夢の花

Après la sonnerie annonçant les 17h lancée par les hauts parleurs, le silence envahit chaque recoin du parc. Il est temps de rentrer mais on veut quand même profiter des dernières lumières comme ce jeune couple assis sous un des grands arbres du centre du parc. Alors que les occasions seraient pourtant nombreuses, surtout avec ce ciel d’automne, je ne saisis que peu souvent les lumières du soleil couchant. Certains se font pourtant une spécialité à capturer en images ce moment de la journée. Ce sont les dernières photographies prises dans le parc de Tachikawa, le Showa Memorial Park (昭和記念公園). Et en repensant à cette période Shōwa, il me vient en tête de revenir vers la musique japonaise des années 80, car j’y trouve une nouvelle fois de très belles choses.

Une fois encore, je pars à la recherche de musiques enfouies dans les parties obscures des années 80. J’y découvre le groupe Kokushoku Elegy (黒色エレジー), dont j’avais déjà lu le nom quand j’avais découvert le groupe G-Schmitt et sa chanteuse SYOKO. Kokushoku Elegy, qu’on peut traduire par « Elègie du noir », évolue à une époque et dans un style similaire à G-Schmitt entre post-punk et rock gothique, voire new wave. Énoncer des styles est toutefois réducteur, mais donne une idée générale de l’approche musicale du groupe. En fait, je dirais qu’il s’agit de darkwave, ce qui correspond mieux au nom du groupe. Kokushoku Elegy est originaire de la préfecture d’Okayama et a été fondé en 1985 mais n’a été actif que quelques années et s’est arrêté en 1989. Le groupe se composait de Kyoko (キョウコ) au chant, Ichirō (イチロウ) à la guitare, Kōichi (コウイチ) à la basse et Yasuyuki (ヤスユキ) à la batterie. Certains des membres, Ichirō et Kōichi, faisaient auparavant partie d’un groupe de punk appelé Nikudan (肉弾). Kokushoku Elegy n’a sorti que trois EPs pendant cette période de 1985 à 1989, mais certains de leurs morceaux apparaissaient également dans plusieurs compilations de l’époque. Leur musique a été ensuite réunie dans une compilation sortie en 1993 sous le nom de Esoderic Mania avec tous les morceaux du groupe dans l’ordre chronologique de leur création. J’écoute en fait avec une passion certaine une autre compilation sortie plus récemment le 30 Décembre 2020, nommée simplement Kokushoku Elegy, qui reprend les mêmes 14 morceaux studio que ceux présents sur la compilation de 1993, mais en version remasterisée et dans un ordre différent non-chronologique, et y ajoute 12 morceaux capturés lors d’un concert en 1989. Comme ça pouvait être le cas pour SYOKO avec G-Schmitt, je suis fasciné par la force du chant de Kyoko. J’aurais pu dire la regrettée Kyoko, car elle n’est plus de ce monde depuis 2015. Elle a une présence vocale qui emporte tout, très changeante, par moment puissante et à d’autres beaucoup plus légère et flottante. Cette duplicité est particulièrement fascinante, d’autant plus que les guitares qui l’accompagnent ne s’effacent pas derrière son chant. L’atmosphère est absolument remarquable et ne donne étonnamment pas beaucoup d’indications qu’elle date des années 80, comme si elle était intemporelle. La composition musicale est complexe et se base rarement sur les classiques couplets et refrains. La guitare d’Ichirō est très incisive et accrocheuse par ses riffs, la basse de Kōichi très présente et souvent mise en avant. Il est difficile d’isoler un morceau en particulier, car ils sont tous d’une beauté et d’une élégance sombre imparable, mais des morceaux comme Warrior, Goddess ou Kafun Hanzai (花粉犯罪) donnent tout de suite une bonne idée d’ensemble. J’ai vraiment beaucoup écouter cet album ces dernières semaines et je continue encore maintenant. Je le placerais clairement dans la liste des plus belles musiques que j’ai pu écouter cette année (et il y en a beaucoup). Je m’étonne quand même de ne découvrir que maintenant ce genre de pépites. On dit que le groupe est légendaire et je le crois tout à fait, mais sa courte vie lui donne des allures d’étoile filante. Le fait qu’on réédite 27 ans plus tard une compilation du groupe indique bien que les fans n’ont pas oublié cette élégie du noir. Après Kokushoku Elegy, Kyoko a évolué dans d’autres groupes nommés Harpy et OOIOO. Je les garde en mémoire ici pour pouvoir y revenir plus tard.

Avant de découvrir Kokushoku Elegy, j’étais revenu vers le groupe ZELDA (ゼルダ) qui évolue également dans un style post-punk mais a touché à beaucoup d’autres styles. Comme les styles varient beaucoup, je n’apprécie pas tous les morceaux du quatuor mais je sélectionne ceux qui me plaisent vraiment. Je reviens cette fois-ci vers leur premier album intitulé tout simplement ZELDA avec deux morceaux: Makkurayami -Aru Hi no Kōkei- (真暗闇 —ある日の光景—) et ASH-LAH. Cet album est sorti le 25 Août 1982. Le morceau ASH-LAH est en fait leur premier single sorti deux années plus tôt, le 10 Octobre 1980 sur le label indépendant Junk Connection (ジャンク・コネクション). Le groupe signera ensuite sur Toshiba EMI (comme d’autres artistes qu’on apprécie sur ces pages) jusqu’à leur dissolution en 1996. J’aime beaucoup les affiches ci-dessus crées à l’occasion de la sortie de ce single, couplé avec un autre morceau de l’album Sonata 815 (ソナタ 815). Ces affiches indiquent également une série de concerts accompagnant leur premier single, la dernière étant au fameux Shinjuku Loft de Kabukichō. Ces deux affiches semblent faites mains et correspondent très bien à la qualité brute du chant de Sayoko Takahashi (高橋佐代子) dans le groupe. Le Ash-lah du titre doit faire référence aux démons belliqueux Ashura défiant les divinités célestes. Dans les représentations bouddhistes, un Ashura prend la forme d’un demi-dieu guerrier pourvu de trois visages et de six bras. Je ressens dans le chant de Zelda sur ce morceau Ash-lah une certaine influence bouddhiste mais il me donne également l’impression d’être un chant de guerrier marchant vers un devenir funeste.

La musique qui suit va beaucoup plus loin dans la noirceur comme le suggère la couverture dessinée par le mangaka d’horreur Suehiro Maruo (丸尾末広). L’illustration correspond en fait assez bien à l’ambiance qui règne dans ce EP de deux morceaux, intitulé Dream Of Embryo par un mystérieux groupe nommé Funeral Party. On ne sait vraiment que très peu de choses sur ce groupe qui n’a sorti que cet EP en 1986 et deux autres morceaux en 1985 sur une compilation du même label Pafe Record intitulée Vision Of The Emortion. Il s’agissait d’un duo composé de T. Kusano à la voix, batterie, synthétiseur, guitare, basse et M. Morita au synthétiseur, voix et autres instruments électroniques. L’atmosphère des deux morceaux du EP, Double Platonic Suicide et Dream Of Embryo (サンドノイズにまける子等), est sombre, inquiétante et pour le moins mystérieuse. Les voix floues qui interviennent sont fantomatiques et même mortifères, au point où on se demande si le groupe n’a pas fait intervenir des esprits au moment de l’enregistrement. Cette musique s’écoute comme une expérience et n’est très clairement pas pour toutes les oreilles. Mais tout en s’interrogeant sur ce qu’on est en train d’écouter, on ne peut être que fasciné par la beauté sombre des nappes de synthétiseurs et des voix d’outre-tombes. L’image d’un fantôme yūrei (幽霊) me vient en tête en écoutant cet EP. Cette image correspond à mon avis un peu mieux que celle de l’écolier de la couverture à l’ambiance qu’on peut ressentir. Les voix sont tellement étranges qu’on a du mal à comprendre dans quelle langue elles s’expriment. Sur le deuxième morceau Dream Of Embryo, je pense qu’il s’agit d’allemand, mais je n’en suis pas sûr car je ne comprends pas ce qui est dit. Dans un style similaire, un peu moins étrange mais tout aussi sombre et pesant, j’écoute également le très bon morceau Shinigami (死神) de Phaidia (パイディア) sur l’album In the Dark sorti en 1985. Le morceau démarre sur des nappes de synthétiseurs de style gothique, puis une trame répétitive de guitares se met en place. Les guitares de Nariquis et de Masa sont pleines de larsens et de réverbération, accentuée par le rythme qui ne faiblit pas de la batterie de Tatsuya. Au dessus de ses guitares, la voix du chanteur Gilly est pleine de complaintes comme s’il voulait dégager une souffrance. Ce morceau est très prenant mais j’hésite à me lancer dans l’écoute entière de l’album car il faut certainement un peu de préparation. J’ai découvert Phaidia au fur et à mesure des recommandations YouTube après avoir écouté le EP de Funeral Party. La couverture de ce dernier m’avait interpellé alors que je parcourais le blog désormais inactif Habit of Sex (nom certes très étrange) couvrant la musique indépendante japonaise de 1980 à 1995. J’étais tombé sur ce blog à l’époque où je faisais des recherches sur l’artiste Tomo Akikawabaya et les réactions que donnaient ce blog sur l’album The Castle m’avaient beaucoup intéressé. Rares sont les blogs et sites web présentant ce type de musiques japonaises obscures. C’est prėcieux et j’essaie à ma manière d’y contribuer pour que ces musiques désormais atypiques ne se perdent pas dans les abîmes.

et soudain surgit un sanctuaire

J’aurais pu intitulé ce billet « et soudain surgit une maison bleue aux fenêtres rouges » mais j’opte plutôt pour les sanctuaires qui ont en général l’habitude de surgir sans crier gare aux détours des rues. L’étrange maison bleue aux fenêtres rouges et aux colonnes romaines n’a pas grand chose de japonais, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que l’architecte est italien. Il s’agit du bâtiment appelé JASMAC AOYAMA conçu en 1991 par l’architecte Aldo Rossi, prix Pritzker l’année d’avant en 1990. On ne le voit pas sur la photographie ci-dessus mais les autres murs du bâtiment sont peints en jaune, ce qui donne un ensemble tout à fait atypique dans ce quartier de Minami Aoyama. Cette petite série de photographies fait suite à celle au titre similaire mais à composante rouge. En fait les deux dernières photographies de sanctuaire sont prises dans un tout autre endroit, à Kugahara dans l’arrondissement de Ōta. La lumière du soir venait joliment faire ressortir les dorures du toit.

Musicalement parlant, j’écoute beaucoup de choses en ce moment et ça va me prendre quelques temps avant de tout évoquer ici, mais certaines de ces découvertes se sont faites grâce aux recommandations musicales de Nicolas dans les commentaires d’un billet datant d’il y a presque deux mois (les commentaires sont beaucoup plus récents). Quand je comparais ce blog à une forêt dense, ce billet en est un très bon exemple. En fait, Utada Hikaru m’avait interrompu en sortant son album Bad Mode dans une période année 80 qui m’avait soudainement accaparée l’esprit depuis la découverte de la musique de G-Schmitt et de son interprète SYOKO. Je reviens régulièrement vers les albums et EPs du groupe que je découvre petit à petit. L’étrangeté de certains morceaux comme celui intitulé Obsession Obscure sur l’album gArNeT (1988) me fascine complètement (私は肉体 私は精神 私は無 私は全て).

Et l’idée m’est soudainement venue d’aller jeter une oreille vers la musique d’un groupe des années 80 et 90 appelé ZELDA. De ZELDA (ゼルダ), je ne connaissais que le morceau Blue Desert découvert sur une compilation intitulée Tokyo Babylon Image Soundtrack 2 (j’en parlais dans un billet précédent). Il s’agit peut-être bien du premier CD de J-POP que j’ai acheté alors que j’étais encore étudiant à Angers (ou peut-être était-ce avant cela). J’adore ce morceau au chant atypique et il garde pour moi une place toute particulière, comme le morceau MOON de Rebecca d’ailleurs, sur cette même compilation. ZELDA est un groupe rock à tendance pop inactif depuis bien longtemps car il a stoppé ses activités en 1996. Il était composé de quatre filles: Sachiho Kojima (小嶋さちほ), fondatrice du groupe et jouant de la basse, Sayoko Takahashi (高橋佐代子) au chant, Ako Ozawa (小沢亜子) à la batterie et Fukie Ishihara (石原富紀江) de 1983 à 1990 puis Naomi Motomura (本村直美) de 1991 à 1996 à la guitare. Le groupe jongle avec les styles musicaux, même au sein d’un même album, et peut même devenir expérimental par moment. J’étais certain que je n’allais pas apprécier un album du groupe dans sa totalité (Blue Desert a pris un certain temps avant de m’attraper), mais je savais aussi que j’y trouverais des morceaux que j’aimerais beaucoup. C’est le cas de deux morceaux en particulier que j’ai écouté en boucle pendant plusieurs jours et que j’écoute encore régulièrement maintenant: Seiren (セイレーン) sur l’album CARNAVAL de 1983 et Tokiori no Shikisai (時折の色彩) sur l’album Sora-iro Bōshi no Hi (空色帽子の日) de 1985. On y retrouve cette manière atypique de chanter de Sayoko Takahashi, qui me plaît beaucoup sur ces morceaux, notamment sur Seiren. Comme Tokiori no Shikisai, qui a une structure plus classique, ces morceaux s’impriment dans mon cerveau et j’ai du mal à m’en séparer. Sur Tokiori no Shikisai, j’y trouve même un certain réconfort inattendu, comme si je connaissais ce morceau depuis mon enfance et qu’il m’avait inconsciemment accompagné pendant toutes ces années. Ces deux morceaux me donnent une impression bien étrange.