naviguer les rues d’Harumi (1)

Je continue à sauter d’île en île pour arriver sur celle d’Harumi après avoir traverser Kachidoki. Mon objectif était de longer les canaux à vélo pour atteindre l’ancien village olympique des Jeux de Tokyo 2020. Nous les avions traversé il y a plusieurs semaines en voiture, et je voulais cette fois-ci prendre mon temps pour observer l’avancement des travaux qui consistent principalement à réaménager les appartements destinés aux sportifs en des logements pour des particuliers, notamment des familles. Les barres d’immeubles ne sont pas les seules à subir des modifications, c’est aussi le cas des alentours, les rues qui desservent ces immeubles et les jardins. Ce complexe se nomme Harumi Flag et se compose de plusieurs blocs dont ceux appelés Park Village, Sun Village et Sea Village. Je n’ose imaginer la densité de population dans ce quartier lorsque les immeubles seront terminés à la date prévue de fin Mars 2024. Le complexe contiendra un nombre total de 5,632 unités d’habitation, ce qui constituera un quartier d’environ 12,000 habitants. Bien que personne n’habite actuellement dans ce complexe, le petit parc Harumi Futō Kōen (晴海ふ頭公園) placé à une des extrémités de l’île artificielle est déjà bien occupé.

derrière les lampions rouges et blancs

Toujours dans notre recherche des sceaux des sanctuaires de Tokyo, nous allons cette fois-ci aux limites de la ville et de sa banlieue dans l’arrondissement de Adachi à la frontière de Saitama. Le sanctuaire que nous recherchons cette fois-ci s’appelle Hanahatake Ōtori Jinja (花畑大鷲神社). Il se trouve au bout d’une zone résidentielle qui semble sans fin, car on avance doucement dans ces petites rues, de peur de manquer le sanctuaire. On ne risque en fait pas de le manquer car sa porte et une partie de son enceinte donnant sur la rue sont entièrement couvertes de plusieurs rangées de lampions rouges et blancs marquées des noms de leurs sponsors, à priori les entreprises ou les commerces du coin même si ces derniers ont l’air assez peu nombreux aux alentours à première vue. L’intérieur de l’enceinte du sanctuaire est une très belle surprise car l’espace est vaste et boisé. Une ambiance lente et tranquille s’en dégage, comme si on était entré soudainement dans un tout autre environnement loin de Tokyo. Techniquement parlant, on est très loin du centre ville de Tokyo, mais on n’a pourtant pas quitter la ville un seul instant. Ce sanctuaire ressemble à un petit oasis de verdure au milieu de maisons toutes aussi similaires qu’ennuyeuses. Nous savons bien que l’on ne pourra pas passé la journée dans ce sanctuaire et que notre temps de visite est limité, mais je sens bien que nous nous posons la question de comment emmagasiner en nous une partie de cette ambiance pour la ramener sur le chemin du retour.

Pour les amoureux d’histoire de l’urbanisme tokyoïte, je conseille très fortement le site Japan This! qui explique l’histoire de Tokyo quartier après quartier, en commençant par une explication du nom du lieu pour ensuite aborder son histoire jusqu’à nos jours. Le dernier billet que Marky Star publie sur le quartier de Ginza est extrêmement complet, avec des petites pointes d’humour rendant la lecture intéressante. C’est rare de nos jours de trouver un blog continuant un travail aussi approfondi. Je suis aussi attentivement le compte Twitter de Irène DB depuis un bon petit moment. Elle ne couvre pas seulement l’urbanisme tokyoïte mais y revient très souvent en montrant des représentations artistiques de la ville, des images historiques ou des choses plus insolites. J’aime beaucoup son sens de la sélection, nous montrant de nombreuses choses étonnantes et que je n’avais en général jamais vu ailleurs.

le temple à l’étage

Restons encore quelques dizaines de minutes à Ueno. Je m’engouffre dans le coeur du quartier par une voie étroite entre les buildings. Il y a quelques entrées de restaurant dans cette allée, mais également des sorties de cuisine, des portes de service, des coins fumeurs pour les serveurs en pause. La densité des « choses » présentes dans ces petites rues m’impressionnera toujours. Dans un recoin de l’allée, un mini-jardin fait de quelques pots de fleurs alignés cherche à capter les rayons de soleil passant entre les immeubles. Etonnamment, la rue n’est pas sombre. Après quelques virages depuis cette allée, on rejoint rapidement le nerf actif du quartier, la rue Ameyoko longeant la ligne de train. Nous sommes la matin vers 11h, la foule est déjà très présente car la multitude de boutiques du labyrinthe de rues du quartier viennent juste d’ouvrir leurs devantures.

Je cherche à retrouver le temple volant de Ameyoko. Le livre jaune de l’Atelier Bow Wow dont je parlais dans un billet précédent mentionne également ce temple à Ueno. Repenser à ce livre m’a donné envie de revoir ce temple dans les airs. La particularité du temple est qu’il se situe au deuxième étage, au dessus de magasins de toutes sortes. Les pancartes publicitaires le cachent pratiquement et on peut le manquer si on n’y prend gare. Les affichages des marchands du temple sont nombreux et envahissants. Lorsque l’on monte à l’étage, on peut se pencher pour prier devant un poster géant d’une équipe de foot japonaise. Il s’agit du Tokudai-ji, au coeur de la rue Ameyoko. J’ai l’impression que depuis la dernière fois que j’ai visité ce temple en 2009, le nombre d’affiche a bien augmenté. Viendra un moment où le temple sera complètement recouvert et devra abdiquer.

Nous ressortons du « sur-plein » de Ameyoko et de Ueno, pour rejoindre la voiture laissée au parking du Matsuzakaya. Sur la place, la foule s’est fait plus dense pour écouter une jeune fille en robe verte et jaune. La voix peu assurée me laisse penser qu’il s’agit d’une apprentie idole. La foule est attentive. Certains reprennent quelques mouvements de bras en imitant ceux de la chanteuse, d’autres sont rivés sur leurs objectifs photographiques télescopiques. Cet enthousiasme me semble parfois effrayant.

tout au long de la rivière Meguro

Marcher tout au long de la rivière Meguro est agréable si ce n’est l’odeur. Je ne vais donc pas la suivre en long mais plutôt traverser ses ponts tout en avançant dans les rues parallèles. Mon but est de rejoindre à pieds l’immeuble de Meguro Gajoen. Avec son format biseauté, sa dynamique élancée et sa piste d’atterrissage d’hélicoptères sur le toit, la tour Arco accolée à Meguro Gajoen se fait remarquer dans le quartier. Il s’agit d’une tour de bureaux. L’entrée de l’hôtel est également à ce niveau mais l’hôtel en lui-même se trouve derrière la tour Arco et son annexe, une tour similaire plus petite. Les parois dorées autour des fenêtres des chambres laissent deviner la grande richesse de l’intérieur. L’ensemble fut construit à la fin de la bulle économique et on reconnaît un certain excès, comme ça peut être également le cas pour l’hôtel Westin de Yebisu Garden Place dans un autre style. Visiter cet hôtel vaut le détour, ainsi que le bâtiment historique juste à côté, datant de 1928. En recherchant quelques images de l’hôtel Gajoen, je découvre un excellent blog Old Tokyo en anglais montrant des anciennes cartes postales du Japon, et montrant notamment les jardins et des vues de l’intérieur de l’hôtel historique à l’époque. C’est superbe, je vais très certainement parcourir ce blog et ses anciennes cartes postales un peu plus. Nous avons déjà visité l’intérieur de Gajoen il y a de cela quelques années et j’y suis retourné plus récemment, mais cette fois-ci, je me contente d’observer la tour Arco et les façades de l’hôtel depuis l’extérieur de l’autre côté de la rivière Meguro.

Pas très loin de l’hôtel et toujours le long de la rivière Meguro, je retrouve le terrain d’entraînement de golf, entouré d’un filet vert. La particularité de ce terrain est qu’il est placé au dessus d’un parking pour taxis. Si on regarde bien, dessous le filet, des rangées de taxis rouge-orange sont habilement stationnés. Dans un souci d’utilisation optimal de l’espace disponible, le terrain de golf et le parking pour taxi sont combinés l’un au dessus de l’autre. Les lecteurs fidèles de Made in Tokyo reconnaitront peut être cet endroit, car j’en ai déjà parlé il y a quelques années (il y a 10 ans pour être précis). Ce Golf Taxi Building est un des nombreux lieux atypiques présentés dans le petit livre jaune Made in Tokyo メイドイントーキョー de l’Atelier Bow Wow. A noter pour la petite histoire que le titre Made in Tokyo de ce blog ne provient pas de ce petit livre jaune d’architecture de l’Atelier Bow Wow, mais m’est venu à l’esprit après avoir vu le film de Fruit Chan intitulé Made in Hong Kong. Il faudrait d’ailleurs que je retrouve le DVD, quelque part dans mes étagères de films. ça remonte à une époque où le cinéma de Hong Kong m’attirait et me passionnait, notamment les films de Wong Kar-Wai comme Chungking Express et Fallen Angels.

Juste à côté du terrain d’entrainement de golf, mon regard photographique est attiré par une déchetterie de papier, notamment les blocs blancs compressés posés les uns sur les autres avec quelques papiers de couleur qui dépassent par-ci par-là. On dirait une composition volontaire. Je finis cette marche dans Meguro-Ku en m’éloignant de la rivière et en m’enfonçant une nouvelle fois dans les rues résidentielles. C’est encore une fois l’occasion de trouver des compositions urbaines et architecturales intéressantes, et il faut parfois réfléchir et tourner en rond avant de trouver un cadre de photographie satisfaisant. Dans les rues de Tokyo, il faut jouer avec le peu de recul dans les rues étroites. Je ne me lasse pas et je continuerais pendant encore quelques temps à montrer ces découvertes sur Made in Tokyo.

Timberize Tokyo

J’ai découvert par hasard l’exposition Timberize Tokyo qui se tenait au Spiral à Aoyama, il y a de cela quelques semaines. L’exposition présentait un sujet intéressant et assez surprenant à premier abord, celui de la construction en plein Aoyama de séries d’immeubles en bois.

Depuis 2000 et l’évolution de loi japonaise sur les standards architecturaux, il est désormais possible de construire des buildings en bois avec systèmes de protection incendie. Timberize Tokyo est un groupe d’architectes et ingénieurs à la recherche de nouvelles possibilités architecturales autour du bois. Depuis que Shigeru Ban crée des bâtiments à partir de tubes de carton renforcé, on imagine un peu mieux les innovations possibles à partir de bois renforcés pour la construction de bâtiments de grande taille.

Le Japon a une longue tradition d’utilisation du bois en construction, mais les formes proposées par le groupe Timberize Tokyo ne s’inspirent pas de design d’autrefois. On imaginerait assez bien les constructions montrées en maquette dans des matériaux plus classiques pour des buildings de cette taille comme le béton ou l’acier. C’est d’ailleurs assez difficile de s’imaginer ces bâtiments en taille réelle. Le bois renvoie plutôt vers des espaces chaleureux et intimes, tandis que ce qui est présenté réfère plutôt aux grands ensembles. L’exposition présentait un grand nombre de maquettes: des immeubles de bureaux sur plusieurs étages, des centres commerciaux, écoles, immeubles d’habitation… avec des formes parfois assez naturelles, justement, comme les structures florales du bâtiment Petal (en photo ci-dessus).

La vue de Aoyama en maquette est aussi intéressante, elle montre les implantations proposées pour ces constructions. Je ne connais pas la raison du choix du quartier d’Omotesando, peut être pour donner un certain impact en choisissant une avenue très fréquentée ou peut être parce qu’elle est bordée d’arbres, des zelkova. Les bâtiments de bois sont implantés à différents endroits le long des avenues et viennent remplacer les vieux immeubles. Ils n’ont heureusement pas été jusqu’à proposer le remplacement du Omotesando Hills de Tadao Ando, du Tod’s de Toyo Ito ou le One Omotesando de Kengo Kuma. Il s’agit peut être d’une belle utopie que d’avoir de tels immeubles de bois en plein Omotesando, mais je serais heureux de voir une partie de ce projet se concrétiser. Et ça serait un très joli contraste si tel immeuble se trouvait à côté des façades de béton de Tadao Ando.