Ninomiya et ailleurs

Pendant la Golden Week, qui paraît d’ailleurs déjà bien loin maintenant, nous avons passé un après-midi à Ninomiya. Cette bourgade se trouve dans le Shōnan, au bord de l’océan pacifique bien au delà de Kamakura, la station de train suivant Ōiso. Depuis la station de Ninomiya, on peut grimper une petite montagne boisée jusqu’au sommet découvert. Cette petite montagne appelée Azumayama est un parc avec quelques jeux pour enfants et notamment un long toboggan avec de nombreux virages. Ce toboggan n’est d’ailleurs pas réservé qu’aux enfants. C’était une belle journée ensoleillée et le ciel était dégagé, permettant d’apercevoir le Mont Fuji au loin. Nous avions amené des bentō pour déjeuner en regardant cette montagne divine qui nous protège, tout en souhaitant discrètement qu’elle ne se réveille pas pendant au moins les cent années qui viennent (la dernière éruption du Mont Fuji date de 1707). En tournant un peu les yeux vers la gauche, on aperçoit l’océan. Au loin, c’est Izu qui se dégage d’une brume légère. On ne se lasse pas de regarder l’océan. En marchant sur les hauteurs du parc, on le cherche à travers les arbres. Le bleu se laisse parfois découvrir. On se noie quelques instants dans ces couleurs, mais on refait rapidement surface. Zoa veut courir dans le parc, jouer au chat et à la souris. A ce jeu, le chat est beaucoup moins rapide que la souris. Il faut feinter pour inverser les rôles dans ce jeu de course-poursuite, qui remplacera ma course à pieds hebdomadaire dans les rues de Tokyo.

Ailleurs, à Minami Aoyama, en suivant discrètement un groupe de femmes en kimono. Et ailleurs à Shibuya, où se trouvait auparavant le Department Store PARCO. Les collages du manga Akira montrés précédemment ont été remplacé récemment par des nouveaux et je me suis empressé d’aller voir ce que ça donne. J’ai d’ailleurs relu les 6 tomes du manga Akira dernièrement et je me suis rendu compte que j’avais un peu oublié quelques parties de l’histoire. Mon souvenir s’est en fait calé sur le film d’animation et j’avais un peu oublié l’histoire initiale de Katsuhiro Otomo. En fait, je me suis mis en tête de relire en version électronique les manga cyberpunk que je lisais au milieu des années 90, en commençant par Appleseed de Masamune Shirow. Je continuerais très certainement avec l’incontournable Ghost in the shell, Black Magic et peut-être Orion. Mon billet intitulé Nagasaki 98 m’avait rappelé, avec nostalgie, à ces lectures d’avant mon arrivée au Japon.

Photographies extraites des videos des morceaux « Supersonic » et « Dystopia » de Utae disponible sur Youtube.

Utae est une jeune artiste électronique pop que je découvre tout juste avec son très joli morceau « Supersonic » sorti en Mai 2018 et le EP précédent appelé « Toi Toi Toi« . Comme partagé sur sa page Bandcamp, le motto de l’artiste semble être « Enjoy it. Don’t force it. Stay serene. » Il est vrai que cette musique électronique reste sereine, et la voix de Utae ne se force pas, par rapport à ce que pourrait laisser penser ce titre « Supersonic », et reste légèrement en retrait par rapport à la musique virevoltante avec des changements subtils de ton. Le morceau « Dystopia« est plus dans un esprit dream pop, la voix se fait plus floue et plus sombre contrastant avec les quelques notes sautillantes du début du morceau mais se mariant avec des nappes légères de guitares au final. Les morceaux restent empreints d’une légèreté, dans le sens que la musique et la voix n’occupent pas tout l’espace et laisse à l’auditeur une possibilité de rêve. Quand j’écoute une nouvelle musique, je me demande toujours ce qu’elle peut donner dans les rues de Tokyo pendant une promenade photographique. Je pense que ces formes musicales doivent bien s’accorder avec une approche contemplative de la ville, comme le clip de « Dystopia » en donne également l’impression. Le « Don’t force it » du motto m’interpelle également, mais au niveau de ma propre conception de la prise de photographie dans la ville. J’ai l’impression que cela correspond assez bien aux photographies que je prends, prises dans l’instant sans préparation ou sans attendre un éventuel moment décisif, juste prises dans le flot continu de la contemplation urbaine.

une balle à la dérive

Tous les soirs sans exceptions, Zoa écrit sur son journal les histoires de la journée. Parfois, l’inspiration ne vient pas et ça devient une véritable épreuve qu’il trouve insurmontable. Ce soir là , il savait exactement ce qu’il allait écrire: l’histoire d’une balle à la dérive.

Alors que Mari fait quelques courses au supermarché d’à côté, Zoa et moi décidons d’aller jouer au ballon de foot dans le parc Arisugawa, histoire de faire quelques passes sur le vaste terrain de graviers en haut du parc. Depuis l’entrée principale, il faut suivre un chemin de terre avec quelques marches. Zoa, la balle au pied, ne peut s’empêcher de la faire rouler devant lui en faisant des passes en avant. Le ballon, qui fait des siennes suite à une passe un peu trop forte, viendra percuter une des marches du chemin de terre et se jeter dans l’étang du parc. A notre grand malheur, le ballon de foot dérive très vite hors de portée, loin du bord. Impossible de le récupérer à la main sans se mouiller les pieds dans cet étang dont on ignore la profondeur. Les légers courants de vent ne font qu’écarter le ballon du bord. Les tortues qui nagent à proximité ne nous aident pas beaucoup non plus. Pire, la balle vient maintenant s’accrocher à des racines d’arbre sur un îlot de l’étang.

L’affaire est perdue. Nous ne récupérerons jamais notre ballon et ne feront pas de passes aujourd’hui sur le terrain en haut du parc. Zoa est dépité et je ne peux m’empêcher de lui rappeler que je lui avais bien dit plusieurs fois de tenir ce ballon en mains lorsque l’on monte les marches du chemin de terre. Que peut on faire? Je n’ai pas le souvenir d’avoir aperçu des gardiens dans ce parc. Nous faisons un tour de l’étang pour vérifier s’il n’y a pas un moyen de gagner l’îlot pour s’approcher du ballon, mais c’est cause perdue. Il n’y a pas non plus de gardiens en vue dans ce parc. On se résigne sur notre sort. Zoa fera attention la prochaine et il nous reste qu’à revenir la tête basse au supermarché où se trouve Mari. On repasse quand même une dernière fois vers les lieux du drame. Un groupe d’enfants munis d’un long bâton en bois essaient de récupérer notre ballon, mais sans succès. « On viendra voir demain s’il s’est rapproché du bord » crie un des petits garçons. J’ai bien peur que notre balle fasse le bonheur d’un autre enfant plus chanceux que nous.

Alors qu’on se lamente devant l’étang en espérant par miracle qu’un gros coup de vent vienne libérer notre ballon, un homme d’un certain âge, retraité sans doute, s’approche de nous. Il a compris la situation et, sans qu’on lui demande, il semble décidé à nous aider. Alors qu’il commence à ouvrir sa sacoche devant nous, je pense au miracle. Le vieil homme doit être un pêcheur du dimanche possédant une canne à pêche télescopique géante qui nous permettra d’aller tapoter le ballon pour le ramener gentiment vers nous. Mais, il n’en ai rien. L’homme sort de son sac une bouteille d’eau en plastique découpée en deux et attachée de manière très artisanale à un épais fil jaune. L’idée de l’homme est d’essayer de lancer la demi-bouteille en plastique au plus près du ballon et de la ramener d’un coup sec pour créer un courant qui déplacera la balle sur l’étang. Malheureusement, nos tentatives sont infructueuses. Zoa tentera également de lancer la bouteille en plastique plusieurs fois sous la supervision du vieil homme, mais nous ne réussirons pas à récupérer la balle. Nous nous rendons à l’evidence, cette technique ne fonctionne pas du tout, et cela malgré l’enthousiasme de Zoa. Je m’en doutais un peu depuis le début. Au moins, nous aurons essayé au mieux et sans regrets. On se confond en remerciements envers cet homme qui était bien gentil de donner de son temps pour aider un petit garçon et son papa dans leur mésaventure. Au moment des aurevoirs, je demande quand même au vieil homme s’il sait où se trouve le poste du gardien du parc. Il doit être sur le terrain en haut du parc, nous indique t’il. Dépêchons nous d’aller voir si ce gardien peut nous aider. Nous remercions encore mille fois le vieil homme en lui disant au revoir, et courant vers le haut du parc.

Nous trouvons rapidement le poste du gardien. Malheureusement, il semble fermé car il est déjà 17h passé. Zoa aperçoit quand même le gardien assis à l’intérieur et tapote à la vitre pour attirer son attention. Zoa expose notre situation. Bien plus que moi, il reste persuadé que l’on peut encore récupérer cette balle. Le gardien accepte de notre prêter une longue épuisette, mais le manche est bien trop court. Il faudra aussi la ramener avant 17h30 car le gardien termine son service. Nous n’avons que 10 minutes pour essayer de récupérer la balle avec l’épuisette. Je ne suis pas convaincu mais nous dévalons quand même les escaliers du chemin de terre du parc jusqu’à l’étang. A notre grande surprise, le vieil homme de toute à l’heure était toujours là, fidèle au poste. Nous ne pensions pas le retrouver ici. Encore mieux, le ballon s’est libéré des racines de l’îlot. Il est maintenant beaucoup plus proche du bord, mais pas assez pour l’attraper avec l’épuisette. Là commence un travail d’équipe hors pair. Je m’occupe de jeter la bouteille en plastique pour faire approcher la balle, le vieil homme donne des conseils sur la manière de lancer la bouteille et Zoa se tient prêt à intervenir, l’épuisette à la main. Nous arrivons à faire se rapprocher la balle après plusieurs essais. Zoa saute sur les rochers au bord de l’eau. Une excitation monte lorsque la balle passe à portée d’épuisette. Zoa réussit la prise et nous récupérons finalement notre précieux trésor. Cela paraissait tout d’abord impossible, mais nous avons finalement réussi. Le vieil homme était vraiment d’une grande gentillesse et nous lui en sommes très reconnaissants. Nos chemins se séparent à ce moment-là. Le sourire sur le visage, nous partons vers le terrain du haut du parc, la balle à la main, pour faire quelques passes bien méritées. Le gardien du parc attendait debout qu’on lui ramène son épuisette.

Après notre partie de foot, Zoa raconte cette histoire à Mari avec beaucoup de passion. Il écrira cette histoire dans son journal, l’histoire d’une précieuse balle à la dérive, en apparence perdue pour toujours, l’histoire de ce vieil homme si gentil et de notre persévérance. Ce petit épisode était finalement une bonne leçon pour nous tous.

on Sunny Hills

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Ce nouveau projet de Kengo Kuma a Minami Aoyama s’inspire d’une autre de ses créations à Fukuoka, le Starbucks Coffee at Dazaifutenmangu. On y retrouve le même agencement de tiges de bois de 6 cms de section accolées à un structure architecturale plus classique. La différence est qu’ici, ce panier de bois, en quelque sorte, vient recouvrir le bâtiment tandis que la structure de bois est à l’intérieur pour le Starbucks de Fukuoka. D’après le site Designboom, Kengo Kuma utilise une méthode traditionnelle d’agencement du bois appelée ‘jiigoku-gumi’.

Ce bâtiment se nomme Sunny Hills et se trouve en face de l’hôtel Floracion. C’est un bâtiment assez surprenant et j’aime beaucoup la petite pointe de verdure sur la terrasse à l’étage. Ca serait pas mal d’ailleurs d’intégrer encore plus de verdure dans cette structure de bois pour adoucir l’ensemble. Je me demande quand même comment le bois est traité et comment l’ensemble va résister au passage du temps. Enfin, le bois n’est ici qu’une surface qui pourra être remplacée sans trop de difficulté si nécessaire. Ah, j’aime faire ce genre de découverte architecturale à Tokyo.

Architecture en angles

Deux immeubles à Minami Aoyama jouent sur les angles et pointent vers le ciel. Le deuxième bâtiment, la tête en bas sur la photo est particulièrement aiguisé. C’est un beau bâtiment de béton. Je ne connais malheureusement pas l’architecte.

Je découvre au hasard d’un butinage internet les photos de Benoît Vollmer et surtout sa série Ex Nihilo. Il explore les stations de sports d’hiver hors saison et ses ensembles construits à la fin des années 70. J’aime tout particulièrement les deux photos ci-dessus: un étrange bâtiment, comme un animal fantastique au bord d’une route et un immeuble semblant posé en équilibre improbable sur une pente de montagne. Sur d’autres photos, il nous montre des ensembles vides, des espaces sans âmes qui vivent et sans neige comme une ville fantôme. On pourrait même croire ces stations abandonnées s’il n’y avait pas la présence de quelques voitures sur une des photos (c’est presque dommage d’ailleurs). Les photos de cette série sont vraiment très belles. J’avais en fait découvert ce photographe à travers le premier numéro de la revue photographique en ligne Regards que je vous conseille de visionner. Le deuxième numéro nous montre notamment des photos de Lucie & Simon, les photos intimes vues du plafond ou du ciel de la série Scenes of life.

Pour compléter le billet d’il y a quelques semaines sur les re-penseurs de paysages urbains, je découvre le travail de Xavier Delory, photographe et artiste visuel belge. Les deux compositions photographiques ci-dessus sont tirées de la série Formes urbaines et s’intitulent Dom-Ino. Les immeubles sont complètement aplatis et se résument pratiquement à une façade, à une surface en deux dimensions. Il suffirait d’un coup de vent pour faire tomber ces surfaces comme un domino géant. Je vois quelques similitudes avec le travail de Filip Dujardin, mais je ne me lasse pas de ce travail de mutation du paysage urbain.