une série comme les autres (2)

Après avoir visité le quartier de Tsukuda que j’évoquais dans un billet précédent, je continue à marcher en direction de Ginza. Je voulais d’abord revoir l’oeuf de Toyo Ito, nommé Egg of Winds, posé quelque part entre les immeubles de Tsukishima. J’étais déjà passé le voir il y a quinze ans et je voulais vérifier qu’il était toujours là. Marcher vers Ginza me fait d’abord passer par Tsukiji, mais je n’ai pas fait de détour vers l’ancien marché aux poissons. J’aurais pu appelé ce billet “de Toyo Ito à Toyo Ito”, car le bâtiment rosâtre pour la marque de bijoux Mikimoto est également une création architecturale de cet architecte. Sur la devanture du magasin, on reconnaît l’acteur et chanteur Suda Masaki (菅田将暉) même s’il se cache avec ses mains. On le voit souvent dans les dramas mais je connais moins sa musique à part le morceau Sayonara Elegy (さよならエレジー) qui est depuis un petit moment dans ma playlist lorsqu’on part loin en voiture. Je me pose parfois la question de savoir si je pourrais reconnaître des personnalités connues, des musiciens et artistes, au hasard des rues. Mari me dit régulièrement qu’elle a aperçu untel ou unetelle dans les rues de Tokyo, comme par exemple Takuya Kimura à Naka Meguro (il habite par là-bas). C’est plus rare pour moi, mais j’ai eu la surprise d’apercevoir Utaha (詩羽) de Wednesday Campanella marchant accompagnée dans les sous-sols pourtant très empruntés de la station de Shibuya. Même avec un masque, elle est facilement reconnaissable par sa coupe de cheveux. Je ne pouvais pas me tromper. J’étais sur le moment étonné qu’elle marche normalement à Shibuya sans essayer de trop se cacher, mais en même temps, elle n’est pas encore aussi connue que KOM_I.

Je l’ai déjà mentionné auparavant, la musique rock de Tricot est depuis plusieurs semaines ma baseline musicale, c’est à dire que j’écoute les albums et EPs de Tricot la plupart du temps, tout en alternant de temps en temps avec autre chose, comme le hip-hop mentionné dans le billet précédent. Je montre en photo ci-dessus ma collection de CDs du groupe. J’ai maintenant tous les albums et les principaux EPs mais il en reste quelques autres à trouver. Les CDs de Tricot sont moins faciles à trouver que ceux de Sheena Ringo ou de Tokyo Jihen, ce qui m’a amené à commander en ligne sur le site de Disk Union certains CDs pour aller ensuite les chercher au magasin de Shibuya. On peut se faire livrer chez soi, mais je préfère l’occasion qui m’est donnée d’aller faire un tour dans un magasin de disques. Tous les albums sont excellents et mélangent brillamment des morceaux très puissants en guitares et d’autres plus pop. Il y a toujours ce côté inattendu dans la voix d’Ikkyu et dans les guitares, qui fait que les morceaux sont à la fois accrocheurs et intéressants, je dirais même stimulants, à écouter. Les compositions musicales et vocales ont à chaque fois un petit quelque chose d’inhabituel, et c’est ce point particulier que j’aime tant dans la musique du groupe. C’est aussi intéressant de voir que Tricot ne baisse pas sa garde avec les années, car le dernier album Jōdeki (上出来) possède quelques morceaux où les guitares sont très présentes, comme par exemple le morceau Inai (いない). Ceci me fait dire que le groupe n’a pas d’intention nette de basculer dans de la pop plus mainstream. Il y a tout de même un certain nombre de morceaux aux accents volontairement pop, mais toujours avec une certaine dose d’imprévu. Le morceau Kayoko (カヨコ) sur Jōdeki en est un bon exemple. Ça doit être le morceau que je préfère du groupe, car on ressent une sorte d’immédiateté et de liberté qui me plaisent beaucoup. Musicalement, ce que fait Tricot est superbe et sophistiqué. On a le sentiment que c’est du rock sur lequel on doit se creuser les méninges, pour suivre les accords de la guitariste Kida qui partent dans différentes directions. C’est le côté math rock de Tricot. Mais en même temps, la voix et les paroles d’Ikkyu accompagnées des chœurs de Kida et Hiromi ont quelque chose de très spontané. L’esprit général ne diffère pas sur les trois albums que j’écoute plus récemment, à savoir 3 (le troisième album du groupe) puis 10 (le cinquième album sorti lors des dix années de carrière du groupe) et le dernier Jōdeki (avec en photo de couverture le chien d’Ikkyu répondant au nom de Wicket,). Parmi les six albums du groupe, j’aurais beaucoup de mal à dire lequel je préfère. Le son des premiers albums est certes plus brut et l’album A N D reste le plus agressif de tous. Les albums qui suivent dont les trois ci-dessus et Makkuro (真っ黒) que je mentionnais précédemment arrivent à mélanger brillamment des ambiances plus calmes, d’autres plus pop avec la complexité du son des guitares et des percussions. Tricot est devenu en peu de temps le groupe de rock japonais que je préfère juste derrière Tokyo Jihen. Le rapprochement est d’ailleurs intéressant, car la vidéo du morceau Itazura (悪戯) de l’album 10 de Tricot a été tournée au même endroit que la vidéo Hotoke Dake Toho (仏だけ徒歩, ou To Nirvana dans son titre anglais), dans un replica de pavillon de banlieue américaine se trouvant dans la ville de Futtsu à Chiba. Tokyo Jihen a en fait copié Tricot car le morceau Itazura est sorti avant Hotoke Dake Toho. Dans cette même vidéo, Ikkyu porte une petite couronne sur la tête qui me rappelle celle que portait Sheena Ringo à ses débuts sur la tournée Senkō Ecstasy (閃光エクスタシー), qui elle-même me rappelle Courtney Love en photo sur l’album Live Through This de Hole. Et quand on sait que Tokyo Jihen portait le modèle de lunettes de Kurt Cobain dans la vidéo de Hotoke Dake Toho, je ne peux m’empêcher de voir là une convergence d’influences. Ça me plaît forcément beaucoup de trouver des relations entre le rock alternatif américain que j’écoutais dans les années 90 et le rock japonais que j’écoute maintenant.

Lorsque je suis allé voir Tricot dans la salle de concert Toyosu Pit pour la finale de leur tournée Walking x Walking, le groupe annonçait que leur tournée européenne serait reportée et que, pour patienter, trois concerts seraient organisés dans des petites salles de Tokyo à des heures européennes pour une retransmission internet. J’ai regardé en direct le concert du dimanche 10 Avril qui passait à 4h du matin heure de Tokyo (ce qui doit faire 21h en France). Le principe était intéressant. Le public était très limité car le concert se passait dans une toute petite salle appelée Flowers Loft à Shimokitazawa. Chaque spectateur devenait streaming staff et avait pour mission de filmer le concert au smartphone en live sur Instagram. Les adresses Instagram des comptes de chaque spectateur étaient inscrites sur une page spécifique sur le site web de Tricot. On pouvait donc sélectionner le compte Instagram qu’on souhaitait suivre parmi ceux disponibles. On final, j’ai regardé ce concert depuis chez moi avec mon iPhone, mon iPad et mon iPod en simultané pour avoir différents points de vue. Les membres du groupe se filmaient également par moment, notamment Ikkyu sur le final. Cette manière de faire non-professionnelle était très intéressante et l’accès était donc gratuit. Cette mini-tournée de trois concerts s’appelle STOPxSTEP tour 2022 et chacun des concerts a un concept différent. Le premier épisode s’appelait Himitsu. Chaque membre du groupe était habillé en noir, comme à la période de l’album Makkuro et le public devait resté silencieux. Le concert que j’ai regardé en streaming s’intitulait Bakurestu (爆裂), ce qu’on peut traduire par Explosion. Le concert se concentrait donc sur les morceaux rock les plus riches en guitares, comme Tokyo Vampire Hotel sur l’album 3, Noradrenaline sur A N D, Inai sur Jōdeki, Itazura sur 10 ou encore Pool sur le premier album THE. Pendant un des moments où Ikkyu s’adressait au public, elle faisait d’ailleurs remarquer que ce concert aurait dû plutôt s’appeler Pool, car la vidéo de ce morceau montrait justement des personnes filmant le groupe au smartphone comme lors du concert. Comme le concert était principalement destiné au public étranger hors Japon, Ikkyu et Kida ont parlé un peu en anglais mais le niveau d’Ikkyu est plus que moyen (Montifour Kida avait l’air de mieux maîtriser). Le morceau Dogs and Ducks sur le dernier album Jōdeki est d’ailleurs une référence à son pénible apprentissage de l’anglais car elle avait apparemment du mal à faire la distinction entre les mots Dogs et Ducks. Le concert Bakurestu comportait en tout 18 morceaux (incluant 3 en rappel) pour un total de plus d’une heure sur scène. La playlist était très variée reprenant des morceaux de tous les albums. Le son retransmi à travers les smartphones était d’assez bonne qualité, ce qui m’a d’abord surpris, mais les spectateurs étaient vraiment au plus près de la scène. Sinon. Le concert était impeccable et il n’y avait rien à redire. Ikkyu fourmille d’idées originales, ce qui fait aussi que ce groupe est intéressant à suivre. Tricot et Ikkyu sont aussi très présents sur YouTube, pour des vidéos parfois humoristiques comme cette interview en partie fausse d’Ikkyu où elle nous énonce des phrases comme 自分は自分であって自分ではない (je suis moi-même sans être moi-même) en parlant d’elle-même. Je ne sais pas vraiment comment traduire correctement cette phrase à vrai dire, mais elle nous dit qu’elle se répète cette phrase deux cents fois tous les matins et soirs, et qu’après une période de folie, cette phrase finit par prendre sens. Bref, tout ceci est plein de non-sens mais sa manière convaincante d’évoquer cela est très amusant. D’autres vidéos nous font part de ces voyages au Japon, comme par exemple à Aomori sous la neige. L’accompagner dans des paysages enneigés a quelque chose de très plaisant et apaisant. Pour revenir au concert Bakuretsu, j’ai saisi plusieurs copies d’écrans ci-dessus. Les esprits éveillés auront tout de suite remarqué le t-shirt du batteur Yosuke Yoshida, tirée de l’album Washing Machine de Sonic Youth. Et ceci le ramène sur les liens entre le rock américain des années 90 et le rock japonais actuel. J’ai également évoqué que la partie expérimentale bruitiste du morceau Himitsu de l’album Makkuro me rappelait Sonic Youth. Ce genre de liens me satisfait forcément beaucoup.

Pour référence ultérieure, ci-dessous est la liste des morceaux interprétés par Tricot pendant ce concert STOPxSTEP tour 2002 Day 2 Bakuretsu:

1. Bakuretsu Panie San (爆裂パニエさん) du EP Bakuretsu Tricot San (爆裂トリコさん)
2. Tokyo Vampire Hotel de l’album 3
3. Super Summer (スーパーサマー) de l’album Jōdeki (上出来)
4. Noradrenaline de l’album A N D
5. 18, 19 de l’album 3
6. E de l’album A N D
7. Itsumo (いつも) de l’album Jōdeki (上出来)
8. End roll (エンドロールに間に合うように), nouveau single
9. Inai (いない) de l’album Jōdeki (上出来)
10. Tobe (飛べ) de l’album THE
11. Itazura (悪戯) de l’album 10
12. Afureru (あふれる) de l’album Makkuro (真っ黒)
13. Setsuyakuka (節約家) du EP KABUKU
14. Niwa (庭) de l’album A N D
15. 99.974℃ de l’album THE
16. Pool Side de l’album THE
17. Pool de l’album THE
18. Matsuri du EP School Children and the Cosmos (小学生と宇宙)

岡タコ黒18年Flash&Play

Made in Tokyo a maintenant 18 ans. Sa date d’anniversaire est le 22 Mai même si le site web a démarré quelques années auparavant en 1998, un peu avant que je mette les pieds au Japon. J’oublie en général cette date d’anniversaire mais c’est peut-être le fait que ce blog ait atteint la majorité qui me fait m’en souvenir. Je n’ai pas l’intention de faire de bilan de ces 18 années écoulées car je ne serais pas par où commencer et je le fais en fait déjà petit à petit sur ma page « À propos« . Il faudrait d’ailleurs que je mette cette page à jour car je n’y aie pas touché depuis deux ans. Je n’ai pas non plus changé la mise en page générale du blog depuis très longtemps, 4 ans en fait. J’ai fait plusieurs tentatives non concluantes et j’ai bien peur de ne jamais trouver de thème WordPress qui me convienne. J’ai également perdu un peu la main sur les modifications des fichiers CSS, ce qui rend tout changement de fond un peu plus compliqué. En fait, je ne fais pas de bilan car j’aime plutôt, au fur et à mesure, faire des liens vers des billets passés. Je me dis que le fait de parler sans cesse de billets précédents doit être un peu agaçant pour le visiteur, mais je le fais aussi pour maintenir en vie la totalité de ce blog, qui ressemble de manière imagée à un réseau de neurones. Faire un lien sur un ancien billet depuis un billet récent vient en quelque sorte irriguer les parties les plus profondes du blog et les faire sortir de l’oubli. J’ai toujours imaginé ce blog comme un complément mémoire. Il n’est pas indispensable mais bien pratique pour se souvenir de certaines choses et certains endroits où nous sommes allés dans le passé. Il n’est pas rare que je fasse une recherche sur ce blog pour me souvenir d’événements passés que j’avais parfois complètement oublié. Ce blog est également pour moi une occasion d’écrire en français, et c’est peut être bien avant tout la raison pour laquelle je ressens le besoin de continuer.

Je n’ai pas encore parlé du Blu-ray du concert News Flash de Tokyo Jihen que j’ai acheté à sa sortie au Tower Records de Shibuya. Je ne vais pas m’étendre sur le contenu car je l’avais déjà évoqué en longueur au moment de la diffusion en streaming l’année dernière. C’était évidemment un plaisir renouvelé de revoir ce concert avec la qualité du Blu-ray en plus. La principale différence vient de la qualité sonore qui est excellente sur le Blu-ray par rapport à la version streaming que je connaissais. Voir ce concert avait enclenché mon envie de voir tous les concerts de Tokyo Jihen les uns après les autres et de les commenter ici. Il est difficile et pas forcément nécessaire de faire un classement mais Ultra C et Dynamite Out restent mes préférés. Ce dernier News Flash est tout de même à mon avis dans le peloton de tête, même s’il n’y avait pas de public dans la salle. Des morceaux comme OSCA fonctionnent mieux quand il y a une foule qui réagit. Je ne me souvenais plus que ce morceau, qui demande beaucoup l’énergie, se trouvait vers la fin du concert. Je me souvenais pas contre très bien que la performance était impeccable. Au milieu du concert, Superstar est le plus beau morceau qu’ils interprètent et il m’a même donné les larmes aux yeux tout seul devant mon écran. Allez savoir pourquoi. Senkō Shōjo est le morceau le plus épuisant du concert pour Kameda, ce qui est assez amusant car c’est lui-même qui en a écrit la musique. Ce concert me rappelle aussi que Hata Toshiki est fantastique à la batterie. Je me le dis à chaque fois, mais cette impression est plus présente lors de ce concert. Son jeu est extrêmement sophistiqué et j’aime beaucoup le voir souffrir avec le sourire quand Sheena le regarde. Le seul bémol à mentionner est la vue supplémentaire donnée pour certains morceaux sous le format Academic view. Il s’agit d’une vue fixe comme si on était au milieu de la salle. Je trouve l’image de qualité moyenne et cette vue ne remplace en rien les caméras rapprochées de la version filmée originale. J’aurais préféré qu’ils ajoutent des images backstage ou des préparatifs, comme le groupe l’a souvent fait sur des DVDs précédents plutôt que cette vue académique très dispensable. On peut également regretter que la couverture du DVD/Blu-ray soit aussi ressemblante à celle du EP News de 2020. Le détail amusant tout de même est l’heure mentionné sur la photo de couverture. Il est 20:20 sur le EP News, et le DVD/Blu-ray démarre une minute après à 20:21, ce qui correspond bien entendu aux années de sortie. Il n’empêche que le concert est excellent et me pousse à relire mes commentaires passés en le revoyant maintenant.

De tous les DVDs et Blu-ray officiels des concerts de Tokyo Jihen, Chin Play Kō Play (珍プレー好プレー) est le seul qu’il me restait à mentionner ici. Je l’ai dans ma collection depuis de nombreux mois mais je voulais le voir en dernier car il s’agit d’une compilation de concerts. Chin Play Kō Play est sorti le 29 Août 2012, en même temps que la compilation de B-side Shin’ya Waku (深夜枠). C’était l’année de la dissolution du groupe. Chin Play Kō Play est une compilation live tentant de réunir les meilleurs moments des concerts de Tokyo Jihen, de la formation en phase 1 en 2004 jusqu’au dernier concert de la tournée Bon Voyage le 29 Février 2012. Elle compile 3 ou 4 morceaux par concerts et inclut également des versions écourtées de morceaux joués lors de festivals comme le Rising Sun Rock Festival à Ezo (Hokkaido), le Fuji Rock Festival à Naeba, les concerts Countdown avant le passage à la nouvelle année dans l’immense hall de Makuhari à Chiba, ou encore le festival EMI Rocks au Saitama Super Arena. C’est une idée étrange que de donner seulement des extraits des morceaux joués dans les festivals, mais je remarque que les morceaux sont pratiquement joués en entier au fur et à mesure qu’on avance dans la playlist du DVD. Je connaissais quelques morceaux pour les avoir déjà entendu sur YouTube ou sur une autre plateforme vidéo, comme ceux interprétés sur le deuxième volume des concerts Society of the Citizens, invitant plusieurs autres groupes. La plupart des morceaux en festivals étaient tout de même nouveaux pour moi, et c’est très intéressant de voir le groupe évoluer dans un environnement un peu différent des concerts qui leur sont uniquement dédiés. Il y a pas de différence vraiment notable dans la qualité des interprétations mais je n’ai pas vraiment noté de morceau qui était meilleur en festivals par rapport à leur version en concert. J’aime quand même beaucoup l’interprétation du morceau Gaman lors de Countdown Japan 09/10 le 30 Décembre 2009.

La partie principale de Chin Play Kō Play se concentre sur les 7 tournées officielles de Tokyo Jihen dont 6 sont sortis en DVD/Blu-ray. Il s’agit des tournées Dynamite en 2005, Domestic! Just Can’t Help It! en 2006, Spa & Treatment en 2007, Ultra C en 2010, Discovery en 2011 et Bon Voyage en 2012. J’en ai déjà parlé assez longuement dans des billets séparés. La nouveauté, si on peut dire, sur Chin Play Kō Play, c’est qu’il comprend également un ancien concert jamais édité en DVD, Domestic! Virgin Line, qui s’est déroulé en Février 2006, quelques mois seulement avant la tournée suivante Just Can’t Help It! Il y avait seulement deux dates pour cette tournée, le 19 Février à Tokyo au Nippon Bundokan et le 21 Février au Osaka-jō Hall. Une partie du concert au Nippon Budokan était diffusé sur Fuji TV. Un des objectifs du concert était de présenter Ukigumo et Izawa Ichiyō, qui venaient remplacer respectivement Hirama Mikio et H Zett M. Sheena Ringo connaissait déjà Ukigumo de longue date et Ie nom d’Izawa avait été proposé par H Zett M pour son propre remplacement. C’était en quelque sorte un concert de chauffe venant tester l’accueil du public. Quatre morceaux de Domestic! Virgin Line sont inclus sur Chin Play Kō Play, à savoir Sōretsu, Kyogenshō, Bokoku Jōcho et Rakujitsu. Sōretsu est une reprise du morceau du 3ème album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花) de Sheena Ringo. Son interprétation est sombre et touchante. Le morceau se termine par un chœur de voix d’enfants, ceux du Suginami Junior Chorus (杉並児童合唱団). Le fait que le morceau soit très sombre est compensé par les oreilles de lapin portées par les enfants qui donnent une petite touche décalée. Kyogenshō est également un morceau repris de la carrière solo de Sheena, car il est présent sur Shōso Strip. Les interprétations de Bokoku Jōcho et Rakujitsu sont amusante pour la première et très belle pour la deuxième, mais n’arrivent pas à la hauteur de l’émotion qui se dégage de Sōretsu. Ce morceau n’est pas inédit, par rapport aux trois autres, car on le trouvait déjà dans cette émission de Fuji TV qui reprenait seulement une partie des morceaux du concert entier. Il vaut en tout cas le détour. C’est dommage d’ailleurs que ce concert n’existe pas en entier en DVD, car les morceaux qu’on peut entendre et voir dans cette émission de Fuji TV sont pour la plupart excellents. Je note notamment Kabuki car Ukigumo y fait son show en solo guitare comme s’il avait quelque chose à prouver pour ses débuts dans le groupe, la mise en scène sur Service, Keshō Naoshi car on y trouve des percussions supplémentaires accompagnant Hata Toshiki et les nombreuses variations de guitare, parfois subtiles, introduites sur les morceaux.

On peut trouver cette émission en entier quelque part sur internet mais la qualité visuelle et sonore de la version que j’ai vu était assez moyenne. Les morceaux de cette tournée présents sur Chin Play Kō Play sont de bien meilleure qualité. L’émission de Fuji TV est également entrecoupée d’interviews des membres du groupe évoquant leur entrée dans Tokyo Jihen, leurs impressions sur les autres membres du groupe. Je retiens ce petit passage qui m’a amusé où Ukigumo évoque la manière de chanter de Sheena:

あんな人いないですようね、他に。なんか、何でも出来るし、全部本気で出来てるみたいな、ね。。。ニャーニャー声からロッカーな声から、オペラみたいな声からエレベーターの女の人みたいな声出すし。。。

Il n’y a personne d’autre comme elle. Elle arrive à tout faire, toujours très sérieusement, du miaulement de chat à la voix de rocker, de la voix d’opéra à celle des hôtesses d’ascenseurs…

Il y a également des scènes montrant les répétitions, toujours très instructives pour comprendre comment le groupe fonctionne. Sheena semblait avoir une parole forte à cette période, certainement car le groupe démarrait sous cette nouvelle formation Phase 2. J’espère qu’on aura l’occasion un jour de voir cette émission dans un format de bonne qualité.

Pour revenir au DVD Chin Play Kō Play, il s’avère une bonne porte d’entrée vers le monde de Tokyo Jihen pour ceux qui n’auraient pas encore vu leurs concerts en vidéo. Je trouve la sélection très bonne, même s’il y a bien sûr de nombreux manques. On y trouve par exemple la superbe reprise de Misora Hibari, Kurumaya-san sur Dynamite Out, la beauté neigeuse de Yukiguni sur Just Can’t Help It!, le sourire de Sheena sur le morceau Himitsu du concert Discovery lorsque Ukigumo se trouve en haut d’escaliers illuminés en son honneur, la puissance viscérale des interprétations d’Ultra C ou encore le grandiose d’un morceau comme Atarashii bunmeikaika dans le Nippon Budokan sur la tournée Bon Voyage. Voir ces bouts de concerts sur Chin Play Kō Play me donne maintenant envie des les re-regarder en entier les uns après les autres. Mais il faudra d’abord que je regarde les quelques concerts solo de sheena Ringo qu’il me reste dans ma liste.

Pour référence, ci-dessous est la liste des morceaux présents sur la compilation live Chin Play Kō Play:

Dynamite! (9 Février 2005 – Nagoya Century Hall)
1. Ringo no Uta (りんごのうた) du 1er album Kyōiku (教育)
2. Kurumaya-san (車屋さん), reprise du morceau de Misora Hibari sorti en Avril 1961 sur le double single Hibari no Dodonpa/Kurumaya-san (ひばりのドドンパ/車屋さん), également présent sur le DVD Tokyo Incidents Vol. 1
3. Koi no Urikomi (恋の売り込み), reprise du morceau I’m Gonna Knock on Your Door de The Isley Brothers

Domestic! Virgin Line (19 Février 2006 – Nippon Budokan)
4. Sōretsu (葬列) du 3ème album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花) de Sheena Ringo
5. Kyogenshō (虚言症), de l’album Shōso Strip (勝訴ストリップ)
6. Bokoku Jōcho (母国情緒) du 1er album Kyōiku (教育)
7. Rakujitsu (落日), présent en B-side du single Shuraba (修羅場)

Domestic! Just Can’t Help It!(26 Mai 2006 – NHK Hall)
8. Yukiguni (雪国) du 2ème album Adult (大人)
9. Dynamite (ダイナマイト), reprise du morceau de Brenda Lee et présent en B-side sur le single Sōnan (遭難)
10. Kenka Jōtō (喧嘩上等) du 2ème album Adult (大人)

Spa & Treatment(21 Novembre 2007 – Zepp Tokyo)
11. Kingyo no Hako (金魚の箱), du 3ème album Variety (娯楽)
12. Shiseikatsu (私生活), du 3ème album Variety (娯楽)
13. Kuronekodō (黒猫道), du 3ème album Variety (娯楽)

Ultra C(12 Mai 2010 – Tokyo International Forum)
14. Denpa tsūshin (電波通信) du 4ème album Sports (スポーツ)
15. Ikiru (生きる) du 4ème album Sports (スポーツ)
16. Noriki (乗り気) du 4ème album Sports (スポーツ)

Discovery(7 Décembre 2011 – Tokyo International Forum)
17. Sora ga Natteiru (空が鳴っている) du 5ème album Daihakken (大発見)
18. Himitsu (秘密) du 2ème album Adult (大人/アダルト)
19. Konya ha Kara Sawagi (今夜はから騒ぎ) du mini-album Colors

Domestique Bon Voyage(29 Février 2012 – Nippon Budokan)
20. Atarashii bunmeikaika (新しい文明開化) du 5ème album Daihakken (大発見)
21. Nōdōteki Sanpunkan (能動的三分間) du 4ème album Sports (スポーツ)
22. Gunjō Biyori (群青日和) du 1er album Kyōiku (教育)

0724YAMABIKARI(24 Juillet 2004 – Kobe Live House Chicken George)
23. Sono Onna Fushidara ni Tsuki (その淑女ふしだらにつき), reprise du morceau The Lady Is a Tramp écrit et composé par Lorenz Hart et Richard Rodgers, présent en B-side du single Gunjō Biyori (群青日和)

FM802 Meet the World Beat 2004 (25 Juillet 2004/Osaka Expo ’70 Commemorative Park Momijigawa Lawn Plaza)
24. Omatsuri Sawagi (御祭騒ぎ) du 1er album Kyōiku (教育)

Fuji Rock Festival ’04(30 Juillet 2004 – Niigata Yuzawa Naeba Ski Resort)
25. Sōnan (遭難) du 1er album Kyōiku (教育)

Countdown Japan 06/07(30 Décembre 2006 – Makuhari Messe Event Hall)
26. Oiran (花魁) de l’album Heisei Fūzoku (平成風俗) de Sheena Ringo
27. Blackout (ブラックアウト) du 2ème album Adult (大人)

Rising Sun Rock Festival 2008 in Ezo(15 Août 2008 – Hokkaido Ishikari)
28. Senkō shōjo (閃光少女) du 4ème album Sports (スポーツ)

Society of the Citizens Vol. 2(24 Août 2008 – Tokyo Dome City Hall)
29. BB.QUEEN, présent en B-side du single Killer Tune (キラーチューン)
30. Mirrorball (ミラーボール), du 3ème album Variety (娯楽)

Countdown Japan 09/10 (30 Décembre 2009 – Makuhari Messe Event Hall)
31. Gaman (我慢), b-side du single Nōdōteki Sanpunkan (能動的三分間)
32. Ariamaru Tomi (ありあまる富), du 6ème album studio de Sheena Ringo Hi Izuru Tokoro (日出処)

EMI Rocks 2010(6 Novembre 2010 – Saitama Super Arena)
33. Tengoku he Yōkoso (天国へようこそ) du 5ème album Daihakken (大発見)
34. Tōmei Ningen (透明人間), du 2ème album Adult (大人)

EMI Rocks 2012(19 Février 2012 – Saitama Super Arena)
35. sa_i_ta, du mini-album Colors
36. Killer Tune (キラーチューン) du 3ème album Variety (娯楽/バラエティ)

幕の内サディスティック
37. Marunouchi Sadistic (丸ノ内サディスティック), collage du morceau repris de plusieurs concerts

Honganji & visual shock

Après avoir fait le tour du Dentsu Tsukiji Building de Kenzo Tange, je ne pouvais pas manquer de faire une visite rapide du grand temple Tsukiji Honganji situé tout près de la station de Tsukiji sur la ligne de métro Hibiya. Ce temple au style unique d’inspiration indienne fut conçu par l’architecte Itō Chūta en 1934. L’architecte a également imaginé la très particulière tour Gion Kaku dans l’enceinte du temple Daiun-in dans le quartier de Gion à Kyoto. Je me rends compte que ça fait 15 ans que je ne suis pas allé voir ce temple. La première et unique fois était en Mai 2006, sur le retour d’une promenade à moto avec Mari qui nous avait amené jusqu’à Toyosu encore en construction à l’époque. Je repense tout d’un coup à cette période avec beaucoup de nostalgie. Le temple Tsukiji Honganji n’a, en lui-même, pas changé mais son approche est bien différente. Un nouveau bâtiment moderne avec un café s’est installé sur la place sur l’aile gauche. En fait, je suis entré cette fois-ci à l’intérieur du temple, non seulement pour me remémorer l’ambiance des lieux, mais aussi pour vérifier si le petit autel dressé par des fans en l’honneur de Hide était toujours présent. Il y a 15 ans, j’avais été très étonné de voir cet autel consacré à Hideto Matsumoto, dit Hide, feu guitariste du groupe rock X JAPAN, mort le 2 Mai 1998 à l’âge de 33 ans. A cette époque, Je ne connaissais pas beaucoup X JAPAN et le statut culte du groupe, d’où mon étonnement de voir un groupe rock représenté dans un temple bouddhiste. En retournant au Tsukiji Honganji, je suis donc parti à la recherche de cet autel qui me semblait être dans un coin du hall principal. Ne le trouvant pas à l’emplacement de mes souvenirs, je descends d’un étage pour le trouver finalement sans trop de difficulté aux pieds du grand escalier orné de figures animalières. On y trouve toujours une multitude de photos, des carnets décorés, dessins et petites poupées à l’effigie de Hide.

Les funérailles du guitariste ont eu lieu dans ce temple et ont réuni une foule monstre de 50,000 personnes. On peut voir une vidéo d’extraits des news de l’époque couvrant l’événement, très intéressante pour la démesure de l’événement et le niveau d’adoration de nombreux fans. J’ai du mal à imaginer des scènes similaires se déroulant maintenant et je me dis que la musique de X JAPAN devait avoir une signification toute particulière pour toutes ces personnes réunies en pleurs. J’ai écouté plusieurs albums notamment leur plus connu, Blue Blood sorti en 1989, qui est d’ailleurs a l’origine du terme Visual Kei. Sans être fanatique du groupe, j’éprouve un certain intérêt pour leur musique car elle a marqué l’histoire du rock japonais et était à l’origine du mouvement Visual Kei, par lequel j’ai découvert le rock japonais. J’ai en fait beaucoup d’admiration pour Yoshiki, même si, à mon avis, il casse un peu son image dans certaines émissions télévisées ces derniers temps (je l’évoquerai un peu plus tard). J’avais acheté l’album Art of Life composé d’un long et unique morceau de 29 minutes, que j’aime beaucoup réécouter car c’est un moment de bravoure musicale. Yoshiki a écrit le morceau, y joue de la batterie avec un acharnement inégalé et continue avec délicatesse sur le piano avant de partir vers des notes expérimentales. Ce long morceau est poignant car on sait que Yoshiki ne fait pas de compromis et qu’il donne tout ce qu’il a en lui jusqu’à se blesser, ce qui arrive d’ailleurs très régulièrement. J’avais déjà parlé du film américain We Are X de Stephen Kijak sorti en 2016 revenant sur quelques étapes de la vie mouvementée du groupe. Je viens en fait de le voir car cette visite au temple Tsukiji Honganji m’a rappelé son existence. Entre autres complications et drames qui ont frappés X JAPAN, Yoshiki y évoque justement la mort de Hide, en parlant d’un accident plutôt que d’un suicide. Cet épisode reste flou, mais Hide reste un membre à part entière du groupe même après sa mort, même s’il est remplacé par Sugizo de LUNA SEA lors des apparitions du groupe sur scène. Il est enterré au cimetière de Miura Reien au fin fond de la péninsule de Miura dans la préfecture de Kanagawa, au delà du terminus de la ligne de train Keihin Kyūkō à Misakiguchi. C’est un endroit où j’ai souvent été (dans une autre vie), sans pour autant savoir que Hide était enterré là bas depuis peu. A en croire les photos que l’on peut voir de sa tombe, elle est tout autant décorée que l’autel qui lui est dédié au temple Tsukiji Honganji. Je connais seulement Hide par sa présence dans X JAPAN et je n’ai jamais écouté d’albums de sa carrière solo, mais cet attachement très fort de fans pour un artiste m’intrigue et m’impressionne beaucoup.

Les coïncidences, j’adore les coïncidences car elles conditionnent souvent les sujets de mes billets, font que l’émission Matsuko no Shiranai Sekai (マツコの知らない世界) parle justement de Visual Kei (ヴィジュアル系) dans un épisode diffusé peu de temps après ma visite du Tsukiji Honganji. Pour ceux qui ne suivent déjà plus au fond de la salle, j’avais dit dans un billet précédent que je reparlerais très certainement de cette émission que j’aime beaucoup pour son érudition humble. L’invitée de Matsuko Deluxe pour cette émission est une ancienne membre des forces de self-défense japonaise (元自衛官) reconvertie en spécialiste du mouvement Visual Kei sur lequel elle écrit. Chiaki Fujitani (藤谷千明) nous présente pendant l’emission sa découverte de ce genre musical au tout début des années 90 au moment de l’explosion de la bulle économique, ainsi que les différents styles qui composent le genre. Elle a elle-même le style vestimentaire gothique qui va bien avec le genre et a un ton légèrement pinçant qui la rend assez amusante à suivre. Elle plaisante par exemple sur le fait que Yoshiki de X JAPAN est maintenant devenu une personnalité de première classe (一流芸能人) en référence à sa participation (avec d’ailleurs Gakt, ex-membre d’un autre groupe visual kei appelé Malice Mizer) dans l’émission télévisée Geinōjin kakuzuke Check ! (芸能人格付けチェック!) animée par Hamada Masatoshi du duo comique Downtown. Elle nous parle également des concerts monstres de la fin des années 90, notamment ceux de Glay et de LUNA SEA. Elle a d’ailleurs fait sa découverte du mouvement avec LUNA SEA, comme c’était le cas pour moi d’ailleurs. Elle nous parle de quelques groupes clés outre X JAPAN ou LUNA SEA, comme Kuroyume, Dir En Grey, Malice Mizer ou encore Shazna qui ont, pour certains, développé un style androgyne et flamboyant qui ne passe pas inaperçu. Je me souviens qu’Izam du groupe Shazna passait tous les matins dans une émission télévisée que je regardais d’un air mélangeant incompréhension et fascination. Il se trouve que je connais Izam et que j’avais été voir une pièce de théâtre de la série Bio Hazard dans lequel il jouait, mais il a bien entendu beaucoup changé. Il y a un côté très théâtral dans les accoutrements et les attitudes du Visual Kei, qui me rappellent un peu le théâtre Takarazuka qui joue également sur l’aspect androgyne, car tous les personnages y sont exclusivement interprétés par des femmes. Le Visual Kei est à ma connaissance exclusivement masculin mais les vêtements que portent les membres de ces groupes, leurs chevelures et leur maquillage viennent brouiller les pistes. Cette distinction stylistique pleine d’un romantisme sombre disparaîtra au fur et à mesure au cours des années 90 pour une représentation sur scène plus sobre. Dans l’émission de Matsuko, Chiaki Fujitani semble proclamer que le retour du Visual Kei est proche, et je suis d’ailleurs surpris de voir que des groupes actuels se réclament du style, sous de nombreuses variantes ceci étant dit. Matsuko abonde d’ailleurs en ce sens dans l’emission suggérant au public télévisé qu’il devrait se maquiller et aller crier (化粧してシャウトしないとダメですよ、人間), à la manière de ces groupes de Visual Kei, comme un geste libérateur des tensions de l’existence. Sans forcément aller jusque là, j’aime personnellement quand les artistes musiciens sortent de l’ordinaire.

A gauche: le groupe LUNA SEA au complet à savoir Sugizo, J, Inoran, Shinya et Ryuichi au centre. A droite: Hide, guitariste et figure emblématique de X Japan.

Ce mouvement Visual Kei m’intéresse conceptuellement mais je n’ai pourtant pas d’accroche pour la plupart voire majorité des groupes qui le composent, à part LUNA SEA pour lequel j’éprouve une sorte d’adoration (j’exagère bien sûr). Je l’ai déjà évoqué avant et à plusieurs reprises mais ce groupe a été ma porte d’entrée vers le rock japonais alors que j’étais encore étudiant en France. J’avais découvert à l’époque quelques morceaux du groupe sur Internet et je les écoutais en mp3 sur Winamp. Le premier single que j’ai acheté à Nagasaki en 1998 était le morceau I For You sur l’album Shine sorti cette année là. J’ai ensuite découvert petit à petit leurs albums en commençant par Shine, puis par une compilation de singles sortie en 1997 qui a été une porte ouverte sur les albums plus anciens du groupe pendant leur période la plus prolifique au milieu des années 1990. L’album MOTHER de 1994 est leur chef d’oeuvre, notamment le morceau final éponyme sur lequel je reviens très souvent. Cette musique peut être très aggressive sous certains aspects mais également très mélodique. On y trouve des ambiances sombres et gothiques, mais également par rares moments des rythmes plus pop même s’ils sont noyés dans les guitares. Enfin, la musique de LUNA SEA baigne dans un romantisme sombre, exacerbé par la voix de Ryuichi Kawamura. Je me souviens que lorsque j’ai écouté LUNA SEA pour la première fois, j’avais été d’abord surpris par ce style de chant qui peut être rebutant à la première écoute. Mais, le chant de Ryuichi s’est avéré pour moi fascinant, sa gamme vocale et les émotions qui s’en dégage y étant pour beaucoup. Une chose est sûr, la musique du groupe tout comme leur attitude ne laissent pas indifférents. On adore ou on déteste. Au tout début de mes années à Tokyo, lorsque je disais autour de moi que j’aimais la musique du groupe, on me rétorquait souvent que l’attitude narcissique de Ryuichi le rendait antipathique. Dans le même ordre d’idée, on me regardait d’un air bizarre lorsque je disais que j’aimais la musique de Sheena Ringo, vu qu’elle était perçue comme une personne atypique, sortant de l’ordinaire à cette époque. L’image de LUNA SEA s’est adoucie avec les années mais l’image qu’ils projettent reste à mon avis similaire. La musique du groupe garde une place toute particulière dans ma discothèque personnelle et j’y reviens assez souvent. Depuis plusieurs jours et même semaines, je me suis mis à écouter exclusivement la musique de LUNA SEA en revenant sur leurs anciens albums, notamment MOTHER (1994) et l’album suivant STYLE (1996) que je n’avais pas écouté depuis longtemps et que je redécouvre sous un autre jour maintenant. Il y a bien sûr le superbe morceau IN SILENCE sur cet album mais je me rends compte en le réécoutant que la totalité des morceaux sont excellents, au delà même de mon souvenir, notamment les ballades. Les incursions de guitares ou même de violon de Sugizo sont mémorables et fondent le son du groupe, tout comme peut l’être la puissance de la voix de Ryuichi. L’album MOTHER reste le point d’entrée le plus évident vers l’univers du groupe. Si un morceau comme le single très rapide ROSIER ou le morceau teinté de romantisme gothique MOTHER ne provoquent aucune émotion ou intérêt, il faut mieux passer son chemin. Comme X JAPAN , je pense que LUNA SEA représente une pièce importante de l’édifice du rock japonais.

Dentsu Tsukiji Building par Kenzo Tange

J’étais très surpris d’apprendre la démolition prochaine de l’immeuble Dentsu à Tsukiji. Cet austère immeuble de béton de 13 étages dans le pur style brutaliste était l’ancien quartier général de l’agence de publicité Dentsu, avant son déménagement à Shiodome dans le très élancé building dessiné par Jean Nouvel. Le building historique de Tsukiji a été conçu par Kenzo Tange en 1967, une année après le Yamanashi Bunka Kaikan dont je parlais précédemment. Ces derniers temps, Dentsu vend ses bijoux de famille, dont cet immeuble historique. C’est certainement dû aux complications liés au report et à la réduction de voilure des Jeux Olympiques de Tokyo pour lesquels le géant publicitaire s’est particulièrement impliqué. Le building n’était apparemment pas occupé depuis 2014 et l’espace laissé après sa destruction sera utilisé pour un projet de redéveloppement par Sumitomo Realty & Development. La destruction du building a commencé le 18 Avril 2021 et se terminera à la mi-2022. La présence massive du building impressionne tout de suite. Il a même une apparence de machine monstrueuse dont le squelette est exposé sur les façades. La vue de côté donne l’impression d’une vue de coupe. Les poutres de béton qui dépassent de la surface au niveau de cette découpe donnent le sentiment que d’autres blocs pourraient s’ajouter et s’imbriquer dans le building existant dans le style de l’architecture d’évolution organique des Métabolistes. Le design initial du building était pourtant bien différent.

Le design initial du building s’inscrivait dans un plan urbain beaucoup plus large formulé par Kenzo Tange pour le quartier de Tsukiji sous le nom de “Redevelopment Plan of Tsukiji District Proposal” en 1964. Ce plan pour Tsukiji reprenait en plus compact les idées de ville avec blocs interconnectés qu’il avait développé pour son plan pour Tokyo de 1960 où l’on voyait la ville s’étendre comme un réseau informatique sur la baie de Tokyo. Le building Dentsu était destiné à être un des éléments de ce plan, occupant au total une portion des 3,300 m2 acquis par Dentsu dans le quartier de Tsukiji. Le building actuel sera pourtant le premier et le dernier bâtiment construit pour ce plan. Alors qu’il était prévu d’avoir une hauteur de 19 étages, des raisons de dépassement budgétaire ont vus sa taille se réduire aux 13 étages actuels. Comme on peut le voir sur les photographies des maquettes du projet initial, le design général du building était très différent de ce que l’on peut voir maintenant. Le design original se rapprochait beaucoup plus des principes du métabolisme avec des énormes colonnes »core » soutenant les étages, comme on pouvait le voir sur le Yamanashi Bunka Kaikan. Les colonnes contenaient les ascenseurs desservant les étages et connectaient le building avec le reste de la ville en sous-sol. Le président de Dentsu qui était favorable à ce projet décéda malheureusement pendant la période de conception du plan pour Tsukiji et les coupures budgétaires ont eu raison de cet ambitieux et utopique projet. Il ne resta donc que le building actuel, adoptant un design plus « raisonnable ». Le projet construit en entier aurait pu être grandiose mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait ressembler à un espace industriel qui déshumanise. Le building actuel dégage une grande force visuelle car il se démarque très nettement de tout ce qui existe aux alentours, mais imaginer un quartier entier dans le même style me fait peur. Conceptuellement, ça aurait quand même été grandiose.

se protéger des flots puis s’y perdre

Depuis que le marché s’est déplacé à Toyosu, on a l’impression que le reste du quartier de Tsukiji et ses restaurants de poissons survivent. J’ai déjà visité le marché plusieurs fois il y a presque vingt ans tôt le matin alors qu’il était en pleine activité, mais je n’avais jamais remarqué le sanctuaire Namiyoke (波除神社) qui se situe à proximité, caché à l’arrière. Le sanctuaire Namiyoke date de 1659 et fut construit sur une zone de terre gagnée sur la mer pendant la période Edo. Namiyoke signifie éliminer les vagues donc j’imagine que les pêcheurs devaient à cette époque venir se recueillir dans ce sanctuaire avant de partir en mer pour la pêche. A l’entrée du sanctuaire, on peut voir deux superbes têtes de lions, une de couleur noire pour le lion mâle et une tête rouge pour la femelle. Elles sont portées à l’extérieur du sanctuaire dans les rues de Tsukiji lors du matsuri appelé Tsukiji Shishi Matsuri (築地獅子祭り) qui se déroule tous les ans au mois de Juin.

J’ai tourné en rond autour de Quruli comme on tourne autour d’une piscine pour trouver le bon endroit pour plonger. J’ai d’abord écouté plusieurs morceaux au hasard sur YouTube pour savoir vers quel album j’allais plonger en premier. J’avais en fait déjà une petite idée de par où j’allais commencer et l’écoute de quelques morceaux seulement m’a assez vite convaincu d’aller acheter un ou deux albums au Disk Union de Shibuya. Comme les albums que je cherche ont plus de 20 ans, on les trouve pour la modique somme de 300 Yens. De l’album Team Rock de 2001, que je me procure en premier, je ne connaissais que le single Bara no Hana (ばらの花) que j’ai découvert en 2006 sans pour autant découvrir plus avant le reste de l’album (allez savoir pourquoi). Le morceau LV30 de ce même album m’a très vite convaincu. J’adore ce genre de morceau et c’est pour moi le morceau le plus intéressant de l’album. Il atteint une sorte de perfection (selon mes critères non clairement définis et hautement subjectifs). Et il y a pourtant beaucoup d’excellents morceaux, dès le premier au titre éponyme qui prend des accents expérimentaux en mélangeant des paroles au style rappé. Il y a beaucoup de morceaux extrêmement accrocheurs comme par exemple Wandervogel (ワンダーフォーゲル), qui est fluide comme le courant d’une rivière. On se laisse facilement emporter, sans broncher car c’est bien agréable de se laisser submerger par ces sons. Je voix que c’était un des singles de l’album et ça aurait difficilement pu être autrement. J’aime beaucoup la voix de Shigeru Kishida, mais la présence des percussions de Nobuyuki Mori m’impressionne aussi beaucoup. Sur le septième morceau Eien (永遠), la batterie est omniprésente et accapare toute l’attention. C’est un des morceaux que je préfère de l’album. Team Rock, comme son nom l’indique, reste résolument rock mais mélange les ambiances avec des morceaux plus pop aux accents électroniques et d’autres quasi instrumentaux et expérimentaux (C’mon C’mon) et d’autres beaucoup plus agressifs (Train Rock Festival). En fait, j’adhère beaucoup au style de la plupart des morceaux de l’album, mais il y a trois morceaux qui me laissent complètement indifférent: Karē no Uta (カレーの歌), Meiro Game (迷路ゲーム) et River (リバー). L’album ne forme pas vraiment un ensemble cohérent car il part sur plusieurs pistes, et de ce fait, il y a quelques directions qui me plaisent moins. Ceci étant dit, la qualité des morceaux est indéniable et l’envie d’en découvrir plus me démangeait déjà après avoir écouté Team Rock plusieurs fois.

J’ai donc continué un peu après avec Zukan (図鑑). Je me doutais fortement que Zukan était une valeur sûre car je l’avais déjà vu cité dans une ou plusieurs listes regroupant les meilleurs albums japonais de toutes les temps (ou des 20-30 dernières années). Il s’agit de leur deuxième album majeur, après Sayonara Strangers que je pense écouter un peu plus tard (notamment parce que Sheena Ringo le recommandait dans son émission de radio Etsuraku Patrol). Je trouve Zukan, sorti en 2000, meilleur que Team Rock, plus brut dans sa facture. En fait, non, il est différent plutôt que meilleur. L’adoption de sons électroniques sur Team Rock me rappelle une transition similaire constatée pour le groupe Supercar sur leur album Highvision (2002) par rapport à leur premier album Three Out Change (1998), aux sons beaucoup plus bruts. Zukan est excellent de bout en bout, sauf le morceau Homerun vers la fin que je n’aime pas beaucoup. Il y a un certain nombre de morceaux très puissants comme Māchi (マーチ), Aoi Sora (青い空) ou encore Machi (街). Kishida y pousse sa voix qui ne devient pourtant pas agressive. C’est ce qui m’avait d’abord surpris sur le troisième morceau de l’album Aoi Sora, car le morceau démarre très fort avec son riff de guitare lourd, mais l’intensité de la voix de Kishida ne dépasse pourtant pas le flot des guitares. En fait, toute la beauté du morceau vient de ce contraste. Zukan mélange les influences, comme sur Team Rock. Je n’aime pas beaucoup comparer avec les groupes américains, mais je vois des accents musicaux me rappelant Beck sur un morceau comme Millenium (ミレニアム) ou Nirvana et le grunge de Seattle sur Cyanosis (チアノーゼ). Je n’aime pas faire ce genre de comparaison car je vois régulièrement des critiques musicaux occidentaux qualifiés des groupes ou artistes japonais en fonction de leur ressemblance avec un autre groupe ou artiste occidental (par exemple, telle artiste est la Björk japonaise…), ce qui est une tentative d’ignorer les particularités et l’originalité d’un groupe ou artiste en les ramenant vers la vulgaire copie. Je dirais plutôt que Quruli prend en compte des influences multiples mais construit au final un son qui lui reste propre, notamment dans cette certaine retenue dans l’énergie qu’il dégage et ce mélange des genres rock jusqu’à l’expérimentation des sons. Le superbe morceau Mado (窓) est un autre bon exemple d’un mélange d’influence, sauf qu’il fait référence à un rock que je devine sans connaître. L’album excelle également dans les morceaux plus apaisés comme le dixième Byōbugaura (屏風浦). J’ai un peu plus de mal avec la fin de l’album (les trois derniers morceaux) et j’aurais préféré qu’il j’arrête sur Russia no Roulette (je fais un blocage sur les shalala-lala du morceau Homerun). Ça ne m’empêchera pas de continuer à découvrir leur musique un peu plus encore