JR新宿駅の東口を出たら

Une promenade photographique à Shinjuku avec Eddie un jeudi soir, ce n’est pas fréquent car il habite depuis quelques années à Hong Kong mais revient par ici de temps en temps. Le prétexte de cette sortie photo était pour lui de tester son nouveau bijou Leica, et pour moi d’essayer de voir ce que je peux faire avec mon modeste EOS50D en pleine nuit sous les néons de Shinjuku. Je ne prends pas souvent de photographies de nuit à vrai dire. Je sers donc de guide bien que je ne connaisse pas très bien le quartier de Kabukichō 歌舞伎町 où nous entrons d’abord. On laisse de côté le quartier de Golden Gai pour s’enfoncer plutôt dans le dédale des rues du centre de Kabukichō. Plus on rentre à l’intérieur de Kabukichō, plus les rabatteurs se font présents et pressant en essayant de nous attirer dans des établissements de petite vertu. Nous sommes de toute façon ici pour la photographie, donc les discussions forcées avec ces rabatteurs tournent court. J’aurais voulu retrouver au hasard des rues de Kabukichō, les deux immeubles Ichiban-Kan et du Niban-Kan de l’architecte Minoru Takeyama, pris en photos de jour au tout début 2010, mais je ne les ai pas retrouvé.

Depuis la sortie Est de la gare JR de Shinjuku (JR新宿駅の東口を出たら), en descendant la rue piétonne après le Studio ALTA, on arrive assez rapidement à l’entrée de Kabukichō, délimité par l’avenue Yasukuni. Kabukichō tient son nom d’un projet passé d’y construire un théâtre Kabuki. Ce projet n’aura jamais lieu mais le quartier garde ce nom. Je ne pense pas avoir traversé en entier ce quartier qui a mauvaise réputation, bien que certaines actions ont été prises ces dix dernières années pour l’assainir de la présence de yakusa et des établissements affiliés. On pouvait deviner leur présence dans les rues, il y a une quinzaine d’années. J’allais de temps en temps à Kabukichō avec Pierre pour aller voir et écouter des concerts rock dans la salle exiguë et en sous-sol du Loft Shinjuku (à ne pas confondre avec la chaine de magasins). La salle existe toujours, mais je ne sais pas si la programmation générale a changé. Ca pouvait être assez underground à l’époque. Je me souviens d’un groupe dont le batteur jouait fort sur sa batterie avec un masque à gaz sur le visage (depuis le feu mouvement Visual Kei des années 90, le déguisement n’est pas surprenant pour les groupes de rock au Japon). Nous allions également dans un petit bar de 5 ou 6 places maximum appelé MOTHER en souterrain dans le noir. On pouvait y choisir la musique rock que l’on souhaitait écouter parmi une multitude de CDs classés derrière le bar et listés sur un catalogue. On commençait souvent par Scentless Apprentice de Nirvana, sur In Utero (le morceau que je préfère sur cet album). Parfois, nous essayions le karaoké du coin en revenant invariablement sur le morceau Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王 Queen of Kabukicho) de Sheena Ringo (en version catastrophique cependant).

Mais revenons sur ce jeudi soir. Après quelques photos dans Kabukichō, nous traversons la voie ferrée au niveau de l’avenue Yasukuni pour rejoindre l’allée étroite de Shinjuku Omoide Yokocho 思い出横丁, bordée de restaurants minuscules. Dans ces mini-restaurants ouverts sur l’allée centrale, il faut se serrer au comptoir. On y mange principalement des yakitori, grillés par le maitre des lieux sous le regard des clients. Nous remontons l’allée tranquillement en prenant quelques photos. En revenant vers la gare, nos chemins se séparent, car je retourne vers la sortie Est de la gare JR de Shinjuku (JR新宿駅の東口に入ったら).

L’album Heisei Fūzoku (平成風俗) de Sheena Ringo 椎名裕美子 en collaboration avec le meneur d’orchestre et violoniste Neko Saito 斎藤ネコ est un album studio particulier dans sa discographie. Sorti en 2007, il fait office de bande sonore pour le film Sakuran de Mika Ninagawa, connue pour son univers photographique aux couleurs ultra-saturées. Il y a beaucoup de reprises de morceaux déjà sortis sur les trois albums studio précédents ou sur les EPs des singles, mais également quelques morceaux inédits dont une collaboration avec son frère ainé Junpei Shiina 椎名純平. La particularité de l’album est que tous les morceaux reçoivent une nouvelle orchestration par Neko Saito. Certains morceaux voient leurs paroles traduites et chantées en anglais. Dès la première écoute, le premier morceau du disque, ギャンブル Gamble, que l’on connaissait déjà sur le premier disque de l’EP SR/ZCS (絶頂集 Zetchōshū), fonctionne extrêmement bien avec cette orchestration étendue et avec les accents de voix de Sheena Ringo qui s’étirent jusqu’à la cassure. L’orchestre est également accompagné des guitares. Le morceau suivant est Kuki (茎 Stem) que l’on connait déjà du troisième album de Sheena Ringo, Karuki Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花). Il était déjà très orchestré mais il est plus fourni sur cette version et traduit en anglais. Il faut une certaine période d’adaptation pour s’habituer à cette nouvelle orchestration et aux versions anglaises de certains morceaux, et beaucoup de morceaux semblent au premier abord plus efficaces dans leur version originale. Mais après plusieurs écoutes, cette impression évolue petit à petit et on apprécie cette ambiance différente. Hatsukoi Shōjo (ハツコイ娼女) est peut être le morceau que je préfère avec cette voix de Sheena Ringo qui s’évapore et semble flotter au dessus de la ville. Je ne connaissais pas ce morceau, tout comme le suivant sur l’album, Papaiya Mangō (パパイヤマンゴー) qui est une reprise mais que, par contre, je n’aime pas beaucoup. Sheena Ringo s’essaie à quelques phrases en français, ce qui est assez amusant à l’écoute, mais je persiste à penser qu’elle n’excelle pas dans les reprises. Dans la discographie de Sheena Ringo, le double album composé uniquement de reprises Utaite Myouri (唄ひ手冥利) me laisse insensible à part quelques exceptions de qualité comme Momen no Handkerchief (木綿のハンカチーフ). Mais au final, Heisei Fūzoku est un album que j’écoute souvent. J’aime y revenir pour son approche différente.

Changeons un peu de sujet pour terminer ce billet. Des blogs Japon que je suivais dès début 2003, il n’en reste pratiquement aucun. Soit leurs auteurs ont arrêté d’écrire ou de montrer leurs photographies, soit ils sont passés sur les plateformes des réseaux sociaux, soit ils ne sont plus au Japon. Malgré quelques interruptions, je continue à suivre assez régulièrement le site web de Karl Dubost et un de ses derniers billets sur une mise en parallèle entre les sollicitations de la rue et celle de réseaux sociaux m’interpèle. Les sollicitations trop grandes des réseaux sociaux, notamment Instagram, sans y trouver une forme d’épanouissement, m’en éloignent. J’en parlais dans un billet précédent.

à la tombée de la nuit

Je ne prends pas souvent de photographies à la tombée de la nuit, mais l’occasion s’est présentée un dimanche soir pour une promenade improvisée entre Shibuya et Shinjuku, en empruntant la ligne de métro Fukutoshin entre les deux quartiers. Pour rejoindre Shibuya, j’emprunte une rue parallèle à l’avenue Meiji, une rue que je connais très bien mais que je n’ai pas emprunté depuis plusieurs mois. Je scrute les façades des buildings dans l’espoir d’y percevoir un changement. Tokyo étant en éternelle destruction et reconstruction, il n’est pas rare de découvrir des nouveaux visages dans le paysage urbain lorsqu’on n’a pas emprunté une rue depuis quelques temps. Et c’est d’autant mieux si ce nouveau visage possède des lignes architecturales remarquables.

Mais en cette fin de journée de dimanche à la tombé de la nuit, mon regard photographique se tourne plutôt vers un sanctuaire, celui de Konnō Hachiman-gū 金王八幡宮. Je ne l’avais jamais remarqué auparavant mais ce sanctuaire fut autrefois le château de Shibuya (château est un bien grand mot cependant) et une des pierres de l’édifice reste visible dans le sanctuaire qui le remplace maintenant. Le site internet du sanctuaire nous apprend qu’ici est né le quartier de Shibuya, reprenant le nom du clan Shibuya. Par le hasard des recherches internet, je trouve un blog en anglais « Japan This! » d’un certain Marky Star qui tente d’expliquer avec une dose d’humour le sens et l’origine de certains quartiers de Tokyo, notamment celui de Shibuya. Sur la photographie ci-dessus du sanctuaire Konnō Hachiman-gū, j’aime beaucoup les couleurs des dernières lumières du jour qui se reflètent sur le toit humide, après la pluie. Tokyo est très photogénique après la pluie, quand l’eau de pluie accentue les marques et l’âge des murs de béton. Me reviennent en tête quelques photographies prises pendant la saison des pluies en 2009 pour ma série Made in Tokyo Series.

Les lumières de la ville se reflètent également au grand carrefour routier de Shibuya. La voie suspendue de l’autoroute intra-muros surplombant la route 246 est aussi très photogénique d’une certaine façon, par ses dimensions imposantes qui découpent le tissu urbain. Tout autour, on construit. La gare de Shibuya continue sa mutation lente et progressive, sans affecter les nombreuses lignes de train et de métro qui traversent la station. C’est déjà en soi une prouesse. Des nouvelles tours vont voir le jour d’ici 2020 avant les Jeux Olympiques de Tokyo, et vont répondre à la tour Hikarie située de l’autre côté de l’avenue Meiji. Depuis un restaurant au 8ème étage de la tour Hikarie (le restaurant d47食堂 que je recommande chaudement), on peut apprécier une vue d’ensemble des travaux de la gare à travers les grandes baies vitrées.

Depuis les sous-sols de la tour Hikarie, on rejoint la ligne de métro Fukutoshin, une des plus récentes de Tokyo. Etonnament, c’est peut être la première fois que je l’emprunte, bien que j’y sois venu plusieurs fois pour prendre en photo l’oeuvre architecturale de Tadao Ando pour cette station. Lorsque j’arrive à Shinjuku Sanchōme, la nuit est déjà tombée. En remontant à la surface au niveau de l’avenue Meiji, j’aperçois trois punks iroquois colorés. Ils ont l’air plus étonné de mon regard, que moi de les voir ici à Shinjuku. Il y a apparemment une salle de concert en sous-sol dans le coin. Ma marche me fait passer devant l’immeuble IDC Otsuka, qui prend des couleurs vertes un peu extra-terrestres. Un peu plus loin près de la station de Shinjuku, on ne manquera pas un passage devant le Yasuyo Building de Nobumichi Akashi. Pour ceux et celles qui me suivent depuis longtemps, j’ai utilisé cet immeuble en image d’en-tête de Made in Tokyo pendant de nombreuses années. J’aime ses formes très accentuées et agressives. Mais sous les lumières de la nuit, ses formes s’adoucissent et l’immeuble revêt même une couleur dorée du plus bel effet. Et si ce petit immeuble noir au centre de Shinjuku serait le joyau du quartier révélant toute sa splendeur une fois la nuit venue?

Tout en continuant ma marche dans Shinjuku, j’ai en tête la musique de Sheena Ringo 椎名林檎. Pendant mon petit périple dans les rues sombres jusqu’aux panneaux ultra lumineux de Kabukichō, j’écoute Shōso Strip 勝訴ストリップ et Kalk Samen Kuri no Hana 加爾基 精液 栗ノ花. Je reviendrais certainement avec Eddie un soir de février pour prendre des photos vers Kabukichō (Golden Gai probablement). Près de sortie Sud de la station de Shinjuku, la rue pratiquement piétonne où l’on peut voir un magasin remplie de lanternes en façade (Beams) cache également plusieurs disquaires que je viens explorer régulièrement ces derniers temps.

Le double album Microcastle / Weird Era Cont. de Deerhunter n’est pas une nouveauté, mais je ne le découvre en entier que maintenant, après l’avoir trouvé en CD dans un Disk Union de Shinjuku. La couverture de l’album est à la fois étrange, inquiétante et superbe. Peut être s’agit il du visage du leader du groupe Bradford Cox, affublé d’une tête de mort à la place d’un oeil. Microcastle, accompagné du disque bonus Weird Era Cont., est le troisième album de Deerhunter, sorti en 2008. On y découvre une musique indie rock faite de guitares sur des paroles très souvent désespérées et d’une grande sensibilité. C’est également le cas pour les autres projets et groupes de Bradford Cox, comme Atlas Sound. Les voix y sont souvent frêles et répétitives et on ressent une certaine douleur qui demande à être expulsée par des flots de guitares terminant assez régulièrement les morceaux. On est proche de morceaux instrumentaux dans certains cas. Le très beau morceau « Nothing ever happened » en est un bon exemple.

終わらせないで

Le gymnase olympique de Yoyogi 国立代々木競技場 par Kenzo Tange est très certainement une des oeuvres architecturales les plus élégantes de Tokyo. Alors que nous remontons à pieds une rue longeant la voie ferrée depuis le centre de Shibuya jusqu’à la gare de Harajuku, on peut voir la pointe de l’édifice. Une foule éparse s’alignait devant le mur de l’enceinte du gymnase, comme des oiseaux sur un muret. Le gymnase sera normalement utilisé pour les Jeux Olympiques de 2020 après ceux de l’été 1964 pour lesquelles il a été conçu, comme un faire-valoir du savoir-faire architectural japonais. Il a d’ailleurs été remis à neuf et repris ses couleurs ces dernières années. Outre les événements sportifs, il est également utilisé pour divers spectacles. Ce jour là, la foule se réunissait pour celui d’une idole japonaise dont je ne retiendrais pas le nom.

Le mur suivant est celui de la façade du Musée National des Beaux-Arts de l’Occident 国立西洋美術館 par Le Corbusier, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis juillet 2016, tout comme 16 autres œuvres architecturales de Le Corbusier. Bien que je sois passé maintes fois devant, en traversant le parc de Ueno, je ne suis jamais entré à l’intérieur du bâtiment. Ce jour là également, nous passons devant ce musée depuis la gare de Ueno pour rejoindre le Musée national de la nature et des sciences, juste à côté, pour y voir l’exposition consacrée à Lascaux. J’ai déjà pris ce bâtiment de Le Corbusier en photographie plusieurs fois, mais c’est peut être cette photographie ci-dessus que je préfère, avec ces deux parties bien distinctes. La composition de cette photo se rapproche de celle au dessus du gymnase de Tange, avec une même ligne horizontale murale.

Il y a une certaine mode en ce moment du retour au disque vinyle (et même, mais en plus anecdotique, un retour à la cassette audio). En ce qui me concerne, le vinyle n’étant pas vraiment de ma génération, je me retourne plutôt vers le Compact Disc depuis quelques temps. En fait, je me suis rendu compte que le prix des morceaux dé-matérialisés étaient vraiment excessifs. Des morceaux à 250 Yens ou un album à 2,100 Yens sur iTunes, alors qu’on peut trouver un CD, d’occasion certes, pour 400 ou 600 Yens. Bien sûr, on ne trouvera que difficilement un album récent dans un magasin de disques d’occasion, auquel cas, je me retourne vers le dé-matérialisé d’iTunes, mais avec une pointe d’hésitation.



The King of Limbs by Radiohead

Mais surtout, et c’est peut être générationnel, j’aime avoir et voir ce qui accompagne le CD, le livret avec photos et/ou dessins, le design du disque, le format des textes, qui à mon avis font pleinement partie de la musique que l’on écoute. Avant de découvrir un artiste que je ne connais pas, la couverture de l’album revêt une importance certaine à mes yeux, car elle donne déjà une idée assez précise de la direction artistique, de la sensibilité de l’album et de la musique qu’il contient. Les deux, musique et présentation de la musique, ne sont pas décorrélées. On perd tout cet aspect sur la musique dé-matérialisée, en plus du fait de ne rien posséder du tout au final. Bien sûr, j’écoute cette musique sur un iPod qui est bien dé-matérilisé sans beaucoup utiliser le CD d’origine d’où vient cette musique, qui reste dans sa boîte la plupart du temps. Mais le fait de connaître le contenu du livret tout en écoutant la musique, influence en quelque sorte mon écoute. Le meilleur exemple est très certainement Radiohead, par la qualité de la mise en page (parfois un peu foutraque volontairement) et de ses illustrations (par exemple sur The King of Limbs) que l’on peu apprécier comme une oeuvre d’art sur papier. Autre exemple sur les albums de Sheena Ringo ou Tokyo Jihen, que j’écoute beaucoup en ce moment vous l’aurez compris, et que j’achète exclusivement en CDs. Sur les livrets et couvertures des disques, je remarque des symétries volontaires dans les titres des morceaux de l’album. Par exemple sur Sports スポーツ de Tokyo Jihen dont je parlais dans le billet précédent, le premier morceau est titré 生きる (Living) et le dernier par symétrie se nomme 極まる (Dying). Ces deux morceaux entrent en correspondance par leurs titrages. La longueur des 13 morceaux sur Sports est également symétrique par rapport au morceau central de l’album. Ce souci volontaire de composition est très visible sur papier sur le disque CD mais passe malheureusement inaperçu sur une track-list iTunes. Pour la petite histoire, J’ai une certaine sensibilité pour le symétrique: Les kanji du prénom de Mari sont symétriques et nous avons choisis les kanji du prénom de Zoa (空亜) notamment pour la symétrie qui les compose.



スポーツ by 東京事変

Le dé-matérialisé ne peut remplir ce vide visuel. Dans le même principe d’idée pour ce blog, j’apporte autant d’importance aux contenus (les photos, les textes, les illustrations) qu’au contenant (le design du site, l’agencement des photos et des textes) car cela fait partie entière d’un tout pour le visiteur. C’est également une des raisons pour lesquelles je n’apprécie que moyennement les contenants standardisés et pré-formatés que sont Flickr, Instagram et encore moins Facebook. J’ai du mal à apprécier mettre un contenu dans un contenant que je n’apprécie pas et sur lequel je n’ai aucun prise.

Pour revenir au Compact Disc, ce que j’apprécie également beaucoup, c’est la quête, la recherche du CD qui me manque, à un bon prix dans un magasin d’occasion. Que ça soit au Disk Union de Shimo Kitazawa, Shinjuku, Shibuya, Ikebukuro ou Kichijoji, ou Dorama de Shimo Kitazawa, on ne trouve pas toujours facilement ce que l’on cherche. Puisqu’on est au Japon, les CDs d’occasion sont dans l’ensemble bien entretenus et notés par qualité. Un niveau A est proche d’un disque neuf et au pire, je remplace une boîte plastique rayée par une neuve. J’ai très rarement été déçu et ça reste beaucoup plus abordable que les 3,500 Yens pour un album neuf au Tower Records. En contre partie, les CDs achetés maintenant n’ont strictement aucune valeur à la revente (par rapport au disque vinyle je pense) et les CDs accumulés finissent par prendre de la place. Mais il s’agit avant tout d’une collection que j’aime revoir régulièrement.

En continuant ma découverte méthodique des albums de Sheena Ringo 椎名林檎 (ça me rappelle l’époque où je faisais la découverte méthodique morceau par morceau d’Autechre, dans un autre genre), je trouve Sanmon Gossip 三文ゴシップ dans une boutique perdue dans une rue à l’écart du centre à Kichijoji. Cette boutique au nom improbable s’appelle Coconuts Disk. La pochette rose pâle de Sanmon Gossip où l’on voit la chanteuse recorquevillée nue est superbe. Le contenu du livret et le disque suive le même style minimaliste. Sanmon Gossip, sorti en 2009, marque le retour de Sheena Ringo à sa carrière solo avec un véritable nouvel album. On sent très clairement l’influence de son groupe Tokyo Jihen sur cet album, résolument moins alternatif rock, avec des accents jazz et une orchestration d’envergure sur certains morceaux comme sur le très beau Shun 旬 (Season). J’aurais très certainement été perturbé par cet album il y a de cela quelques années, mais je l’aime beaucoup maintenant, peut être même autant que les premiers albums. Le style est certes très différent et touche à différents genres, le premier morceau Ryūkō 流行 (Vogue) contient des passages hip hop par un certain Mummy-D. Mais Sheena Ringo garde en musique son monde si particulier et reconnaissable, et il a beaucoup de très bon morceaux sur cet album.

A peu près en même temps, je continue également ma collection des albums de Tokyo Jihen 東京事変 avec Dai Hakken 大発見 (Great Discovery), le cinquième album du groupe, sorti en 2011. J’ai trouvé ce disque au Disk Union de Ochanomizu, en rentrant du bureau un vendredi soir. Une curiosité sur la pochette du disque est que tous les titres en kanji, hiragana ou katakana sont exactement de la même longueur. Comme sur la symétrie que je mentionnais auparavant, ça fait partie de l’esprit joueur du groupe. Je ne pourrais pas dire si c’est toujours le cas avec Tokyo Jihen, mais Sheena Ringo a la réputation d’apporter une grande attention dans le choix des kanji utilisés pour les mots des paroles de ses morceaux, en utilisant parfois des anciens kanji peu utilisés actuellement. Que ça soit la musique, les textes ou le visuel des vidéos, le style joue avec les époques. Après quelques écoutes, Dai Hakken n’est pas l’album que je préfère. Il y a de très bons morceaux, que je connaissais déjà d’ailleurs, comme Atarashii Bunmei Kaika 新しい文明開化 (Brand New Civilization), un morceau plein de folie contagieuse, ou le beaucoup plus rock et fidèle au style originel du groupe Sora ga Natte Iru 空が鳴っている (Reverberation). Sur ce deuxième morceau, on peut difficilement faire plus « cool » dans le style détaché. J’ai un peu de mal par contre avec le morceau intitulé 21 Seiki uchū no ko 21世紀宇宙の子 (The child of the 21st century universe) qui me parait complètement à côté de l’esprit du groupe. On dirait une commande en fait et c’est assez dommage car ce morceau gâche un peu l’ensemble de l’album. Comme les styles assez différents se mélangent sur la plupart des disques de Tokyo Jihen et de Sheena Ringo, le risque qu’un morceau s’inscrive moins bien dans l’ensemble est latent. En même temps, c’est cette diversité bien maitrisée qui fait toute la beauté et l’intérêt de cette musique parfois étrange. 終わらせないで (do not end it), dirais je en dernier mot.

黄色い月と浮雲

J’écris ces lignes tout en observant par intervalles l’image ci-dessus en format carte postale. C’est une reproduction d’une peinture grand format par Hirotoshi Sakaguchi de sa série « Field of Pascal », qu’on l’on a pu voir Samedi dernier dans une galerie d’art de Ginza, la Gallery 58. L’espace de la galerie est très restreint. Il y a une seule pièce où Hirotoshi Sakaguchi exposait environ une douzaine de ses oeuvres, uniquement des peintures de cette série. Mari connait bien Sakaguchi san car il était son professeur de peinture à l’huile à Geidai, les Beaux Arts de Tokyo. Il y est encore professeur mais c’est sa dernière année avant la retraite, qu’il marque par une exposition dans l’école des Beaux Arts mais aussi dans cette petite galerie de Ginza où il a déjà exposé quelques fois. L’homme est sympathique et répond à toutes nos questions, celles de Zoa avec le sourire, alors que nous explorons des yeux les paysages mystérieux de ses peintures. La peinture ci-dessus nous montre un bord de mer enneigé au dessus duquel une lune jaune 黄色い月 transperce les nuages à la dérive 浮雲. Ce mouvement immobilisé est très beau sur une autre oeuvre sur le mur à côté, une cascade où le flot de l’eau se mélange avec le vert de la forêt dense et le vert des mousses sur les rochers. Tout ce qui est montré est très abstrait et on laisse dériver son imagination sur ces paysages de neige, de cascade et de lunes jaunes transperçantes.

Les journées de Samedi sont en général très programmées, pour ne pas dire chronométrées, en fonction des activités du petit. Entre le cours de danse le matin, et les activités extra-scolaires l’après midi à Kitazawa, le temps que nous avions disponible à la galerie de Ginza était assez limité. Nous passons quand même quelques minutes dans l’arrière-salle de la galerie pour une tasse de thé. C’est une pièce très étroite avec table basse et mini sofa. Cette pièce parait d’autant plus étroite qu’elle est chargée d’objets et de livres. Sur la droite du sofa, les rangées d’étagères sont pleines de livres d’art. Si on avait eu plus de temps, j’aurais bien feuilleté quelques uns des livres au hasard. A notre gauche, des étranges sculptures à tête de chien nous regardent en attendant leur heure, l’exposition d’un autre artiste dans cette galerie à partir de la semaine prochaine. Chaque espace des murs de l’arrière-salle est utilisé pour montrer des peintures, dessins ou croquis de divers artistes et de divers styles. Mes yeux sont attirés par une représentation de personnages à l’identique avec un seul oeil recouvrant tout l’espace du visage, dans une rame de train. Au fil de la discussion, je trouve un petit moment pour montrer timidement quelques dessins de ma création, mes formes organiques et futuristes, et il me dit aimer la dynamique des formes. Je soupçonne une réaction polie mais je prends quand même le compliment comme une forme d’encouragement. Mais le temps passe vite et il nous faut déjà partir vers Kitazawa pour les activités de Zoa. Le professeur Sakaguchi fera sa prochaine exposition prochainement à Fukuoka, d’où il est originaire. Aujourd’hui Samedi est en fait le dernier jour de son exposition à la Gallery 58.

Dans les rues encombrées de Ginza, traversées au pas de course pour rejoindre la galerie 58, j’ai peu de temps pour m’attarder à prendre des photographies. Je profite de quelques arrêts aux feux rouges pour une ou deux photographies, mais la marche reprend de suite. Dans le mouvement rapide, la photographie que je viens de prendre se mélange déjà avec la prochaine. Les images se mélangent et se superposent les unes sur les autres.

Comme je le mentionnais dans les commentaires d’un billet précédent, j’ai fait une pause d’Instagram depuis déjà quelques temps. Cet outil, certes plaisant au début, commençait à me prendre trop de temps. En repensant à mes photographies superposées ci-dessus, je me dis qu’on gagnerait beaucoup de temps si toutes les photos du flux Instagram étaient superposées les unes sur les autres en une seule et unique photo. C’est une exagération mais une réalité en quelque sorte, considérant la rapidité avec laquelle on fait défiler son flux de photos sur Instagram sans vraiment y faire attention. Les images finissent par se mélanger avant de disparaitre dans l’oubli en l’espace de quelques millisecondes.

Alors que je me remets à écouter la musique de Sheena Ringo 椎名林檎, elle me ramène par extension vers celle du groupe Tokyo Jihen 東京事変, le groupe formé par Sheena Ringo, à la fin de la première phase de sa carrière solo. Je connaissais déjà le premier album de Tokyo Jihen, Kyōiku 教育 (éducation) pour l’avoir beaucoup écouté au moment de sa sortie en 2004. Cet album est dans la lignée directe de la musique rock, avec inspirations expérimentales souvent, des trois premiers albums de Sheena Ringo.

Le style de Tokyo Jihen se démarque de celui initial de Sheena Ringo sur deux autres albums que j’écoute actuellement assidûment, Variety 娯楽 (バラエティ) sorti en 2007 et Sports スポーツ sorti en 2010. Le style devient plus pop rock mais ne perd pas en originalité, il se diversifie tout en gardant en point d’ancrage la voix si spéciale et changeante de Sheena Ringo. J’aime la façon dont elle change de registre dans sa voix, jusqu’à l’extrême parfois. Les membres du groupe sont également, d’album en album, beaucoup plus impliqué dans l’écriture des morceaux, notamment Ryosuke Nagaoka, dit Ukigumo 浮雲, le « nuage à dérive » en surnom donné par Sheena Ringo au guitariste, peut être pour ses cheveux trop longs qui flottent. Certains morceaux de ces deux albums sont passionnants à écouter dans leur construction chaotique et le flot musical comme OSCA sur Variety et Noudouteki Sanpunkan 能動的三分間 (morceau de 3 minutes pile comme le dit le titre) sur Sports, dans un style certes assez différent des morceaux du premier album Kyōiku, comme Gunjou Biyori 群青日和. J’aime ce mélange de styles et de ce fait, on est loin de s’ennuyer en écoutant ces albums. Je les écoute en boucle infinie ces derniers temps, en attendant d’écouter les autres (je risque donc d’en reparler prochainement).

銀座線 終電何時?

On tourne en rond en voiture dans Ginza, concentré sur les voies, les lignes et les signes. Il fait déjà nuit. Je finis par trouver un espace libre où s’arrêter. Je me sacrifie pour rester dans la voiture à attendre. Depuis quelques semaines, je laisse une petite enceinte wifi portable dans la porte de la voiture. Je m’en sers pour connecter l’Ipod en bluetooth. Je profite dans ces moments, seul dans la voiture, pour écouter ma musique (celle que je ne partage pas sauf sur ces quelques lignes), tout en regardant ce qui se passe dans la rue. Depuis cette émission Kōhaku du réveillon du premier de l’an et l’apparition en images et musique de Sheena Ringo 椎名林檎 devant la mairie de Tokyo à Shinjuku, je me remets à écouter les anciens albums notamment le premier Muzai Moratorium 無罪モラトリアム, qui a accompagné avec Shōso Strip 勝訴ストリップ (deuxième album) les premières années de ma vie à Tokyo. Muzai Moratorium est d’ailleurs sorti le mois de mon arrivée à Tokyo, en février 1999. La musique de Sheena Ringo est peut être plus adaptée à l’ambiance de Shinjuku, mais j’essaie quand même d’observer la rue avec cette bande sonore. Les passants sont couverts et ne trainent pas dans les rues. Il faut dire qu’il a neigé très brièvement sur Tokyo en ce début d’après midi, un flot de neige dans le vent pendant quelques minutes seulement. En levant les yeux vers l’immeuble de deux étages coincé sous l’autoroute intra-Tokyo, on aperçoit des restaurants à la suite à l’étage, un restaurant japonais aux lumières tamisées et où la chaleur s’échappe des plats vers le plafond. Ginza est le royaume des restaurants et bars. Dans un autre immeuble devant moi, les neuf étages accumulent les enseignes lumineuses de trente-trois établissements représentés les uns au dessus des autres. Ils font peut être le plein ce soir, en tout cas les rues se vident déjà, pour le dernier train de la ligne Ginza. 銀座線 終電何時?

Je parlais de l’album Reimport: Ports and Harbours Bureau 逆輸入 ~港湾局~ dans un des derniers billets, pour la découverte du morceau Seishun no Mabataki 青春の瞬き (Le Moment). L’étrangeté de la photo de couverture de cet album, en photo ci-dessus, m’intrigue. C’est une étrange association que de voir Sheena Ringo en kimono épais au milieu de containers qu’on imaginerait empilés quelques part dans les docks à proximité de Tokyo. Je me lance donc dans l’écoute plus approfondie de cet album, qui n’en est pas vraiment un, dans le sens où il s’agit plutôt d’une collection de morceaux plus ou moins anciens écris initialement par Sheena Ringo pour d’autres chanteurs, chanteuses (actrices parfois) et groupes. Il sont « re-couverts » par Sheena Ringo (c’est le sens du titre « Reimport » de l’album). Elle se ré-approprie donc des morceaux qu’elle a écrit pour Chiaki Kuriyama, Ryoko Hirosue, Rie Tomosaka ou pour des groupes comme Tokio et Puffy. Cette collection de 11 morceaux sortie en 2014 à l’occasion du 15ème anniversaire du début de sa carrière est un ensemble hétéroclite. Il y’a du rock assez sombre ponctué d’électronique et des morceaux beaucoup plus légers et pétillants dans les sonorités et le ton de sa voix. En repensant à la photographie de couverture de l’album, elle représente en fait assez bien le contraste interne de l’album, vu que les morceaux étaient initialement écris pour des profils et styles musicaux différents. Je n’en suis pas étonné, mais j’aime particulièrement la manière dont Sheena Ringo peut s’approprier différents styles avec aisance, en passant par le jazz dernièrement, tout en conservant cette originalité, cette structuration particulière des morceaux et cette tonalité dans la voix si reconnaissable. J’étais jusqu’à maintenant assez hermétique à cette partie de son répertoire qui s’éloignait du rock alternatif, en pensant qu’elle avait cédé aux sirènes marketing, mais je change d’avis sur le sujet et mes oreilles s’ouvrent un peu plus après l’écoute de cet album, et me donne envie de creuser un plus plus les disques que j’ai manqué, ainsi que ceux de son groupe Tokyo Incidents 東京事変. J’en parlerais peut être un peu plus dans un prochain épisode.