Nous arrivons en fin d’après-midi près de notre hôtel situé dans les terres au niveau de Kumano. Depuis celui-ci, nous avons une belle vue sur la chaîne de montagnes de Kumano que l’on découvrira un peu plus le lendemain. Ce paysage devant notre hôtel dispersé en maisonnettes sur un flanc de colline me rappelle des vacances passées dans les Alpes lorsque j’étais beaucoup plus jeune. Je ne saurais identifier un endroit précis, mais c’est l’ambiance des lieux qui me remémore ces souvenirs lointains. Le lendemain, nous partons en direction du sanctuaire de Tamaki (玉置神社) perdu en haut de la montagne du même nom. D’une manière similaire au sanctuaire Mitsumine à Chichibu, on dit du sanctuaire de Tamaki que seuls ceux qui sont invités peuvent s’y rendre, et que certaines personnes peuvent être même prises de malaise et ne pas être en mesure de s’y rendre. Il s’agit certainement là d’une légende que l’on associe parfois au Power Spot, mais j’y pense forcément et le soir avant le départ, je ne me sentais pas très bien. C’est certainement dû à la fatigue accumulée de la conduite des deux premiers jours, mais je pense qu’il s’agissait également d’une certaine appréhension en pensant à la route qui nous attendait jusqu’au sanctuaire Tamaki. On dit que le sanctuaire est difficilement accessible car perdu dans les forêts de montagne et que la route pour s’y rendre est étroite. J’ai étudié le chemin avant de partir puis finis par suivre le conseil de Google maps proposant la Route 169. On se rendra vite compte que cette route est vraiment très étroite, ne permettant que rarement le passage de deux voitures en même temps. Cette route à flanc de montagne passe dans les forêts mais frôle parfois les corniches. On roule lentement en espérant qu’une voiture n’arrive pas en face à toute vitesse. Le pire est que cette route constituée uniquement de virage fait plus de 10 kms avant de finalement rejoindre le sanctuaire Tamaki. Mais une fois engagé, on ne peut de toute façon plus faire demi-tour et il faut donc se concentrer sur chaque virage. La route est bien heureusement praticable même si des blocs de pierre et des branchages sont parfois tombés sur la chaussée. On croise en tout deux voitures, certainement des locaux, qui ont la gentillesse de reculer pour trouver un espace de route plus large pour nous laisser passer. Cette route sinueuse de montagne est certainement la plus difficile que j’ai été amené à pratiquer en voiture. Cette difficulté pourtant prévue ne nous empêche pas d’arriver à bon port. Le parking du sanctuaire est plus grand que je l’imaginais, ce qui laisse penser qu’il doit certainement y avoir une autre route menant au sanctuaire de Tamaki. Il y a en fait une Route 168 qui est un peu plus longue. Peut-être que les deux gros 4WD garés sur le parking sont passés par cette route, car je ne les imagine pas vraiment emprunter la route que nous avons pris. Avec cette assurance qu’on ne sera à priori pas obligé de prendre la même route pour le chemin du retour, nous pouvons entrer sereinement dans l’enceinte du sanctuaire.
Depuis les hauteurs du Mont Tamaki, la vue est superbe. Les montagnes se dressent devant nous à perte de vue. On est ici complètement perdu dans les montagnes de Nara. Le village de Totsukawa (十津川村) où se trouve Tamaki fait en fait partie du district de Yoshino dans la préfecture de Nara. Le Mont Tamaki, l’une des montagnes sacrées de la chaîne de montagnes Omine (大峰山系), est une étape de l’une des principales routes de pèlerinage Ōmine Okugakemichi (大峯奥駈道) qui est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2004 sous le regroupement des « Sites sacrés et chemins de pèlerinage des chaînes de montagnes de la péninsule de Kii ». La longue route de pèlerinage Ōmine Okugakemichi parcoure la chaîne montagneuse d’Ōmine dans la préfecture de Nara et celle de Kumano dans la préfecture voisine de Wakayama. Cette route était un terrain d’entrainement spirituel pour les adeptes de la religion Shugendō, qui incorpore des aspects du Taoïsme, du Shintoïsme, du Bouddhisme et d’autres pratiques liées au chamanisme traditionnel japonais. Cette route, très isolée et parfois difficile, comporte 75 lieux spirituels appelés Nabiki (靡), dans des grottes, sur des rochers, près de cascades ou sur les hauteurs des montagnes, où les adeptes priaient et pratiquaient des exercices spirituels. Le Mont Tamaki est référencé comme le Nabiki numéro 66 de cette route. La pratique du Shugendō fit face à des hostilités lors la restoration Meiji, créant une séparation nette entre les pratiques shintoïstes et boudhistes, et le chemin de pèlerinage fut en partie perdu, enfoui à jamais dans les forêts montagneuses. Mais des historiens et des enthousiastes ont tout de même progressivement rétabli cette route, désignée comme site historique national en 2002, avant d’être classée deux années plus tard par l’UNESCO.
On s’empreigne de cette histoire et de cette spiritualité en marchant depuis le torii principal à l’entrée jusqu’aux bâtiments du sanctuaire. Il faut marcher pendant une vingtaine de minutes sur un chemin de forêt en pente pour atteindre le sanctuaire. Des drapeaux marqués des noms de donateurs sont plantés sur la majeure partie du parcours. Entourés par des cèdres géants dont certains sont classés comme monument naturel de la préfecture de Nara, on ressent une grande sérénité et on a même envie de marcher sans parler ou à voix basse. On est loin de tout ici, comme coupés du monde. Nous passerons une bonne heure dans le sanctuaire. La date de sa fondation n’est pas très claire mais on parle de l’an -37. Les bâtiments du sanctuaire sont en tout cas très anciens et on dit que le bâtiment principal date de 1794. Derrière le sanctuaire, on peut monter un peu plus en empruntant un chemin de terre couvert de racines. On atteint l’objet de culte important du sanctuaire, un pavé noir entouré de nombreuses pierres blanches. On dit que seule une toute petite partie de la roche noire est exposée et que la partie cachée sous terre est gigantesque, et qu’elle cacherait des joyaux. Sur le retour, on se procure bien entendu le sceau goshuin du sanctuaire et on en profite pour demander aux prêtres présents qu’elle est la meilleure route pour le retour. Lorsque je lui explique qu’on a pris la Route 169 à l’aller, je note un petit sourire comme pour nous indiquer qu’on ne s’est pas facilité la tâche. On nous conseille la Route 168 et on repart du sanctuaire Tamaki avec le cœur léger.