Les lumières quand on les étirent font parfois ressembler les objets du décor urbain à des machines animées infernales. On les regarde de loin gesticuler sans arrêts et on ne peut que s’extasier devant ce spectacle formidable.
Côté musique, je reviens une nouvelle fois vers le rock à tendance noise et punk de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ), le groupe fondé par Kazunobu Mineta (峯田和伸), avec leur troisième album studio intitulé Hikari no naka ni tatteitene (光のなかに立っていてね) sorti en 2014. Je le cherchais en fait depuis un bon moment dans les magasins Disk Union de Shinjuku, Shibuya, Ochanomizu ou Shimo-Kitazawa. Je préfère trouver les albums de Ging Nang Boyz en version CD car les photographies ou illustrations sur leurs livrets sont toujours remarquables. Les photographies sur cet album sont une nouvelle fois de Kotori Kawashima (川島小鳥), qui collabore avec Kazunobu Mineta depuis plus de dix ans. Les photographies pour cet album montre l’actrice taïwanaise Yao Aining (ヤオ・アイニン), surnommée Pipi-chan (ピピちゃん), originaire de Kaohsiung. Elle a joué dans un film japonais intitulé Renai Kitanshu (恋愛奇譚集) sorti en 2017, qu’il faudrait que je vois si l’occasion se présente car le synopsis teinté de fantastique a l’air intéressant. Le son de cet album se trouve à mi-chemin entre le premier album You & I’s WW III Love Revolution (君と僕の第三次世界大戦的恋愛革命) et l’album suivant Ne- Minna Daisuki dayo (ねえみんな大好きだよ). Il n’est pas aussi punk que le premier mais reste plus agressif dans son approche que le deuxième. Le premier morceau 17 Sai (17才) est un des meilleurs morceaux de l’album et peut-être même du groupe. Il est particulièrement intéressant car on a le sentiment que Mineta accouche péniblement du morceau en allant chercher les paroles qu’il chante au plus profond de lui-même, et que les extraire lui sont à la fois pénible mais nécessaire et salvateur. Cela donne un morceau très prenant à l’écoute, plein d’une force que l’on ressent très clairement. J’ai lu que l’atmosphère lors de l’enregistrement était assez tendu entre les membres du groupe, voulant eux-mêmes poursuivre leurs propres directions, et que le guitariste Chin Nakamura et le bassiste Abiko ont finalement quitté le groupe après cet album. On ressent tout à fait cette tension dans les morceaux de l’album, sauf qu’elle semble tout de même canalisée pour ressortir dans la puissance du son et du chant, que Mineta maîtrise très bien au delà parfois des cris. J’aime beaucoup la force brute qui se dégage des albums de Ging Nang Boyz, qui n’hésite pas utiliser des sons abrasifs, qu’ils soient issus des guitares ou des synthétiseurs. On ne ressent pas de délicatesse particulière dans ses morceaux mais une émotion sans filtre et à fleur de peau. L’album reste plus abordable que You & I’s WW III Love Revolution et n’hésite pas à introduire des sonorités plutôt pop dans une atmosphère tout de même assez fortement marquée pour les sons punk. Alors bien sûr les sons pourront paraître agressifs et les mélanges de style un peu étonnants comme sur le deuxième morceau Konrinzai (金輪際) ou le troisième Ai shiteru-te yu-te yone (愛してるってゆってよね) ajoutant des sons électroniques, mais le bruit des guitares également présentes est tellement beau. Le quatrième morceau I DON’T WANNA DIE FOREVER est peut-être celui qui va le plus loin dans le grand écart entre ces différents sons et esprits, car les sons électroniques pourraient être empruntés à un groupe d’idoles, mais ça fonctionne étonnamment bien. La constante du groupe est de produire un son d’une jeunesse adolescente particulièrement rafraîchissante, et le chant de Mineta et de son groupe y sont pour beaucoup. Il y a quelque chose du défouloir dans cette musique, quelque chose de pas très raisonnable et résonné, d’excessif et d’exacerbé, qui fait beaucoup de bien, et ce même dans les morceaux plus posés comme le long Hikari (光) qui est un des points marquants de l’album.
Je fais le plus souvent la découverte de nouveaux groupes ou artistes par recommandations YouTube ou sur Instagram, mais il m’arrive de temps en temps de me laisser guider par les avis ou partages laissés par des personnes non directement liées au milieu musical. Je découvre par exemple le groupe américain Turnstile originaire de Baltimore à travers quelques photos d’un concert montrés par le designer Masamichi Katayama sur son compte Instagram. Il se trouve qu’on a quelques goûts en commun et qu’en plus de son métier d’architecte et designer, il consacre régulièrement des billets Instagram à la musique qu’il apprécie et va voir en concert, Tricot par exemple dans le passé mais c’est également un proche d’Ichiro Yamaguchi de Sakanaction. Le nom de groupe Turnstile m’était en fait déjà familier car il sont passés récemment au festival Fuji Rock mais je n’avais jusque là écouter aucun de leurs morceaux. Je découvre donc le rock condensé de Turnstile avec leur troisième album GLOW ON sorti en Août 2021, et c’est une sorte de claque. Le groupe se compose de Brendan Yates au chant, de Pat McCrory à la guitare électrique, Daniel Fang à la batterie et aux percussions, Franz Lyons à la basse, percussions et au chant. Le style est assez difficile à définir car les guitares lourdes et les rythmes de batterie nous ramènent vers le grunge de Nirvana et autres groupes de rock alternatif des années 90, mais l’approche vocale à quelque chose de plus mélodique. On pourra penser à des groupes comme Green Day que je ne connais pourtant pas beaucoup, mais le rock de Turnstile est à mon avis plus imaginatif. Les guitares sur le morceau clé de l’album BLACKOUT sont par exemple beaucoup plus proche du métal, et ce qui est assez étrange, c’est que des rythmes un peu plus latins, de samba notamment sur le morceau DON’T PLAY, viennent s’incruster dans le flot musical en toute fluidité. Il s’agit d’une fusion de nombreux genres avoisinants souvent le punk rock dans la condensation des morceaux ne dépassant en général pas les trois minutes. L’album se compose de 15 morceaux mais ne dépasse pourtant pas les 35 minutes. Le son est dans l’ensemble très puissant et la voix de Yates souvent aux bords du cri est omniprésente. C’est assez difficile de ne pas avoir envie de bouger ou de chanter lorsqu’on écoute cet album, mais il faut éviter les mouvements amples pour ne pas tout casser dans l’appartement. Lors du concert au Zepp DiverCity auquel assistait Masashi Katayama, le public pouvait monter sur scène lors du dernier morceau ce qui rare au Japon, tout ça pour dire l’énergie communicative du groupe.