ディスラプティブ・ナンセンス

Je nage dans l’espace urbain à la recherche d’un point de chute. Je me concentre sur l’asphalte pour garder les pieds sur terre.


En « photographie », j’aime par dessus tout modifier la réalité pour apporter ma propre vision de l’espace. Je me dis parfois que je ne devrais faire de ce blog qu’une accumulation d’images créées de toute pièce comme les trois ci-dessus, plutôt que de prendre des photographies conventionnelles de lieux que l’on peut voir ailleurs, certes sous d’autres angles et sensibilités. Ça aurait certainement de la gueule d’avoir des pages ne montrant que ce type d’images modifiées voire déstructurées. Mais, ça peut également devenir fatigant, donc des petites doses sont peut-être préférables. Le processus de création de ces images tient souvent du hasard provoqué, fait de nombreux essais et d’erreurs, de retouches souvent minutieuses, jusqu’à ce que j’obtienne une image qui m’intéresse. Je n’ai pas vraiment l’habitude d’expliquer mes images ou d’indiquer ce que je cherchais à montrer, parce que cela tient pour moi de la sensation plus qu’autre chose. Comment expliquer l’intérêt que je vois dans la première image montrant une personne prenant en photo un objet flou et nuageux, ou cette autoroute surélevée faisant soudainement des courbes sur la deuxième image, ou ce halo de lumière éclairant des jeunes gens sous un nuage noir menaçant. Cela doit tenir à l’envie de montrer un monde parallèle plein de non-sens, une distorsion de la réalité, mais également esthétiquement parlant l’envie de “détruire” une photographie conventionnelle pour créer une nouvelle image, un nouvel espace. C’est une approche disruptive en quelque sorte.

Après les premières écoutes, je me suis posé la question de ce qui m’attirait dans cet album Thumb Sucker de PEDRO, le projet solo d’AYUNi D アユニ・D du groupe BiSH. Sa voix aiguë et perçante peut être difficile à supporter. Mais pourtant, cette voix accompagnée de la force des guitares parvient à se faufiler dans les méandres du cerveau jusqu’à provoquer une sorte d’addiction. J’ai pour sûr été attiré par cet album car j’aimais bien le contraste qu’apportait la voix d’AYUNi D sur le dernier album de BiSH dont je parlais récemment. J’ai aussi été attiré par cet album car Hisako Tabuchi 田渕ひさ子, des mythiques Number Girl, est la guitariste du groupe. Je me réjouissais à l’idée de réécouter son jeu de guitare. Les morceaux ne sont pas tous du même niveau mais se suivent avec beaucoup de constance et un dynamisme à toute épreuve. J’ai acheté cet album sur iTunes le jour de sa sortie car il était proposé exceptionnellement à 300¥. L’agence Wack a souvent des méthodes particulières de distribution de la musique qu’elle produit. Cet album de 13 morceaux était par exemple vendu le premier jour au Tower Records au format de 13 CDs d’un seul titre vendus séparément pour 100¥. Bien sûr, ce n’est pas très intéressant d’avoir 13 boites en plastique à stocker chez soi, mais on peut tout de même apprécier les méthodes disruptives employées par l’agence. Un autre exemple des méthodes inhabituelles de Wack, certains morceaux du prochain album du reboot du groupe BiS étaient également sortis en avance en téléchargement gratuit sur DropBox pour quelques jours seulement. En fait, je me rends compte que l’approche disruptive s’applique également aux morceaux du groupe, et c’est certainement, inconsciemment, ce qui m’intéresse beaucoup dans cette musique. On peut avoir un bon aperçu de l’album en écoutant le premier morceau sur YouTube, Nekoze Kyouseichū 猫背矯正. Il y a dans la vidéo un petit détail qui me plaît beaucoup (à 1:08 minutes), un mini poster de l’album Dirty de Sonic Youth accroché sur un mur dans ce qui semble être la chambre de Ayuni. On l’aperçoit à peine, mais il veut dire beaucoup de choses.

light in darkness

Jouons encore un peu avec les ombres et les lumières sur l’architecture tokyoïte, en y ajoutant quelques touches de couleur rouge comme pour y introduire une petite dose de mystère et d’angoisse. Juste un peu. Juste une touche légère. Comme c’est très souvent le cas, ces manipulations photographiques sont conçues sous influence musicale. Il n’y a pas forcément de liens très directs ou évidents entre la musique que j’écoute en ce moment et ces images en noir et blanc colorées de rouge, mais il y a pourtant une certaine idée de noirceur et de lumière soudaine.

En images ci-dessus, deux albums de Necronomidol: DEATHLESS (2017), VOIDHYMN (2018) et le EP Scions of the blasted heath (Juin 2019), ainsi qu’une image extraite de la vidéo sur YouTube du morceau ITHAQUA sur l’album DEATHLESS.

A priori, je ne pensais pas que j’allais aimer la musique de NECRONOMIDOL, mais c’est pourtant ce qui m’arrive en ce moment en écoutant l’album DEATHLESS sorti il y a deux ans et le EP Scions of blasted heath qui est lui sorti le 13 Juin 2019. Je connaissais le nom de ce groupe depuis quelques temps sans avoir écouté leur musique. Ce nom est d’ailleurs une référence directe à l’ouvrage fictif Necronomicon imaginé par HP Lovecraft, ce qui donne tout de suite une idée assez précise de l’ambiance musicale du groupe. NECRONOMIDOL y emprunte l’ambiance sombre flirtant avec l’horreur et le fantastique, dans les paroles comme dans la tonalité musicale générale. Mais comme il s’agit d’un groupe d’idoles comme le nom l’indique aussi, on devine également que des rayons de lumières J-POP viendront éclaircir ce tableau aux allures à priori oppressantes. Je n’ai pas d’attirance particulière pour ces univers effrayants (je fuis même les films d’horreur), et je n’ai pas non plus d’intérêts particuliers pour le monde musical des idoles. On peut donc se demander ce qui m’a amené à écouter cette musique alors qu’au même moment Autechre sort Warp Tapes 89-93 c’est à dire deux heures de musique électronique gratuite et que Thom Yorke sort un nouvel album Anima qui a l’air génial rien qu’en regardant la pochette?

Image extraite de la vidéo sur YouTube de SKULLS IN THE STARS sur l’album DEATHLESS. La vidéo est construite comme un jeu vidéo rétro en 2D avec boss de fin de niveau et possibilité de permuter les personnages en court de partie. Le premier niveau se passe à Aokigahara, la tristement célèbre forêt des suicidés. L’action se poursuit pour le deuxième niveau à Kholat Syakhl, surnommée la montagne de la mort, dans les monts Oural en Russie. Le troisième et dernier niveau se déroule à Tokyo-IV. Comme Tokyo-3 est la ville forteresse située à Hakone dans le manga Neon Genesis Evangelion, j’imagine que Tokyo IV est la version de la ville après une nouvelle destruction et reconstruction imaginaire.

Il s’agit peut être de l’attrait de la nouveauté et l’envie d’écouter un univers musical sur lequel je suis néophyte. Il faut dire aussi que NECRONOMIDOL entre dans la catégorie des Anti-Idols, ce qui me laisse penser qu’on doit y trouver une certaine déviance des chemins tout tracés de la J-POP. Malgré le qualificatif de Anti-Idol, le groupe n’en est pas moins monté de toute pièce avec renouvellement des membres du groupe de manière régulière. La musique est créée par des compositeurs et l’implication de chaque membre dans le processus créatif est très limité. Bref, tout ce qui fait les caractéristiques des groupes d’idoles s’applique également à NECRONOMIDOL. Le nom du groupe et l’imagerie très noire et occulte me rebutaient un peu à priori. Mais le hasard de la lecture d’un article de Patrick Saint Michel (un des critiques que je respecte le plus en terme d’appréciation musicale de la scène underground ou non mainstream japonais – si ce n’est le seul d’ailleurs) m’amène à écouter par curiosité le EP mentionné plus haut Scions of the blasted heath, et je suis très agréablement surpris par ce que j’entends. Un autre article du même auteur NECRONOMIDOL and New Directions in Japanese Metal sur le site de Bandcamp, sur lequel tous les albums et EPS sont disponibles, vient me convaincre un peu plus en interviewant une des figures du groupe Risaki Kakizaki. Elle a ses quelques mots sur la musique du groupe: “Some groups doing idol and ‘loud music,’ the voices mesh too well with the music. I feel with NECRONOMIDOL, we actually have more of an unbalance—a good unbalance—between the vocals and the actual instrumentation. And that’s something we want to push forward, a feeling of uncertainty”. Mes goûts musicaux sont pratiquement toujours fondé sur ce sentiment difficile à décrire de ‘déséquilibre’. Le chant des cinq filles du groupe posé sur du black métal donne un contraste très intéressant, d’autant plus qu’on n’est pas du tout ici dans le registre kawaii, bien heureusement. Je ne suis pas spécialiste en metal, à part écouter de temps en temps X JAPAN dans un style plus Visual Kei, mais j’ai l’impression que ce style de musique black métal reste inchangé depuis des décennies. Le style des morceaux évolue aussi vers du dark wave, style électronique sombre plutôt orienté années 80. L’instrumentation est parfaitement construite et agencée. Elles chantent toutes les cinq et la qualité peut être variable, mais dans l’ensemble, ça se tient très bien. Mais c’est surtout le contraste du chant avec la tension musicale qui rend ces morceaux interessants et même addictifs.

Image extraite de la vidéo sur YouTube de Psychopomp sur l’album VOIDHYMN. Les images sont tournées dans la forêt de Aokigahara au pied du Mont Fuji dans la préfecture de Yamanashi.

En fait, je me suis laissé très vite convaincre en écoutant le morceau Salem sur le EP Scions of blasted heath, avec ces voix très mélodiques et sombres posées sur un magma de guitares. L’ambiance y est fantastique. Il y a un ou deux morceaux beaucoup plus classiques de ce qu’on peut entendre d’un groupe d’idoles mais il faut garder en tête qu’elles chantent en général des atrocités dans les paroles. Les paroles vont d’ailleurs de paire avec l’imagerie inquiétante qui accompagne chaque album, dans un style d’horreur grotesque. J’ai l’impression de donner à chaque fois des précautions d’usage dans les recommandations musicales ces derniers temps et je ferais de même avec NECRONOMIDOL. Comme il peut y avoir des films de genre, il s’agit là d’une musique de genre, et tout l’intérêt vient dans les contrastes. Après quelques écoutes, cette musique devient irrésistible et absorbante, comme s’il y avait là un léger goût d’interdit, au point que je me mets assez vite à découvrir les autres albums du groupe, comme VOIDHYMN sorti en 2018. Dans l’ensemble, la qualité des morceaux peut être inégale mais il y a beaucoup de morceaux tout simplement grandioses. Pour en citer quelques uns comme points d’entrée: End of Days, Skulls in the Stars, Hexennacht et Ithaqua sur l’album Deathless, Salem et The festival sur le EP Scions of the blasted heath, Innsmouth, Psychopomp et une autre version avec plus de guitares de Skulls in the Stars sur VOIDHYMN. La pochette de ce dernier album est d’ailleurs signée par Suehiro Maruo, un des maîtres du manga d’horreur japonais. Et cette ambiance picturale correspond bien avec celle de nombreux morceaux, comme des contes macabres.

もうその話聞いた

Depuis quelques billets, J’ai de nouveau une attirance pour le noir et blanc, bien qu’il soit numérique, en attendant de terminer un jour ou l’autre cette pellicule argentique monochrome que j’ai commencé il y a plusieurs mois déjà. Les photographies de ce billet ont été prises dans divers lieux de Tokyo et sur plusieurs mois. Une fois n’est pas coutume, je me montre en réfection multiple sur une installation faite de miroirs devant la batterie d’immeubles de Shinagawa Intercity. Sur la première photographie de ce billet, on retrouve le building NOA de Seiichi Shirai pour lequel le noir et blanc vient accentuer le sentiment de mystère qui entoure ce lieu. Il ne s’agit que d’un immeuble de bureaux, mais on a l’impression depuis l’extérieur qu’il cache autre chose. On retrouve cette sensation de mystère sur un autre large bâtiment tout proche, un temple sombre qui mélange une architecture plutôt traditionnelle avec l’immensité et les lignes générales d’un vaisseau spatial. Il faudra que je m’en approche un peu plus pour en faire le tour. Le temple devrait être ouvert aux visiteurs mais je ne suis pas certain de vouloir m’y aventurer. J’essaierais peut être bientôt. Nous sommes ici à quelques pas seulement de la tour de Tokyo, qui subissait quelques rénovations au moment où nous y sommes passés. Le titre du billet laisse entendre que les mots qu’on peut lire sur ce blog se répètent infiniment. J’écris toujours des billets similaires, qui se ressemblent et se répètent pour créer comme une sorte d’auto-hypnose. Pour se réveiller de ce flot perpétuel, il faudrait une onde de choc. L’idée me vient de revenir vers le punk kyotoïte de Otoboke Beaver. Le titre de ce billet est en fait un des titres de l’album que j’écoute en ce moment.

Leur nouvel album Itekoma Hits est déjà sorti depuis plusieurs semaines mais je n’y avais pas prêté trop attention jusqu’à maintenant car je connaissais déjà une bonne partie des morceaux, déjà sortis sur des EPs ou en morceaux individuels sur iTunes. En écoutant l’album en entier sur Bandcamp, je me rends compte qu’il y a tout de même, sur les 14 morceaux, un certain nombre de très bons morceaux que je ne connaissais pas. En fait, j’avais aussi un peu peur de fatiguer à la longue dans l’écoute successive de 14 morceaux de punk. Mais il n’en est rien, car l’album avec un total de 27 minutes est très condensé, ce qui est de toute façon est des caractéristiques typiques du style. Otoboke Beaver ne manque pas d’énergie et c’est assez impressionnant. Comme je le disais dans des billets précédents au sujet de EPs du groupe, cette énergie brute souvent ponctuée de cris et de pics verbaux aigus n’est pas du tout pesante à l’écoute, et même assez communicative par moment. Il faut bien sûr être réceptif à ce style de musique pour apprécier ces morceaux, car il n’y a pas une seule seconde de répit jusqu’au morceau final Mean de 18 secondes venant conclure l’album comme une coup de poing. En ce qui me concerne, cette musique fonctionne assez bien pour me libérer du stress de la fin de journée. C’est intéressant de constater que bien que tous les morceaux soient chantés en japonais, les titres des morceaux de l’album sont presque tous traduits en anglais (à part ce morceau avec les quelques mots en français S’il vous plaît). Ce n’était pas le cas quand les morceaux étaient sortis initialement en EPs où les titres étaient en japonais. Il faut dire que depuis quelques années, le groupe commence à être reconnu à l’international notamment grâce aux participations au festival SXSW à Austin au Texas et l’année dernière à Coachella en Californie. L’agence du groupe est d’ailleurs anglaise, Damnably Records, et couvre également le groupe rock coréen un peu plus calme, Say Sue Me, dont je parlais également auparavant.

nothing escaped

Le titre de ce billet reflète l’impression que j’éprouve parfois en retournant dans des lieux où je ne vais pas souvent. L’envie, ou plutôt le besoin, de tout saisir en photos me prend soudainement, avec l’espoir de réussir une photographie que je n’avais pas réussi auparavant. Je ne saurais en fait pas définir très clairement ce qu’est une photographie réussie. Mes photographies ne montrent la plupart du temps pas de lieux spectaculaires mais plutôt des espaces du quotidien. Bien sûr, l’architecture y est parfois impressionnante et lorsqu’elle est bien cadrée, contribue grandement à faire d’une photographie qu’elle soit réussie. Mais les photographies de rues sont réussies, à mon appréciation, quand elle montre un élément intriguant, une forme artistique, des lumières, des formes ou des alignements qui attirent le regard. Je dois montrer sur Made in Tokyo environ 10% de ce que je prends en photo dans une journée. Bien sûr, sur la totalité des photographies que je prends dans la journée, certaines se répètent sous des angles ou des cadrages légèrement différents, mais j’ai plutôt tendance ces derniers temps à ne pas prendre plusieurs prises d’une même photographie. La majorité des photographies que je prends resteront donc à jamais sur le disque dur de l’ordinateur, sans connaître d’exposition ultérieure. Parfois, elles servent quand même de matière source pour de futures compositions graphiques. Quand je me pose la question ultérieurement de ce qui manquait à une photographie pour qu’elle soit montrable sur mon blog, je n’ai pas de raison logique mais je pense juste qu’il manquait à la photographie un « élément fort ». Sur les photographies ci-dessus prises dans les rues du quartier de Azabu Jūban lors d’une belle promenade en famille, le bloc vert surgissant en apesanteur du bâtiment de l’Ambassade de Corée du Sud des architectes Chang-Jo, sous la lumière légèrement forcée de la fin de journée, est un élément fort. Le bloc électrique qui semble exagérer sa complexité sans logique évidente est un élément fort. L’autoroute suspendue intra-muros à deux étages défigurant le paysage urbain en forçant son passage au dessus des rivières n’est pas exempt d’une certaine violence, et c’est un élément fort qui me pousse à vouloir montrer cette photographie. Les surfaces et les lignes futuristes du Sumitomo Fudōsan Azabu Jūban Building, les arêtes aiguës et nettes découpant l’espace au couteau, sont également un élément fort visuellement. Tous ces éléments m’intéressent et me poussent à choisir ces photographies plutôt que d’autres, mais ces choix personnels ne résonnent certainement qu’à l’intérieur de moi-même sans peut être trouver un écho chez le visiteur, qui recherche principalement à retrouver dans les photographies montrées ici des lieux déjà vus ou parcourus, certainement avec une dose de nostalgie. Je me pose la question de savoir si les éléments forts qui me poussent à les montrer sur ce blog sont visibles, sans explications, par les visiteurs. Je me pose la question car en feuilletant nombres de livres ou sites photographies, il y en a très peu qui m’interpellent. Les éléments forts me sont peut-être invisibles ou ils sont peut être tout simplement inexistants. D’ailleurs, il y a t’il vraiment des éléments forts sur chacune des photographies des albums de Daido Moriyama ?

Je ne résiste pas à l’envie de montrer ici quelques œuvres de l’artiste japonais Kawanabe Kyōsai (1831-1889), que nous avons vu récemment au Suntory Museum of Art de Tokyo Midtown lors de l’exposition Kawanabe Kyōsai: Nothing Escaped His Brush. C’était d’ailleurs la première fois que je visitais une exposition dans ce musée dont l’espace en lamelles de bois est conçu par l’architecte Kengo Kuma. Kawanabe Kyōsai a commencé son apprentissage avec l’artiste Utagawa Kuniyoshi, dont nous avons vu plusieurs Ukiyo-e lors d’une exposition qui lui était consacrée il y a quelques années. L’oeuvre de Kawanabe Kyōsai est dans cette lignée. Il passe ensuite sa formation d’artiste dans l’ecole traditionnelle Kanō, mais s’en écarte pour plus de liberté. Il se consacre aux caricatures et critique ouvertement le pouvoir en place, ce qui lui vaut quelques déboires. Son œuvre dessinée est pleine d’humour et de fantaisie. On y voit souvent des animaux dansants, mais également des œuvres plus inquiétantes comme des représentations d’esprits et de fantômes, des squelettes. J’aime beaucoup sa manière de représenter les tigres dont les yeux ronds sont plein de malice. Les singes également sont magnifiques, notamment le singe blanc représenté dans l’image ci-dessus qui semble bien dans l’embarras accroché à des lianes sous une chute d’eau. Son équilibre paraît précaire et on s’attend à une chute imminente. Il dessinera aussi un grand nombre d’images à la minutie impressionnante qui seront regroupées dans des livrets destinés à des commandes particulières. On les voit bien entendu seulement ouverts à une double page protégés par une cloche de verre, mais on rêverait d’avoir ces livrets en mains pour les feuilleter. Un grand nombre des œuvres de Kawanabe Kyōsai sont possédées par des collectionneurs étrangers. C’est également le cas d’autres peintres japonais comme Itō Jakuchū, illustre ainé de Kawanabe Kyōsai, car le Japon a tardé à reconnaître ces artistes. Ce n’est pas rare encore maintenant que des artistes japonais innovants ou bouleversant les règles peinent à être reconnus dans leur pays d’origine et doivent passer par l’étranger pour forcer la reconnaissance. L’exposition se termine bientôt, le 31 mars.

un brin de rose sur le béton

Je ne pensais pas repasser à Azabu-Jūban aussi rapidement depuis mon passage en courant la semaine précédente, mais Zoa passant une audition dans le coin nous ramène dans ces rues. Cela me donne l’occasion de reprendre certains bâtiments et rues avec l’appareil photo reflex plutôt que l’iPhone. Nous y allons en marchant en traversant Hiroo, notamment en passant devant l’ambassade d’Allemagne. Le mur extérieur de béton de l’ambassade est partiellement recouvert d’une fresque commémorative du mur de Berlin. Ce mur construit pendant la guerre froide entre les deux Allemagnes était debout pendant 10316 jours soit 28 ans et cela fait justement 28 ans cette année qu’il est tombé. Un artiste allemand Justus Becker et un artiste japonais Imaone ont travaillé ensemble sur cette longue fresque. En parlant d’Imaone, je prends souvent en photo une de ses fresques tout à la verticale cachée derrière un building à Kichijoji. J’aime beaucoup la dynamique du trait et les couleurs employées sur ses fresques. En remontant un peu plus la rue en longeant le parc Arisugawa en direction de Sendaizaka, on passe également devant l’immense et très particulière propriété du groupe de chaines d’hôtels APA. On dit que c’est la résidence de sa présidente. Je me demande quel peut bien être l’architecte de cette résidence si particulière.

Au croisement de Shin-ichinohashi tout près de la station de Azabu-Jūban, l’étrange building de 14 étages Joule-A par l’architecte Edward Suzuki se dresse tout en courbe. D’extérieur, il se présente comme une structure squelettique recouverte d’une toile métallique partielle, qui ressemble à des nuages. A chaque fois que je passe devant cet étrange immeuble, une scène du film Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin me revient en tête, celle où K (Shinji Takeda) et Hinano (Hinano Yoshikawa) décident de tenter leur chance pour entrer dans une boîte de nuit sélect de Azabu. A l’intérieur, on y passe un morceau électronique de Takkyu Ishino, une version re-mixée de I Thought 3, But Were 4 In Fact, sur l’album Dove Loves Dub dont je parlais dans le billet précédent. J’ai re-regardé ce film il y a quelques jours car je me souvenais qu’il se déroulait en grande partie près de Shimo-Kitazawa, et je voulais voir si je reconnaissais quelques lieux. Le film étant sorti en 1998 en France, je pense que je l’ai vu pour la première fois au cinéma en France avant de partir pour le Japon. Je le regarde assez régulièrement car j’aime son ambiance, celle des rues de Kitazawa que K parcourt en naviguant comme une brise avec sa mini caméra video.

Au détour d’une rue, je retrouve l’immeuble LAPIS des architectes Iida Archiship Studio, mais sous un autre angle, alors qu’un brin de rose traverse devant le béton brut. Un peu plus loin dans la rue, un autre building un peu plus récent est recouvert d’un mur végétal. On voit de plus en plus ce type de mur recouvert de végétation dans Tokyo, concept inventé par Patrick Blanc. Le cas de l’immeuble ci-dessus semble tout de même être une version très simplifiée du mur végétal.

En fin de journée, nous bifurquons vers Roppongi Hills, pour aller voir l’exposition de l’argentin Leandro Erlich au Mori Art Museum. On s’est dit qu’il devait y avoir un côté ludique à cette exposition qui plairait à Zoa, et c’était bien le cas. Nous avions manqué à Kanazawa la fameuse installation de la piscine car elle était en rénovation pendant notre passage l’année dernière, donc on se rattrape avec cette exposition. La piscine n’était pas montrée, mais il y avait un grand nombre d’installations jouant de manière similaire sur notre perception. Les jeux de miroirs viennent perturber notre réalité et nos repères. D’un point de vue conceptuel et même ludique, cette expression est très intéressante. Le problème est qu’il y avait foule le dimanche après midi, et attendre une demi-heure pour voir une installation à l’intérieur même de l’exposition, c’était vraiment trop. Une des créations majeures de cette exposition était celle du building, où avec un jeu de miroir, on se donne l’impression de se retenir pour ne pas tomber de la façade du building. Malheureusement, avec la foule agglutinée et remuante comme sur un terrain de jeu, l’effet était vraiment estompé. Il aurait fallu prendre un jour de congé et venir en semaine pour apprécier l’exposition au calme. Les installations montrées sont également la plupart du temps intéressantes du point de vue de la technique utilisée pour modifier la perception du réel, mais au final, ce que l’on voit dans l’oeuvre, c’est une réalité que l’on connait bien. De ce fait, ça m’a laissé un peu froid. Par exemple, on doit attendre une dizaine de minutes en file d’attente pour regarder une installation se présentant comme une porte, faisant l’épaisseur d’une porte normale, posée au milieu de la pièce. Lorsqu’on regarde à travers l’œillère de la porte, on aperçoit un couloir vide. On imagine un ingénieux jeu de caméra avec video installée à l’intérieur de la porte, pour nous donner l’impression que l’on voit ce couloir. La technique est impressionnante, mais au final, ce que l’on voit c’est un couloir vide, tout ce qui a de plus quelconque et banal. D’autres objets sont à mon avis plus poétiques, comme la représentation d’un pays par des superpositions de plaques de verre donnant une impression de nuages et de contours flous. L’effet fonctionne très bien pour des pays à la forme très distinctive comme le Japon et la France. En fait, je préfère les installations qui n’ont pas besoin de la présence du visiteur pour fonctionner comme oeuvre d’art.