vues du Mont Fuji depuis Kawaguchiko

Outre notre bref passage à Enoshima juste avant la nouvelle année, nous ne sommes pas beaucoup sortis de Tokyo pendant les courtes vacances de fin d’année. Nous avions quand même dans l’idée d’aller voir le Mont Fuji enneigé. On peut le voir depuis Tokyo, mais il est quand même beaucoup plus grandiose près des lacs, notamment celui de Kawaguchi. J’avais vu sur Instragram un point de vue intéressant sur le Mont Fuji à travers un petit Torii rouge de sanctuaire. Une petite recherche m’indique qu’il s’agit du sanctuaire de Kawaguchi Asama. Ça sera donc notre première destination. Le trajet aller sur l’autoroute Chuo se passe sans encombres et nous prendra un peu plus d’une heure et demi. Le sanctuaire de Kawaguchi Asama est relativement petit mais ancien. Il y a environ 1,300 sanctuaires appelés Asama ou Sengen dédiés au Kami des volcans, et principalement autour du Mont Fuji. Le principal sanctuaire est le Fujisan Hongū Sengen Taisha que l’on trouve de l’autre côté du Mont Fuji, dans la ville de Fujinomiya dans la préfecture de Shizuoka. Nous l’avions visité en Avril 2019 et j’en avais parlé dans un billet. Ces sanctuaires Asama ou Sengen sont placés autour du volcan pour essayer de calmer sa colère et ainsi éviter de nouvelles éruptions. Le principe fonctionne relativement bien car le Mont Fuji n’est pas entré en éruption depuis plus de 300 ans. La dernière éruption, nommée éruption de Hōei, date du 16 Décembre 1707. On avait eu quelques craintes à la fin de l’année 2020 car le volcan était étonnamment assez peu couvert de neige lors qu’on l’avait vu depuis le Mont Takao, ce qui pouvait suggérer un réchauffement. Il n’en est rien cette année car le blanc domine sur une bonne partie du Mont Fuji.

On dit que le sanctuaire Kawaguchi Asama a été érigé après l’éruption du Mont Fuji de 864. L’allée qui nous amène au sanctuaire, après avoir traversé un grand torii de 18 mètres de haut, est bordée de sept immenses cèdres appelés « Shichi-hon sugi » datant de plus de 1,200 ans. Ils sont impressionnants et considérés comme des monuments naturels de la préfecture de Yamanashi. Depuis l’enceinte principale du sanctuaire, une petite route sinueuse de montagne donne accès après trente minutes de marche à Tenku-no Torii. A cet endroit, un Torii rouge est idéalement placé sur un petit plateau donnant une vue directe sur le Mont Fuji et sur le lac Kawaguchi. Le Torii est récent car mis en place en 2019 et fait partie entière du sanctuaire. L’espace autour est en cours d’aménagement car on voit des marquages au sol faits de plaquettes de bois. On y fait pousser des cerisiers qui rendront certainement cette vue encore plus symbolique dans une dizaine d’années. Comme je le mentionnais au début, nous sommes venus ici car j’avais vu une photo de l’endroit sur Instagram. La photo montrait une personne débout devant le Torii regardant le Mont Fuji. On avait l’impression qu’elle était seule au monde devant cette montagne majestueuse dans un endroit qui serait gardé secret ou seulement connu des locaux. En arrivant à Tenku-no Torii après la marche de trente minutes, on se rend compte que la réalité est bien différente. L’accès au Torii est marqué par un petit chemin de graviers et il y a une file d’attente de plusieurs dizaines de personnes avant de pouvoir accéder au Torii pour prendre les photos que je montre ci-dessus. L’effet Instagram doit jouer sur la popularité de l’endroit, et ça me rappelle que les photographies donnent souvent une vision déformée de la réalité, ou du moins une impression idéalisée omettant même inconsciemment une partie importante de la réalité. On hésite à attendre pour prendre une photo, mais on est monté jusque là et ça serait dommage de faire demi-tour maintenant. Il faudra donc attendre environ 45 minutes, mais l’attente n’est pas désagréable quand on a le Mont Fuji devant soi, surtout quand il a la bonne idée de se découvrir au fur et à mesure qu’on approche du Torii. L’accès au Torii est gratuit mais il y a fort à parier qu’il devienne payant ou plus policé à mesure que la popularité de l’endroit grandit quand les cerisiers auront bien poussé.

Comme il nous restait un peu de temps avant de reprendre la route pour Tokyo et avant que le soleil ne se couche, nous en profitons pour aller voir un autre sanctuaire assez proche, le Arakura Fuji Sengen Jinja. L’endroit est très connu pour la vue que l’on peut prendre d’une pagode appelée Chureito accompagnée du Mont Fuji en arrière-plan. Il faut monter un long escalier de pierre de 398 marches, mais on nous indique dès le début que la fameuse photo de la pagode et du Mont Fuji n’est pas possible en ce moment car le promontoire à l’arrière de la pagode est en cours de rénovation. C’est dommage mais la vue sur le Mont Fuji au dessus de la ville est tout de même impressionnante et vaut tout de même le détour. Il y avait peu de visiteurs à notre passage, ce qui devait être très différent avant la crise sanitaire, vue la taille du parking en bas du sanctuaire. On se sent serein après avoir vu l’omniprésent Mont Fuji pendant toute une journée. Cette sérénité nous sera nécessaire pour le retour sur l’autoroute et ses deux heures d’embouteillage. Il nous a fallu trois heures et demi pour rentrer, mais ce long retour ne m’a pourtant pas été désagréable, contrairement à l’habitude. J’ai peut-être maintenant intégré l’attente comme un paramètre inévitable de tout déplacement hors de Tokyo, ou peut-être était ce parce qu’on m’avait « autorisé » à passer le best album de Tokyo Jihen sur la route du retour. Je me rends compte que son écoute est bien meilleure dans la voiture qu’aux écouteurs.

Yamanashi Bunka Kaikan par Kenzo Tange

Après notre visite historique du sanctuaire de Takeda Shingen et du temple Kai-Zenkōji, nous regagnons le centre de la petite ville de Kōfu pour acheter quelques spécialités locales (étape obligée lors de tout voyage) avant de reprendre l’autoroute pour Tokyo. Je savais qu’il y avait une œuvre architecturale importante de Kenzo Tange à Kōfu, mais je ne pensais pas qu’elle se trouvait aussi proche de la station de train. Je me rends compte soudainement de sa présence. Je focalisais mon attention sur les rues à suivre jusqu’à la station et je n’avais d’abord pas fait attention aux blocs, pourtant très imposants du Yamanashi Bunka Kaikan de Kenzo Tange. Le brutalisme de cette imposante superstructure futuriste impressionne. Dès que je l’ai aperçu, s’arrêter devînt une obligation pour pouvoir observer d’un peu plus près cette megastructure ressemblant à une machine. Je l’ai vu de nombreuses fois dans des livres et magazines d’architecture car il s’agit d’une des œuvres clés du mouvement métaboliste des années 60 mené entre autres par Kenzo Tange. En voyant le bâtiment en réalité, il m’a d’abord paru différent, plus étoffé. J’avais en tête des images d’un building se dégageant du paysage alentour. Il faut savoir que ces images en noir et blanc, que je montre pour certaines ci-dessous sur ce billet, ont été prises juste après sa construction et que le paysage urbain de l’époque, constitué principalement de maisons basses, était bien différent de celui d’aujourd’hui. Je pense que c’est pour cette raison que j’avais d’abord l’impression que ce building ne se trouvait pas en centre-ville mais dans une zone de la périphérie moins dense. L’effet de sur-dimensionnement du building par rapport aux maisons tout autour se fait moins sentir maintenant car de nombreux buildings ont été construits autour, à proximité de la station. L’effet n’en reste pas moins saisissant et on ne peut résister à l’envie d’en faire le tour pour le saisir dans toute sa grandeur. Il y avait heureusement quelques parkings vides à proximité qui m’ont donné l’espace et le recul nécessaire pour le saisir en photo dans sa quasi-totalité. J’aurais aimé pouvoir le prendre en photo depuis les hauteurs d’un autre building aux alentours pour retrouver l’impression des photographies de l’époque de sa construction, mais je manquais de temps pour partir à la recherche de ce type de points de vue, s’ils existent.

Le Yamanashi Bunka Kaikan fut construit en 1966 sous le nom de Yamanashi Broadcasting and Press Centre, regroupant trois agences de média: une chaîne de télévision, une station radio et une imprimerie de journaux, se partageant l’espace en trois zones. L’imprimerie se trouvait au rez-de-chaussée tandis que les bureaux et studios se trouvaient aux étages. Un des buts de ce regroupement était d’intégrer ensemble les fonctions similaires pour éviter les duplications et augmenter l’efficacité du système de production. Un des points importants de ce building et de cet agencement est qu’ils permettaient de futures expansions. Les plans de Kenzo Tange pour ce building permettait à cette architecture de se développer comme une ville, suivant les principes mêmes du mouvement Métaboliste.

La conception du plan de construction a démarré en 1960, et la construction en elle-même a pris deux ans et demi de 1964 à 1966. Le building s’organise autour de 16 énormes colonnes cylindriques en béton renforcé de 5 mètres de diamètre, incluant les ascenseurs, escaliers, tuyauteries entre autres, qui viendront supporter et desservir les 8 étages en plan ouvert du building, organisés comme des clusters. Ces structures cylindriques sont posées sur une formation grillagée de 17m par 15m, supportant les étages insérés comme des plateaux horizontaux. Cette conception autour d’artères géantes venant desservir les étages est similaire au concept Clusters in the Air (1960-1962) d’Arata Isozaki qui introduisait l’idée d’un « joint core system », comme le tronc d’un arbre desservant son énergie vitale vers les branches. Ce bâtiment est d’ailleurs représentatif du mouvement architectural Métaboliste, car c’est un des rares exemples existants, avec le Nakagin Hotel (1970-1972) de Kisho Kurokawa, à implémenter concrètement le concept de ville et d’architecture en croissance, c’est à dire une architecture qui est capable de grandir et d’évoluer en répétant son métabolisme. Dans le cas présent, l’architecture évolua en fonction de la croissance de l’entreprise, même après l’achèvement du building initial. Le bâtiment de Tange connaîtra ainsi une évolution majeure en 1974, 8 ans après son construction initiale. Le design initial de 1966 comprenait des espaces volontairement laissés vides, qui pourraient plus tard accueillir de nouveaux clusters. Les colonnes qui s’échappent au dessus de la toiture donnent également ce sentiment volontaire que le building peut évoluer et s’étendre dans l’espace et en hauteur. L’evolution de 1974 ajoutera donc des étages, et même un bloc entier de plusieurs étages, ce qui donne dans sa version actuelle un bâtiment beaucoup plus étoffé que ce qu’on pouvait voir sur les photos de 1966. Les 6ème, 7ème et 8ème étages dans la partie Nord-Est et les 5ème, 6ème et 8ème étages dans la partie Sud-Est ont été agrandis. La surface totale passe ainsi de 18,000 m2 à 22,000 m2. Il ne s’agit donc pas de modifications légères mais de changements majeurs dans l’architecture du building, suivant la logique établie de blocs similaires ajoutés au dessus ou à côté de clusters existants. Il reste encore actuellement des espaces vides où on pourrait y ajouter un nouvel étage mais je doute que le bâtiment évolue désormais. Ces espaces libres sont plutôt utilisés comme terrasses et balcons.

D’autres rénovations, structurelles pour certaines, ont eu lieu les années suivantes mais elles n’ont pas fondamentalement changé la physionomie du bâtiment, comme celles de 1974. Des rénovations intérieures et extérieures ont eu lieu en 1990 et 1997. En 2000, certains éléments vieillissants du building ont été remplacés en permettant au passage de réduire le poids du building de 200 tonnes. Le building continua a être rénové en 2005 et 2013. En 2015-2016, des mesures structurelles ont été ajoutées pour améliorer la résistance sismique, demandant 19 mois de travaux conduits par Sumitomo Mitsui Construction sous la supervision de Tange Architects. On voit là un réel souci de conservation de ce bâtiment représentatif de l’architecture moderne japonaise, alors que d’autres bâtiments de Tange, comme l’ancienne tour Dentsu à Tsukiji est en cours de disparition. Le Yamanashi Bunka Kaikan (山梨文化会館), qu’on peut aussi appeler en français Centre Culturel de Yamanashi, est inscrit au registre DOCOMOMO Japan, organisation dont je parlais récemment qui répertorie les bâtiments de l’architecture moderne pour tenter de les préserver, ce qui n’est pas chose aisée au Japon, principalement pour les raisons de sécurité anti-sismique.

Toujours est-il que Yamanashi Bunka Kaikan est une des œuvres architecturales les plus notables de Kenzo Tange. Elle reste profondément atypique et impressionnante par la force brute de ces blocs. On retrouve une aspiration métaboliste similaire pour le Shizuoka Press and Broadcasting Offices construit également par Kenzo Tange un an après, en 1967, près de la station de Shinbashi à Tokyo. La taille est beaucoup plus réduite mais on retrouve cette conception tubulaire desservant les étages comme un arbre. Yamanashi Bunka Kaikan est occupé par le groupe média Sannichi YBS Group, qui possède le journal Yamanashi Nichinichi Shimbun et le réseau de télévision et radio Yamanashi Broadcasting System. Le petit bâtiment près de la gare de Shinbashi est en fait la branche tokyoïte du même groupe Sannichi YBS.

sur les terres de Takeda Shingen

A notre retour paisible de Yatsugatake, nous passons par la ville de Kofu dans la préfecture de Yamanashi. Nous avons déjà traversé quelques fois la ville de Kofu car l’autoroute Chuo la traverse, mais on ne s’y était jamais arrêté. Nous y resterons seulement quelques heures pour partir sur les traces de Takeda Shingen (武田 信玄)(1521 – 1573), un des principaux seigneurs de guerre ayant combattu pour le contrôle du Japon durant l’époque Sengoku (戦国時代), dans la seconde partie de l’ère Muromachi (室町時代). Il régna sur les provinces de Kai (actuellement Yamanashi) et de Shinano (actuellement Nagano). Nous allons d’abord au sanctuaire shintō Takeda, dédié comme son nom l’indique à Takeda Shingen élevé au rang de divinité Kami. Le sanctuaire est beaucoup plus récent que la période du règne de Takeda Shingen car il a été construit en 1919, commandité par l’Empereur Taishō. Le sanctuaire est situé à l’écart du centre ville, dans une zone boisée entourée par des douves, au bout d’une longue rue rectiligne qui nous amène à la station principale de Kofu. Il est installé sur une colline qui doit donner une vue sur le Mont Fuji. Le ciel n’était malheureusement pas assez dégagé à notre passage pour qu’on puisse apercevoir la montagne divine. Des guides en tenues d’époque semblent proposer des visites des lieux mais nous préférons faire un tour rapide de l’enceinte du sanctuaire, très élégant et bien entretenu, ce qui contraste assez avec le temple que nous allons visiter ensuite.

Un peu plus loin dans la ville de Kofu, on découvre le temple Kai-Zenkōji (甲斐善光寺) qui s’avère avoir le plus grand hall en bois de l’Est du Japon. Il est beaucoup plus ancien que le sanctuaire Takeda, car Kai-Zenkōji date du 16ème siècle. Il a été établi par Takeda Shingen pour y abriter des trésors provenant du temple Zenkōji de Nagano, qui risquait d’être endommagé pendant les batailles qui se déroulaient dans la province de Shinano contre Uesugi Kenshin (上杉 謙信) de la province d’Echigo (actuellement Niigata). Kai-Zenkōji est en quelque sorte une branche du Zenkōji de Nagano, mais il est beaucoup moins connu, ce qui ne l’empêche pas d’être grandiose par sa taille. On est impressionné par les dimensions du grand hall que je montre sur les deux dernières photographies de ce billet. Il mériterait par contre d’être un peu mieux entretenu car on aurait presque l’impression qu’il est laissé à l’abandon. Le lieu n’est certainement pas aussi touristique que le sanctuaire Takeda et c’est peut être une raison pour laquelle sa rénovation se fait attendre. J’avoue que ça lui donne cependant un certain charme désuet. Il est situé en ville mais les montagnes sont proches. On a comme un sentiment d’être déplacé dans le temps à une époque plus ancienne, pas forcément au 16ème de Takeda Shingen mais plutôt dans les années 60 ou 70 comme sur les cartes postales du temple qu’on nous donne à l’entrée car elles sont trop anciennes pour être vendues. Cette ambiance convient assez bien avec une fin d’après-midi de dimanche. Avant de reprendre la route, nous regagnons le centre ville, pour faire une autre découverte inattendue. Enfin, c’est une découverte que je souhaitais faire par hasard, au détour d’un carrefour.

une journée à Kobuchizawa: Misogi Jinja

La deuxième étape de notre journée à Kobuchizawa dans la préfecture de Yamanashi se passe dans un sanctuaire à quelques kilomètres seulement du musée Nakamura Keith Haring. Il s’agit du sanctuaire Misogi. Il est apparemment assez connu pour deux raisons singulières et sans aucun rapport avec le culte shintô qu’il représente. Tout d’abord, il avait fait les nouvelles télévisées il y a quelques temps quand la mère d’un des membres du groupe de pop japonaise appelé Yuzu a acquis les lieux. A vrai dire, je ne savais pas qu’on pouvait acquérir un sanctuaire de cette manière car à ma connaissance, ce genre de religieux et leurs administrations se transmettent de parents à enfants au Japon. Misogi jinja est également connu car il apparait dans une publicité assez récente pour l’opérateur de téléphonie AU. Il s’agit d’un des nombreux épisodes de la série Santaro 三太郎 en kimono avec les acteurs Shota Matsuda dans le rôle de Momotaro, Kenta Kiritani dans le rôle de Urashimataro et Gaku Hamada dans le rôle de Kintaro (mais malheureusement sans Kasumi Arimura, la princesse Kaguya, dans cet épisode). J’aime assez l’atmosphère de cette série montrant des lieux que l’on aurait envie de visiter, mais loin des touristes.

Ce ne sont bien entendu pas les raisons principales de l’intérêt de ce sanctuaire, mais plutôt l’organisation de ses espaces et sa situation dans un milieu naturel au bord d’une forêt. Il y avait peu de monde lors de notre visite ce qui rendait cet espace d’autant plus agréable. Le sanctuaire principal est posé sur une vaste cour de graviers blancs et ratissés, ce qui donne un joli contraste avec le bois des structures bâties. A côté du bâtiment principal et en contre-bas, une scène de théâtre Noh est aménagée sur un étang habité de carpes Koi très nombreuses et colorées. On peut s’asseoir sur l’herbe devant l’étang pour assister aux spectacles qui ont lieu sur cette scène pendant les périodes estivales. Ce doit être une bien belle expérience que d’assister à un spectacle Noh dans un tel cadre. On imagine les voix du théâtre Noh se mélanger avec les sons de la forêt et les visages masquées s’éclairer dans la nuit sous les feux de l’été. La scène du théâtre Noh est reliée par des ponts de bois qui interconnectent plusieurs autres dépendances placées sur l’eau et sur une pente de montagne. Les photographies que je prends de cet espace ne transmettent malheureusement pas très bien la qualité de l’ensemble et l’envie que l’on peut avoir d’y marcher. Avant de quitter le sanctuaire Misogi, nous donnons à manger aux carpes multicolores qui en redemandent. Je me demande d’ailleurs si j’ai déjà vu des carpes aussi colorées et aussi belles.

Il faudra reprendre la route vers 5h du soir, alors que le soleil commence déjà à se coucher. C’est à partir de ce moment là que la partie pénible de notre journée commence, avec des embouteillages monstres en chemin, au niveau du lac Sagamiko sur l’autoroute Chuo. Nous sommes bloqués pendant plusieurs heures. On de décide à sortir de l’autoroute pour aller diner, et pour laisser un peu de temps aux véhicules de se dégager. Mais lorsque nous reprenons la route, les bouchons persistent encore. Nous arriverons dans le centre de Tokyo vers 11h30 du soir. Il nous aura donc fallu environ 5 heures pour faire les 150 kilomètres environ séparant Tokyo de Kobuchizawa. Même sans parler des effets du retour du week-end de trois jours, les embouteillages sont très fréquents le dimanche soir sur les autoroutes Chuo (celle que l’on a emprunté) ou Tomei, en direction de Tokyo. Mais nous gardons cependant en tête de belles images de cette journée ensoleillée dans les montagnes des alpes du Sud.

une journée à Kobuchizawa: Keith Haring (2)

Les espaces intérieurs du Nakamura Keith Haring Museum à Kobuchizawa, Yamanashi, sont complexes et spécialement adaptées au contenu de l’oeuvre de Keith Haring, avec des espaces sombres lorsque les dessins de Haring représentent les conflits ou des éléments de chaos, et des espaces clairs représentant l’espoir. Keith Haring a beaucoup produit pendant sa vie écourtée par le sida. Il meurt très jeune à l’âge de 31 ans, en 1990. Il créa dans l’urgence à la fin des années 1980, sachant ses années de vie comptées. L’exposition nous apprend que Haring aimait le Japon. L’expo s’appelle d’ailleurs « Pop to Neo-japonism ». On nous montre dans des salles dédiées certaines de ses créations à Tokyo, notamment la mise en place d’une boutique temporaire Pop Shop Tokyo, où il vendra des objets couverts de motifs de sa création, comme des petites céramiques. L’objectif de cette boutique était de rendre accessible son art au plus grand nombre, plutôt que la recherche d’un profit pécuniaire. Il exposera également ses œuvres au musée Watari-Um à Aoyama. Sur deux murs du musée, on nous montre en photographies un petit immeuble qu’il a entièrement recouvert de dessins. Je ne sais pas où il se trouvait, il n’existe plus maintenant, et s’il s’agissait du Pop Shop Tokyo.

Parmi les nombreuses œuvres présentées à cette exposition, on trouve quelques uns des premiers dessins de Street Art qu’il créa dans les couloirs du métro new yorkais, à la craie sur des espaces inoccupés par des affiches publicitaires. On nous montre également des collaborations avec Andy Warhol pour une série de quatre sérigraphies sur papier appelée Andy Mouse (1986), et avec William S. Burroughs sur une série mélangeant textes et sérigraphies appelée Apocalypse (1988). Le musée nous permet de sortir sur le toit pour apprécier un peu plus l’architecture des lieux. J’apprécie dans un musée quand le contenu et le contenant sont remarquables. On termine la visite en sortant sur une terrasse circulaire entourée de murs de béton irréguliers et angulaires, au dessus desquels se dégagent les cimes de arbres aux alentours. En sortant du musée, je ne peux m’empêcher d’aller photographier ces murs. Les formes angulaires et agressives parfois sont vraiment très intéressantes.

A quelques pas du musée, un hôtel est également conçu par le même architecte Atsushi Kitagawara. Il en reprend le même esprit architectural, les formes angulaires des ouvertures notamment et les irrégularités assez futuristes. Ce bâtiment ressemble à un ovni atterri par erreur dans les montagnes des Alpes japonaises. Cet ensemble du Kobuchizawa Art Village fait très clairement contraste avec le reste des bâtiments et maisons que l’on trouve dans les environs. Après un déjeuner dans un chalet restaurant juste à côté, nous reprenons la route à la recherche des feuilles rouges et jaunes de l’automne. Nous nous arrêtons assez vite en chemin vers un autre lieu intéressant, le sanctuaire de Misogi.