpréter des morceaux avec plein d’invités. L’affiche nous les annonçait et je connaissais un certain nombre de ces noms d’invités.

Comme d’habitude, j’aime arriver à l’heure exacte d’ouverture, à 18h cette fois-ci. On attend patiemment que son numéro de billet soit appelé pour monter les marches et entrer les uns après les autres dans la salle. Tout est très bien organisé et même millimétré. Après avoir été appelé, je monte les escaliers en file indienne, m’empare d’une bière à l’entrée et me place au sixième rang dans la salle tout en longueur. Je regarde distraitement les personnes autour de moi, pour voir quel est le style général du public d’AAAMYYY. Il est plutôt urbain dans l’ensemble mais assez varié. La moyenne d’âge de l’audience est sans grande surprise inférieure à la mienne, assez équilibrée entre hommes et femmes. Beaucoup de personnes semblent être venues seules et je me rends compte que c’est en fait souvent le cas. Je me sens toujours bien dans l’enceinte d’une salle de concert. Mahl m’envoie un petit message pour me souhaiter un bon concert avant qu’il ne démarre. Je ne peux m’empêcher de laisser également un message à Nicolas, et à informer ma petite sœur qui assiste également assez souvent à des concerts et le partage ses impressions. À chaque concert, je me demande toujours si la bande sonore pour nous faire attendre est sélectionnée par l’artiste ou le groupe. J’y trouve toujours un ou deux morceaux qui attirent mon attention. Cette fois-ci, c’est Boss B*tch de l’américaine Doja Cat. De retour à la maison, je me mettrais d’ailleurs à écouter quelques morceaux de son dernier album Scarlet, notamment l’excellent Agora Hills. Ce morceau de Doja Cat et les quelques autres viennent assez bien accompagnés dans la playlist de mon iPod le dernier single yes, and? d’Ariana Grande qui est tout à fait remarquable. J’ai, tout comme mon fils, un faible pour la musique d’Ariana Grande et ce dernier single aux airs assumés d’hommage au Vogue de Madonna me ramène avec beaucoup de bonheur au tout début des années 90. Mais je m’égare un peu en attendant que le concert ne démarre.

Après une petite séquence vidéo où on la voit se présenter en anglais assise sur un fauteuil vintage, d’une manière très similaire au concert Annihilation Extra au Liquidroom d’Ebisu en Décembre 2021, AAAMYYY apparaît seule sur scène devant un très grand écran montrant des images pleines de formes et de couleurs. Elle est habillée d’une robe rouge au design recherché et porte des hautes bottes blanches pleines de ferrures. Elle fait clairement attention à son style et c’était la raison pour laquelle je me demandais d’abord quel pouvait être le style de l’audience qui vient la voir. Elle interprète d’abord trois morceaux du EP ECHO CHAMBER, That smile (あの笑み), Ikitemiruwa (生きてみるわ) et Ignition. J’espérais discrètement qu’Ano (あの) apparaisse de manière tout à fait inattendue sur scène mais ce n’était pas le cas. Elle n’était de toute façon pas annoncée sur l’affiche et est devenue depuis son single pour l’anime Chainsaw Man une figure très médiatisée. AAAMYYY est seule sur scène et je me rends compte après quelques minutes que ça m’est inhabituel de voir une artiste chantée sur scène sans les musiciens d’un groupe tout autour. Mais AAAMYYY utilise bien l’espace et ce relatif inconfort initial s’oublie assez vite, d’autant plus que les invités vont ensuite débarquer rapidement les uns après les autres. On s’aperçoit après quelques morceaux que le DJ et producteur Wataru MONJOE est là derrière ses platines pour assurer le set musical. Il n’est pas sur scène mais dans un petit espace ouvert placé sur la droite de la salle de concert. Je pensais d’abord qu’il s’agissait d’un espace pour VIP car il contient un large sofa, un autre fauteuil et une table avec des boissons semblant alcoolisées. Les platines se trouvent en fait à cet endroit derrière le sofa. MONJOE est bien là debout derrière les platines à mixer tout en regardant AAAMYYY chanter sur scène. Cette disposition est inhabituelle et très intéressante. Le premier morceau That smile (あの笑み) met d’entrée de jeu dans l’ambiance car il est assez agressif. AAAMYYY couvre à la fois ses propres paroles et celles d’ano, dont le « fuck » qui lui fait faire avec un sourire remarquable un double doigt d’honneur les mains levées dans les airs. Ce qui est intéressant avec AAAMYYY est qu’on la sent complètement à sa place et investie sur scène, mais elle n’est pas non plus un monstre de scène et une certaine fragilité se ressent. Je ressens en fait également ce genre de dualité dans sa musique. Elle enchaîne ensuite avec Ikitemiruwa (生きてみるわ) et Ignition qui est un des morceaux que je préfère sur ECHO CHAMBER, avec Hail (雨) qui suit juste après. Pour Hail, l’écran géant derrière elle montre des images de forêt extraites de la vidéo tournée à Hinode, dans la banlieue Ouest de Tokyo près de la ville d’Ōme. Le rappeur (sic)boy arrive sur scène en cours de morceau pour sa partie rappée. Hail est un des morceaux d’AAAMYYY que je préfère, tous albums et EPs confondus, et cette interprétation sur scène est très réussie, très fidèle à la version de l’album. J’avoue que j’avais une petite appréhension quant au rendu live du chant d’AAAMYYY mais ses interprétations étaient en tous points parfaites (presqu’un peu trop d’ailleurs). (sic)boy et AAAMYYY interprètent ensuite un duo un morceau intitulé Mizu Fūsen (水風船) qui est en fait inclus sur l’album Vanitas de (sic)boy. Comme je ne le connaissais pas, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un nouveau morceau mais il date en fait de 2021. Il s’agit du premier morceau d’une série de collaborations qui nous amènera jusqu’à la fin du concert. Comme je le mentionnais un peu plus haut, elle nous indique au milieu du concert que le concept est d’être basé sur de nombreuses collaborations sur scène, ce qu’on avait assez vite deviné. Juste après (sic)boy, le rappeur KEIJU entre sur scène pour un excellent morceau intitulé run away, présent sur son EP heartbreak, sur lequel chante bien sûr AAAMYYY. Je ne connaissais pas très bien KEIJU à part pour son intervention sur le morceau Link Up sur l’album Queendom de la rappeuse originaire d’Okinawa Awich. Il a l’air d’ailleurs assez proche d’Awich car ils ont participé ensemble à une interprétation du morceau Remember sur la chaîne YouTube The First Take. J’aime beaucoup le morceau run away dès cette première écoute lors du concert. La chant immédiatement reconnaissable d’AAAMYYY nous donne à chaque fois l’impression qu’il s’agit d’un de ses propres morceaux, plutôt que celui de l’invité. On revient ensuite sur un de ses morceaux avec Tengu (天狗), le seul de l’album Annihilation interprété pendant ce concert. Le rappeur Zo Zhit (荘子it), du groupe Dos Monos, déboule comme une bombe sur scène en court de morceau. Son rap est très puissant et il est très mobile sur scène. Son omniprésence sur scène est d’autant plus remarquable qu’il a une bonne carrure et une longue chevelure blonde bougeant allègrement avec ses mouvements brusques et ses va-et-vient sur scène. Zo Zhit n’interprète que ce morceau avec AAAMYYY mais on retient son passage.

Sans vraiment de temps morts, le rappeur Ryohu entre sur scène pour un morceau intitulé The Moment sur son premier album Debut sorti en 2021. Je connais d’abord Ryohu pour son duo remarquable sur le morceau BLUEV du EP Maborosi Weekend d’AAAMYYY, mais j’aime aussi beaucoup son duo avec YONCE de Suchmos sur le single One Way dont j’avais déjà parlé sur ce blog. Ryohu a une vois très particulière et marquée, qui s’accorde bien avec celle d’AAAMYYY car elles sont très différentes et en quelque sorte complémentaires. Le morceau qui suit s’intitule Magic Miror sur l’album Circus (2022) de Ryohu. Ce morceau est également un des très beaux moments du concert car TENDRE se joint au groupe pour les chœurs. Ryohu, AAAMYYY et TENDRE se partagent à trois l’espace de la scène pour un climax qui aurait pu conclure la première partie du concert. Mais un duo avec TENDRE suit ensuite pour le morceau OXY de son album PRISMATICS (2022). On sent à chaque fois une grande proximité entre AAAMYYY et ses invités, mais c’est d’autant plus notable avec TENDRE. Il faut dire qu’il joue souvent dans son groupe et AAAMYYY participe également régulièrement aux concerts de TENDRE. On a l’impression de voir sur scène les membres d’une grande famille de musiciens, et elle transmet assez clairement ce sentiment au public. Je pense que ça tient du fait qu’elle est très naturelle. Elle est également tout à fait imprévisible, aux dires de TENDRE et ça ne m’étonne pas beaucoup.

Après le morceau OXY, AAAMYYY nous indique qu’elle va partir se changer pendant quelques minutes et qu’elle nous laisse donc seuls avec TENDRE. Il se déplace vers la petite zone VIP avec sofa ouverte sur la salle, en nous disant qu’AAAMYYY lui a demandé au dernier moment de faire le MC pendant qu’elle se change, ne lui laissant donc que très peu de temps pour se préparer. Mais TENDRE ne se démonte pas et assure la discussion avec Wataru MONJOE qui se trouvait déjà dans cette petite salle, puis avec Zo Zhit et le chanteur Sho Okamoto (オカモトショウ) du groupe OKAMOTO’S qui chantera plus tard pendant le set. Une des premières réactions de TENDRE au public est de nous demander si on est surpris qu’il n’y ait pas de groupe sur scène. Cette question m’amuse car c’était également ma première réaction. TENDRE est aussi sympathique qu’il a une belle voix en chantant, et je dirais même que ça se lit sur son visage. Le public s’amuse quand il nous dit que c’est très difficile de prévoir ce qui se passe dans le cerveau d’AAAMYYY, notamment ce côté imprévisible et en dehors des sentiers battus. La discussion tourne autour de la première fois où chaque invité a rencontré et joué avec AAAMYYY. Au cours de la discussion, Zo Zhit nous fait part du fait que sa petite fille est née récemment et fait même dire au public qu’elle est mignonne pour faire plaisir à sa mère qui est quelque part dans la salle. Il y a une ambiance bon-enfant qui règne et les invités assis sur le sofa se demandent même s’ils peuvent prendre un verre de whisky sur la table alors que le concert n’est pas encore terminé. Sho Okamoto s’abstient car il n’a pas encore chanté. Cette salle VIP prendra une certaine importance pendant la suite du concert, car certains des invités vont y rester assis pour suivre comme le reste du public la suite du concert.

Vêtue d’une robe blanche volumineuse par endroits, AAAMYYY vient rejoindre le petit groupe dans la salle VIP pour sonner la fin de la récréation. Elle interprète ensuite deux morceaux avec Sho Okamoto, LOOP et GLASS, présents sur l’album CULTICA (2020) de ce dernier. Sho Okamoto joue de la guitare acoustique sur scène et l’ambiance est très différente du début du concert. D’une atmosphère hip-hop au début, on passe sur la quasi totalité de la deuxième partie à une ambiance beaucoup plus rock. Je découvre ces deux morceaux de Sho Okamoto avec AAAMYYY, et j’aime particulièrement celui intitulé LOOP. Je ne le fais pas systématiquement après chaque concert, mais j’ai senti le besoin de créer cette fois-ci une playlist de tous les morceaux de la setlist du concert pour découvrir un peu plus tous les morceaux que je ne connaissais pas. Je connaissais par contre bien les deux morceaux qu’AAAMYYY chante ensuite avec Shin Sakiura (シン サキウラ) à savoir Kono mama Yume de (このまま夢で) de son album Note et le single NIGHT RUNNING. Ce sont deux excellents morceaux de Shin Sakiura qui semblent avoir été complètement conçus pour AAAMYYY, ce qui n’est pas étonnant car elle est la seule à chanter. Shin Sakiura joue de la guitare électrique sur scène, et le solo sur NIGHT RUNNING, qui n’existe pas sur la version studio, est tout à remarquable. Shin Sakiura est pour moi une de ces figures notables de la scène musicale japonaise car il compose beaucoup pour les autres, notamment pour AiNA The End et Miyuna. J’en avais déjà parlé dans un billet précédent. Le morceau qui suit, DAYZ est une collaboration avec Wataru MONJOE qui chante en plus de composer et jouer le morceau. J’adore la manière de chanter légèrement hors-ton d’AAAMYYY sur ce morceau en particulier. Cette interprétation est très chouette car elle interagit beaucoup avec MONJOE situé dans la salle VIP, toujours accompagné sur le sofa devant lui de TENDRE, Zo Zhit, Sho Okamoto et de Shin Sakiura qui vient juste de les rejoindre. Cela donne une ambiance très détendue et proche du public. C’est la première fois que j’assiste à un concert qui ressemble en à une réunion d’amis musiciens, tout en restant tout à fait professionnel sur scène. Enfin, sur DAYZ, l’alcool fait apparemment faire à MONJOE des loops supplémentaires de sampling qui n’étaient à priori par prévues et qui font réagir le public. Toujours composé par MONJOE, elle chante ensuite son dernier single Savior (救世主) dont j’ai parlé très récemment. J’aime beaucoup la dynamique de ce morceau. Je m’attendais à ce que MONJOE fasse également des loops et de décrochages sur Savior pour gentiment décontenancer AAAMYYY dans une forme d’itazura, mais il reste sage.

A ce moment du concert, la fin approche et AAAMYYY présente les deux groupes créatifs Classic 6 et Santa Naruse qui assurent les installations vidéos accompagnant le concert. Elles sont très belles, en général assez graphiques et abstraites mais quelques fois assez étranges. Une partie des vidéos montrent notamment un sofa avec un écran vidéo placé en son centre. On se demande la signification de ce sofa omniprésent, mais peut-être s’agit il seulement d’une invitation à prendre son temps pour apprécier la musique qu’on écoute. AAAMYYY fait ensuite une transition avec le morceau suivant BLUEV qu’elle annonce en Blue Valentine, avec Ryohu de retour sur scène. Elle indique qu’une des personnes d’un des deux groupes créatifs a participé à la vidéo de BLUEV, et c’est la raison pour laquelle ce morceau de son premier EP Maborosi Weekend est interprété ce soir. Je n’ai par contre pas bien compris de qui il s’agissait car le réalisateur de la vidéo, Sōchi Nakamura (中村壮志), n’est à priori pas membre d’un des deux groupes. Le groupe Zatta composé de deux musiciens (Keach Arimoto et Taishi Sato) ayant déjà accompagnés AAAMYYY lors de concerts entrent sur scène avec leurs guitares pour un morceau inédit dont on ne connaît pas le titre. Le morceau Come and Go de ECHO CHAMBER conclut finalement le set. AAAMYYY nous annonce qu’il n’y aura pas possibilité d’avoir des rappels car le management de la salle lui a indiqué que le temps imparti a déjà été utilisé pour la longue séquence pendant laquelle elle se changeait et on écoutait TENDRE et ses compères discuter. Tous les invités, et il sont nombreux, montent sur scène pour l’accompagner sur ce morceau Come and Go. Ryohu est accompagné par sa fille, qui était déjà sur scène avec lui sur BLUEV. Je n’ai pas pris de photos pendant le concert, et bien heureusement ça reste la norme au Japon bien que ça ne soit pas interdit, sauf pour cette partie finale où tous les invités étaient présents sur scène. Sur la dernière photo du billet, on peut voir de gauche à droite: KEIJU, (sic)boy, Ryohu et sa fille, un des deux musiciens de Zatta, Zo Zhit (荘子it), AAAMYYY, TENDRE, Sho Okamoto (オカモトショウ), l’autre musicien de Zatta, Shin Sakiura (シン サキウラ) et MONJOE. Les invités ont l’air d’être également assez proches entre eux et on note des collaborations comme celle de Ryohu avec Sho Okamoto sur un morceau intitulé Hanabi sur son album Circus. Après cette réunion finale qui a pris son temps, notamment pour faire une photographie d’ensemble avec toute la salle en arrière plan, il n’y avait en effet pas de rappels. Le total de 19 morceaux interprétés nous a amené à environ deux heures de concert. Ces deux heures ont passé bien vite et on peine à sortir de la salle car les images et les sons nous restent en tête. Le moment où on sort de la salle pour rejoindre la rue est toujours particulier, car on se dit que toute la foule anonyme marchant dans la rue a manqué quelque chose. Mais ce sentiment disparaît très vite lors qu’on revient à la réalité. On prend une petite photo de l’affiche du concert à l’entrée de la salle et on repart comme si de rien n’était dans les rues à la fois sombres et lumineuses de Shibuya, jusqu’au prochain concert. Ce prochain concert sera normalement Right Brain Left Brain (右脳左脳) de Tricot (pour la troisième fois) au mois de Mai. Le groupe sera accompagné de PEDRO en première partie (le groupe d’Ayuni D et d’Hisako Tabuchi). On y réfléchissant, je me dis qu’Ikkyu Nakajima de Tricot devrait bien s’entendre avec AAAMYYY. Elles se suivent au moins mutuellement sur Instagram. On rêverait à une collaboration, mais j’ai tout de même un peu de mal à imaginer ce que ça pourrait donner.

Je note ci-dessous pour référence ultérieure la setlist du concert Option C de AAAMYYY au Spotify O-East de Shibuya le 7 Mars 2024:

1. That smile feat. ano (あの笑み feat. あの), du EP ECHO CHAMBER
2. Ikitemiruwa (生きてみるわ), du EP ECHO CHAMBER
3. Ignition, du EP ECHO CHAMBER
4. Hail feat. (sic)boy (雨 feat. (sic)boy), du EP ECHO CHAMBER
5. Mizu Fūsen feat. AAAMYYY&KM (水風船 feat. AAAMYYY&KM), de l’album Vanitas de (sic)boy
6. run away, de KEIJU en duo avec AAAMYYY sur son EP Heartbreak
7. Tengu feat. Zo Zhit (天狗 feat. 荘子it), de l’album Annihilation
8. The Moment, de Ryohu en duo avec AAAMYYY sur son album Debut
9. Magic Mirror feat. AAAMYYY TENDRE, de l’album Circus de Ryohu
10. OXY feat. AAAMYYY, de l’album PRISMATICS de TENDRE
Passage MC MONJOE BAR 🎤
11. LOOP feat. AAAMYYY, de l’album CULTICA de Sho Okamoto (オカモトショウ)
12. GLASS feat. AAAMYYY, de l’album CULTICA de Sho Okamoto (オカモトショウ)
13. Kono mama Yume de feat. AAAMYYY (このまま夢で feat. AAAMYYY), de l’album Note de Shin Sakiura (シン サキウラ)
14. NIGHT RUNNING feat. AAAMYYY, single de Shin Sakiura (シン サキウラ)
15. DAYZ AAAMYYYxMONJOE, single de MONJOE et AAAMYYY
16. Savior (救世主), single le plus récent
17. BLUEV feat. Ryohu, sur le EP MABOROSI WEEKEND
18. Morceau inédit avec Zatta
19. Come and Go feat. Gliiico, du EP ECHO CHAMBER

Les photographies de ce billet proviennent du compte Instagram d’AAAMYYY et ont été prises par le photographe Takao Iwasawa (岩澤高雄), à part la première et les deux dernières photographies prises par moi-même.

光が墜ちるところへ

Quelques photographies récentes prises à Toranomon, Nishi-Azabu et Akasaka. Ce sont des endroits que j’ai déjà pris en photo et certainement déjà montré sur ce blog, donc je me permets de les altérer légèrement. Je suis retourné vers la nouvelle Toranomon Station Tower de OMA, qui n’est pas encore complètement ouverte, pour revoir son rocher de verre et la manière dont la lumière vient s’y échoir (光が墜ちるところへ). La dernière photographie montre l’arrière de l’ancienne salle de concert Akasaka Blitz (赤坂BLITZ) accolée aux studios de télévision TBS. Elle n’est plus en activité en tant que Live House depuis Septembre 2020, mais je ne suis pas certain de son utilisation actuelle. Je pense y avoir vu deux concerts il y a de nombreuses années, Sonic Youth (ce qui devait être le 20 Février 2001) et Queens of the Stone Age (qui devait être la 14 Janvier 2003). Mais la musique que j’écoute ces derniers jours est bien loin de toutes ces turbulences électriques.

En écoutant l’album 0 d’Ichiko Aoba (青葉市子), j’ai tout de suite perçu qu’il serait difficile d’en parler. C’est un objet musical tellement sensible et délicat que j’ai l’impression que mes mots maladroits viendraient l’affecter. L’approche de cet album sorti il y a déjà plus de dix ans, en 2013, est assez différente du seul album que je connaissais d’elle jusqu’à maintenant, à savoir Windswept Adan (アダンの風) sorti en 2020. Depuis mon billet récent consacré à l’exposition sur les films de Shunji Iwai (岩井俊二), j’ai réécouté plusieurs fois Windswept Adan car j’avais un peu oublié sa beauté imprégnante. Je ne l’avais en fait pas oublié mais son atmosphère s’était un peu atténuée dans ma mémoire. Le réécouter m’a fait réaliser comme une évidence qu’il fallait absolument que j’explore la discographie d’Ichiko Aoba. Tandis que l’orchestration atmosphérique est très présente sur Windswept Adan, l’album 0 a en comparaison une approche beaucoup plus minimaliste basée sur l’unique guitare folk et le chant d’Ichiko Aoba, accompagnés parfois par des bruits tout autour sur certains morceaux. Windswept Adan nous amène vers des espaces mystiques plus vastes que sa musique tandis que l’album 0 est beaucoup plus intime et proche de la vie simple du quotidien. C’est une direction très différente, mais en écoutant les huit morceaux de l’album 0, on se dit qu’il n’en faut pas forcément plus en orchestration. Les moments où la voix et le son de la guitare acoustique disparaissent pour laisser place à un silence passager sont très subtils. Il est difficile de démarquer les morceaux les uns des autres car certains sont très longs et semblent se chevaucher, et l’ensemble est musicalement très consistant. Le single Ikinokori ● Bokura (いきのこり●ぼくら) est remarquable mais j’ai une petite préférence pour le deuxième morceau i am POD (0%) qui est magnifique de délicatesse. Les longs morceaux Iriguchi Deguchi (いりぐちでぐち) et Kikai shikake Osamu uchū (機械仕掛乃宇宙) font plus de 10 minutes et sont polymorphes, et même conceptuels. J’aime beaucoup quand Ichiko Aoba devient plus agressive sur les cordes car ça me donne le sentiment d’entendre un orage et des bourrasques qui approchent. Il y a un sentiment de rapprochement naturel très fort dans ses morceaux. On peut avoir l’impression d’être assis à quelques mètres d’elle dans un parc, pour l’écouter chanter sans qu’elle ne s’en rende compte. Quand j’aurais découvert un peu plus de sa discographie, j’aimerais vraiment la voir jouer en concert. L’album 0 que j’ai acheté sur iTunes a une couleur unie rose. L’autre album que j’écoute ces derniers jours s’intitule Origami (檻髪) et a une couleur jaune pâle. Il est sorti en 2011. Je l’ai trouvé au Disk Union de Shinjuku. Il est beaucoup plus court que 0, ne faisant que 22 minutes. Le style et l’ambiance sont tout à fait similaires mais je dirais qu’il est moins abouti et plus inégal. Haiiro no hi (灰色の日) est un des beaux morceaux de l’album. On trouve sur cet album une mélancolie certaine, que certains reconnaîtront comme automnale, mais que je trouve en même temps que cette mélancolie est lumineuse. Le troisième morceau Patchwork (パッチワーク), en particulier, me donne cette impression. Le septième morceau Hidokei (日時計) compte parmi mes préférés de cet album, car elle y chante comme le vent qui fait tourner les choses (まわるまわる日時計のかげ), qui s’apaise parfois et se met ensuite à gronder. Beaucoup de sentiments nous traversent quand on écoute sa musique et il faut se garder quelques moments privilégiés pour l’écouter en toute sérénité. J’ai volontairement écouté pour la première fois l’album 0 dans le parc central de Nishi-Shinjuku, assis sur un banc pendant environ une heure.