memory leak

Juste à côté de Sekiguchi Bashoan (関口芭蕉庵), l’ancienne maison du poète haïku Matsuo Bashō (松尾芭蕉) que je montrais dans un billet récent, se trouvent les jardins d’Higo Hosokawa (肥後細川庭園). Ces lieux étaient la résidence secondaire du clan Hosokawa, seigneurs du domaine de Kumamoto pendant la période Edo, ensuite devenus la résidence principale de la famille Hosokawa. Ces jardins ouverts au public prenaient auparavant le nom de Parc Shin-Edogawa (新江戸川区公園) mais ils ont été renommés en 2017 suite à d’importants travaux de rénovation. Les jardins sont particulièrement agréables, notamment par le dénivelé qui donne une belle vue d’ensemble du domaine. On peut accéder par l’arrière des jardins à un musée appelé Eisei Bunko (永青文庫) qui regroupe des œuvres d’art de la famille Hosokawa. La porte de pierre ronde permettant le passage des jardins vers le musée est étonnante, comme si elle nous permettait de remonter dans le temps et dans les mémoires.

Les esprits les plus attentifs se souviendront peut-être de mon évocation passionnée de la musique de l’artiste Tomo Akikawabaya sur une compilation sortie en 2016 intitulée The Invitation of the Dead qui regroupait des EPs de l’artiste sortis dans les années 1980. J’avais été complètement fasciné par cette musique obscure et étrange. Lorsque l’artiste annonça la sortie d’un deuxième album intitulé The Castle II regroupant d’autres de ses créations datant de ces mêmes années 1980, je n’avais pu m’empêcher de mentionner mon enthousiasme sur un des billets de son compte Instagram. Cet album The Castle II a une ambiance tellement unique qu’il en est inclassable. L’artiste, de son vrai nom Tomoyasu Hayakawa, m’avait contacté peu de temps après en message privé pour me faire part qu’il avait parcouru Made in Tokyo et apprécié les photographies et les textes que j’avais écrit au sujet de sa musique. Une conversation, certes discontinue, s’est instauré entre nous car il a des liens avec d’autres artistes que j’apprécie, du label Flau notamment. Il me recommande récemment la musique de Caterina Barbieri, artiste électronique italienne basée à Berlin, qui doit d’ailleurs passer prochainement à Tokyo pour une performance organisée par Mutek Japan. J’apprends également qu’elle sera la future directrice artistique musicale de la Biennale de Venise pour les deux années 2025-2026. Tout ceci m’intéresse beaucoup et je me plonge dans l’album Ecstatic Computation que Caterina Barbieri a réédité en 2023 sur son label Light Years. L’album est disponible sur Bandcamp tout comme son suivant intitulé Myuthafoo que je découvre juste après. J’ai été tout de suite très impressionné par l’atmosphère profonde et hypnotique qu’elle crée. J’y ressens une sorte d’instabilité qu’elle arrive à contrôler et, en même temps, à laisser aller comme si la machine avait également son mot à dire dans ses compositions. J’y ressens une harmonie subtile et éphémère qui apparaît pendant les morceaux qui se finissent parfois en crash. Cette musique est dense et complexe mais démarre souvent sur des motifs simples qui se mélangent ensuite pour créer des méandres dans notre cerveau. Cette musique a une très grande force d’évocation notamment le morceau Myuthafoo de l’album du même nom, qui a une profondeur qui me laisse sans voix. Le morceau Fantas long de plus de 10 mins démarrant l’album Ecstatic Computation est également assez fantastique dans sa composition. C’est le genre de morceau qu’on écoute sans bouger, comme si on était paralysé par cette atmosphère musicale et l’émotion forte qui s’en dégage. Le pouvoir d’évocation de cette musique est même parfois tellement puissante qu’elle pousse vers une introspection vers laquelle on ne souhaite pas toujours allé. Ce n’est clairement pas une musique inoffensive.

Je continue mes expériences d’utilisation de ChatGpt en le questionnant cette fois-ci sur moi-même. Si les versions précédentes de l’outil ne reconnaissait heureusement pas mon nom, celle actuelle semble avoir beaucoup d’informations à mon sujet, qui sont, il faut bien le dire, en grande partie fausses. Ça démarre pourtant à peu près bien car l’outil arrive à mettre un lien entre mon nom et le blog Made in Tokyo et parvient à en comprendre les thèmes principaux. Ma présence internet est presque entièrement sur ce blog, donc le fait qu’il l’évoque n’est pas du tout étonnant. Mais ChatGpt s’emballe en mentionnant de nombreuses activités qui me sont complètement étrangères, comme la tenue de conférences et d’ateliers, l’écriture de livres et d’articles dans des magazines. Ce qui est vraiment fascinant est que l’outil donne des informations qui semblent très précises avec des noms de lieux, d’editions, de magazines connus avec des dates. Cette fois-ci, je ne l’ai pas poussé dans ses contradictions car la tâche paraissait trop grande, mais cet outil me paraît en fait dangereux.

Après avoir lu toutes ces « informations » énoncées avec un certain aplomb, on en viendrait presque à douter de soi-même, comme si cette version de ma vie était celle que j’aurais dû avoir. C’est comme si l’outil déduisait automatiquement que la masse d’information que j’écris sur Tokyo et son architecture voulait forcément dire que je l’ai exposé dans des conférences et des ateliers, et non « gratuitement » dans un blog. On pourrait presque se convaincre d’avoir fait toutes ces choses, et d’avoir en quelque sorte perdu la memoire. Je me demande quels sont les gardes-fous pour ce genre de choses. J’ai essayé des questions similaires sur Gemini, l’outil AI de Google, et il est heureusement beaucoup plus mesuré dans ses réponses en rappelant régulièrement qu’une recherche directe sur internet permet d’avoir des informations plus précises. Parmi les réponses de ChatGpt, j’ai cherché à savoir si les livres mentionnés existaient bien aux éditions données, en pensant que mon nom y avait été associé par erreur, mais je n’en ai trouvé aucune trace. ChatGpt invente donc toutes ces fausses informations. Je n’ai pas essayé Grok, l’outil AI de la plateforme X, car je n’y ai pas accès. Je ne publie de toute façon plus beaucoup sur X Twitter. Il y a quelques jours, mon article sur le building Arimaston avait reçu beaucoup de visites depuis Twitter, car une ou deux personnes avaient posté un lien vers mon article dans les réponses à un Tweet au sujet de cette maison publié par un autre français à Tokyo. En lisant les réponses souvent violentes au Tweet en question, on peut se demander si le monde n’est pas devenu fou (plusieurs personnes clament qu’il faut tout simplement raser cette maison). La leçon de l’histoire est qu’il ne faut jamais lire les réponses aux Tweets sous peine d’entrer dans un tourbillon de violence verbale qu’on ne préférait pas voir. Je me dis que ce blog est un petit havre de paix et j’espère qu’il le restera ainsi.

Arimaston Building par Keisuke Oka

Je suis passé plusieurs fois voir le petit bâtiment Arimaston Building (蟻鱒鳶ル) à Mita pour vérifier l’avancement des travaux. Je constate qu’il est presque terminé et que la destruction des bâtiments alentours donne une assez belle vue d’ensemble du bâtiment. Keisuke Oka (岡啓輔) a entrepris seul de construire sa propre maison de béton depuis 2005, et il lui aura fallu 20 années pour la terminer. Le résultat est tout autant exceptionnel qu’étonnant, plus proche de l’œuvre d’art que de l’architecture, comme une grande sculpture brutaliste plantée en plein décor urbain sans demander d’autorisation à personne. Je ne veux bien sûr pas dire que cette construction n’est pas autorisée mais plutôt qu’elle s’impose à son environnement malgré sa relative petitesse. J’avoue que j’ai bien cru que ce bâtiment en éternelle construction ne verrait jamais le jour, d’autant plus qu’il était soudainement couvert de bâches depuis quelques années. Je me souviens m’être interrogé de sa possible disparition dans un message sur Instagram mais un architecte proche de Keisuke Oka m’avait gentiment confirmé qu’on avait couvert la maison en construction pour éviter des éventuels dangers aux alentours. Il faut bien dire que même si le bâtiment est tout proche d’être finalisé, on a un peu de mal à s’en convaincre complètement. Les vitrages sont pourtant installés et la superbe porte métallique est bien enfoncée au rez-de-chaussée. Je me sentirais tout de même pas tout à en sécurité à l’intérieur, mais j’ai très certainement tord. On peut d’ailleurs voir quelques images de l’intérieur sur Instagram pour ce qui ressemble à une pendaison de crémaillère. Je ne peux en tout cas n’être que reconnaissant de ces esprits visionnaires et atypiques qui vont jusqu’au bout de leurs visions et nous montrent des choses à la fois magnifiques et totalement uniques. C’est amusant de voir ce petit bâtiment brutaliste se confronter à un autre grand bâtiment brutaliste un peu plus haut de l’autre côté de la rue, l’ambassade du Koweït conçue par Kenzo Tange. J’ai publié quelques photos supplémentaires sur mon compte Instagram pour compléter cette visite extérieure, mais on aura toujours beaucoup de mal à saisir tous les détails de cette architecture extraordinaire.

aux portes du mystérieux manoir de Sekiguchi

Je marche sous le ciel gris et le temps pluvieux en direction de Waseda avec l’idée de visiter une ancienne maison dans laquelle a vécu le poète haïku Matsuo Bashō (松尾芭蕉) pendant trois années à partir de 1677, pendant la période Edo. Bashō y a séjourné alors qu’il participait aux travaux de rénovation de l’usine hydraulique de Kanda. Cette maison a ensuite été renommée Sekiguchi Bashoan (関口芭蕉庵). Elle est située au bord de la rivière Kanda dans le quartier de Sekiguchi de l’arrondissement de Bunkyo, au pied des jardins de Chinzanso (椿山荘) où se trouve l’hôtel du même nom. Je suis en fait venu une première fois en Septembre mais l’entrée était malheureusement fermée, ce qui ne m’a pas empêché de prendre quelques photographies des alentours, notamment de la cathédrale Sainte Marie de Tokyo, un des chef d’oeuvre de Kenzo Tange, que je montrerais dans un autre billet. Un mariage y avait lieu et les photographies étaient par conséquent interdites à l’intérieur. Je suis finalement revenu vers Sekiguchi Bashoan plus d’un mois plus tard pour retenter ma chance. La porte coulissante en bois n’est toujours pas ouverte mais il n’y a pas de petit écriteau indiquant une fermeture. Un groupe de dames sortent au moment même où je m’interrogeais si l’entrée est possible. Je reconfirme avec elles qu’il n’est à priori pas impossible de rentrer à l’intérieur, même si elles ne sont pas les gardiennes des lieux. Le fait qu’elles soient rentrées me permet à priori d’entrer à l’intérieur à mon tour. On ne peut malheureusement pas pénétrer à l’intérieur de la maison de Matsuo Bashō. On peut seulement parcourir le jardin composé d’un étang et on a vite fait le tour des lieux. Ça tombe bien car le gardien vient me prévenir que le jardin va fermer dans cinq minutes. Son insistance par sa présence près de la porte coulissante d’entrée fait que je ne traîne pas en route. Une des raisons pour lesquelles je suis venu jusqu’ici est que j’espérais apercevoir le domaine du manoir Shōuen (蕉雨園) qui est adjacent à Sekiguchi Bashoan. Ce manoir très spacieux n’est malheureusement pas visible depuis la maison de Bashō, mais seulement depuis une étroite rue piétonne en pente nommée Munatsuki (胸突坂). Il a été construit en 1897 et était la propriété du comte Mitsuaki Tanaka (田中光顕), ministre de la Maison Impériale à l’époque Meiji. L’entrée est fermée et un haut mur de pierre ne permet d’entrevoir qu’une partie des dépendances du domaine qu’on imagine vaste. On devine une grande demeure au milieu du terrain, derrière les arbres. Les lieux sont actuellement la propriété de la maison d’édition Kōdansha (株式会社講談社). En 1919, Mitsuaki Tanaka donna ce manoir à Jiemon Watanabe (渡辺治右衛門), président de la banque du même nom qui fit faillite pendant la dépression de Showa. Le fondateur de Kōdansha, Seiji Noma (野間清治), acheta ensuite ce manoir et le terrain de 6000 tsubo (environ 2 hectares) en 1932. Kōdansha n’ouvre malheureusement pas les portes du domaine Shōuen au public. Il est seulement utilisé pour des événements spécifiques ou des tournages de drama.

Je m’intéresse à ce manoir car il a été utilisé pour une fantastique série de photographies de Sheena Ringo pour le magazine Sony Gb d’Avril 2003, publié peu de temps après la sortie de son album Kalk Samen Kuri-no-Hana (加爾基 精液 栗ノ花) le 23 Février 2003. J’aurais adoré visiter cette demeure dont on peut voir dans le magazine certaines salles et le jardin pris en photo par Yasuhide Kuge (久家靖秀). Ce numéro de Gb contient une interview de Sheena Ringo qui revient principalement sur l’album KSK, mais ce sont surtout ces photographies qui sont marquantes. Ringo est habillé d’un kimono noir en adéquation avec le dernier morceau de l’album Sōretsu (葬列) pour cortège funèbre et le titre de ce magazine Sōrei (葬礼) pour funérailles. Ce magazine contient une des plus belles séries de photos de Sheena Ringo que je connaisses mais il faut bien se faire une raison, il n’y a que peu de chance que le manoir Shōuen soit ouvert un jour au public. Je me contenterais donc des quelques photographies du magazine.

Ce magazine Gb d’Avril 2003 était précédé d’un autre très beau numéro datant de Mars 2003. Celui-ci s’appelle Shūgen (祝言) pour félicitations. Les photographies sont également de Yasuhide Kuge (久家靖秀) mais je ne suis pas certain qu’elles aient été prises au même endroit que l’épisode du mois d’Avril. Les photographies se concentrent sur le kimono que porte Ringo et sur son visage. Sur certaines des photographies, elle est accompagnée par un homme en kimono, ce qui laisse penser à une mise en scène de mariage. Cet homme est Kazuhiro Momo (百々和宏), guitariste et chanteur du groupe MO’SOME TONEBENDER (モーサム・トーンベンダー), originaire de Fukuoka comme Ringo. Au sein du groupe Bakeneko Killer (化猫キラー) créé pour l’occasion, Kazuhiro Momo jouait de la guitare sur le premier morceau Shūkyō (宗教) et le onzième et dernier morceau Sōretsu (葬列) de l’album Kalk Samen Kuri-no-Hana (KSK). Tout en me promenant autour de la demeure, j’écoute bien entendu cet album pour me mettre dans l’ambiance de ces séries de photographies que je garde très clairement en mémoire. Je feuillette régulièrement ces deux magazines que je m’étais procuré il y a quelques années. Le numéro de Mars 2003 est consacré au single STEM (茎) et au film Hyaku Iro Megane (百色眼鏡) réalisé par Shuichi Bamba (番場秀一) qui précédaient l’album KSK. Je ne dirais pas que j’ai appris beaucoup de nouvelles choses en parcourant l’interview de ce magazine, mais il m’a en tout cas donné envie de revoir le film. Il y est noté que la pièce principale dans laquelle apparait Sheena Ringo est parfaitement symétrique, comme peuvent l’être l’agencement des titres sur l’album ou la durée totale de l’album (44:44). J’ai également été surpris de lire qu’une des scènes, celle dans un cinéma, a été tourné au Tokyo Kinema Club (東京キネマ倶楽部) près de la station d’Uguisudani. Je connais cet endroit très particulier et d’une autre époque, car le concert Unō Sanō (右脳左脳) de Tricot et de PEDRO auquel j’ai assisté le 10 Mai 2024 s’y déroulait. C’est une coïncidence intéressante. J’ai également cherché à savoir où se trouvait la maison de style occidental de l’actrice Kaede Katsuragi, interprétée par Koyuki. On ne trouve aucune information dans les crédits du film, mais quelques recherches sur Internet et sur Google Maps m’ont permis de découvrir cette demeure située dans le quartier d’Horiuchi (堀内) à Hayama dans la préfecture de Kanagawa. Il s’agissait à l’époque d’une résidence privée, mais cette vieille maison est maintenant utilisée comme restaurant pour des fêtes de mariage, sous le nom de R・CASA (リ・カーサ). Je connais Hayama pour y être allé de nombreuses fois, mais je ne pense pas avoir déjà vu cette maison. En tout cas, le concert Ringo Expo’24 un peu plus tard ce mois-ci me donne envie de ma replonger vers des éléments de l’univers de Sheena Ringo que je n’avais pas encore fouillé. C’est un petit plaisir d’OTK dont je ne me lasse définitivement pas.

un petit musée à Fukasawa

Le petit musée de Fukasawa (深沢小さな美術館) est un endroit tout à fait inattendu, perdu dans les forêts de montagne près de la petite ville d’Akiruno dans la partie tout à l’Ouest de Tokyo. Ce musée est consacré aux œuvres de l’artiste sculpteur Shozo Tomonaga (友永詔三). Depuis la station JR Musashi-Itsukaichi, il faut environ 15 minutes en voiture pour accéder à ce petit musée, en se laissant guider sur la route par des nains, au bonnet rouge et à la barbe blanche, sculptés dans le bois. On peut difficilement se tromper mais la route est étroite et on se demande par moment si un musée se trouve bien dans les environs car la forêt est dense. Un dernier petit chemin nous amène vers un parking de quelques places sans marquage devant l’entrée du petit musée de Fukasawa. On y trouve une vieille maison de plus de cent ans, rénovée par l’artiste lui-même. Il y a apporté des extensions dans un style architectural irrégulier qui peut rappeler le palais idéal du Facteur Cheval en France, car tout a été construit par l’artiste lui-même. Avec ses murs en pierre et ses portes et fenêtres sculptées en bois, on a l’impression d’entrer dans une maison de contes pour enfants. C’est tout à fait à propos car Shozo Tomonaga est avant tout connu pour les nombreuses marionnettes qu’il a entièrement conçu pour une série télévisée de la NHK intitulée Purin Purin Monogatari (プリンプリン物語). Ce spectacle de marionnettes racontant l’histoire de la princesse Purin a été diffusé sur la chaîne NHK pendant trois ans à partir de 1979. Une rediffusion a démarré en ce moment sur la chaîne éducative de la NHK. Une bonne partie du musée montre un grand nombre des marionnettes utilisées pour ce spectacle, certaines ayant des visages très marqués qu’on devine être ceux des méchants de l’histoire. Mari avait regardé cette série lorsqu’elle était toute petite, et ces visages ont été apparemment marquants. Outre l’histoire de la Princesse Purin, Shozo Tomonaga a également conçu des marionnettes pour le spectacle intitulé Himiko, Reine du soleil levant (卑弥呼ー日出る国の女王) qui a été joué à New York en 1987.

La salle principale du musée montre un grand nombre de sculptures créées par l’artiste, dont celles de jeunes femmes élancées, de personnages se mélangeant à des poissons, de grandes lampes en papier japonais washi prenant la forme de champignons. Ce monde onirique est tout à fait fascinant et nous amène bien loin de notre quotidien. En regardant ces objets de bois, on imagine toute sorte d’histoires du folklore ancestral ou de légendes peuplées de créatures mystérieuses. Chaque sculpture comporte des détails qui nous échappent parfois à notre premier passage (les lampes champignon ont par exemple des petits pieds à peine visibles), comme si ce monde ne se révélait que progressivement après que notre cœur et notre esprit se soient adaptés à cette forêt d’objets. Parmi toutes ces sculptures, j’aime beaucoup les deux femmes à robes rouges à poix, portant un oiseau à la main et un chapeau-coiffure en forme de pomme sur la tête. La créature ailée dorée posée sur un arbre me parle aussi beaucoup, car une même statue de grande taille se trouve près du terrain de Rugby Chichibu no Miya, dans la rue menant au grand Stade Olympique de Tokyo. Les objets ronds de la dernière photographie ci-dessus nous sont également très familiers car ce sont des représentations des signes du zodiaque chinois vendues à chaque début d’année au sanctuaire Meiji Jingu. Nous avons en fait à la maison la figure de cette année représentant le dragon, et on était particulièrement surpris d’apprendre que Shozo Tomonaga les avait conçu. On fait toutes ces découvertes en compagnie de l’artiste. Il est présent dans son musée et engage facilement la conversation. Une des pièces du musée sert de café. On peut s’asseoir en regardant les carpes à travers la fenêtre entrouverte. L’épouse de l’artiste assure le service et n’hésite pas à répondre à toutes nos interrogations sur ce lieu. Le bassin des carpes a par exemple une construction atypique. Il ressemble à un aquarium avec un vitrage latéral permettant de voir nager les carpes. Elle nous explique que chaque détail de la décoration de cette pièce servant de salon de thé a été créé par Shozo Tomonaga, que les chaises aux formes rondes irrégulières sont aussi le fruit de son imagination. Il a actuellement 80 ans mais est apparemment toujours actif, et participe à des expositions. On a un peu de mal à quitter ce monde. Malgré la relative petitesse de l’endroit, on y a passé beaucoup de temps. Le nombre de visiteurs était limité mais arrivait en flux continu. On souhaiterait qu’un nombre important de visiteurs découvre les œuvres fascinantes de Shozo Tomonaga, mais ce musée n’est pas vraiment conçu par accueillir une foule de personnes. On voudrait que ce petit musée de Fukasawa reste secret, mais nous l’avons nous même découvert grâce aux réseaux sociaux.

the streets #13

La série que je n’arrive pas à terminer continue encore un peu avec un treizième épisode. En marchant au hasard des rues de Yoyogi vers Setagaya, je retrouve Hironaka House conçu par l’architecte Ken Yokogawa. Je l’ai déjà pris en photo plusieurs fois, mais je n’hésite pas à faire un petit détour pour passer une nouvelle fois devant. Les deux photographies suivantes doivent avoir été prises quelque part en direction de Hatsudai, mais je ne me souviens plus exactement du lieu. La troisième photo d’une coccinelle mécanique a très certainement été influencée par la musique de Petrolz que je devais écouter en marchant à ce moment là, peut-être s’agissait t’il de l’excellent morceau Holloway (ホロウェイ) du EP Idol de 2010, que j’écoute en complément de l’album Renaissance dont je parlais dans mon billet précédent. Les quatrième et cinquième photographies nous amènent dans le quartier de Kanda Sudachō. Je n’avais pas fait de déplacement volontaire pour voir un bâtiment spécifique depuis longtemps. Mes idées de déplacement sont assez souvent liées à ce que je peux voir d’intéressant niveau architecture sur mon flux d’images sur Instagram. Je les garde en bookmark et y revient plus tard lorsque je cherche un endroit vers où aller marcher. Ce nouveau bâtiment à Kanda Sudachō se nomme 12 KANDA et a été conçu par sinato et l’atelier NANJO en 2023. Il contient des espaces commerciaux et de bureaux partagés. L’aspect extérieur et sa complexité visuelle me rappellent beaucoup Sauna Reset Pint, de l’architecte Akihisa Hirata, situé à Asakusa, mais les escaliers arrondis de métal me ramènent vers le petit hôtel Siro conçu par Mount Fuji Architects Studio dans un quartier d’Ikebukuro. On ressent assez clairement ces influences sur ce nouveau building encastré parmi d’autres de tailles similaires. Je ne suis pas certain de l’utilisation effective des escaliers extérieurs car on préférera toujours les ascenseurs, surtout par temps de pluie, mais l’impact visuel est marquant. Les deux photographies suivantes, les deux dernières du billet, ont été prises le long de la rue semi-piétonne Cat Street. La Porsche 968 Roadster installée dans un des bâtiments de béton de la petite galerie The Mass est une version re-dessinée par Arthur Kar, fondateur du label de mode parisien L’Art de l’Automobile. Cette voiture avait apparemment déjà été exposée à Paris dans Le Marais il y a quelques années. Cette exposition me rappelle que j’avais déjà vu une Porsche verte vintage il y a deux ans au même endroit, et une autre Porsche de couleur bronze devant une maison individuelle d’un quartier d’Aoyama. Cette dernière était érodée, avec une carrosserie rouillée à certains endroits. Je me souviens m’être demandé si cette dégradation était volontaire, ce qui ne peut être que le cas car le reste de la voiture de sport restait en bon état, à part la carrosserie. En y repensant maintenant, il s’agissait peut-être d’une création de l’artiste Daniel Arsham, qui a conçu des Porsche ayant subi l’épreuve de l’érosion. Je ne suis cependant pas en mesure de trouver une confirmation de ce que j’avance. En continuant toujours un peu sur Cat Street, je me dirige ensuite vers la galerie Design Festa pour voir si les illustrations des murs ont changé, ce qui était le cas. J’avais auparavant toujours un peu de mal à trouver son emplacement et, encore maintenant, je pense que j’y accède en faisant un détour. Ça ne me déplaît pas non plus, car ça me donne l’impression que la galerie est cachée dans une sorte de labyrinthe. On n’est pas très loin de la réalité. Bien que j’aime voir la galerie de l’extérieur, j’y rentre rarement car on y trouve plutôt des œuvres de jeunesse qui ne me passionnent en général pas beaucoup.

De haut en bas: Extraits des vidéos de Tokyo High Heels (とうきょうハイヒール) par Tsukimi (つきみ), The Sign (彗星) par Mei Watanabe (ワタナベ・メイ) avec une production de Shinichi Osawa et Sunny Girl (晴れ女) par Koyoi Matsuda (松田今宵).

Continuons en musique avec quelques morceaux de groupes et artistes que je ne connaissais pas jusqu’à leur découverte au hasard des recommandations de YouTube ou Instagram. Il y a d’abord le morceau intitulé Tokyo High Heels (とうきょうハイヒール) d’un groupe rock nommé Tsukimi (つきみ), originaire d’Iwaki dans la préfecture de Fukushima. Tsukimi est un trio de filles composé de Nini-chan (ににちゃん) à la guitare et au chant, Shuka (しゅか) à la batterie et aux chœurs et Ri-tan (りーたん) à la basse et aux chœurs. Tokyo High Heels est leur dixième single présent sur leur troisième EP Even Strong Angels Roar Loudly (強い天使も超吠える) sorti le 16 Octobre 2024. Je suis toujours attiré par les morceaux rock évoquant Tokyo, non sans une certaine mélancolie. On trouve ici le sentiment de solitude des grandes villes et j’aime beaucoup la manière posée avec laquelle la chanteuse Nini-chan aborde ce morceau, contrastant avec le reste du EP beaucoup plus virulent. Une autre belle surprise est le single Sunny Girl (晴れ女) de la compositrice et interprète Koyoi Matsuda (松田今宵), sorti le 28 Août 2024. On trouve dans ce morceau aux ambiances folk à la guitare acoustique une proximité, comme si on était assis dans son petit salon près de la baie vitrée à apprécier la lumière qu’elle attire de son chant. Ce morceau aux apparences simples est tout à fait marquant. Je n’étais pas correct en mentionnant que je n’évoquerais dans ce billet que des morceaux de groupes que je ne connaissais pas, car je reviens vers le groupe rock Chilli Beans avec le superbe single yesterday, sorti le 9 Octobre 2024. On ressent une grande sensibilité et fragilité dans le chant pour un morceau qui a pourtant une dynamique pop. J’écoute aussi beaucoup le morceau All Night Radio (アールナイトレディオ) de la compositrice et interprète N・FENI (ん・フェニ) qui se faisait appeler auparavant Yoneko (ヨネコ) et qui a fait partie du groupe d’idoles alternatives Migma Shelter (ミグマシェルター). On ressent une certaine influence de la musique d’idoles dans le chant et l’immédiateté de la mélodie, qui nous accroche donc tout de suite, mais l’approche reste résolument rock. Je termine cette petite sélection avec la voix fantastique de Mei Watanabe (ワタナベ・メイ) sur un morceau intitulé The Sign (彗星), produit par Shinichi Osawa. Je suis toujours attentif aux nouvelles productions de Shinichi Osawa, notamment sur ses albums sous le nom MONDO GROSSO, surtout lorsqu’il s’agit de collaborations avec d’autres artistes. Mei Watanabe à un petit quelque chose d’Utada Hikaru dans la voix, mais je trouve que son amplitude de chant est plus vaste. Cela donne un morceau superbe, d’autant plus quand il est mis en musique par Shinichi Osawa.