Catégorie : Tokyo
Tokyo en photos
variation from the same lights (3)
Regarder maintenant ces photographies me donnent l’impression d’être moi-même un esprit divaguant parmi les âmes. Les illuminations de rues me poussent à faire filer les lumières plutôt qu’à les contenir. J’aime créer ces formes de lumières la nuit en jouant avec les temps d’exposition et les mouvements lents. Les lumières dansent et nous entourent, nous regardent sans qu’on les voient, flottant comme des nappes douces ou comme des éclairs électriques. J’ai envie d’y entendre un lien musical et ces lumières là me ramènent vers le shoegaze.
J’avais manqué la sortie du dernier album de DIIV, Frog in Boiling Water, sorti en Mai 2024. Il s’agit du quatrième album du groupe new-yorkais mené par Zachary Cole Smith. C’est l’album le plus ouvertement shoegazing du groupe. On peut se dire en écoutant les premières secondes du deuxième morceau Bown Paper Bag qu’il y a une influence certaine de MBV, dans la voix de Zachary et dans certaines tonalités de guitare. La sonorité des guitares sur ce morceau, absolument superbe, nous amène pourtant vers des zones familières que l’on connaît déjà de DIIV. J’avais découvert l’album par le troisième morceau Raining on your pillow, qui est un des meilleurs titres de l’album. Frog in Boiling Water est dense musicalement, comme le demande le genre, mais on y trouve une certaine douceur dans le chant, qui ne lutte pas ni se force pour s’imposer face aux guitares. Cette voix se diffuse comme les lumières dont je parlais ci-dessus, éclairant de manière éphémère des espaces sombres. L’album maintient une même approche stylistique tout au long des dix morceaux qui le composent et forme une atmosphère consistante, flottante et suspendue. On se laisse volontiers divaguer dans ces sons, en s’accrochant parfois au bord lorsqu’une association brillante de sons nous interpelle comme sur les excellents Somber the drums et Soul-net. Cet album a une qualité intemporelle et seule la production très actuelle laisserait trahir qu’il s’agit d’un album récent de shoegaze.
Dans une interview du groupe au moment de la sortie de l’album, on demandait justement aux quatre membres de donner leurs cinq meilleurs albums du genre. Ce genre de questions nous ramène systématiquement vers Loveless (1991) de MBV, Souvlaki (1993) de Slowdive et Nowhere (1990) de Ride. Loveless est bien entendu mentionné mais il est tellement parfait et inimitable que le groupe préfère citer l’album précédent Isn’t Anything (1988), qui est moins parfait et en quelque sorte moins intimidant pour un musicien. Cet interview m’a fait réécouter ces deux albums. DIIV mentionne également l’album White Pony du groupe californien Deftones, ce qui me surprend car je n’ai jamais entendu ce groupe associé au mouvement shoegaze. DIIV fait en fait référence au fait que Deftones est régulièrement cité comme référence par des groupes de shoegaze moderne, et que la définition du genre shoegaze ne doit pas être rigide et peut s’entendre à d’autres genres similaires de rock ayant un même sens de l’innovation sonore. J’ai donc suivi les recommandations de DIIV en écoutant l’album White Pony (2000) et leur précédent Around the Fur (1997), qui sont réputés comme étant les deux meilleurs albums du groupe. Je ne suis déçu d’avoir suivi cette piste, même si j’aurais personnellement un peu de mal à placer ces deux albums dans le genre shoegaze car les guitares sont à mon avis trop métal et les voix beaucoup plus agressives que les approches vaporeuses du shoegaze. Il n’empêche que ces deux albums sont excellents et il s’agit là d’une expérience d’écoute qui n’est pas de tout repos, par la puissance des guitares et la violence du chant de Chino Moreno. C’est la volatilité de ce chant superposé à la lourdeur des guitares qui fonctionne vraiment bien, comme sur les morceaux Street Carp ou Knife Party. Les morceaux Change (in the house of flies) et Pink Maggit sont peut-être ceux qui se rapprochent le plus du shoegaze, et ce dernier est d’ailleurs un des titres que je préfère de l’album. Et en fait, plus j’écoute ces deux albums, plus je me dis qu’on y trouve des petites touches de shoegaze, dans certains tons de voix sur MX sur Around the Fur par exemple.
merging on highways
People are afraid to merge on Highways
Les autoroutes intra-muros de Tokyo sont une sorte de labyrinthe que j’avais un peu peur d’emprunter lors de mes débuts de conduite à Tokyo. Les premières fois devaient être à moto, avec la Honda CB400 de couleur bordeaux qui m’a accompagné pour quelques courts voyages autour de Tokyo. En voiture, la conduite sur les hauteurs de l’autoroute Shutoko (首都高) demande une attention permanente entre les virages soudains, l’étroitesse des voies, les embranchements entrant depuis la gauche ou depuis la droite, les nombreux changements de direction et les quelques conducteurs impatients dépassant allègrement les limites de vitesse. Malgré cela, et peut-être même en raison de tout cela, je n’évite pas la conduite sur l’autoroute intra-muros Shutoko, car visuellement cela vaut clairement le détour, comme par exemple lorsque l’on longe la rivière Sumida pour remonter vers le Nord Est de Tokyo. Ça pourrait clairement être un parcours touristique mais heureusement les karts, qui se sont démultipliés depuis quelques années dans Tokyo, ne sont pas autorisés à monter là-haut. Et s’il y a une once de ‘cyberpunk’ à Tokyo, c’est certainement sur les autoroutes survolant la ville au niveau des quatrième ou cinquième étages des immeubles qu’on peut le trouver.
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A personal view of Japanese Contemporary Art
Le Samedi 2 Novembre, j’ai visité l’exposition A Personal View of Japanese Contemporary Art qui se déroulait au Museum of Contemporary Art Tokyo (MOT) du 3 Août au 10 Novembre 2024. L’exposition montrait de nombreuses œuvres de la collection de Ryutaro Takahashi (高橋龍太郎). Je suis familier d’un grand nombre des artistes présentés car ils et elles comptent parmi mes préférés de la scène contemporaine japonaise, et j’en ai régulièrement parlé sur ce blog. Plus que cela même, je suis en fait déjà allé voir une exposition de ce collectionneur d’art particulièrement réputé. C’était une exposition intitulée ART de Cha Cha Cha (ART de チャチャチャ) qui se déroulait du 28 Avril au 27 Août 2023 au WHAT Museum opéré par Terrada à Toyosu (豊洲). Les œuvres présentées lors de l’exposition au MOT étaient différentes de celles montrées au WHAT Museum, ce qui donne une bonne idée de la très grande étendue de la collection d’art de Ryutaro Takahashi. Parmi les noms dont j’ai déjà parlé sur ce blog, on trouve entre beaucoup d’autres, des artistes de différentes générations comme Yayoi Kusama (草間彌生), Aquirax Uno (宇野亞喜良), Daido Moriyama (森山大道), Hajime Sorayama (空山基), Yoshitomo Nara (奈良美智), Tomoko Konoide (鴻池朋子), Takashi Murakami (村上隆), Makoto Aida (会田誠), Kenji Yanobe (ヤノベケンジ), Hisashi Tenmyouya (天明屋尚), Akira Yamaguchi (山口晃), Mika Ninagawa (蜷川実花), Manabu Ikeda (池田学), Kohei Nawa (名和晃平), Erina Matsui (松井えり菜)… J’avais déjà vu quelques unes des œuvres présentées lors d’expositions solo de certains artistes, comme celles de Chim↑Pom ou de Chiharu Shiota (塩田千春) au Mori Art Museum de Roppongi Hills. Certaines des sculptures et installations présentées étaient de taille immense, profitant pleinement des hauts plafonds des salles du musée. La questions m’a effleuré l’esprit de savoir où le collectionneur conserve toutes ses œuvres. Peut-être sont elles en fait toujours sur la route, prêtées de musées en musées. Ceci étant dit, j’ai toujours une attirance pour les peintures. Je découvre notamment la beauté d’un portrait ressemblant à une esquisse par Yukino Yamanaka, que je montre en photo ci-dessus sous le nom de stretch. J’aurais pu montrer de nombreuses autres œuvres dans ce billet, tellement la visite était intéressante et inspirante, mais je me limite à quelques unes dont j’indique le titre et l’auteur pour les esprits curieux.
une chose fragile
祝言
Lors de mon premier passage devant Sekiguchi Bashoan (関口芭蕉庵) en Septembre, j’étais également passé voir la cathédrale Sainte Marie de Tokyo, conçue par Kenzo Tange (丹下健三) et construite en 1964. Je pense que c’est la troisième fois que je visite cette cathédrale, la dernière fois était en Mai 2013, six ans après sa rénovation extérieure en 2007. Nous étions d’ailleurs passé en Mars 2007 au moment des rénovations. Lors de la visite de 2013, avait lieu un mariage ce qui ne nous avait pas empêché d’entrer librement et de prendre des photos à l’intérieur. Lors de mon dernier passage en Septembre, un mariage s’y déroulait également et les photographies étaient malheureusement interdites à l’intérieur. J’ai donc seulement pris l’extérieur en photographie en me concentrant sur des éléments de la vaste et élégante toiture. Le noir et blanc semblait convenir le mieux à ces photographies car des traînées de nuages noirs se formaient peu à peu au dessus de la cathédrale.
葬列
On trouve quelques éclaircies dans le nouvel album qui était tant attendu de The Cure, Songs of a Lost World, qui a mis seize années à naître. Ces éclaircies dans le monde sombre de The Cure, on les trouve sur un morceau comme And Nothing is Forever, qui me fait étonnamment penser à une composition des islandais de Sigur Rós pour la densité douce mais dramatique des cordes. Mais Robert Smith apporte par sa voix toute la détresse ’nécessaire’ à un album de Cure. On dit que ce nouvel album qui a eu une très longue gestation est un des meilleurs albums du groupe après Disintegration sorti en 1989. Il ne déçoit pas, pour sûr, les amateurs du groupe dont je fais partie, car on y trouve toute l’ambiance familière du rock gothique de Cure. On n’est pas vraiment dépaysé et on retrouve le groupe là où on les avait laissé. The Cure ne s’éloigne pas beaucoup des atmosphères sombres et désespérées qui les caractérisent, mais ne surjoue en rien ces ambiances. On sent un groupe qui a vécu et est resté fidèle aux sons qui les distinguent. Je connaissais en fait le dernier morceau Endsong depuis au moins un an pour l’avoir entendu dans un extrait de concert filmé par un fan. Le groupe a apparemment joué plusieurs morceaux de ce dernier album pendant des concerts. J’ai appris avec une grande surprise la sortie de cet album sur l’émission Very Good Trip de France Inter, album qui a apparemment également captivé son présentateur Michka Assayas qui n’était pourtant pas acquis à la musique du groupe. Songs of a Lost World ne dépasse pas pour moi les sommets de l’album Pornography de 1982, mais on ne peut pas souhaiter au groupe de repasser par ce genre de période destructrice. L’album dure 49 minutes pour 8 morceaux, la grande majorité démarrant par de longues compositions instrumentales qui installent l’ambiance et nous saisit dès le premier morceau. S’il ne fallait écouter qu’un seul morceau de l’album, ça serait le long morceau de plus de dix minutes Endsong qui le conclut. La densité émotionnelle qui s’en dégage est exceptionnelle et je suis certain qu’il s’agit du morceau vers lequel je reviendrais régulièrement plus tard. « It’s all gone, it’s all gone, Nothing left of all I loved« , chante Robert Smith dans le refrain du morceau, en évoquant des disparitions récentes parmi les membres de sa famille proche. On trouve également ce genre de désespoir maîtrisé sur le morceau Hollywood de Nick Cave and The Bad Seeds sur son album Ghosteen, qu’il a écrit après le décès de son fils. Je n’ai jamais osé entrer dans cet album, mais ma petite sœur me conseille ce long morceau de quatorze minutes qui est magnifique. « Everybody is losing someone. It’s a long way to find peace of mind, peace mind« .