L’île des rêves est la traduction littérale de Yumei no Shima (夢の島), une île artificielle construite sur la baie de Tokyo et située dans l’arrondissement de Kotō. En 1938, il était envisagé d’y construire le nouvel aéroport de Tokyo mais les travaux ont été retardés par la seconde guerre mondiale et les plans tombèrent finalement à l’eau (à priori celle de la baie) car on préféra finalement agrandir l’aéroport d’Haneda. Une plage y est ouverte en 1947 qui donnera ce nom idyllique (mais exagéré) d’île des rêves, mais fermera quelques années plus tard. Les rêves seront donc de courte durée car cette île devint ensuite un dépôt à ordures. On y trouve depuis 1988 un grand parc accessible depuis la station de Shin-Kiba. Je suis venu jusqu’à Shin-Kiba pour voir un autre bâtiment intéressant dont je parlerais certainement un peu plus tard, mais aussi pour voir les dômes du jardin botanique. Ces jardins étaient apparemment fermés ces dernières années en raison de la crise sanitaire, mais ils étaient bien ouvert à mon passage. Je préfère cependant faire le tour des dômes pour admirer leur taille et leurs courbes parfaites. Un grand espace du parc devant les dômes était utilisé l’année dernière pour les compétitions de tir à l’arc des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Je le montre sur la première photographie du billet. On y trouve également un gymnase, des stades, un port de plaisance, et un musée abritant le bateau Daigo Fukuryū Maru (第五福龍丸) restauré en 1976. Ce bateau était un thonier japonais contaminé par les retombées radioactives d’un essai nucléaire américain à la bombe H dans l’atoll Bikini des îles Marshall le 1er Mars 1954. Cette malheureuse histoire fît scandale à l’époque car le bateau de pêche se trouvait en dehors de la zone interdite et l’équipage fut contaminé par les retombées nucléaires constituées de fines poussières blanchâtres que les pêcheurs appelèrent cendres de mort (死の灰). Daigo Fukuryū Maru se trouve à l’intérieur d’un étrange bâtiment fait de plaques de métal arrondies ressemblant à la coque d’un bateau. La noirceur du bâtiment, qui reflète très certainement la noirceur de l’événement que le musée relate, vient contraster avec l’ambiance bucolique du reste du parc. Peu de personnes s’y promènent en plein été, on peut le comprendre vues les grandes chaleurs. Revenir ensuite vers la station de Shin-kiba m’oblige à passer sous des autoroutes surélevées qui rappelle la densité de l’infrastructure tokyoïte. J’y reviendrais peut-être dans un prochain billet sur cette infrastructure tokyoïte, j’y reviens en fait souvent.
Pendant ma visite des dômes de Yumei no Shima, j’étais partagé entre écouter le silence quasi religieux du parc vide de monde ou la musique quasi religieuse de Jeff Buckley sur son unique album Grace. J’ai partagé mon temps entre les deux. Je reviens régulièrement sur cet album mais je ne l’avais pas écouté depuis longtemps. À chaque écoute, je me dis que le morceau titre de l’album, Grace, est un des plus beaux morceaux de musique qui existent, mais je m’attarde cette fois-ci sur un autre morceau, tout aussi prenant, le cinquième de l’album intitulé So Real, placé juste avant son Hallelujah. Et à chaque écoute, je me dis qu’il est parti trop tôt: « I’m not afraid to go but it goes so slow » nous dit-il sur le morceau Grace.
Mais la musique que j’écoute en ce moment est très différente car je suis dans une phase electro-pop qui s’accorde bien à la période estivale. Le concert du groupe Zuttomayo, abréviation de Zutto Mayonaka de ii no ni (ずっと真夜中でいいのに。), que j’ai vu en streaming sur YouTube lors de l’édition 2022 du festival Fuji Rock m’avait tellement intéressé que je me suis mis à rechercher dans la discographie du groupe des morceaux qui m’intéressent. J’ai beaucoup apprécié l’univers très particulier du groupe lors de ce concert et j’ai pris par la même occasion un peu plus conscience de la personnalité artistique du groupe. J’avais jusqu’à maintenant l’image d’un groupe ressemblant à Yoasobi mais dans une version plus rapide. Il y a un peu de cela car les deux groupes sont de la mouvance Vocaloid, mais l’énergie intense que peuvent prendre parfois les morceaux de Zuttomayo m’intéresse beaucoup plus que ce que compose Yoasobi. En écoutant par-ci par-là sur YouTube les morceaux de Zuttomayo, tous ne m’intéressent pas, mais je découvre tout de même certains morceaux que j’aime vraiment beaucoup sur les deux albums du groupe. Sur le premier album Hisohiso Banashi (潜潜話) sorti en Octobre 2019, il y a Kansaete Kuyashiiwa (勘冴えて悔しいわ) que j’écoute en fait déjà depuis quelque temps, puis Humanoid (ヒューマノイド) et Byōshin wo kamu (秒針を噛む). La suite extrêmement rapide de sons électroniques sur Humanoid me fait penser au math-rock mais en version electro. Sur le deuxième album Gusare (ぐされ) sorti en Février 2021, j’aime beaucoup Study me (お勉強しといてよ) et MILABO. En les écoutant maintenant, je me rends compte qu’on me les avait déjà recommandé dans les commentaires d’un billet précédent mais je n’avais à cette époque pas complètement accroché. Comme quoi, apprécier certaines musiques dépend beaucoup de la situation psychologique dans laquelle on se trouve. Et j’en conclus par conséquent que mes conseils musicaux continuels sur ce blog ne peuvent que rarement trouver un écho auprès de mon auditoire. C’est la même chose en fait pour moi mais les conseils que je peux lire des autres font parfois mouche. J’y reviendrais très certainement dans un prochain billet. Pour revenir à Zuttomayo, je suis en fait surpris par la qualité musicale de l’ensemble et par la densité instrumentale qu’on y trouve, notamment sur ces deux morceaux du deuxième album. C’est exactement ce que j’avais apprécié dans le concert du Fuji Rock. Il y a également le mélange de fragilité et de force dans la voix d’ACAね (ACA-Ne). Je ressens une passion certaine dans le ton de voix qu’elle emploie régulièrement dans son chant. ACAね écrit les paroles et les musiques de la plupart des morceaux. Comme je le mentionnais, elle me montre pas son visage comme les autres membres du groupe d’ailleurs. Mais il n’est pas très difficile de le découvrir sur internet. Je n’ai pas l’impression qu’elle se protège autant qu’Ado par exemple. Le groupe utilise en fait une identité visuelle changeante faite de personnages animés comme celui ci-dessus tiré de la vidéo du morceau Kansaete Kuyashiiwa (勘冴えて悔しいわ). Un illustrateur et animateur appelé sakiyama dessine cette identité visuelle mais d’autres illustrateurs interviennent également sur d’autres vidéos comme Waboku sur Byōshin wo kamu (秒針を噛む) ou MILABO. Sur le morceau Study me (お勉強しといてよ), l’illustration et l’animation sont assurés par Hanabushi (はなぶし) et Yotsube (ヨツベ). J’ai souvent associé le personnage de cette vidéo aux yeux un peu endormis à l’interprète ACAね, mais elle ne lui ressemble en fait pas trop.