閏年エンディング ~其ノ弐~

Le but de ma marche en ville cette fois-ci était de trouver un bâtiment conçu par Kengo Kuma en 2009, Le Hall TOGO, se trouvant à proximité du sanctuaire Tōgō. Les formes en lamelles de bois sur l’avant et l’arrière du hall tout en longueur sont typiques du style de Kuma. J’aime surtout le design en forme de losange des murs légèrement obliques servant d’espaces pour y faire pousser des plantes. Le bâtiment a déjà plus de dix ans et on ressent déjà l’effet de l’humidité sur la surface du bois. Je découvre ce bâtiment que je ne connaissais pas du tout grâce au compte Instagram de l’amoureux d’architecture Toshy129. Je consulte de moins en moins Instagram et j’y publie également beaucoup moins, mais je garde toujours un œil sur quelques comptes surtout architecturaux qui me donneront des idées de visites ultérieures. Le compte Instagram de Toshy est extrêmement complet avec à chaque fois, ou presque, l’adresse notée, l’année de construction et le nom de l’architecte. Vu comment je galère parfois à trouver certains bâtiments sans avoir l’adresse, je me demande comment il réussit à réunir autant d’information sur l’architecture tokyoïte. Ceci-dit, je ne vois pas beaucoup de maisons individuelles dans sa liste et ce sont principalement celles-ci qui sont difficiles à trouver, et qui m’intéressent le plus, il faut bien le dire.

En remontant l’avenue Omotesando, on ne peut pas manquer de voir la grande mosaïque créée par Taniuchi Rokuro en 1975 sur l’ancienne librairie Sanyodo shoten, toujours en activité. En fait, cette mosaïque fait tellement partie du décor qu’on la remarque pratiquement plus. Je me suis rendu compte que je ne l’avais jamais prise en photo jusqu’à maintenant. Ma photographie est malheureusement incomplète. Elle s’intitule « Le trou dans le parapluie est la première étoile » (傘の穴は一番星), car le parapluie couleur bleue nuit du petit garçon est percé et la lumière qui le traverse lui fait penser à une étoile. Je n’ai pas eu la présence d’esprit d’intégrer cette étoile imaginaire dans le cadre de la photographie, certainement parce que je voulais inclure des passants dans cadre. Ça me donnera une occasion de revenir un peu plus tard pour rectifier cette omission. Sur l’avenue d’Omotesando, ce petit bâtiment préservé des reconstructions fait figure d’exception. Espérons que l’aspect symbolique de cette mosaïque lui permette d’être conservé encore longtemps à cet endroit, mais j’ai quelques doutes que cela soit suffisant.

Les deux dernières photographies montrent quelques lumières néons de la gare de Shibuya, celles de la passerelle reliant l’immeuble Scramble Square à Hikarie, et celles en sous-sol de la station de la ligne Fukutoshin, dont je montrais le dôme dans un billet précédent. Quant aux feuilles mortes qui se ramassent à la pelle, je prends la première photographie de ce billet en réécoutant à ce moment précis la reprise que fait Sheena Ringo des Feuilles Mortes de Jacques Prévert, chantée en français puis en anglais, sur l’album Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~) sorti en 2002. Le morceau prend le titre japonais Kareha (枯葉). Il est également interprété lors du concert Baishō Ecstasy. Je me suis mis à réécouter par petites touches cet album que j’avais acheté à l’époque mais que j’avais longtemps ignoré (à part quelques morceaux).

Alors qu’il ne reste plus que quelques jours avant la fin de l’année, l’envie me prend comme tous les ans à cette époque, de regarder les statistiques de Made in Tokyo. J’ai écrit 141 billets en cette année 2020, ce qui est à peu près similaire à l’année dernière avec 137 billets, mais beaucoup plus que les années précédentes (126 billets publiés en 2018 et 95 en 2017). Je n’ai bien entendu pas d’objectif quant au nombre de billets que je vais écrire sur ce blog, mais le fait que j’arrive d’année en année à maintenir un rythme soutenu me satisfait beaucoup. J’ai aussi le sentiment que les billets que j’ai écrit cette année sont dans l’ensemble plus longs, certainement parce que je parle beaucoup de musique japonaise, sujet qui me passionne depuis quelques années et qui est souvent le déclencheur de l’écriture d’un nouveau billet. En fait, je commence souvent à écrire un billet en pensant à la musique que j’écoute au moment de démarrer l’écriture. Les photographies que je prends sans relâche dans les rues tokyoïtes sont bien sûr l’autre principal déclencheur, mais j’ai beaucoup plus de mal à parler seulement des lieux photographiés sans les lier à une ambiance musicale. Ce besoin de liaison est loin d’être nouveau et me suit depuis de très nombreuses années (depuis toujours en fait). Pour apprécier ce blog, il faut, je pense, être sensible à ces deux éléments. Je ne prétends pas arriver à lier musique et photographie d’une manière convaincante. Il faut souvent passer par les mots pour essayer de construire un parallèle. Mes tentatives de liaison doivent souvent passer inaperçues. En regardant à la date d’aujourd’hui, il y a eu un total de 17,209 visites sur Made in Tokyo, ce qui fait une moyenne de 47 visites par jour. On est dans le même ordre l’idée que l’année dernière avec 16,381 visites et une moyenne de 45 visites par jour. Le nombre de commentaires est par contre en très nette progression avec un total de 173, ce qui est presque 3 fois plus que l’année dernière avec 62 commentaires. Ceci étant dit, beaucoup proviennent de deux ou trois personnes en particulier qui se reconnaîtront et que je remercie grandement. Je ne peux m’empêcher de renouveler mon appel aux commentaires, surtout parmi ceux qui viennent régulièrement visiter ces pages en restant silencieux. J’ai beaucoup considéré ajouter un champ avec le nombre de commentaires par billets affiché près du titre de chaque billet, comme moyen pour susciter les commentaires, mais j’ai finalement décidé de maintenir la manière actuelle. J’aime bien l’idée que les commentaires ne soient pas immédiatement visibles depuis la page principale, comme cachés à l’abri des regards, mais visibles pour ceux qui prennent la peine d’être intéressé par le sujet traité dans le billet. Comme je le dis souvent, ces statistiques ne sont pas la raison pour laquelle j’écris sur ce blog. Je pense qu’en plus de montrer Tokyo et de parler des musiques que j’aime, je ressens aussi de plus en plus le besoin d’écrire en français.

街は生き物

Portée de justesse par le vent de traîne du dernier typhon, elle survole l’immensité urbaine de Tokyo. Elle roule, solitaire mais déterminée, dans le creux des nuages qui se désagrègent petit à petit. L’équilibre est imparfait mais elle fait de son mieux pour ne pas lâcher prise. Mais un dernier coup de vent la fait vaciller et elle commence sa chute irrémédiable vers l’immensité grise de la ville. La chute sera terrible si elle vient à frapper de plein fouet le bitume. Le hasard de sa descente lui accorde un court répit lorsqu’elle vient amortir sa chute sur les toitures en pente d’un temple. Les tuiles noires emboitées les unes dans les autres lui offrent un chemin qu’elle se doit de suivre. Elle négocie brillamment les virages quand deux parties de toitures se connectent entre elles et voit même sa vitesse ralentir doucement. Elle évite de justesse la gouttière qui l’aurait amené vers les entrailles de la ville. Elle préfère les surfaces du monde d’en haut, et si possible le contact de la peau humaine. Elles rêvent toutes d’attirer l’attention en tombant sur une partie de visage, de préférence sur une joue, ou une main, et de fondre ensuite lentement sous la chaleur du corps. Mais beaucoup ou même la plupart d’entre elles disparaissent anonymement sur les murs des immeubles ou sur le goudron des rues. Dans le quartier d’Hiroo, je regarde en l’air pour prendre un nouvel immeuble que je ne connaissais pas en photo. Il y a aussi un petit temple dans une rue à l’écart dont la toiture m’attire beaucoup. Je décide de m’approcher de ses formes faites de tuiles, pour essayer de trouver un nouvel angle photographique. En levant les yeux vers le toit aux formes compliquées du temple, une petite bulle entre soudainement dans mon champ de vision. La goutte d’eau tombe délicatement sur ma joue juste en dessous de l’oeil. Cette petite trace humide me rafraîchit légèrement le visage. Je n’ai aucune envie de l’essuyer. Elle provoque même en moi un petit sourire inexpliqué.

Le titre de ce billet 街は生き物 peut se traduire de la manière suivante: « la ville est un être vivant ». Je tire ce titre d’une phrase du photographe Masataka Nakano, entendue dans l’émission Jōnetsu Tairiku du dimanche 27 Septembre 2020, qui lui était consacrée. Dans cette émission que j’aime beaucoup car elle est fondamentalement positive et inspirante, on suivait le photographe de Tokyo Nobody et Tokyo Windows dans une quête photographique, celle de prendre en photo le Godzilla en haut de l’immeuble du cinéma Toho de Shinjuku Kabukichō à travers une fenêtre en montrant le contexte intérieur de l’endroit où est pris la photo. C’est le concept de son livre Tokyo Windows de montrer des vues extérieures à travers l’intérieur intime d’un appartement ou autres espaces commerciaux ou professionnels. Nakano s’intéresse à la sensation procurée par le fait d’avoir tous les jours sous le nez une vue d’exception sur Tokyo. Ce reportage indique donc que Nakano travaillerait sur une suite de Tokyo Windows. Pendant la période de l’état d’urgence où la population était priée de rester chez elle, Nakano prenait des photos de la ville sans la présence humaine confinée. Le reportage montre une de ses vues, prise près des tours Atago. Mari me fait remarquer que j’aurais dû en profiter pour en faire de même. L’idée m’a effleuré l’esprit mais je devais avoir l’esprit tout à fait ailleurs à ce moment si particulier de l’année. Là encore, Nakano nous préparerait il une suite à Tokyo Nobody? Ces photographies seront peut être plutôt destinées à une prochaine exposition comme celle que j’avais été voir en Janvier 2020 au musée de la photographie de Yebisu Garden Place. On peut être initialement surpris par l’utilisation de cette expression de ville comme être vivant, connaissant le travail de Nakano se privant plutôt de présence humaine visible. Elle s’y accorde pourtant très bien, car on nous parle plutôt ici de la présence humaine à travers ce que l’humain construit et crée. C’est une approche qui me parle beaucoup car la diversité des personnalités développées par les constructions humaines, notamment architecturales, est un sujet que je privilégie depuis longtemps dans mes photographies.

Continuons l’exploration des concerts de Sheena Ringo. Je trouve le DVD du Live Zazen Ecstasy (座禅エクスタシー) de Sheena Ringo au Disk Union de Shibuya pour environ 1500¥. Le concert a été enregistré le 30 Juillet 2000 mais est sorti en DVD beaucoup plus tard en Septembre 2008, à l’occasion de ses dix ans de carrière musicale. Chronologiquement, Zazen Ecstasy se place avant le Live Baishō Ecstasy (賣笑エクスタシー) sorti le 25 Mai 2003 (dont j’ai parlé un peu plus tôt) et après les deux autres Live de l’année 2000 sortis tous les deux le 7 décembre, Hatsuiku Status Gokiritsu Japon (発育ステータス 御起立ジャポン) enregistré les 4 et 8 Juillet 2000 et Gekokujyo Ecstasy (下剋上エクスタシー) enregistré les 26 Avril et 31 Mai 2000. J’avais acheté ces deux Live en même temps à l’époque et il faudrait que j’y revienne un peu plus tard. Au moment où Zazen Ecstasy est joué, Sheena Ringo a déjà sorti ses deux premiers albums: Muzai Moratorium (無罪モラトリアム) en Février 1999 et Shōso Strip (勝訴ストリップ) en Mars 2000. Le concert vient donc pioché dans les morceaux de ces deux albums mais sans pourtant jouer les trois singles majeurs de Shōso Strip pourtant sortis avant ce Live, à savoir Gips (ギブス), Honnō (本能) et Tsumi to Batsu (罪と罰). Marunouchi Sadistic (丸の内サディスティック) de Muzai Moratorium n’y est pas joué non plus bien qu’il s’agisse d’un grand classique des concerts qui vont suivre. De la même manière, plutôt que d’interpréter le single qui l’a fait connaître du grand public, Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。), elle privilégie pendant le concert deux faces B présentes sur ce single, à savoir Memai (眩暈) et Remote Controller (リモートコントローラー). Le seul single qu’elle interprétera est Kabuki-chō no Joō (歌舞伎町の女王).

Le concert est particulier car il a lieu dans un théâtre traditionnel de 1000 places de la préfecture de Fukuoka, dans la ville de Iizuka (飯塚市), le théâtre Kaho (Kaho Gekijou 嘉穂劇場) datant de 1931. On ressent cette ambiance particulière pendant tout le concert, accentué par le fait que Sheena Ringo et les membres du groupe l’accompagnant sous le nom Gyakutai Glycogen (虐待グリコゲン) sont tous habillés de yukata. La mise en scène générale est assez sobre. Au début du concert, Sheena Ringo entre sur scène devant une longue paroi en shōji, sous une lumière de projecteur très forte jusqu’à l’éblouissement. Elle interprète d’abord Tsumiki-asobi (積木遊び) et les parois s’ouvrent ensuite pour dévoiler le reste de la scène sur un fond sombre de bambous. Le groupe apparait à ce moment là. Le visage du bassiste m’est familier. Il s’agit déjà de Seiji Kameda qui accompagne Sheena Ringo depuis ses débuts, jusqu’à Tokyo Jihen actuellement, mais je suis surpris par sa coupe de cheveux en iroquois. Le guitariste du groupe est Junji Yayoshi, qui n’est autre que son premier mari mais ils ne sont pas encore mariés à l’époque de ce concert. Le concert montre beaucoup de gros plans sur le visage de Sheena et ses yeux transpercent l’écran. Elle ne sourit pas beaucoup et on a l’impression qu’elle est comme possédée par la musique qu’elle interprète. Il y a une intensité palpable dans son interprétation qui me donne des frissons à de nombreux moments. La mise en scène du concert présage à mon avis ce qui va suivre ensuite sur Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花).

Par rapport aux interprétations plus récentes où elle chante de manière statique de côté, elle est ici beaucoup plus mobile au point où l’assistant a un peu de mal à la suivre avec le fil du micro. Elle danse même en sautillant sur place sur le morceau Yokushitsu (浴室), tout en souriant par moment ce qui donne l’impression qu’elle redevient normale pendant quelques instants. Elle ne saisit la guitare que sur quatre des seize morceaux du set: Identity (アイデンティティ) et Byōshō Public (病床パブリック) dans la première partie du set, puis Benkai Debussy (弁解ドビュッシー) et Stoicism (ストイシズム) à la toute fin du concert. Il n’y a par contre que peu d’interactions avec les autres membres du groupe. On a l’impression d’une grande concentration. L’interprétation est parfaite, habitée est le moins qu’on puisse dire. Il y quatre morceaux qui sont des reprises: tout d’abord Shōjo Robot (少女ロボット) qui est un morceau qu’elle a composé pour Rie Tomosaka (et qu’on connait sur Reimport Vol. 2), puis unconditional love de Cindy Lauper présent sur les B-sides de Kabuki-chō no Joō et donc sur Watashi to Hōden (私と放電). Elle interprète ensuite un morceau d’Hatsumi Shibata que je ne connaissais pas intitulé My Luxury Night (マイラグジュアリーナイト). C’est peut être le moment le plus faible du concert. Par contre dans les rappels, elle interprète un autre morceau que je ne connaissais pas non plus, qu’elle a également composé pour Rie Tomosaka et qui n’est pas présent sur les albums Re-import 1 et 2. Il s’agit d’un morceau intitulé Nippon ni Umarete (日本に生まれて), qu’elle interprète au piano. Après s’être poliment excusée de s’asseoir et avoir remercié pour les appels au rappel (‘encore’ en japonais), Sheena interprète un des plus beaux morceaux du concert. A ce moment là, le fond de l’écran montre un personnage blanc crucifié qui doit faire référence au concert précédent Gekokujyo Ecstasy (下剋上エクスタシー) d’Avril/Mai 2000. Ce concert sera certainement le prochain que je vais revoir. Il y a un seul extra sur le DVD montrant les coulisses et les préparations du concert, qui donne une image beaucoup plus joyeuse et même bon enfant par rapport à la densité du concert en lui-même. Une vidéo de promotion pour le morceau Yattsuke Shigoto (やっつけ仕事) de l’album KSK a apparemment été prise dans ce théâtre et cette petite vidéo additionnelle prise en public nous en montre quelques images. Je n’ai malheureusement jamais vu cette vidéo pour Yattsuke Shigoto en entier et je me demande si elle est disponible quelque part. C’est un petit mystère de plus a élucider dans un prochain épisode.

Pour référence ultérieure, ci-dessous est la playlist des morceaux de Zazen Ecstasy (座禅エクスタシー):

1. Tsumiki-asobi (積木遊び), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
2. Memai (眩暈), en B-side du single Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。)
3. Shōjo Robot (少女ロボット), reprise du morceau composé par Sheena Ringo pour Rie Tomosaka et qu’on retrouve sur Reimport Vol. 2 ~Civil Aviation Bureau~ (逆輸入 ~航空局~).
4. Remote Controller (リモートコントローラー), en B-side du single Koko de Kiss Shite. (ここでキスして。)
5. Akane-sasu Kiro Terasaredo… (茜さす 帰路照らされど…), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
6. Identity (アイデンティティ), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
7. Byōshō Public (病床パブリック), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
8. Unconditional Love, en B-side du single Kabuki-chō no Joō (歌舞伎町の女王) (Reprise de Cyndi Lauper)
9. Sakana (サカナ), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
10. Kabuki-chō no Joō (歌舞伎町の女王), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
11. Benkai Debussy (弁解ドビュッシー), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
12. Yokushitsu (浴室), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
13. My Luxury Night (マイラグジュアリーナイト), reprise d’un morceau interprété par Hatsumi Shibata et composé par Takao Kisugi.
14. Sid to Hakuchumu (シドと白昼夢), de l’album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム)
15. Stoicism (ストイシズム), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
16. (Encore) Nippon ni Umarete (日本に生まれて), reprise du morceau composé par Sheena Ringo pour Rie Tomosaka.

好きよ

Je mélange les lieux sur la série photographique ci-dessus. La première photographie montre des graffitis nouvellement dessinés sur un mur bas entre le croisement de Yarigasaki à Daikanyama et la pente qui mène à Naka-Meguro. Il s’agit de petits personnages colorés humoristiques semblant accrochés à la route au dessus ou semblant la soutenir à bout de bras. Juste à côté, je constate que la marque de vêtements Franco-japonaise Maison Kitsune lance une nouvelle fois une série d’affiches groupées au même endroit que l’année dernière. Ces visages rouges ont un côté diabolique. La troisième photographie de la série nous amène dans un tout autre lieu, à Setagaya dans le quartier de Chitose-Funabashi, alors que je recherchais la maison conçue par Kazuyo Sejima, House in a plum grove. Ce bâtiment noir avec des feuillages dessinés est un théâtre. On part ensuite vers le quartier de Hiroo, le long de l’avenue Meiji. Je pense avoir déjà pris plusieurs fois en photo cette vieille baraque en bois qui semble prête à s’effondrer au prochain tremblement de terre. Autant Tokyo est en éternelle transformation, autant certaines bâtisses sont inébranlables. Il y a plusieurs années déjà, j’aurais parié sur une démolition imminente, mais elle tient bon. Il y a un tel bazar au rez-de-chaussée que je me demande si elle est toujours habitée. Le souci est qu’elle se trouve juste à côté d’une station service et je n’ose imaginer les conséquences si elle était amenée à prendre feu pour je ne sais quelle tragique raison. Le chat de la dernière photographie habite les rues d’un quartier de l’arrondissement de Ōta. Je le trouve assis impassible sur le siège d’un vieux scooter hors-service. Il me regarde d’un drôle d’oeil mais ne bronche pas quand j’approche l’appareil photo. Je m’attends à ce qu’il passe à l’attaque à tout moment, mais il reste immobile à me regarder avec une autosuffisance certaine. Ce chat se rêve d’être un lion féroce.

J’écoute à nouveau la musique du groupe Midori ミドリ. Après avoir écouté l’album Aratamemashite, Hajimemashite, Midori Desu et les deux premiers EPs First et Second, je passe maintenant à l’album Shinsekai sorti en 2010. Cet album Shinsekai, nom emprunté au quartier surchargé d’enseignes et d’affichages d’Osaka, garde la même ambiance survoltée que l’on connaît de Midori, fusionnant de manière très étonnante et réussie punk et jazz, autour du personnage principal de cette musique, à savoir Mariko Gotō 後藤まりこ et le décalage inhérent qui l’accompagne. Ce décalage démarre dès le premier morceau Hato 鳩 avec le chant de Mariko Gotō sonnant presque mignon et innocent, mais on n’y croit pas une seconde. Dans ces moments là, connaissant Midori, on se demande quand la montée soudaine des guitares et des cris vont surgir. Mais, il s’agit, pour un premier morceau, d’une introduction calme avant le massacre sonore qui suivra. Les trois morceaux suivants sont très puissants, pas autant que le « Destroy » du deuxième morceau Yukiko-san de Ataramashite…, mais la rapidité du phasé et de la musique sont imparables. Sur le deuxième morceau Bonyo VS Boyo 凡庸VS茫洋, Gotō démarre très vite et très fort jusqu’à ce que sa voix déraille. Mais elle maîtrise tout de même étrangement bien cette violence sonore. On sent qu’elle est, à tout moment, en contrôle de ce qui se passe dans le morceau et on a même l’impression que la partie instrumentale en deuxième partie du morceau subit l’inertie générale imposée par son chant. Les Sukiyo (好きよ) au rythme atténué vient comme réguler le flot musical. J’aime beaucoup ce morceau. Le reste contient cette même menace sonore faite de chaud et de froid, à l’intérieur d’un même morceau. Il y a un peu plus de morceaux calmes que les albums précédents mais l’accalmie n’est toujours que de courte durée…

かめはめ波

Près de Harajuku, la boutique Asoko placée sur la rue Meiji change régulièrement sa devanture. Cette journée là, on avait le plaisir d’y voir dessiner le jeune Sangoku de la série Dragon Ball avec ses acolytes habituels. C’est amusant de tomber par hasard sur ce grand dessin. On aimerait que Goku nous sorte de ses paumes le fameux Kamehameha, histoire de réchauffer l’atmosphère en cette période de froid hivernal. On se contentera de les regarder, indifférents à notre pauvre sort de piétons en hiver. Les photographies de ce billet mélangent les lieux, en passant de l’immeuble noir et mystérieux Humax Pavillon de Hiroyuki Wakabayashi entrevu dans l’espace ouvert entre deux rues à Shibuya, puis vers Naka-Meguro devant une petite galerie ouverte sur la rue devant la rivière Meguro. A Ebisu, il s’agit d’une scène de rue le matin où on ressent des traces de l’animation du soir précédent. Ces traces sont invisibles mais une ambiance de calme après la tempête règne sur cette rue pratiquement vide, devant les devantures fermées des bars et restaurants. A Hiroo, on détruit un immeuble à coups de pelleteuses. La destruction prend quelques jours seulement mais on ne sait pas encore exactement quel objet architectural va naître de ce gravas de pierres et de tiges d’acier. Vu les régulations sur la hauteur des bâtiments dans le quartier, ça ne devrait pas être une tour qui va pousser par ici.

Togawa Fiction est très different de tous les autres albums de Jun Togawa 戸川純 ou de YAPOOS ヤプーズ. Il est sorti en 2004 après une période de silence pour les raisons mentionnées dans un billet précédent. La voix de Jun Togawa et l’ambiance musicale sont très différentes. Les deux premiers morceaux en particulier sont sauvages et chaotiques. Le long et sublime premier morceau Counsel Please カウンセル・プリーズ est composite flirtant avec le prog rock, ce qui est nouveau dans la discographie de Jun Togawa. Sa manière de chanter est également plus rugueuse et brute, ce qui me fait dire qu’un novice pourrait difficilement commencer par cet album si il ou elle souhaitait découvrir la discographie de l’artiste (il faut mieux par exemple commencer par Tamahime Sama). L’approche est expérimentale sous les abords de pop enjoué du deuxième morceau Open the door オープン・ダ・ドー. On ne peut pas nier une pointe de folie qui peut décontenancé l’auditeur. Il y a, dans cet album, encore moins de compromis musicaux que dans les albums précédents. La dynamique imparable des deux premiers morceaux leur donnent un impact fort mais ce sont aussi les morceaux les plus difficiles d’accès. Comme on peut le comprendre maintenant et depuis le tout premier album, Jun Togawa n’a aucune intention de faire de la musique standardisée ou formatée. Il y a tout de même plusieurs morceaux où l’on retrouve son style de voix comme ce morceau Haikei Paris ni te 拝啓、パリにて sur un voyage à Paris, d’abord mené sous les apparences d’un fleuve tranquille comme La Seine. Mais le flot se distord au milieu du morceau après les quelques mots en français « Mademoiselle Jun… ». La machine se détraque ensuite et les paroles et mélangent et deviennent confuses. C’est un morceau très intéressant dans sa construction. Le morceau suivant Sayonara Honeymoon さよならハニームーン est beaucoup plus lent et sombre. On y devine une souffrance exprimée par le timbre de sa voix et par la musique ténébreuse avec effets sonores inquiétants. Ensuite, commence le morceau titre Togawa Fiction トガワ フィクション, beaucoup plus lumineux et rapide. C’est un morceau pratiquement instrumental mais avec des ajouts d’un duo de voix, dont celle de Togawa et d’une voix masculine. J’adore la petite phrase prononcée avec un humour roublard par la voix masculine, peut être celle du compositeur du morceau Dennis Gunn, nous disant « ちょっと悪いは最高じゃ », qu’on traduirait par quelque chose comme « Être un peu mauvais, c’est ce qu’il y a de meilleur ». Le morceau fait un raccord bienvenu avec les morceaux de YAPOOS, ce qui n’est pas très étonnant vu que le compositeur est un ancien membre du groupe. Le dernier morceau concluant cet album Oshimai Choueki Home おしまい町駅ホーム, qui est d’ailleurs plutôt un mini-album car n’ayant que 6 morceaux, repart dans un certain apaisement mélodique. Sur ce mini-album, on ne retrouve pas tout à fait la gamme vocale dont on était habitué sur tous les albums de Jun Togawa. Elle a malheureusement un peu perdu de son étendue vocale, mais tente ici d’y remédier. Ce dernier morceau est très beau musicalement, avec un ensemble orchestral, le Jun Togawa Band, et la présence marquée des violons et du piano. Cet album Togawa Fiction est un objet musical à part, même dans la discographie de l’artiste. Elle ne sortira malheureusement pas de nouveaux morceaux originaux jusqu’à présent.

Ces dernières années, et même en cette année 2018, il y a eu des albums de reprises d’anciens morceaux re-arrangées avec d’autres groupes comme l’album Watashi ga Nakou Hototogisu わたしが鳴こうホトトギス (2016) avec le groupe japonais Vampillia, dans un mode rock mélodique, Togawa Kaidan 戸川階段 (2016) avec le groupe Hijokaidan 非常階段 mené par Jojo Hiroshige JOJO広重, dans un style beaucoup plus noise rock, et finalement cette année des versions au piano avec Kei Ookubo おおくぼけい de Urbangarde sur l’album Jun Togawa avec Kei Ookubo (2018). Je n’ai écouté que quelques morceaux de ces albums de reprises, mais je n’arrive pas à m’enlever l’idée de la tête que je préfère grandement les versions originales qui sont difficiles à égaler tant par les qualités musicales que par la puissance de la voix de Togawa. Force est de constater, comme je le disais plus haut, qu’elle a perdu de son étendue vocale suite à des problèmes de santé. Écouter Teinen Pushiganga ou Nikuya no you ni sur les albums Tamahime Sama et YAPOOS Keikaku respectivement est une expérience incomparable à ces nouvelles versions. Ceci n’amenuise pas les qualités de pianiste de Kei Okubo, par exemple, mais pour quelqu’un comme moi qui ne découvre que maintenant et d’un bloc le répertoire entier de Jun Togawa, la comparaison est difficile à tenir. J’espère vraiment que Jun Togawa pourra dans les années qui viennent se remettre en situation d’écriture de nouveaux morceaux auxquels elle pourra adapter sa voix actuelle en pleine réformation. En attendant, j’écoute des albums Live comme Ura Tamahime Sama 裏玉姫 sorti en 1984, qui est comme un album à part entière car la plupart des morceaux ne sont pas présents sur l’album Tamahime Sama. J’adore la manière innocente et polie par laquelle elle introduit des morceaux à tendance punk sur ce Live. Tout l’art de Jun Togawa est dans un décalage subtil. Je n’ai pas parlé jusqu’à maintenant de son troisième album solo intitulé Suki Suki Daisuki 好き好き大好き, car ce n’est pas mon préféré bien qu’il s’agisse de son album le plus connu. Le morceau titre est fabuleux mais le reste de l’album me plait moins, car il joue trop sur la parodie des idoles de l’époque. Je le mets donc de côté pour l’instant, avec l’intention d’y revenir un peu plus tard.

J’écoute maintenant les trois albums de Guernica, le groupe qu’elle a formé avec le compositeur Koji Ueno et le parolier Keiichi Ohta, avant sa carrière solo, au tout début des années 1980. Les morceaux de ces albums sont inspirés de la musique des années 1920/1930, mais composées aux synthétiseurs sur le premier album Kaizo Heno Yakudo 改造への躍動. Il y a de très beaux morceaux comme ceux du EP initial du groupe Ginrin wa Utau 銀輪は唄う et Marronnier Tokuhon マロニエ読本. L’ambiance y est très particulière. On dirait des odes à la modernité et au progrès, à travers les titres et les thèmes. Je comptais d’abord écouter ces trois albums comme des curiosités mais je me surprends à y revenir. Je vais maintenant voguer vers d’autres découvertes musicales, mais la musique de Jun Togawa était une découverte exceptionnelle cette année. Certes très en retard, mais mieux vaut tard que jamais.

Ceci étant dit, je ne tarde pas trop à tomber sur des nouvelles musiques intéressantes avec le Demo EP de Mariko Gotō alias DJ510mariko, qui ressemble à un Kamehameha que l’on recevrait en pleine figure. Le premier morceau NeverEnding Story ねばーえんでぃんぐすとーり commence comme un morceau typique d’idole japonaise mais est très vite maltraité, comme passé au courant triphasé les doigts dans la prise, vu la rapidité du chant et le massacre volontaire de la batterie. Le morceau est rempli d’une frénésie musicale et vocale, mais à l’énergie follement communicative. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de “destruction” de morceau standard en y apportant une interprétation non conventionnelle voire même hystérique. La tension ne va qu’en s’intensifiant au fur et à mesure des 4 morceaux du EP. Le deuxième morceau Breeeeeak out!!!!! est encore plus détonnant avec le parti pris d’une voix aiguë superposée sur des cris sourds en guise de batterie et d’une musique électronique crachotante. Le morceau suivant Yozyo-Han_tansu_dance 四畳半箪笥ダンス est beaucoup plus dansant entre guillemets mais la manière de chanter de Mariko Gotō devient plus menaçante. Le refrain est entêtant et le tout est émotionnellement très fort. Le dernier morceau Syunka_Syuutou 春夏秋冬 de ce EP commence de manière très mélodique et on se dit que ce morceau final se voudra plus reposant pour l’oreille, histoire de se dire que Mariko Gotō n’est pas aussi décalée que cela, mais en fait le répit n’est que de courte durée, car un flot de cris prend le dessus vers la fin. Le morceau mêlant calme et brutalité fonctionne très bien et encore une fois, est très fort émotionnellement. La sortie de ce EP à la toute fin de l’année est une très bonne surprise et j’espère qu’on pourra écouter de nouveaux morceaux dans ce style sans compromis l’année prochaine.

le ciel au dessus de moi s’ensoleillera maintes fois

私の上にある空は、何度でも晴れる。Le ciel au dessus de moi s’ensoleillera maintes fois.


Je viens de revoir Millenium Mambo du taïwanais Hou Hsiao Hsien, l’histoire de Vicky perdue dans sa vie et son histoire d’amour faite de répulsions, d’alcool et de cigarettes. Le film démarre dans un tunnel piéton sous la musique envoûtante de Lim Giong. Dans un style complètement différent, je trouve une similitude entre cette scène et la séquence d’ouverture de Lost Highway de David Lynch avec la musique de Bowie. Dès que commence le morceau « I’m deranged » de David Bowie, on est comme hypnotisé par ses images associées à cette musique. On est mis sur un rail émotionnel qui ne nous lâchera pas jusqu’à la fin du film. Le même effet se produit pour moi en regardant cette première scène de Millenium Mambo. Vicky, interprétée par l’actrice Shu Qi, marche de dos sous cette musique de Lim Giong. Elle se retourne parfois avec un sourire vers la caméra. Une voix off nous explique son histoire. On comprend vite que Vicky n’est pas aussi heureuse que son sourire pourrait le faire croire. Son histoire n’est pas tragique non plus, elle est simplement faite d’un lâcher prise sur sa vie, sans boulot sérieux et liée à un entourage douteux. Elle reprendra pourtant prise par moments avec ses amis mi-taïwanais mi-japonais, les frères Takeuchi, qui l’amènent à Yubari à Hokkaido, dans un paysage complètement enneigé, un paysage éphémère de « joie triste », un paysage apaisant par rapport aux nuits dans les clubs de Taipei.

J’ai également ressenti cette « joie triste » quelques fois mais il y a longtemps, un certain sentiment de solitude quand on marche dans les rues de Tokyo, mélangé à une joie certaine d’y être. Je ne pense pas qu’on puisse avoir ce sentiment lorsque l’on vient en touriste, pressé par les visites à faire et les lieux à voir, mais quand on y vient comme habitant au début. Je retrouve également ce sentiment dans Lost in translation quand Charlotte se trouve seule à marcher dans les rues de Tokyo et Kyoto. D’une manière un peu différente, je retrouve une émotion similaire en regardant sur l’écran le paysage sous la neige de Yubari la nuit, sans personne sauf les corbeaux. A cette tristesse des lieux, se superposent les rires de Vicky et des frères Takeuchi. Il doit y avoir quelque chose du mono no aware dans cette scène. Je revois régulièrement Millenium Mambo ou Lost in translation pour retrouver cette émotion, que je ressentais parfois il y a longtemps, mais qui a disparu de ma vie actuelle.

Le film de Hou Hsiao Hsien évolue lentement. On observe beaucoup Shu Qi dans ses mouvements répétitifs et dans ses attitudes, superbe de justesse. Après avoir revu le film, samedi tôt le matin alors que Mari dort encore et que Zoa joue sur sa console Switch en silence sur un coin du sofa, je ressens le silence des lieux. Je me sens même saisi, pendant quelques minutes seulement, par le bruit des choses du quotidien qui émerge de ce silence: la bouilloire qui siffle, la tasse que l’on pose sur la table de bois, l’eau chaude que l’on verse doucement. C’était un étrange sentiment.