Un léger flou sur les photographies en noir et blanc essaie de traduire l’humidité ambiante de la ville alors que la saison des pluies n’a pas encore officiellement commencé. Je continue à marcher sans but précis dans les rues de Tokyo avec mon objectif 40mm qui a l’avantage d’être très léger et donc facile à transporter. Comme je le mentionnais dans mon avant-dernier billet, je me pose souvent la question de montrer mes photos en noir et blanc plutôt qu’en couleur. Je me décide souvent au final à garder la version en couleur, car j’ai l’impression, lorsque je les passe en noir et blanc, de perdre une partie de l’atmosphère que j’ai vécu des lieux au moment de prendre ses photos. Les photos en noir et blanc rendent le paysage urbain intemporel et même parfois symbolique. Elles s’éloignent ainsi de la réalité vécue. La couleur, surtout celle qui est vive et déborde de l’image, m’est nécessaire mais le noir et blanc s’impose de temps en temps car il me donne l’impression de remettre les compteurs à zéro et de repartir sur une nouvelle base, de faire une pause dans la réalité actuelle pour profiter d’une accalmie. Montrer des images en noir et blanc devient ensuite une sorte d’évidence qui me donne envie de ne plus utiliser la couleur. J’aimerais parfois avoir la volonté nécessaire de ne montrer que des images faites de noirs et de blancs granuleux, car j’aime beaucoup ce côté intemporel. Je n’affiche d’ailleurs jamais la date de publication des billets sur la page principale de Made in Tokyo, et j’essaie d’évoquer le moins possible l’actualité du moment, sauf celle qui est musicale ou architecturale.
L’actualité musicale du moment est bien entendu la sortie du nouvel album de Tokyo Jihen, Music (音楽) le 9 Juin. Comme j’avais commandé la version limitée il y a longtemps sur le site de Tower Records, je l’ai reçu le jour d’avant la sortie officielle, le 8 Juin donc. C’est ce qu’on appelle Furage (フラゲ) en japonais, qui est le diminutif de Flying Get qui veut dire recevoir un CD, un jeu ou un DVD par exemple, une journée avant la sortie officielle. La version limitée consiste en un boîtier solide comprenant le CD de l’album, un livret montrant des photos d’une session d’enregistrement et le EP de Aka no Dōmei. C’est un bel objet et je suis content de voir que l’album est numéro un des ventes chez Tower Records. J’écoute l’album tranquillement en évitant de regarder les réseaux sociaux. J’avais pris la mauvaise habitude d’aller regarder et lire un peu trop souvent les commentaires des forums anglophones dédiées à SR/TJ sur Facebook et Discord, mais ça m’a beaucoup fatigué, notamment un ou deux commentateurs qui se plaignent sans cesse et qui essaient en général de mobiliser toute l’attention au détriment de ceux et celles qui apprécient. Je ne suis pas sûr d’écrire une revue entière de l’album mais plutôt l’évoquer petit à petit, car il faut laisser mûrir plutôt que se précipiter. Je peux juste dire que je trouve l’album excellent, ce qui ne m’a pas trop étonné car les singles déjà sortis étaient déjà excellents, bien meilleurs que les morceaux du EP News, que j’ai tout de même appris à apprécier depuis. Il y a beaucoup de morceaux en duo sur le dernier album. Ukigumo intervient souvent au chant au côté de Sheena, ce qui fonctionne très bien. Ukigumo apporte même beaucoup sur les refrains de certains morceaux, comme un élan inattendu. C’est le cas par exemple sur le neuvième morceau 銀河民 (Gingamin) composé par Ukigumo et Izawa, que le groupe jouera d’ailleurs sur Music Station la semaine prochaine, le Vendredi 18 Juin. Izawa fait de belles choses au piano avec un son plein de réverbération. Certaines partitions de piano font s’envoler les morceaux. Kameda écrit les musiques de deux morceaux de l’album. On reconnaît d’ailleurs tout de suite sa touche musicale sur le dixième morceau, 獣の理 (Kemono no Kotowari), qui a une certaine légèreté pop que l’on retrouve sur d’autres morceaux de Kameda sur les albums précédents de Tokyo Jihen. Il y a un morceau vraiment poignant sur l’album, l’avant dernier 薬漬 (Kusurizuke), qui commence doucement mais fait intervenir la force des guitares à la fin comme un cri de douleur. Dans une émission de radio sur Tokyo FM le 9 Juin, l’animatrice LOVE, de son vrai nom Nakamura Fukiko (également compositrice et interprète) évoquait pour ce morceau une analogie avec les perturbations météorologiques, comme une tempête soudaine suivie d’une accalmie. Elle évoquait également cet album comme pouvant devenir la bande son de notre propre vie (自分の人生のBGM), reconnaissant dans l’agencement des morceaux un cheminement d’étapes de la vie. Sheena nous disait également dans d’autres interviews que la première partie de l’album évoquait plutôt des sujets proche de la jeunesse, par rapport à une deuxième partie plus mature.
Tokyo Jihen multiplie les apparitions média, ce qui est assez inhabituel à ma connaissance, et je pense les avoir toutes vu ou écouté jusqu’à maintenant. Lundi, Sheena Ringo passait seule dans l’émission radio Dear Friends animée par Miu Sakamoto, fille de Ryuichi Sakamoto et Akiko Yano. L’émission passant à 11h du matin, je n’ai pas pu l’écouter en direct mais un peu plus tard dans la journée sur Radiko. On a l’impression qu’elles se connaissent déjà bien, Miu Sakamoto étant également chanteuse, ce qui n’a rien d’étonnant. Dans les anecdotes que ce genre d’émissions peut contenir, on apprend que le premier disque que Sheena achète à l’âge de 14 ans est un album de Marvin Gaye, car son frère Junpei voulait bien lui prêter ses disques de Soul R&B mais il fallait lui rendre aussitôt une fois écoutés. Elle voulait posséder ce disque pour pouvoir l’écouter autant qu’elle le voulait. Dans un tout autre style, Sheena mentionne un peu plus tard avoir apprécié Pearl Jam, à l’époque. L’anecdote amusante est que Miu écoutait Marylin Manson en cachette, imaginant que ses parents n’auraient pas approuvé. Elle nous parle également avoir écouté Buck-Tick. Elle a d’ailleurs interprété un titre sur l’album tribute Parade III ~Respective Tracks of Buck-Tick~, tout comme Sheena (j’en parlais dans un billet précédent). En écoutant, souvent en différé sur Radiko, ces émissions radio de la semaine, une question est récurrente portant sur le titre de l’album. Miu Sakamoto nous dit qu’un titre pareil peut nous faire penser qu’il s’agit du premier ou du dernier album du groupe, mais Sheena nous rassure en confirmant qu’ils étaient plutôt contraints à utiliser un nom de chaîne télévisée, pour rester dans l’esprit des noms des albums précédents. Il se trouve que le titre le plus évident pour un album, Music, n’avait pas encore été utilisé.
Les émissions que j’ai vu ou écouté sont plus ou moins intéressantes et s’adressaient à des publics parfois très différents. L’émission du soir School of Lock de Tokyo FM, diffusée le jour de la sortie de l’album s’adresse plutôt à un public de mois de vingt ans. Quelques auditeurs de l’émission avait l’opportunité de poser des questions à Sheena et Izawa, qui étaient les seuls présents dans les studios de radio. J’étais assez surpris d’entendre des fans du groupe ayant moins de vingt ans montrant autant d’émotion dans la voix au moment de parler à Sheena. Ceci me rappelle qu’Izawa a le même âge que moi, tout comme Hata Toshiki, tandis que Sheena et Ukigumo ont deux ans de moins. Une des jeunes auditrices évoquait que la musique du groupe était comme une compagne pour l’oreille (お耳の恋人), expression tirée des paroles du dernier morceau de l’album. Je trouve cette image très jolie.