Les méduses qui prennent le large au dessus de Tokyo proviennent en fait de l’aquarium Churaumi de Okinawa. J’avais déjà procédé à ce genre d’apparitions médusées il y a plus de dix ans. Ces méduses en aquarium sont extrêmement dynamiques et je n’ai pas résisté à l’envie de prendre leurs chorégraphies sur une multitude de photographies. Je leur redonne ici un semblant de liberté en les amenant voguer dans le ciel de Tokyo.
Je continue mon écoute méthodique de la musique de Jun Togawa avec l’album Kyokutou Ian Shouka 極東慰安唱歌 (que je vois traduit en anglais en « Far Eastern Comfort Song ») sorti l’année d’après Tamahime Sama, en Mars 1985. Ce deuxième album ne se perçoit pas comme le choc musical que j’ai pu ressentir sur Tamahime Sama, mais il est tout aussi passionnant et fascinant, mais d’une autre manière. Il y a toujours un côté eighties dans la musique, notamment par les vagues de synthétiseurs du premier morceau Gankyu Kitan 眼球綺譚, qui me rappellent d’ailleurs vaguement un morceau de The Cure, sans savoir lequel. Il faut accepter ce côté un peu passé sur certains morceaux, mais je trouve les sonorités eighties beaucoup moins présentes que sur Tamahime Sama. Cet album prend en fait des aspects beaucoup plus folk sur des morceaux comme le deuxième intitulé Umi Yakara 海ヤカラ inspiré des musiques d’Okinawa, sauf que l’on sent un décalage qui s’installe dans le chant, ou encore le quatrième morceau Mudai 無題 aux sonorités d’Amérique latine. Le chant de Togawa m’impressionne toujours autant. On a l’impression qu’elle chante un peu faux avec une voix perçante sur certains morceaux mais elle est aussi capable de très beaux effets de voix sur d’autres morceaux, comme le sublime cinquième morceau Kachiku Kaikyo 家畜海峡 à la musique et aux chœurs de voix masculines inquiétants. Comme sur Tamahime Sama, même inégaux, les morceaux ont une force d’abstraction énorme, par exemple la réplique d’une chanson d’école primaire sur le troisième morceau Toyama Shogakko Koka ~ Akagumi no Uta 戸山小学校校歌〜赤組のうた est assez géniale dans l’exécution. Il s’agit là peut être d’une chanson qu’elle chantait étant petite dans son école primaire près de Shinjuku dont elle est originaire. Les morceaux qui se suivent vers la fin de l’album Aru Hareta Hi ある晴れた日 et Kyokutou Ian Shouka 極東慰安唱歌 ressemblent à des comptines enfantines, mais la force de Togawa est qu’elle parvient à y apporter une tension vocale qui rend ces morceaux chargés d’émotion. Je me demande un peu ce que peut penser un auditeur néophyte qui tombe sur cette musique par hasard. J’ai le sentiment d’être en mesure d’aimer cette musique maintenant après des années d’imprégnation de cette culture, mais je doute que j’aurais été en mesure d’apprécier ce disque il y a plus de quinze ans. Les deux chansons courtes enfantines marquent une coupure avec le morceau qui va suivre. J’aime vraiment beaucoup cet avant dernier morceau Teshigawara Mika no Hansei 勅使河原美加の半生, qui est à mon avis un des meilleurs morceaux de l’album. J’associe ce morceau très instrumental à une image liée à l’album où l’on voit Jun Togawa accompagnée des membres de son groupe Togawa Unit dans les hautes herbes folles et séchées par le soleil. Je ne sais pas où se passe cette scène mais je l’imagine en bord de mer à Okinawa. Nous sommes allés à Okinawa il y a pas très longtemps (j’y reviendrais en photographies dans un prochain billet), et j’y ai également vu ce genre de paysages. J’associe maintenant dans ma tête la musique de ce morceau et cette image d’Okinawa, au film Sonatine de Takeshi Kitano. La densité dramatique des violons associés à la lenteur des percussions sont d’une immense mélancolie qui me rappelle le désespoir silencieux des yakusas sur la plage d’Okinawa dans le film Sonatine. Le disque aurait pu s’arrêter sur ce morceau mais repart sur le dernier morceau de l’album Yume Miru Yakusoku 夢見る約束 vers des rythmes plus pop et électroniques avec des arrangements de Haruomi Hosono, du Yellow Magic Orchestra, qui avait d’ailleurs déjà participé à certains morceaux de Tamahime Sama. Il s’agit encore là d’un très bel album, unique, qui me donne le sentiment, comme pour le précédent, de mettre au défi mes goûts musicaux. C’est très satisfaisant de sortir de sa zone de confort musicale.